vendredi 12 novembre 2021

Lecture analytique linéaire : "Notre vie" (Paul Eluard)

 



Contextualisation :

- Paul Eluard (1895-1952) : Epoux de Gala, qui deviendra la compagne de Salvador Dali. Poète surréaliste, communiste un temps ; résistant pendant la 2nde Guerre mondiale. 

- Le Temps déborde : recueil publié en 1947 soit quelques mois après le décès brutal et inattendu (hémorragie cérébrale) de la compagne d’Eluard, Nush (née Maria Benz) le 28 novembre 1946, à l’âge de 40 ans. Ils ont vécu 17 années ensemble, elle a été sa 2nde épouse. Elle était artiste (comédienne de théâtre notamment, inspiratrice de Man Ray ou Picasso). Dans tous les poèmes du recueil, Paul Eluard revient sur les dix-sept années de vie commune brusquement interrompues. « Notre vie » = poème le plus connu du recueil.

Autre extrait du recueil :

« Vingt-huit novembre mil neuf cent quarante-six.
Nous ne vieillirons pas ensemble.
Voici le jour
En trop : le temps déborde.
Mon amour si léger prend le poids d’un supplice. » 

 

Aspects majeurs du poème :

- Thème majeur : la mort, celle de Nush, mais aussi la sienne, depuis qu’elle a disparu.

- Il oppose sans cesse la vie et la mort, le passé lié à la vie et le présent lié à la mort.

- Une forme apparemment classique (strophes de 5 vers ; alexandrins), mais où les caractéristiques de la poésie surréaliste surgissent et permettent des ambiguïtés : pas de ponctuation, syntaxe parfois étonnante, apposition de termes qui créent un sens ainsi particulier, absence de rimes mais jeux de sonorités bien présents, …

 

Plan :

* Il est possible d'analyser strophe par strophe (voir les indications données ci-dessous, au début de chacune des strophes). 

* On peut aussi étudier d'abord les deux premières strophes ensemble, qui oppose vie et mort, passé et présent ; puis on étudie la dernière, où la mort s'impose plus explicitement, notamment sur le poète.  


Problématiques possibles :

* Comment Eluard cherche-t-il à rendre compte de la douleur extrême vécue à la mort de son épouse ? 

* En quoi ce poème montre-t-il que la mort de l'être cher est également la mort du poète et de son univers ?    

 

Analyse linéaire (strophe par strophe) :

 

Titre du poème :

Déterminant possessif « notre » + nom au sens mélioratif : attente par le lecteur d’une évocation positive. On peut penser aussi qu’il s’agit de la vie actuelle de ceux qui sont ainsi concernés. Le poème va en grande partie détromper cette attente éventuelle. Mais cela peut signifier malgré tout qu’Eluard contrebalance les accents pessimistes de son poème de cette manière, qu’il veut mettre en valeur les moments heureux passés avec sa compagne.

 

Strophe 1 :

Oppositions entre le passé, quand « elle » vivait, et le présent lié au malheur de l’absence de celle qui était aimée par le poète & expression des sentiments personnels du poète (douleur de la séparation).

 

- Adresse directe à la femme = forme de lyrisme. Volonté de lutter contre la situation de séparation qui lui a été imposé : il dialogue encore avec elle.

- Dans le vers 1, opposition entre les deux hémistiches : passage de la « vie » à la mort signifiée par le participe passé « ensevelie » qui termine ce vers, comme pour effacer la vie. « ensevelie » = enterrée comme les morts, cachée, oubliée, niée. Le présent (« elle est ensevelie ») s’oppose aussi au passé composé (« tu l’as faite »), montrant que la vie commune n’est plus, dans la mesure où cette femme était liée à leur vie, était actrice/créatrice de celle-ci (« tu » sujet du verbe « faire », verbe d’action, de création). Le poème débute comme le titre : communauté des personnes ensuite désignées séparément : possessif « notre » -> pronom personnel « tu ». Montre le passage du temps, changeant brutalement (comme la mort de Nush a été brutale pour Eluard).

