mercredi 23 mars 2022

Lecture analytique linéaire : l'aveu de la Princesse de Clèves à son mari (version courte)


 

Plan du texte :

Passage en 3 moments :

1) l’aveu de la princesse, au discours direct (moment dramatique traité sur le mode théâtral)

2) reprise de la narration avec description de la réaction (gestes) de monsieur de Clèves « pendant tout ce discours »

3) début de la réponse du mari au discours direct, avec effets de reprise des paroles de sa femme

 

Aspects majeurs du texte :

* Un moment de vérité entre les deux époux, qui tranche avec les mensonges et hypocrisies de la Cour

* Mise en évidence pour les lecteurs du caractère exceptionnel de ce passage, de cet aveu, mais aussi de l’attitude des deux personnages

* L’aveu de la Princesse est basé sur une argumentation solide, et réfléchie

* Les deux personnages sont à la fois acteurs et victimes de la situation

 

Problématiques possibles :

* En quoi ce moment du roman est-il exceptionnel par la vérité exprimée par les deux personnages ? 

* Comment cet aveu est-il construit en miroir, permettant aux deux personnages de livrer leurs sentiments intimes ?

 

Étude linéaire :

 

1) L’aveu de la Princesse :

 

* Un aveu rapide et assez implicite :

- « si j’ai des sentiments qui vous déplaisent » (l. 8-9) : le seul mot qui nomme expressément sa passion est celui de « sentiments ». De plus, il apparaît dans une proposition subordonnée, au milieu d’une phrase, comme noyé dans celle-ci !

- pourquoi procéder ainsi ? le langage est proche de celui de la préciosité, mouvement littéraire du XVIIè siècle, qui aime l’art de l’ellipse, de la suggestion, plus que celui de nommer directement le sujet abordé ; les deux époux appartiennent à la haute aristocratie française, possède donc un art du langage qui n’est pas celui du peuple, et cet art de l’aveu sans trop en dire peut correspondre au langage de leur classe sociale ; on peut penser aussi qu’il s’agit, de la part de la Princesse, d’un respect vis-à-vis de son mari, à qui elle avoue des sentiments amoureux pour un autre que lui, quand il sait qu’elle n’est pas amoureuse de lui ; enfin peut-être est-ce aussi une manière d’avouer mais en restant sur une forme de réserve (la Princesse avoue, mais en même temps, c’est un acte difficile, donc elle ne le fait pas trop directement). 

 

* Singularité du passage signalée par :

- l’emploi de paroles rapportées au style direct (pour la Princesse et ensuite pour le Prince), ce qui n’est pas si courant dans l’ensemble du roman.

- la théâtralité du passage (dialogue, gestes et attitude de chacun indiqués) : dès début de son intervention, lié à la proposition incise « lui répondit-elle » : le 1er geste de la Princesse dramatise l’instant : « se jetant à ses genoux » (l. 1) = visualisation du personnage, pour le lecteur + renforcement de la douleur du personnage, pathétique pour le lecteur + soumission à son mari.

- l’annonce claire de l’« aveu » (le mot est prononcé par la Princesse l. 2), comme un projet pour cette réplique : effet d’attente de la part du lecteur (même si le lecteur connaît les actes et l’objet de la passion du personnage). Aveu mis en évidence par la proposition subordonnée relative hyperbolique « que l’on n’a jamais fait à son mari » (l. 2) = manière encore de signaler la singularité de ce qu’elle s’apprête à faire, donc de susciter l’intérêt du lecteur (négation « ne… jamais » : adverbe de temps indiquant l’unicité de ce que la Princesse s’apprête à faire). Elle répète la même hyperbole pour mettre en avant ce caractère exceptionnel ligne 10 : « plus d’amitié et plus d’estime que l’on en a jamais eu ». L’emploi de l’adjectif « vrai » (l. 3) montre encore qu’elle souhaite faire preuve de vérité.   

