jeudi 4 avril 2024

Lecture analytique linéaire : "Destination : arbre" d'Andrée Chédid

 

L'écrivaine Andrée Chédid entourée des chanteurs Louis Chédid et Mathieu Chédid (respectivement fils et petit-fils)
Photo : France 24

 Structure du texte :

1- v. 1-15 : Renaître par un arbre des forêts ou des jardins

2- v. 16-34 : S’éteindre comme l’arbre des villes, mais garder un principe de vitalité en soi

3- v. 35-38 : Conclusion : aller vers les arbres est un moyen pour chacun de se trouver, car ils nous ressemblent

 

Mouvement général du texte : confrontation de deux types d’arbres, d’abord dans la nature, qui résiste, ensuite en ville, qui semble mourir, avant de montrer combien l’arbre peut redonner de l’énergie à chaque être humain, dans une fusion. Poème en forme de fable. L’arbre allégorie de la vie humaine.

 

Problématiques possibles :

* En quoi ce poème se présente-t-il comme une forme de fable ?

 

* En quoi l’arbre est-il à l’image des êtres humains ?

 

* Comment le poème met-il en scène le rapprochement progressif entre l’être humain et l’arbre ?  


Analyse linéaire :

NB. Outre les parties indiquées, le plus simple est de procéder par strophes successives.

 

* Titre : « destination » : indication spatiale ; but à atteindre, que le poème peut permettre d’atteindre (pas seulement le contenu traité dans le poème, mais la parole poétique elle-même ; comme un trajet dans le poème lui-même, à l’instar de Dorion dans son recueil). L’« arbre » est le sujet du poème, comme l’élément naturel dans lequel on invite le lecteur à se plonger, à revenir. Un titre en forme de programme.

 

1- La renaissance par l’arbre (v. 1-15) : L’arbre fait renaître -> fait accéder à la liberté / à la révélation

 

Strophe 1 :

* Comment le mouvement à travers l’arbre devient-il mouvement de renaissance et mouvement vers l’association entre humain et arbre ? :

- Verbes de mouvement « parcourir » (mouvement assez large du point de vue spatial) ; « plonger ». Mouvement descendant par le verbe « plonger », et par le complément circonstanciel de lieu « au fond des terres ».

- Mise en parallèle de deux lieux différents, les « forêts » (nature plus sauvage) et les « jardins » (lieux domestiqués par l’homme) et les « terres », en fin de trois vers successifs, et par le parallélisme de construction.

- La fin de la strophe donne le sens de ces mouvements : une renaissance ; donc passage par la mort et une nouvelle vie, comme tout végétal. Symbolique aussi renforcée par le terme « argile » qui fait penser aux mythes de création : dans la Bible, le Coran, chez les Sumériens, chez les Egyptiens, les Grecs, Chinois, Hindous, Amérindiens…

- Mise en place de la fusion avec l’arbre, puis redémarrage comme à zéro, comme un nouveau végétal. Verbes d’association entre être humain et arbre (« se lier » ; « se mêler » : forme de gradation).

 

* En quoi l’évocation de cet arbre se fait-elle universelle ? :

- La majuscule à « Arbre » signale l’universalité, comme dans une fable de La Fontaine. Il ne s’agit pas d’un arbre en particulier, mais des arbres dans leur ensemble. Ceci est confirmé par les pluriels des lieux cités (« forêts » et « jardins »).

- Les verbes à l’infinitif suivent l’universalité et ajoutent un effet de règles données, comme dans une recette de cuisine : infinitifs à valeur impérative ou descriptive. Universalité par le fait que les verbes ne sont pas conjugués.

 

Strophe 2 :

* Comment l’association entre humain et l’arbre est-elle mise en œuvre ?

- Mouvement (suite) : suite des verbes de mouvement, avec occupation de l’espace « arbre » : « gravir », « envahir » = suite de l’association-fusion entre humain et végétal : outre l’occupation spatiale qui montre une occupation et donc une association qui se généralise, confirmée par les différentes parties de l’arbre, depuis les « racines » jusqu’au « fût » (= tronc) puis à la « charpente » et aux « branchages » (= ramure, branchages), termes tous mis en fins de vers, en parallèle, et par le verbe final de la strophe « se greffer » : association-fusion (cf. sens botanique d’une greffe).

- Progressivité, par les différentes parties de l’arbre, du bas vers le haut (inverse de la strophe 1), en suivant l’architecture d’un arbre, et par les verbes pronominaux (ou réfléchis ?) « s’affranchir » et « se greffer », et par l’adverbe « lentement » et la locution adverbiale « peu à peu » placée en évidence en début de strophe, et seule sur son vers. Le lecteur imagine ce déplacement, cette action de fusion humain-arbre, comme en train de se réaliser.