- Les vers 2 et 3 s’opposent également : « aurore » semble vouloir caractériser la vie, comme en apposition. Le nom se trouve d’ailleurs juste au-dessous de « notre vie » : il en est en quelque sorte un synonyme. « aurore » = commencement, surgissement de la lumière, du jour, de la vie, du bonheur (que « matin » répète ensuite). Autre groupe nominal en grande partie synonyme : « un beau matin de mai » = image du printemps, du renouveau, de la vie qui revient. Donc la vie avec la femme était ce qui avait donné vie au poète et sans doute aussi à cette femme. Rime interne entre « vie » et « ville », qui accentue ce parallèle entre les débuts de vers 1 et 2 ; la ville = animation, lieu de vie commune (comme le possessif « notre vie » renvoie à la vie commune du poète et de cette femme). Le vers 3 vient donc en opposition : complément circonstanciel de lieu, qui vient notamment compléter le lieu « ville » = « sur laquelle… ». « la terre » rappelle « ensevelie » au vers 1 ; personnification de la terre puisqu’elle agit et est dotée d’un « poing », partie du corps humain -> image de la force, de l’écrasement, de la destruction, de quelque chose qui est subi par le couple. Le passé composé « a refermé » renvoie au basculement qu’a été la mort de la femme, le fait que le présent du poète ne peut plus être le même.    

Ce n’est pas seulement la femme qui a été enterrée, mais la vie commune des deux amants, le bonheur. La femme est morte mais le poète lui-même se sent aussi en quelque sorte un peu mort.

- Les vers 4 et 5 s’opposent aussi : reprise anaphorique « aurore » = retour sur le passé, la vie commune passée, le bonheur perdu, toujours mis en valeur en tête de vers, en ouverture de vers, comme l’aurore est l’ouverture de la journée. La fin du vers complète en écho l’arrivée du jour par l’adjectif « claires », lui-même renforcé par le comparatif de supériorité « plus », qui, précédé de l’adverbe temporel « toujours », montre une temporalité longue durable ; le nombre de 17 années cité explicite précisément cette durée. Chaque jour vécu avec cette femme a été pour le poète un renouveau perpétuel, une renaissance quotidienne. Et le « toujours plus » indique que leur vie de couple n’a pas perdu de sa force au fil du temps au contraire. Valeur symbolique de l’aurore explicitée par « en moi » qui le suit : l’aurore n’est pas celle du jour qui passe, mais celle de ses sentiments intimes, de son état personnel -> il s’est senti toujours plus heureux avec elle, a trouvé toujours plus de vie, de dynamisme, d’envie d’agir. Le vers 5 vient donc contredire ce vers 4, « la mort » étant cette fois clairement citée, plus directement que par des périphrases (« ensevelie » ; « la terre a refermé son poing »). Le terme frappe donc d’autant plus, est presque brutal. La strophe est comme encadrée par une opposition : « notre vie » (v. 1) / « la mort » (v. 5). Le parallélisme entre les deux vers est souligné par la reprise de « en moi », qui affiche clairement la rupture : le poète était vivant, heureux avec elle, il est comme mort avec elle. Noter aussi une nouvelle fois que le poète n’est pas maître de ces événements, puisque c’est la mort qui agit ici seule, est sujet du verbe de mouvement, d’action « entre ». Il subit ce sort. « a refermé » : idée d’enfermement, de recouvrir, d’emprisonner.

La vie et la mort semblent liées entre elles, malgré ces ruptures : « aurore » et « mort » riment ensemble. Les deux sont donc indissociables, comme les deux faces d’une même réalité. On peut dire que pour le poète, son existence actuelle ne peut s’envisager sans penser à la séparation suite au décès de la femme aimée, mais que les moments heureux vécus avant lui reviennent aussi en tête sans cesse. L’un ne va plus sans l’autre dans son esprit.

« comme dans un moulin » : expression familière + allitération en [m] = facilité de la mort pour s’installer en lui, rapidité ; il ne maîtrise pas ce processus.  