 

* But 1 de cet aveu : se justifier et expliquer son attitude (absence de la Cour) :

- elle met en avant la pureté conservée de sa vertu (elle n’a trompé son mari qu’en pensée, elle n’a pas succombé à Nemours, n’a pas fait de lui son amant) : défense de « l’innocence de [sa] conduite et de [ses] intentions » (l. 2) : double complément du nom renvoyant l’un aux actes (« conduite »), l’autre aux pensées (« intentions »), englobant donc tout ce qui pourrait rendre la Princesse coupable aux yeux de son époux.

- la phrase suivante débute par la formule impersonnelle « Il est vrai » (l. 3), annonçant une concession à son époux, ce qui est la marque d’une certaine subtilité de la part de la Princesse (sa stratégie argumentative). L’emploi du nom « raisons » = valeur explicative de son attitude.

- La raison est donnée après, par le biais de la conjonction de coordination « et » (l. 3) : « et que je veux éviter les périls… » (l. 3-4) : « la cour » (l. 3) est citée avant, et donc liée aux « périls » ;  le lecteur comprend, dans cet euphémisme, qu’elle évoque indirectement Nemours et l’amour irrépressible qu’elle lui porte. La proposition subordonnée circonstancielle de but « pour me conserver digne d’être à vous » (l. 7-8) apparaît aussi comme une justification de sa volonté de s’écarter de la cour.

 

* But 2 de cet aveu : supplier son époux de l’aider :

- elle interpelle son mari :

" apostrophe initiale de la réplique, par l’interjection « Eh bien » (l. 1), puis par « Monsieur »

" jeu des pronoms des 1ère personne du singulier et 2ème personne du pluriel, en début de réplique (ligne 1, « je vais vous ») puis reprise après (lignes 5, puis 7-11 : « je » / « vous »

" interpellation plus directe vers la fin de la réplique, par l’énumération des 3 verbes à l’impératif ligne 11 (« conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore ») : supplication forte, appel à l’aide. Son époux doit remplacer sa mère, ce que montre la reprise du verbe « conduire » utilisé à la ligne 7) ; noter que le rythme haché de cette fin de phrase (4 à 5 syllabes par groupes de mots) renforce aussi cette supplication, comme dans un souffle un peu précipité de la fin de l’aveu. Fin de la réplique sur « vous », comme pour lui passer la parole, mais aussi pour s’effacer devant lui, son autorité.

" cette interpellation de fin de réplique avait en fait débuté plus haut par « Je vous demande » (l. 8), puis dans la phrase suivante par l’impératif « songez » (l. 9), en tête de phrase. On peut se dire que si elle s’efface en apparence devant lui, elle lui impose aussi de manière de plus en plus forte son argumentaire, sa manière de réfléchir.  

- l’appel aux sentiments du Prince (« pitié » ; « aimez », et plus haut l. 10 « amitié » = affection ; hyperbole « mille pardons » l. 8) est une manière de le faire plier (dans ce cas, elle semble maîtriser son argumentation), ou la marque du désespoir où elle se trouve (signe de sa faiblesse).

- elle évoque deux fois l’éloignement de la cour : ligne 3 puis ligne 6. Elle supplie son époux de la laisser éloignée de la Cour ; l’aveu vient expliquer cette demande, la justifier. Elle a la solution au problème qu’elle expose : ne plus apparaître à la Cour, devant celui qu’elle aime.

 

* Cet aveu oppose action et pensées (c’est encore un argument pour se défendre auprès de son époux) : son aveu montre qu’elle affirme n’avoir jamais succombé à celui qu’elle aime, qu’elle n’a pas agi en ce sens, mais qu’elle met l’accent sur ce qu’elle sait être sa faute : ses pensées, son penchant, ses émotions qui la poussent vers Nemours.