 

*  Quel sens donner à cette association ?

- Idée de libération, par le mouvement ascendant (quitter le sol pour aller vers l’aérien : symbolique), et par le verbe « s’affranchir ».

- Association entre humain et végétal, ambiguïté par les noms « fût » et « charpente », qui désignent aussi des constructions humaines (« fût » = partie d’une colonne, ou récipient pour du vin par exemple). Donc il ne s’agit pas tant d’un déplacement réel dans un arbre qu’un processus mental à opérer pour se rapprocher du végétal, être plus en adéquation avec lui.  

- Les verbes à l’infinitif invitent (notamment le lecteur), s’ils sont compris comme des ordres/conseils (sens impératif, injonctif), à agir de la sorte, à s’inscrire dans ce processus. On va dans le sens du terme « destination » du titre : un lieu à atteindre, ou plutôt un but vers lequel tendre : se rapprocher du végétal, en tant qu’être humain. Le poème mime, laisse imaginer le processus, ce qui montre que le processus est aussi celui du poème qui se déroule, que la parole met en scène. 

 

Strophe 3 :

* En quoi le mouvement, le récit, le processus, se poursuit-il ? :

- Début de strophe par un adverbe temporel (« puis »), mis encore plus en évidence par l’espace blanc après lui.

- Temps qui passe : « les soleils » (pluriel pouvant évoquer les jours qui passent) ; « jour et nuit » : indices temporels suggérant une succession temporelle continue, perpétuelle. Temps de l’arbre, temps de l’être humain (temps basé sur la succession naturelle du temps et non sur le décompte d’une horloge).

- Espace plus large : après la montée vers le haut de l’arbre, on débouche sur « l’espace » : confirmation de la libération, d’un espace plus large que celui qui a précédé. L’évocation des « orages » qui fait penser aux nuages et aux éclairs dans le ciel, comme celle des « soleils », hauts dans le ciel, le confirme.

 

* Comment l’association entre humain et végétal se poursuit-elle ici ? :

- « embrasser » = proximité physique + sentiment d’amitié ou d’amour. Même idée contenue dans le verbe « déchiffrer », qui suppose un acte de lecture, de compréhension, difficile, dont on ne possède pas le code, ou dont on ne maîtrise pas bien le code. Association du verbe « déchiffrer » à un terme relatif à la nature, « les soleils » ; mais le pluriel peut étonner : nouvelle suggestion de la métaphore, de l’interprétation (cf. ci-dessous).

- Avènement d’une forme de vérité : champ lexical de la lumière (« éclat », « soleils », « jour »), qui éclaire l’esprit (même si cela reste difficile, comme le suggère le verbe « déchiffrer ») : l’arrivée au sommet de l’arbre, ou au bout des branches, permet de révéler une vérité jusque là inconnue. Donc on note que cette vérité est liée au végétal : « de feuilles » complément du nom « éclat », le verbe « déchiffrer » lié à son COD « les soleils ».

 

* Introduction de difficultés, d’obstacles à affronter : verbes « résister » et « affronter » : force à opposer à des adversaires, ici les « orages ». A prendre sur un plan symbolique, métaphorique : les « orages » de la vie. La vie de l’arbre est à l’image de celle des êtres humains.

 

2- À l’inverse, l’épuisement avec un arbre des villes (v. 16-34)

L’arbre semble mourir en ville -> mais on peut participer à sa souffrance et il garde en lui une force de vie qui n’attend que de sortir, de surgir.

 

Strophes 4 et 5 :

* Comment ce 2ème arbre est-il construit en parallèle antithétique au premier ? :

- Comparaison des deux arbres, parallèle avec la 1ère évocation : « au cœur » fait écho à « au fond » ; reprise de « jardins » et « forêts », de nouveau placés l’un après l’autre en fins de deux vers successifs. Le but est d’accentuer l’antithèse entre la situation du premier arbre et de celui-ci : opposition entre « des terres » (qui est ensuite gage de vie, de renaissance) et « métropole » + « asphalte » (milieux urbains + plaque qui recouvre le sol, empêche de plonger dans le monde souterrain, d’accéder à la « terre » qui fait vivre les végétaux ; donc monde inerte, et créé par les hommes, alors que dans le premier temps c’était la nature qui était mise en avant, qui offrait son énergie).

- Pas de renaissance dans le 2ème cas, mais au contraire un rapprochement de la mort : « un tronc rêche », des « branches taries », des « feuilles longuement éteintes », seulement des synonymes de mort, d’affaiblissement de la vie. Énumération des différentes parties de l’arbre soulignées par la reprise de « aux » sur trois vers successifs, toutes parties de l’arbre abîmées, en souffrance. Echo aux différentes parties de l’arbre évoquées dans la première partie (« le fût » v. 8, les « branchages » v. 10, les « feuilles » v. 11).

