mardi 17 novembre 2020

Une page rassemblant des réflexions diverses sur les Lettres persanes


 


Vous trouverez ci-dessous le lien vers une page publié sur un site académique qui rassemble de nombreuses réflexions sur les Lettres persanes : un bon aperçu de ce que vous pouvez retenir du roman. 


http://www.ac-corse.fr/Lettres/docs/ET%20Le%20regard%20e%20loigne.pdf




lundi 16 novembre 2020

Lecture analytique linéaire : extrait des Essais de Montaigne


Axes d’étude du texte

- Souhait de Montaigne de rendre compte de manière précise des us et coutumes des Indiens : aspect ethnographique et ethnologique de sa démarche

- Volonté de mettre en scène les regards des peuples les uns sur les autres (regards = observations + réflexions)

- But de Montaigne : remettre en question les idées préconçues sur les Européens / les Français, par la comparaison

- Démarche intellectuelle de Montaigne marquée par la nuance, la volonté d’apporter un regard juste sur les deux peuples comparés (pas de mythe du bon sauvage opposé à une image très négative des Européens)


Mouvement du texte : vers un regard sur la barbarie des Européens

- 1er paragraphe : narration et explications sur les coutumes des Indiens à la guerre : image horrible de leurs pratiques cannibales.

- 2ème paragraphe : précision grâce à une comparaison avec les Scythes sur la motivation du cannibalisme : la vengeance envers des ennemis. Image horrible des pratiques des Portugais (Européens) sur le sol américain, affichées comme pires que celles des Indiens.

- 3ème paragraphe : Comparaison des horreurs des Indiens et des Européens, afin de mettre en valeur ces dernières, de forcer les lecteurs européens à prendre conscience de leur propre barbarie.

- 4ème paragraphe : Conclusion de la réflexion, reprenant le propos du 3ème paragraphe.


NB. Ce qui figure en caractères gras met en valeur l'aspect du texte étudié à tel ou tel moment de l'analyse linéaire. 



Commentaire linéaire

* 1er paragraphe :

- l. 1-2 :

- Présentatif en début de paragraphe & usage du présent de vérité générale (« c’est ») : texte à visées informative et explicative. Mise en valeur de la réaction personnelle de Montaigne, la surprise (adjectif « stupéfiante »). Effet d’attente par l’emploi d’un nom de sens imprécis (« chose »).

- Mise en scène des Indiens dans un contexte guerrier (« leurs combats » : pluriel = répétition de cette situation). Proposition subordonnée relative précisant le sens du nom « fermeté » (« qui ne finissent jamais… sang »). Négation à valeur restrictive (« ne… que », renforcée par l’adverbe « jamais ») autour d’un verbe au présent de vérité générale et au pluriel : aucune exception, habitude des Indiens. Deux groupes nominaux qui horrifient le lecteur, connotation de la violence : « meurtre » & « effusion de sang ». Image très négative des Indiens. Nouvelle proposition grammaticale, coordonnée (conjonction de coordination « car », introduisant une cause) : explication, précision de nouveau par rapport à ce qui précède. Mise en valeur de « la déroute et l’effroi », en tête de proposition grammaticale, repris ensuite par le pronom « ce » ou « c’ » : image de nouveau assez effrayante des Indiens qui se montrent donc impitoyables sur un champ de bataille. Cependant, pour des soldats, ne pas s’enfuir, ne pas être lâches (ce que peut connoter « déroute ») n’est-ce pas une qualité ? Donc un jugement assez balancé de Montaigne sur les Indiens, peut-être.

- l. 2-3 : S

- Suite du récit : après la bataille. Toujours une volonté de présenter une vérité ethnographique (généralisation par le pronom indéfini « chacun » + emploi du présent de vérité générale, ou d’habitude).

- Image horrible encore des Indiens : Montaigne semble même accentuer cette perception des Indiens par les Européens, en évoquant le découpage d’un corps : l’auteur cherche à susciter le dégoût du lecteur par des images précises que ce dernier peut imaginer. La mise en parallèle, par la juxtaposition des GN, de « trophée » et de « tête de l’ennemi », montre qu’il s’agit d’un acte de guerre, mais peut aussi effrayer le lecteur, un trophée étant plus souvent un objet arraché à l’ennemi (une arme par exemple), pas une partie de son corps (sauf pour une chasse d’un animal : animalisation des victimes des Indiens, et donc manière de montrer toute leur violence).

- La conjonction de coordination « et » souligne que le récit se poursuit : Montaigne reconstitue ce qui se déroule après une bataille chez ces peuples. Les verbes au présent sont donc aussi des présents de narration. Le lecteur est invité à vivre auprès des Indiens, à les imaginer, ce qui ne peut que captiver son attention, mais aussi l’horrifier plus sûrement.