- Aux lignes 8 et 9 s’opposent « sentiments » et « actions ». Les sentiments sont actuels (verbe « avoir » -« j’ai »- au présent de l’indicatif), les actions sont futures (verbe « ne vous déplairai jamais »). Le balancement entre les deux éléments s’effectue grâce à la locution adverbiale « du moins » (l. 9) : la Princesse avoue ses sentiments jugés fautifs, mais les contrebalance par le fait qu’elle n’a pas mal agi, l’action étant jugée pire que la pensée, que ce qui est simplement ressenti. L’emploi de l’adverbe temporel « jamais » signale un engagement éternel, dans une forme d’hyperbole ; on note aussi que l’emploi de l’indicatif futur présente cet engagement comme une vérité. Ici aussi on constate donc une forme de stratégie argumentative de la part de la Princesse.

- Elle plaide aussi « l’innocence de [sa] conduite et de [ses] intentions » (l. 2) : elle associe ici les actes (la « conduite ») et même sa pensée (« intentions »). Elle veut signaler ainsi à son époux qu’elle n’est pas tombée dans les bras de celui qu’elle aime, que cette passion en est restée au stade d’un sentiment intérieur, jamais avoué à Nemours, et jamais passé au stade de l’acte. Et cela montre que sa passion l’a dominée mais qu’elle ne l’a pas choisie (« intentions »).  

 

* Cet aveu est-il celui d’une femme forte, sûre d’elle-même (a), ou une marque de faiblesse de sa part, voire une impossibilité d’exercer une liberté personnelle (b) ? Un aveu ambigu :

(a)

- « je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse » (l. 4-5) : négation « ne plus » = sens absolu, définitif sur son passé (passé composé du verbe ; indicatif = vérité, réalité). Elle s’affirme fortement, et en même temps on sait que c’est faux : son émotion lors de l’accident de cheval de Nemours, sa réaction lors du vol du portrait, son plaisir à réécrire la lettre avec lui le prouvent. Donc volonté de simplement convaincre son mari ? Volonté de se convaincre elle-même que tout ceci est du passé et ne reproduira plus ? Noter que le nom « faiblesse » (encadré d’une négation) fait écho au nom « force » qui clôture la phrase ligne 3, ce qui pourrait aller dans le sens d’une volonté de laisser, rejeter cette passion dans le passé : elle veut avoir la force de résister.

- « je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge » (l. 3-4) : le verbe « vouloir » à la 1ère personne du singulier semble montrer une force personnelle, mais en même temps, ses paroles rappellent beaucoup celles de sa mère (cf. 1er extrait étudié en lecture analytique : arrivée à la cour), et le nom « cour » précède immédiatement cette partie de la phrase. Assume-t-elle vraiment ? Se cache-t-elle derrière un argumentaire qui n’est pas le sien (ce que le pluriel des « personnes » soulignerait, éloignant le propos de sa propre personne) ?

- « le parti que je prends, je le prends » (l. 7): verbe d’action répété, ce qui montre sa détermination. « pour faire ce que je fais » (l. 9-10) : même procédé de répétition du verbe d’action. Même emploi de la 1ère personne du singulier pour s’affirmer.

 

(b)

- « si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour » (l. 5-6) : le nom « liberté » montre qu’elle met en avant le choix qu’elle veut faire, mais en même temps, c’est son mari qui décide : sujet du verbe « laisser » + proposition subordonnée circonstancielle de condition qui souligne que cette issue n’est pas certaine, car soumise à la décision de M. de Clèves ; elle est en position de pronom complément, « me », et non en position de sujet décideur.

- la disparition de sa mère la rend plus fragile : 2ème proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse, « si j’avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire » (l. 6-7), donc qui évoque une situation qui n’existe pas. Notons le verbe « aider » dont le complément est la princesse : « me », comme ci-avant ; de plus « conduire » laisse entendre qu’elle ne souhaite pas ou ne peut pas diriger elle-même son existence, qu’elle n’en a pas la force nécessaire.