 

* En quoi cet arbre met-il en avant l’absence de liberté et la solitude ? :

- S’opposent aussi les mouvements descendant et surtout ascendant du 1er cas et « enclos » qui évoque l’enfermement, loin de la liberté suggérée dans la 1ère partie (et le complément circonstanciel avec la préposition « dans » semble encore plus l’enfermer).

- Et l’insistance sur le lien entre humain et végétal, sur l’union, voire la fusion, tranche avec le participe passé « éloigné » (distance spatiale « se lier ») et « orphelin des forêts », qui marque une absence, une solitude ( « se mêler »), l’absence de liens familiaux (la renaissance dans le 1er cas pouvait faire penser à la filiation familiale).

- « un arbre   un seul » s’oppose avec force (répétition de l’article indéfini « un », dans un même vers article « l’ » v. 1 ; espace blanc qui isole cet arbre dans le vers ; ajout de « un seul » qui montre qu’il n’est pas accompagné d’autres arbres, de congénères : ce n’est pas une forêt, ce n’est pas une multitude d’êtres vivants, mais un seul : pauvreté du vivant en ville) aux « forêts » plurielles (v. 3 & 21).

- Notons que dans le 1er cas les verbes pronominaux à l’infinitif évoquaient des actions, prônaient une activité, alors qu’ici il s’agit de constats, suggérant une passivité, le fait de subir.

 

* Une expérience du langage poétique :

« Évoquer » : rappel du langage, donc ici du poème en train de se dérouler (peut-être de s’écrire). Rappel de ce que la poète est en train d’inventer. L’adverbe de temps « ensuite » montre que ce qui se joue dans ce poème n’est pas tant une expérience réelle dans un arbre qu’une expérience d’écriture poétique.

 

Strophe 6 :

* Comment la proximité entre l’arbre et l’être humain est-elle de nouveau évoquée ? :

- Retour de l’idée du lien à l’arbre : « s’unir » fait penser à « se lier » (v. 2), « se greffer » (v. 10). Comme une compassion envers l’arbre des villes ; l’humain comble la solitude végétale de cet arbre.

- Idée aussi de participer à sa souffrance : « cette soif » reprend les qualificatifs de la strophe précédente (« taries », « éteintes »), par les déterminants démonstratifs « cette »/« ces » ; « cette retraite » reprend l’isolement évoqué aux vers 18, 20, 21 ; « ces appels » s’ajoute, laissant imaginer, dans cette personnification de l’arbre, un appel à l’aide. Les trois termes en fins des ces vers 26, 27, 28 sont péjoratifs dans la situation évoquée, rappelant la solitude, la sécheresse de cet arbre.

- Reprise des verbes à l’infinitif pronominaux : « s’unir », et ensuite de verbes à l’infinitif, non pronominaux (« rejoindre », « écouter »), verbes d’action. Il s’agit de la poète qui agit, mais aussi d’une invitation au lecteur à faire de même (cf. caractère impersonnel des verbes à l’infinitif).

Forme d’appel au lecteur à prendre conscience de la souffrance des arbres des villes, et à avoir une forme d’empathie envers leurs souffrances.

- Noter que la reprise des mêmes termes permet à la fois d’opposer les deux arbres mais de souligner aussi dans les deux cas la proximité qui est suggérée aux lecteurs, en tant qu’êtres humains, avec l’arbre, quel qu’il soit. Dans le 1er cas, la proximité redonne vie à l’être humain ; dans le 2è cas, c’est peut-être plus l’humain qui vient en appui de l’arbre épuisé. Echange de l’appui, de l’énergie : vie en symbiose. « rejoindre » est un verbe de mouvement évoquant la spatialité, qui fait écho aux verbes du même type précédents : « parcourir » (v. 1), « gravir » (v. 8), « envahir » (v. 9). Donc cela les rapproche : mêmes types de mouvements, vers l’arbre, dans l’arbre.

 

Strophe 7 (strophe de transition) :

* Comment le rapprochement entre l’arbre et l’humain se poursuit-il ? :

- Le rapprochement se fait plus net ici encore avec cet arbre, par les sens : verbe « sentir » relatif au toucher, à la sensibilité + « sous l’écorce », complément circonstanciel de lieu, qui suggère le toucher avec la surface de l’arbre, comme sa peau.

- Ici encore idée d’aller au-delà des apparences, d’aller au cœur : préposition « sous », « sèves » intérieures à l’arbre, comme les « bourgeons » non encore sortis, mais bien présents potentiellement.