- Encore une gradation dans l’horreur puisque la tête est placée « à l’entrée [du] logis », comme un objet décoratif, et non comme un reste humain auquel on doit le respect. Le terme de « logis » signale que les Indiens vivent comme les Européens, manière de montrer sans doute qu’ils ne sont pas des sauvages, proches des animaux, mais qu’ils construisent aussi des lieux pour y habiter. Le choc entre ce terme qui renvoie à la banalité du quotidien et l’acte de laisser une tête humaine à l’entrée doit encore horrifier le lecteur.

- l. 3-5 :

- Début de phrase par un connecteur temporel : suite du récit, de la reconstitution des faits.

- De nouveau, lexique lié à la guerre (« prisonniers »). Image positive des Indiens, en opposition à ce qui a précédé (« bien », accentué par l’adverbe temporel « longtemps » ; précision par le groupe prépositionnel placé entre virgules « selon toutes les commodités possibles », qui donne la manière de « bien » traiter les prisonniers, et suggère un grand respect de ceux-ci par le pluriel employé, l’adjectif indéfini « toutes » et le nom à valeur méliorative « commodités »). Montaigne ne souhaite donc pas ne donner qu’une seule facette des Indiens, et est nuancé dans sa présentation. Ceci prépare aussi la comparaison finale : les Indiens sont moins barbares que les Européens (il faut donc glisser ça et là des aspects positifs à leur sujet).

- Nouvel événement dans le récit, l’assemblée. De nouveau, image banale des Indiens, qui se réunissent, comme peuvent le faire tous les êtres humains, comme les Européens le font : image d’égalité de tous les humains proposée par Montaigne. Les Indiens sont des êtres sociables (« ses connaissances »).

- l. 5-7 :

- Le point-virgule signale que cette partie de phrase s’enchaîne avec la précédente : suite du récit. Contraste avec ce qui a précédé : attacher un prisonnier n’est pas le « bien » traiter. Deux personnes pour un prisonnier : image du pouvoir qui est imposé à celui-ci, comme le terme « maître » (l. 5).

- Précision des explications de Montaigne, qui souhaite que son lecteur comprenne bien, et qu’il puisse se faire une image de la situation (« une corde » ; « l’un des bras » ; « éloigné de quelques pas » ; « l’autre bras »). Les Indiens savent réfléchir, ne sont pas idiots : « de peur d’en être blessé ».

- l. 7-9 :

- Le point-virgule + conjonction de coordination « et » (sens : addition, enchaînement temporel) = suite du récit. Lien à ce qui précède par la reprise pronominale « eux ». Précision encore : « en présence de toute l’assemblée ».

- Acte de grande violence exprimé par le verbe « assomment », le nom « coups » (au pluriel de plus) et par ce que suggère le complément du nom « d’épée », l’arme employée (destination d’une arme : blesser ou tuer). Noter toutefois que l’épée ne sert pas à son usage habituel puisqu’il s’agit d’assommer et non d’exécuter le prisonnier. Lien de la phrase suivante à ce qui précède par le pronom « Cela » en tête de phrase. Trois verbes d’actions dans la phrase : « rôtissent », « mangent », « envoient » = récit un peu accéléré. Deux verbes liés à la cuisine et au repas, acte banal d’un être humain, mais l’auteur horrifie son lecteur puisque les pronoms « le » et « en » désignent un être humain.

- L’idée de communauté se poursuit : « en commun », « amis » : reflet d’une organisation sociale identique à celle des Européens, mais ici associée à un tabou largement répandu sur la planète, le refus du cannibalisme, de la consommation de chair humaine.

- Contraste entre des termes renvoyant à un acte banal de la vie quotidienne, le besoin de se nourrir (« rôtissent », « mangent », « lopins »), et la réalité décrite du découpage d’un corps humain en morceaux, et de sa consommation : ceci renforce aux yeux du lecteur européen le caractère horrible de cette pratique cannibale.


* 2ème paragraphe :

- l. 10-11 :

- Nouvelle étape de la présentation par Montaigne, signalée par ce changement de paragraphe, puis par la référence à un peuple européen, et non plus aux Indiens, comme dans l’ensemble du 1er paragraphe. Lien au paragraphe précédent par le pronom « Ce » placé au début de ce 2ème paragraphe (ce = cette pratique des Indiens). Présent du verbe « être » = vérité générale, pour imposer cette opinion de Montaigne, ou pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un avis personnel mais d’une réalité non discutable.