- enfin, si les deux subordonnées laissent penser qu’il y a un choix, c’est faux : Mme de Chartres est décédée ; il ne reste donc que la fuite possible. Pas de choix laissé à la Princesse.

- les trois verbes à l’impératif de la fin de la réplique (ligne 11 : « conduisez-moi, ayez pitié, et aimez-moi encore ») soulignent aussi un appel à l’aide, et donc une faiblesse de sa part. Sa seule issue est que son mari, qui a autorité sur elle (pensez à la hiérarchie dans le couple au XVIè siècle : elle dit ligne 8 qu’elle veut être « digne d’être à [lui] », comme une forme de possession du mari sur son épouse), accepte qu’elle s’éloigne de la cour.

 

* Quels valeurs et jugements sur la société (la cour) met-elle en avant ?

- la cour est dangereuse : « périls » (l. 4) (noter le pluriel) ; « craindrais » (l. 5) ; « dangereux » (l. 7 : elle ne précise pas quel danger la guette en s’éloignant de la cour. Peut-être une exclusion définitive de ce monde, et donc une entorse faite à son statut de noble et de riche héritière proche du pouvoir ?). Il faut donc (c’est son argumentaire) qu’elle fuie la cour et la personne qu’elle aime qui s’y trouve (« m’éloigner de la cour », « éviter les périls », « me retirer de la cour » : 3 verbes à l’infinitif, verbes d’action, dont deux de mouvement, de déplacement).

- elle n’a fauté qu’en pensée : « innocence de ma conduite et de mes intentions » (l. 2) ; elle ne ressemble pas à d’autres femmes de la Cour (exemple : histoire de Mme de Tournon). La distance qu’elle met avec la Cour symbolise aussi le fait qu’elle ne ressemble aux femmes de ce milieu hypocrite. Son aveu tranche d’ailleurs par la vérité qu’il présente avec le mensonge et la dissimulation communs aux personnages de la Cour.

- tout autant que sa vertu, elle met en avant les risques encourus par son image sociale : « d’en laisser paraître » (l. 5), tout en notant que pour l’instant son image sociale n’est pas écornée : « nulle marque de faiblesse » (l. 5).

- elle défend sa vertu dans le cadre du mariage qui la lie à son époux : « digne d’être à vous » (l. 8) ; elle rappelle son « amitié » (l. 10) (= affection, ici), son « estime » pour lui. Elle le nomme comme son « mari » (lignes 2 et 10), rappelant ainsi sa fidélité dans le mariage.

 

2) Reprise brève de la narration : la réaction de M. de Clèves :

 

* Réaction simultanée aux propos de la Princesse : 

- l’emploi du plus-que-parfait le prouve : ce temps permet d’effectuer un bref retour en arrière (« était demeuré » l. 12 ; « n’avait pas songé » l. 13), au moment où la Princesse s’exprimait encore.

- le narrateur offre le point de vue interne du Prince : ses pensées (« n’avait pas songé » ; « pensa » ; « si admirable » = jugement de valeur esthétique) ; son regard (« jeta les yeux sur elle » ; « il la vit »). 

- on note une réaction de souffrance exacerbée : hyperbole « mourir de douleur » (l. 15).

 

* Comme pour début du passage, volonté de théâtraliser l’instant :

- gestes du mari (« la tête appuyée sur ses mains » ; « il jeta les yeux sur elle » ; « l’embrassant en la relevant »)

- mais aussi description de l’état de la Princesse à ce moment (« à ses genoux » ; « le visage couvert de larmes » ; « d’une beauté si admirable »).

- s’il ne l’a pas regardée pendant qu’elle parlait (il était « hors de lui-même » l. 13 = pas lui-même ? comme déconnecté ?), restant comme à distance, il la prend dans ses bras et le remet au même niveau que lui (« l’embrassant en la relevant ») : proximité plus grande entre eux.

- cette théâtralisation permet essentiellement de créer du pathétique, les deux personnages faisant également pitié.