 

* En quoi cette proximité se manifeste-t-elle aussi par le fait que la vie résiste malgré tout, chez l’arbre comme chez l’être humain ? :

-  « captives » rappelle l’arbre « enclos » (v. 19), son emprisonnement. Mais sous son aspect « rêche », peu avenant, il y a la vie qui résiste : force contenue (« invincibles » qui rappelle la résistance du 1er arbre aux éléments hostiles : l’arbre est synonyme de vie, de résilience ; « montée » = mouvement qui rappelle celui du gravissement du 1er arbre ; « pression » = force, résistance). Pluriel des « sèves » et « bourgeons » = autres formes de vie, de forces.

- Comparaison indiquée par le mot de comparaison « semblables à », qui conclut cette strophe, et prépare aussi la fin du poème. L’évocation des arbres fait revenir aux êtres humains : leurs « rêves », leurs « vies ». Vies de l’arbre et vie des humains sont identiques, car tous deux attendent de s’accomplir (les « rêves » sont intimes, intérieurs, et pourraient devenir réalité), et leur force intérieure reste malgré les difficultés du quotidien, les accidents de parcours : « tenaces » fait écho à un autre adjectif, « invincibles », tous deux évoquant une forme de force, de persévérance, et de continuité, même dans la faiblesse.

- Idée que le fait de garder l’espoir, de continuer à rêver à l’avenir, est une manière de garder la force : « fortifient » au présent d’énonciation, et de vérité générale : avant-goût de la morale finale de la poète.

- « nos » : déterminant 1ère personne du pluriel, englobant l’humanité, poète et lecteurs.   

 

3- Conclusion : morale finale : se rapprocher des arbres est un moyen pour chacun de vivre son temps (v. 35-38)

* Vers quoi cheminer ?

- Verbe de mouvements, de déplacements : « cheminer », « explorant », « aller », tous placés en tête de vers : ils se font écho les uns aux autres, se renforcent les uns les autres. « d’arbre en arbre » : multiplicité : lien entre les deux arbres évoqués précédemment, universalité, cheminement plus large, espace élargi.  

- « dépistant » fait penser à « déchiffrer » (v. 14). Noter aussi que le verbe est construit sur « piste », comme « cheminer » est construit sur « chemin » : volonté de trouver une voie dans sa vie, de tracer un chemin de vie, de savoir où l’on va. On retrouve l’idée du titre : aller vers l’arbre, c’est aller vers soi, par cette proximité qui nous rassemble, végétaux et humains.

 

* Entre instant et universalité/intemporalité :

- Opposition entre les deux noms relatifs à la perception du temps : « l’éphémère » « la durée ». L’arbre est à la fois perception de l’instant et de ce qui perdure, reste.

- Mêmes verbes à l’infinitif : sortes de conseils (forme injonctive) donnés aux lecteurs ; universalité par le choix de ce mode verbal.

 

Conclusion de l’analyse linéaire :

- Proximité entre les humains et les arbres, par leur principe de vie, par les problèmes, les obstacles qui se posent à leur épanouissement. Observer les arbres, c’est s’observer soi-même, comme chez Hélène Dorion (cf. derniers vers du recueil).

 

- Volonté de la part d’Andrée Chédid de rappeler et dénoncer les dommages causés aux arbres dans les milieux urbains, dans ces milieux aseptisés, créés par l’homme. Ainsi, elle défend plus les milieux naturels, jardins et forêts, qu’elle cite dans son poème. Mais elle propose aussi aux êtres humains de revenir aux arbres, à la nature, dont ils se sont coupés en vivant dans des milieux urbains, et qui les fait également mourir (au moins symboliquement).

 

- L’écriture poétique est un moyen d’emmener le lecteur dans cette proximité, qu’il peut imaginer. Les mots sont déjà une première expérience de cette proximité entre humain et végétal que le texte décrit, raconte, évoque. Le poème fait vivre ce que Chédid propose aux lecteurs, ce retour à la nature : les mots font imaginer et ressentir ce retour vers l’arbre.

 

 

samedi 16 mars 2024

L'image des femmes au cinéma

Nathalie Wood dans "La Prisonnière du désert" (John Ford)

 

 Suivez le lien vers une vidéo du CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée), qui décrypte intelligemment l'image des femmes au cinéma. 

https://www.cnc.fr/cinema/videos/portraits-de-femmes_2082614

 

En complément, de nombreuses informations sur les droits de la femme dans le monde et en France en 2024, grâce à Oxfam :

https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmes-hommes/8-mars-journee-internationale-droits-femmes/