- Phrase construite sur une comparaison (« ainsi que ») et une opposition soulignée par un parallélisme de construction grammaticale (« Ce n’est pas pour » / « c’est pour » : Scythes Indiens. Les deux peuples se rejoignent dans leur consommation de la viande humaine. Montaigne n’explique pas la référence aux Scythes car ses lecteurs, férus de culture antique, la connaissent. Intérêt de la comparaison : rappel que le cannibalisme a aussi existé en Europe, n’est donc pas l’apanage des seuls Indiens. Relativisme culturel de Montaigne, ainsi. « comme on pense » : Montaigne s’oppose aux idées reçues très communément admises (« on » : pronom personnel indéfini à valeur universelle, que le présent renforce).

- La juxtaposition de la négation « ce n’est pas » et de cette proposition grammaticale « comme on pense », placée entre virgules, comme entre parenthèses avant que la phrase ne se poursuive, montre bien que le but de Montaigne est d’emmener le lecteur plus loin que sa réflexion habituelle, de creuser plus loin.

- « représenter une extrême vengeance » : le nom est associé au contexte de guerre dont il a été question dans le 1er paragraphe. Le verbe montre une forme de ruse, d’intelligence, de la part des Indiens, et s’oppose donc ainsi au besoin primaire de « se nourrir » : les Indiens savent que dans les conflits, le pouvoir s’impose par l’image d’autorité que l’on peut offrir. Montaigne cherche ici à prendre le contrepied de l’image des Indiens développée précédemment : leur cannibalisme est réfléchi et ne répond donc pas à un besoin primaire irrépressible.

- l. 11-14 :

- La phrase enchaîne la réflexion entamée, annoncée (début de paragraphe) dans la phrase précédente : conjonction de coordination « et » (connecteur logique ici) + « à preuve » (terme renvoyant à la nécessité de justifier une affirmation, de lui donner une réalité). Montaigne n’est donc plus à ce moment dans un récit comme dans le 1er paragraphe.

- Mise en valeur, en début de phrase et avec ensuite des propositions subordonnées qui complètent ce verbe, du regard des Indiens sur les Portugais (« s’étant aperçus » : observation + réflexion personnelle) = inversion du regard, celui des Européens sur les Indiens, comme dans le 1er paragraphe.

- « Portugais » : après s’être focalisé sur les Indiens, Montaigne ramène le regard de ses lecteurs vers un peuple européen. Rappel de la colonisation portugaise sur le continent américain. Emploi de l’article défini « les » : généralisation (= tous les Portugais qui ont participé à la colonisation, voire tous les Portugais). Cadre des conflits encore (= unité du texte entier) : « ralliés » + « adversaires », « mort », « prenaient », « coups de flèches », « pendre ». Verbes à l’imparfait : actions habituelles, afin de citer des actes commis communément par les Portugais, donc retour dans une forme de récit, qui fait le pendant à celui du 1er paragraphe : le lecteur peut (est invité à) comparer les actes de guerre des Indiens et des Portugais (« autre sorte de mort » renvoie aussi à celle des Indiens sur leurs prisonniers, comme le verbe « prenaient » signifie aussi : faisaient prisonniers) = préparation de la suite du texte. Phrase longue, qui enchaîne les actions des Portugais, comme l’auteur l’a fait pour celles des Indiens : écho complet, pour que le lecteur compare, et comprenne de suite une vraie différence = torture par les Portugais avant de faire mourir, alors que les Indiens assomment ; donc barbarie moins grande, par le souhait de ne pas faire endurer des souffrances aux prisonniers, de la part de Indiens, quand la volonté de faire souffrir est évidente du côté des Portugais. La barbarie change de camp, pour le lecteur. La violence des Portugais est entre autres signalée par « force coups de flèches » (pluriel + « force » = beaucoup de).

- l. 14-18 :

- Début de la 2ème moitié de cette très longue phrase : proposition principale (« ils pensèrent »). Le lecteur va donc lire la suite de la phrase, en comprenant son enchaînement temporel (le verbe au participe passé « s’étant aperçus » avait introduit un retour en arrière, et ici l’auteur va enchaîner sur la conséquence de cette observation par les Indiens des pratiques portugaises).

- Suite du regard et de la réflexion vus côté Indiens : « ils pensèrent ». Inversion du regard confirmée par l’emploi d’une expression où le lecteur européen est amené à se décentrer : « l’autre monde » autre monde pour les Indiens = l’Europe ; alors que les Européens ont eu tendance à ne réfléchir que par rapport à leur propre position géographique (on parlera de découverte de l’Amérique, sans préciser que cette découverte est aussi celle de l’Europe par les Indiens). L’adverbe « ici » signale quand même au lecteur européen que l’on parle de son propre continent.