 

3) La réponse du Prince de Clèves à la Princesse (suite de sa réaction) :

 

* Une réponse en miroir à celle de la Princesse :

- même paroles rapportées au style direct " même importance des deux prises de parole aux yeux du lecteur. Cela crée une forme d’égalité entre les deux personnages aux yeux du lecteur.

- reprise de certaines paroles ou procédés de la Princesse, pour se les appliquer à lui-même, ou pour les appliquer à la Princesse : « ayez pitié de moi » l. 11 (Princesse) & 16 (lui-même) ; emploi de verbes à l’impératif pour renvoyer des demandes à la Princesse l. 16 ; « digne d’être à vous » l. 8 (Princesse au Prince) & « j’en suis digne » l. 16 (Prince), mais il reprend aussi le terme, pour approuver la Princesse à son sujet : « vous me paraissez plus digne d’estime » (l. 18) ; l’« estime » qu’elle a annoncé avoir pour lui (l. 10) correspond à celle qu’il a pour elle (l. 18) ; même apostrophe initiale (« Monsieur » l. 1 & « Madame » l. 16) ; même demande de pardon (« Je vous demande mille pardons » l. 8 & « pardonnez » l. 16).

- pourquoi le Prince reprend-il les propos de la Princesse ? Il veut montrer qu’il est à la hauteur de ce que la Princesse veut s’imposer à elle-même ; il veut montrer qu’il ne souhaite pas qu’elle s’abaisse devant lui (d’où le geste l. 15), qu’il lui ressemble, qu’ils sont donc proches l’un de l’autre, malgré cet aveu qui signale qu’elle en aime un autre que lui ; mettre en avant sa propre douleur (elle n’est pas la seule à souffrir !)

 

* Donc : Egalité des deux personnages en ce moment :

- le geste l. 15 (« en la relevant ») inverse « à ses genoux » (l. 1), inverse l’autorité habituelle des maris sur leurs épouses au XVIè siècle.

- le Prince ne souhaite pas qu’elle s’abaisse devant lui (d’où le geste l. 15), il veut montrer qu’il lui ressemble, qu’ils sont donc proches l’un de l’autre, malgré cet aveu qui signale qu’elle en aime un autre que lui.

 

* Le Prince, par son intervention, se présente lui aussi comme un être exceptionnel, ouvert, tendre, compréhensif :

- pas de colère envers son épouse : pas de phrases exclamatives, pas de lexique de la colère ; au contraire, longues phrases explicatives marquant plus une attitude calme et assez réfléchie de la part du Prince.

- acceptation de la situation même si elle le fait souffrir.

 

Ce caractère exceptionnel se mesure aussi à la réponse inattendue de la part du Prince :

- un Prince différent des autres hommes : il n’utilisera pas cet aveu contre elle pour se venger (règle habituelle dans leur monde ; et peut-être plus largement chez les êtres humains ?) : « je ne réponds pas, comme je dois, à un procédé comme le vôtre » (l. 17-18) : l’insertion de la subordonnée de comparaison « comme je dois » au milieu de la proposition principale, interrompt celle-ci, manière de souligner combien le Prince est différent des autres hommes de la Cour. Le verbe « devoir » (« dois »), au présent de vérité générale, rappelle les règles de comportement qui s’imposent normalement aux hommes sur leurs épouses dans la société dans laquelle ils évoluent (= il devrait s’énerver contre elle, la haïr) ; mais la négation « je ne réponds pas » indique qu’il ne suit pas cette règle générale.

- il présente son épouse comme un modèle exceptionnel, guidant ainsi le lecteur vers cette image du personnage : « plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femmes au monde » (l. 18-19) " hyperbole très forte par la comparaison de la Princesse à toutes les femmes de la terre, et aussi à toutes celles qui ont existé. C’est évidemment aussi une manière de montrer tout son amour pour elle, indéfectible, malgré l’aveu qu’elle vient de lui faire : il s’exprime toujours au présent de l’indicatif (« vous me paraissez » l. 18 ; « elle dure encore » l. 21-22). Le pronom possessif dans « un procédé comme le vôtre » (l. 18) souligne que l’aveu qu’elle vient de faire n’appartient qu’à elle, est unique, qu’aucune femme ne saurait dans leur monde être aussi franche avec son époux.