- Ironie de la suite : « en hommes qui avaient semé la connaissance de beaucoup de vices dans leur voisinage » : le verbe « semer » évoque une situation durable, implantée ; semer des connaissances fait écho à la soif de savoir qui s’empare notamment des humanistes au XVIè siècle, et paraît plutôt positif ; mais il fait contraste avec le complément du nom « de beaucoup de vices », le nom ayant une connotation très négative, et impliquant un jugement moral ; contraste aussi avec l’un des buts des colonisateurs portugais et espagnols en Amérique qui était de diffuser la parole du Christ, de convertir, donc de rendre meilleurs les populations rencontrées Montaigne semble suggérer que les Portugais ont plutôt perverti les populations amérindiennes. La 2ème proposition subordonnée relative (« et qui étaient beaucoup… malice ») renforce la 1ère, en répétant la même structure grammaticale, et en répétant « beaucoup » : le terme de « malice » est ici péjoratif car il renvoie à l’intelligence des Portugais mise au service du mal, de la torture, des techniques visant à tuer.

- Les Indiens se sont comparés aux Portugais, comme toutes les cultures qui en rencontrent d’autres (comparatif « plus grands maîtres qu’eux »). Suite de la réflexion des Indiens : Montaigne se met à leur place, nous met en point de vue interne : « sans raison » ; « devait être » (marques de jugement). Le terme de « vengeance » est répété, faisant écho à celui de la ligne 11 (ce que confirme le déterminant démonstratif « cette ») : Montaigne souligne ainsi qu’il ne perd pas de vue son objectif argumentatif, qui est de montrer que les Indiens sont cannibales pour des raisons de lutte de pouvoir entre des ennemis. « plus aigre que la leur » : suite de la comparaison (comparatif de supériorité) entre techniques pour faire souffrir et mourir des Indiens et des Portugais ; manière de souligner que les pratiques des Portugais sont pires ; « aigre » renvoie à la sensation de douleur des prisonniers.

- Emploi du passé simple (« commencèrent »), dont la valeur est celle d’une action de 1er plan, nouvelle dans le récit : souligne la nouveauté des coutumes indiennes, qui s’inspirent des Portugais : renversement encore ici des rôles, car dès le début de la colonisation, les colons ont imposé des modifications dans les modes de vie des populations amérindiennes. Ici, les Indiens changent d’eux-mêmes, ce qui montre la supériorité des Portugais, mais cette supériorité est seulement celle de savoir mieux faire souffrir, ce qui n’est pas glorieux. La conjonction « et » qui précède le verbe « commencèrent » signale une conséquence de ce qui a précédé : puisque les Portugais savent mieux se venger, donc les Indiens ont adopté leurs manières de faire.


* 3ème paragraphe :

- l. 19 :

- Emploi de la 1ère personne du singulier dès le début de ce paragraphe : Montaigne s’implique dans son texte, vient donner son avis personnel. Progression ainsi de son texte vers ce qu’il voulait mettre en valeur. « marri » : marque de jugement personnelle également. « nous » : les Européens, ses lecteurs (noter qu’il s’inclut dedans). « remarquions » : le but de Montaigne est de révéler, mettre en valeur ce qui ne l’est pas de la part de ses lecteurs. Abandon, donc, du regard des Indiens développé au paragraphe 2.

- « l’horreur barbare » : GN au sens très fort, par l’emploi de deux termes qui soulignent la violence, et se renforcent l’un l’autre. Noter l’emploi du mot « barbare » qui rappelle son sens dans l’Antiquité (tout ce qui était étranger au monde grec, puis à l’empire romain : marque du rejet de la différence culturelle). « telle action » : celle des Indiens, leur cannibalisme : texte bien construit et qui, après avoir présenté des pratiques indiennes puis portugaises, en tire des conséquences. Montaigne ne nie pas les barbaries des Indiens, mais veut mettre en évidence celles des Européens, que ceux-ci ne veulent pas voir.

- l. 20 :

- « mais » (conjonction de coordination, connecteur logique) : encore une phrase construite sur une forme d’opposition. « certes bien » : Montaigne appuie la suite de son propos, lui donne ainsi une forme de vérité. Comparaison entre les coutumes des Indiens et celles des Européens : « leurs fautes » / « aux nôtres » (deux possessifs, 3ème et 1ère personnes), balancement grâce à la proposition participiale (« jugeant bien… ») mise en regard de la proposition principale (« nous soyons… »). Noter aussi que les pratiques des Portugais sont incluses dans le « nous », ce qui prouve que Montaigne veut mettre face à face les populations des deux continents, et que l’exemple des Portugais est généralisé (Portugais = à l’image de tous les Européens). « aveugles » : Montaigne poursuit la thématique du regard, ici des Européens sur les Indiens, mais aussi, ce que l’auteur suggère, des Européens sur eux-mêmes. Opposition entre « jugeant bien » et « aveugles » : facilité à regarder et juger l’autre difficulté à prendre conscience de ses propres défauts.

- l. 20-23 + l. 25-26 :

- Nouvelle phrase débutant par la 1ère personne du singulier : Montaigne poursuit sa réflexion personnelle (cf. verbe « pense »), continue à tirer des enseignements des informations données dans les paragraphes précédents.

- Très longue phrase qui va encore une fois énumérer des horreurs, les accumuler pour horrifier le lecteur. Comparatif (« il y a plus de barbarie à… que de le … ») sur toute la phrase, jusqu’à la ligne 25 : comparaison des barbaries présentées jugement de valeur personnel de Montaigne. Noter que le nom « barbarie » (l. 21) reprend immédiatement l’adjectif de la même famille (l. 19) : insistance de Montaigne.

- Suite de comparaisons et donc d’oppositions (comme précédemment dans le texte) : « à manger un homme vivant » / « qu’à le manger mort » ; « à déchirer par tourments et par tortures un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu… pourceaux » / « que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé » : par reprises des mêmes termes, il accentue le regard comparatif en miroir. Il détaille bien plus les techniques des Portugais (les premières citées) que celles des Indiens : mise en évidence des horreurs pratiquées par ces Européens, et façon de minimiser celles des Indiens.

- Barbarie mise en avant par de nombreux termes violents : « manger un homme », « déchirer […] un corps », « le faire rôtir » (noter l’écho avec le terme utilisé, pour les Indiens, ligne 8 : tissage d’une seule et même réflexion), « mordre », « meurtrir ». Toutes ces actions sont effectuées sur des corps humains, ce qui ne peut que toucher le lecteur, lui faire repousser ces pratiques. « un corps encore plein de sentiment » : mise en parallèle du corps, de la biologie, et de ce qui fait l’humanité, le « sentiment », pour horrifier encore, et montrer que les Indiens sont bien des êtres humains à part entière et non des semi-animaux comme certains le pensaient à l’époque. Les compléments d’agents précisent et accentuent l’horreur : « par tourments et par tortures » (noter la redondance des deux noms, au pluriel), « par le menu » (suggestion d’une application à provoquer la douleur). Ce que l’on donne « aux chiens et aux pourceaux », ce sont les déchets, les restes de ce que les hommes mangent : comment des êtres humains pourraient-ils être considérés ainsi ? demande Montaigne. Noter que les Portugais sont ici assimilés à des cannibales puisque la métaphore « manger » est appliquée aux morts provoqués par eux, alors qu’ils ne dégustent pas les corps des Indiens. Montaigne exagère et rapproche les deux peuples pour en montrer non les différences, mais les ressemblances, et souligner que la barbarie est plus, contrairement aux idées reçues des lecteurs européens, du côté des Européens que des peuples lointains aux habitudes de vie différentes.



- l. 23-25 :

- Ce qui figure entre parenthèses, entre le rappel des horreurs des Portugais et celui des Indiens, vise à préciser et accentuer encore le regard porté vers les Européens. Montaigne fait référence aux guerres de religion. « de fraîche mémoire » : les lecteurs de son époque doivent se sentir directement concernés. « non seulement lu, mais vu » : les preuves existent, tous les lecteurs en ont été les témoins. Montaigne se base sur l’actualité du XVIè siècle, sur le vécu de chaque lecteur européen pour mieux l’interpeller. Répétition dans la structure de cette partie de phrase, pour rejeter ce que les lecteurs auraient pu lui dire et affirmer ce qu’il souhaite (« non… mais… »). Cela rapproche aussi les termes qui se situent de part et d’autre des oppositions : « ennemis anciens » (reprise du terme utilisé pour les Indiens l. 3) / « voisins et concitoyens » (les deux termes se complètent, mais surtout le 2ème marque une proximité plus forte que le 1er, par le préfixe même). Montaigne veut souligner toute l’absurdité des guerres de religion : si les Indiens se battent contre des ennemis, les Européens se battent entre eux, entre semblables, ce qui n’a pas de sens. Ensuite, pour renforcer encore son propos (ce que le superlatif « qui pis est » annonce), il relie son propos à la religion, sous-entendu chrétienne, qui doit promouvoir le message de paix et d’amour du Christ : encore une contradiction soulignée par Montaigne, ce que l’expression « sous prétexte » prétexte = fausse raison, défaut de raisonnement. Deux mots encore qui se renforcent l’un l’autre (« piété » + « religion »).


* 4ème paragraphe :

- l. 27-28 :

- Conclusion de son raisonnement, qu’il a déjà énoncée au 3ème paragraphe, mais en donnant plein de détails sur des pratiques des uns et des autres. Ici, il généralise (« barbares » au pluriel, « règles de la raison » au pluriel et avec un terme se rapportant à la capacité de réflexion de tout être humain, « toute sorte de barbarie »). Encore une phrase construite sur un balancement qui permet de comparer « nous » et « les », autour d’une opposition marquée ici aussi par la conjonction de coordination « mais ». « surpassons » : comparaison qui met les Européens au-dessus des Indiens, mais pas pour les raisons habituelles de l’époque (plus civilisés, plus développés techniquement, …) : pour la « barbarie » (le terme clôt le raisonnement, ce qui montre que c’était bien le but de Montaigne depuis le début).