 

* Plus que de la colère, le Prince ressent et fait part d’« une affliction […] violente » (l. 17 : noter l’hyperbole qui montre combien il souffre).

- Une différence entre eux : la Princesse n’a pas fait part de son affliction vis-à-vis de ce qu’elle livre à son mari, de ce qu’elle lui fait subir. L’opposition entre eux est ici signalée par la construction en deux parties opposées de la phrase (rupture par le point-virgule et la conjonction de coordination d’opposition « mais » l. 19). Au modèle admirable, exceptionnel qu’elle propose (« estime » ; « admiration » l. 18-19) répond ainsi son affliction exceptionnelle.

- Il renforce le groupe nominal « affliction violente » par une hyperbole (superlatif de l’adjectif « malheureux ») : « le plus malheureux homme qui ait jamais été » (l. 19-20). Il se singularise ainsi par rapport à tous les autres hommes présents et passés, auxquels il se compare.

 

Comme la Princesse s’est expliquée, s’est justifiée, a livré le fond de son âme, il fait de même : il s’explique et se confie.

- nombreuses occurrences de la 1ère personne du singulier

- champ lexical des sentiments (« affliction », « admiration », « malheureux », « passion », « amour »)

- emploi de connecteurs logiques qui articulent les différents moments de son explication (« et » l. 16 ; « mais » l. 19).

 

* Un Prince qui se présente en position de faiblesse : il n’est pas acteur de sa passion, ni de sa tristesse infinie.

- « Vous m’avez donné de la passion » (l. 20) : il est position de victime de l’amour et de son épouse (pronom personnel complément d’objet indirect « m’ »). « je me trouve » (l. 19) : verbe à la forme réfléchie, qui souligne qu’il subit ce sort, comme un personnage de tragédie soumis à une forme de destin et qui constate la situation dans laquelle il se trouve, sans pouvoir agir sur elle. Il utilise une négation définitive, en reprenant ses propos de la ligne 20 pour les inverser : « vous m’avez donné » " « je n’ai jamais vous donner de l’amour » (l. 22), toujours pour mettre en avant son incapacité à agir pour elle. L’amour non réciproque est souligné par le passage par la conjonction « et » d’une proposition principale et de sa subordonnée, à une autre principale avec subordonnée, qui s’oppose à la première : « je n’ai jamais pu vous donner de l’amour » " « et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre » (l. 22-23) (opposition « je » " « vous » « vous » " « un autre »).

 

Conclusion :

* L’aveu met en scène un moment étonnant dans ce roman, où chacun dissimule ses sentiments et la vérité de ce qu’il ou elle est. C’est pourquoi il a étonné les premiers lecteurs de Mme de Lafayette et suscité des débats sur sa vraisemblance.  

* Au final, ce n’est pas seulement la Princesse qui apparaît comme exceptionnelle dans ce passage : le rapprochement par la structure du texte des deux personnages met aussi en valeur le caractère extraordinaire du Prince.

* Ces deux personnages tranchent avec la Cour, sont au-dessus par leur vertu, leur comportement.

* On notera cependant que le Prince sera emporté par une autre forme de passion, la jalousie, qui le mènera à sa mort. L’aveu peut paraître positif au moment où il se produit, mais la Princesse porte la responsabilité des conséquences de cet aveu sur son époux, et elle souffrira de ce sentiment de culpabilité.

* Nemours, présent mais caché, admire aussi cette Princesse. Cet aveu renforce l’amour qu’il lui porte, dans la mesure où il lui est confirmé qu’elle est supérieure aux autres femmes qu’il a pu connaître.  

 

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