- « appeler » : il s’agit bien de réflexion, de raisonnement, de maniement du langage pour apprécier les choses et les hommes. Montaigne use des mots et souhaite que ceux-ci soient bien utilisés. Le mot « barbarie » ne saurait donc d’abord qualifier les Indiens, mais surtout les Européens.

- Le jeu de répétitions des pronoms « nous » et « les » montre que le raisonnement de Montaigne est basé sur des comparaisons, et que ces comparaisons visent à mieux se connaître soi-même : regarder les Indiens, c’est au final se regarder soi-même, pour ses lecteurs européens. Il fonctionne par nuances, par concessions (« nous pouvons… mais non pas… ») : c’est son style de pensée.  

dimanche 15 novembre 2020

Le regard éloigné d'un documentariste allemand sur plusieurs pays d'Afrique


 

Pour approfondir la réflexion dans le cadre du parcours associé du "regard éloigné", vous pouvez vous plonger dans ce documentaire consacré à l'aventurier, écrivain et cinéaste allemand Hans Schomburgk (1880-1967). Il est notamment intéressant de voir combien son regard sur ces contrées éloignées, pour un Européen, suit d'abord celui du colonisateur (l'Allemagne possédait jusqu'à la 1ère Guerre mondiale des colonies africaines) puis évolue vers un regard plus respectueux des populations et des contrées qu'il filme.

A voir en replay sur le site de la chaîne Arte en suivant ce lien :

 

https://www.arte.tv/fr/videos/080099-000-A/l-afrique-camera-au-poing/

 

 

L'épreuve orale : rappels des différentes étapes

 


Voici une vidéo qui vous rappelle comment se déroule désormais l'épreuve orale du bac. 

Attention toutefois pour cette vidéo créée pour le bac de juin 2020 : elle ne recense pas tous les points de grammaire au programme. Ils sont plus nombreux pour l'édition 2021 que ce qui s'affiche dans cette vidéo !



Propositions d'oeuvres en vue de la 2ème partie de l'épreuve orale (par objets d'étude et parcours associés)

 
Vous trouverez ci-dessous une liste de propositions. L'idée est de vous guider dans vos choix, sans rien vous imposer, en suivant à la fois les différents objets d'étude et les parcours associés aux 4 œuvres du programme officiel étudiées cette année (pour rappel : Les Lettres persanes de Montesquieu ; La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette ; Les Contemplations, livres I à IV, de Victor Hugo ; Les Fausses Confidences de Marivaux).
 

 


Le regard éloigné de l'Antiquité au XXè siècle : groupement de textes complémentaires








 

dimanche 8 novembre 2020

Questionnaire sur le mouvement des Lumières et les Lettres persanes de Montesquieu : pistes de correction

 


I- Les Lumières (lien à partir de la page d’accueil de l’exposition : « les lumières »)

1- Quelle est la faculté humaine que les philosophes du XVIIIè siècle mettent en avant afin de permettre de passer de l’obscurantisme à la « lumière » ?

Il s’agit de la Raison, de la faculté humaine de jugement, de réflexion, de raisonnement. Son exercice doit permettre de sortir de l’obscurantisme des fanatismes et des superstitions, des croyances. Les Philosophes considèrent que tous les êtres humains sur Terre en sont dotés.

 

2- Malgré leurs différends, sur quoi les hommes des Lumières s’accordent-ils ?

- Foi absolue en la raison humaine : référence de jugement. Tout est soumis à l’examen, basé sur un modèle scientifique. Volonté de lutter contre les préjugés, les superstitions, tout ce qui n’est pas fondé en raison. Ex. Voltaire a combattu une partie des doctrines enseignées par l’Eglise chrétienne, relevant ses absurdités.  

 

- Volonté de progrès : propositions de changements dans les mentalités, d’évolutions dans le domaine politique et social. Ex. Rousseau et le Contrat social. 

 

- Lutte pour la tolérance et le respect des libertés de tous. Ex. Critiques sévères contre l’esclavage (Montesquieu, Voltaire). Respect des croyances de chacun quand elles ne l’enferment pas dans un système figé de raisonnement. Désir de justice (Ex. Voltaire défendant Callas). Lutte contre le pouvoir absolu du roi, contre celui des nobles : attention plus grande portée au mérite individuel indépendamment de la naissance.

 

- Recherche en définitive de tout ce qui peut assurer un bonheur terrestre (et non dans l’au-delà).

 

- L’altérité : attention soutenue aux autres cultures, volonté de se décentrer, pour remettre en cause les sociétés européennes. Ex. mythe du bon sauvage.

 

- L’Encyclopédie : la connaissance est source de progrès humain vers la vertu, le bonheur. Volonté de diffuser des idées nouvelles, de faire l’inventaire des connaissances humaines et de les vulgariser.

 

II- La critique religieuse (lien à partir de la page d’accueil de l’exposition : « la religion »)

3- En quoi liberté de penser et religion ne s’accordent-ils pas bien selon les philosophes des Lumières ?

Pour penser librement, il faut n’être soumis à aucune autorité, à aucun dogme, modèle de pensée. La religion chrétienne (catholique plus précisément), dominante en France au XVIIIè siècle, impose sa manière de comprendre le monde, les êtres humains, leur histoire, ou même les sciences. Chaque être humain n’est pas libre de penser par lui-même dans ce cadre religieux : c’est l’Eglise qui dicte la voie de la pensée humaine, de la morale.

C’est pourquoi les philosophes des Lumières, Voltaire en tête, vont attaquer avec vigueur le poids des institutions religieuses sur les citoyens, sur le fonctionnement des sociétés européennes. Attention : les philosophes ne sont pas athées (sauf Diderot vers la fin de sa vie), il ne rejette pas la foi en Dieu. Ils critiquent essentiellement l’Eglise, des prêtres jusqu’au Pape, dans leur volonté d’imposer au peuple des vérités sans réflexion, sans liberté de choix. Cette liberté peut notamment porter sur le choix de la religion, de a croyance, ou de l’absence de croyance : le regard sur les religions dans le monde entier poussent les Philosophes à une attitude tolérante sur les différentes religions du monde.

 

4- Quelles sont les différentes religions auxquelles il est fait référence dans Les Lettres persanes ?

De nombreuses religions connues et répandues à l’époque de Montesquieu sont présentes dans les Lettres persanes : religion chrétienne ; religion musulmane ; religion juive ;  religion hindouiste.

 

5- Que dénonce le roman de Montesquieu à propos des religions ? Référez-vous à des citations précises de certaines lettres pour répondre.

- Il dénonce les superstitions : défense de la Raison. Montesquieu milite en faveur de la Raison. Il n’est pas loin du déisme de Voltaire dans ses Lettres persanes : un dieu laïc auquel on se réfère puisqu’il dispense des messages, mais qui n’impose aucun dogme, aucune manière de faire et de penser.

 

- Il souligne les contradictions entre la loi religieuse et la pratique religieuse.

 

- Il s’oppose au fondamentalisme religieux, aux dogmes rigides imposés à tous et présentés comme des vérités inattaquables, indiscutables.

 

- Il dénonce l’abandon à la Providence (donc il rejette l’idée que Dieu agit partout, tout le temps).

 

- Il s’oppose à l’autorité des dignitaires de l’Église (Pape en tête).

 

- Il s’oppose au prosélytisme religieux : chacun doit pouvoir choisir sa religion.

 

- Il appelle à la tolérance entre les religions. Reconnaissance du pluralisme des religions.

 

NB. Il faut noter que pour Montesquieu, religion et gestion de la société sont liés : Pour les Troglodytes, ce qui les unit est la conscience du bien commun. La religion est l’un des éléments parmi d’autres qui permet d’unifier les membres d’une société, de consolider le lien social.

 

- Lettres du roman de Montesquieu qui pouvaient être étudiées (entre autres) : (15), 17, 18, 24, 25, 33, 35, 49, 57, 60, 83, 101

 

III- La critique politique (lien à partir de la page d’accueil de l’exposition : « l’ordre politique »)

6- Voltaire et Diderot imaginent que certains dirigeants politiques puissent appliquer les nouvelles idées des Lumières : comment appelle-t-on ce type de dirigeant ?

Ils vont l’appeler le « despote éclairé ». Voltaire sera en lien avec Frédéric II de Prusse, et Diderot avec Catherine II de Russie. Ils imaginent que ces dirigeants, certes détenteurs d’un pouvoir immense et qui ne leur a pas été délégué par le peuple, puissent malgré tout faire le bien de leurs populations. En effet, ces dirigeants sont modernes, cultivés, et, selon nos Philosophes, ouverts à la discussion et aux idées nouvelles.

 

7- Quelles catégories de populations semblent ne pas bénéficier, au XVIIIè siècle, de la valeur d’égalité de tous les êtres humains mise en avant par les philosophes des Lumières ? C’est pourquoi un certain nombre d’entre elles seront défendues par ces philosophes.

Les femmes, mais aussi les esclaves, et plus largement tous ceux qui exercent des fonctions subalternes, sont défendus par les Philosophes, au nom du principe de l’égalité de tous.

 

8- Dans Les Lettres persanes, comment l’égalité de tous est-elle défendue ? Basez-vous sur des citations précises pour répondre.

Ce n’est pas forcément l’un des sujets majeurs de l’œuvre. Néanmoins, puisque les différentes valeurs des Philosophes sont liées entre elles, l’égalité des êtres humains transparaît dans Les Lettres persanes. Attention toutefois à ne pas faire de Montesquieu un révolutionnaire égalitariste. Il restait attaché par exemple à la distinction entre noblesse et bourgeoisie. Comme de nombreux philosophes, il souhaite plus une évolution vers plus de respect entre les classes sociales en France, qu’un véritable changement sociétal.

 

- Égalité entre les hommes et les femmes : dernière lettre de l’œuvre écrite par Roxane, revendicatrice de liberté, et donc d’égalité dans le couple. La fin tragique de Roxane montre aussi à quoi peut aboutir la tyrannie des hommes sur les femmes. La lettre 38, entre autres, soulève aussi cette question, dénonçant « une véritable injustice » que celle de la « tyrannie » des hommes sur les femmes. La lettre 141, qui développe un conte, celui d’« Ibrahim et Anaïs », défend le droit des femmes au plaisir physique.

 

- Égalité des êtres humains sur la planète : le seul fait de donner la parole à des Persans, de montrer leurs capacités de réflexion, leur habileté à s’adapter à cette nouvelle culture mais aussi à en dénoncer les travers, démontre que Montesquieu place ces étrangers sur le même plan que les Français. Il montre aussi le manque de raisonnement des Français.

 

- Dénonciation de certaines inégalités en France au XVIIIè siècle : dans la lettre 89, Usbek fait remarquer qu’en France, ceux qui « sont grands par leur naissance » le « sont sans crédit », qu’ils n’apportent rien à la nation, sont oisifs, alors qu’« en Perse, il n'y a de grands que ceux à qui le monarque donne quelque part au gouvernement ».  C’est une manière de noter que les nobles, puissants par leur naissance, ne méritent pas forcément leur rang. 

  

- Dénonciation de différentes formes d’autorités jugées excessives : celle du Roi ou du sultan ; celle du Pape. Il ne s’agit pas véritablement d’appeler à l’égalité de tous, mais de défendre tout de même le droit de chacun à penser, à choisir et à vivre heureux.

La réflexion politique est par exemple menée dans la lettre 123 : « L’égalité même des citoyens, qui produit ordinairement de l’égalité dans les fortunes, porte l’abondance et la vie dans toutes les parties du corps politique, et la répand partout. Il n’en est pas de même des pays soumis au pouvoir arbitraire : le prince, les courtisans et quelques particuliers, possèdent toutes les richesses, pendant que tous les autres gémissent dans une pauvreté extrême. » La fable des troglodytes (lettres 11 à 14) propose une réflexion politique, qui met en valeur l’altruisme, la solidarité, la cohésion sociale autour de la vertu de chacun plutôt qu’autour d’un despote (même si ces lettres ne défendent pas non plus la démocratie).

 

IV- Le goût pour l’Ailleurs (lien à partir de la page d’accueil de l’exposition : « l’universalité »)

9- Comment le goût pour l’Ailleurs est-il exploité dans Les Lettres persanes ?

- Choix des deux personnages principaux : des Persans. La Perse est éloignée géographiquement pour les lecteurs européens de Montesquieu, à une époque où seules certaines personnes voyagent. Montesquieu développe une forme d’exotisme, en citant des noms de lieux éloignés de la France, et qui peuvent faire ainsi rêver (les lecteurs s’échappent de leur réalité française).

 

- Montesquieu se place dans le sillage des nombreux récits de voyage en Orient au XVIIIè siècle (de 1610 à 1715 : plus de deux cents récits), qui offrent un regard nouveau sur une culture autre. Cette culture apparaît dans son roman par : la religion musulmane, qui n’est pas très connue à l’époque ; les vêtements différents ; les langues non latines ; l’organisation administrative et politique différente ; la vie maritale différente (les harems font fantasmer) ; le calendrier différent.

 

- Le goût pour l’Ailleurs est aussi celui des voyageurs persans : la France est exotique pour eux. C’est ce qui permet de mettre en scène leur regard, de développer leur regard étonné et comparatif, leur admiration ou leur rejet, selon les cas et situations observées.

 

- Au final, Montesquieu utilise cet outil de la confrontation des cultures différentes, des regards différents, pour développer une réflexion tolérante, qui observe l’Autre, compare, accepte la différence. Et, comme nous l’avons évoqué avec le sujet de dissertation, cette confrontation permet aussi (et surtout ?) un regard critique sur soi-même, une distance à sa propre culture, à ses propres mœurs.