 

Strophe 2 :

Opposition, une nouvelle fois, entre la vie et la mort, mais cette dernière gagne en quelque sorte du terrain. Les références au temps qui a passé et passe sont plus évidentes ici.

 

- Même début que la strophe 1 (v. 1) : « Notre vie ». Mise en évidence de ce terme, lutte de la vie contre la mort qui s’impose à lui ; rappel aussi d’une vie commune qui n’est plus = marque du souvenir, de ce qu’il ressasse.

- Opposition entre les vers 6-7 qui évoque la femme vivante, le passé, la vie commune et les vers 8, 9, 10 qui personnifie la mort comme une entité qui s’impose et balaye tout ce passé et la vie tout entière.

- Vers 6-7 : le passé -> utilisation de l’imparfait (« disais » ; « aimions »). Ce passé est lié à la vie, au bonheur : « notre vie », « vivre » (v. 6) (noter que les mots encadrent ce vers 6), « la vie » (v. 7), liée au sentiment du désir, des choses agréables (verbe « aimions », même famille que l’amour aussi). Ce passé est celui de la vie commune du couple : 1ère personne du pluriel (déterminant possessif « notre » en tête de strophe, pronom personnel « nous » v. 7). Ce passé est celui où la femme était en vie : présence de la 2ème personne du singulier (« tu »), et de paroles de celle-ci = dialogue, communication de la femme. Les mots de la femme = « notre vie » = elle parait en leur nom à tous deux.

- Une femme actrice de ce passé (comme dans la 1ère strophe) : c’est elle qui pouvait « donner la vie », qui en était donc en quelque sorte à l’origine. On comprend qu’elle était dynamique, donnait un sens à leur existence à tous deux. Son absence ne peut donc qu’être l’inverse, la mort, la tristesse, le désarroi. Le bonheur passé, lié à cette femme, est aussi représenté par l’adjectif « contente » (v. 6).

- Opposition avec les vers suivantes mise en valeur par le passage de vers, mais aussi par le connecteur logique d’opposition « mais » en début de vers 8, et par l’antonyme de « vie » qui apparaît de suite, « la mort ».

A noter que ce GN « la mort » n’apparaissait qu’une fois et en fin de strophe 1, alors qu’ici il apparaît 5 fois, dans une anaphore qui semble confiner à une sorte d’obsession pour le poète. La mort est ainsi omniprésente, répétée 3 fois dans le vers 9. Cette mort est personnifiée : elle se déplace (« vient », « va »), elle devient « visible » et surtout « boit » et « mange ». Elle semble avoir donc des habitudes humaines, elle semble paradoxalement prendre vie : forme d’oxymore « la mort vécue ».

La mort est actrice, agit : elle est ici aussi sujet de verbes d’action : « a rompu », « vient », « va », « boit », « mange ». Le poète ne maîtrise pas ce qu’il se passe, il subit la mort. La strophe se termine d’ailleurs sur l’expression « à mes dépens » = il dépend de la mort désormais. Elle occupe son esprit, il ne peut pas la dépasser. La mort est aussi celle du poète, puisqu’il semble ne plus pouvoir répondre aux besoins naturels d’un être humain pour survivre, boire et manger. Il est affamé et assoiffé par la mort : elle l’entraîne vers elle. Ou elle prend la vie qui était encore la sienne, comme une sorte de vampire, de parasite, qui se nourrirait de lui. C’est une manière de rendre compte de l’état psychologique dans lequel il se trouve : il se sent entraîné vers le même anéantissement que Nush.

Image du temps que le poète ne maîtrise pas : vers 8. « temps » = sens général. Rompre l’équilibre = créer de l’instabilité dans une situation jugée positive, harmonieuse = le couple amoureux qu’il formait avec Nush. Noter que ce vers 8 intervient à la moitié du poème. Il est comme le point de bascule, l’explication de l’état dans lequl se trouve le poète.

Pour l’instant, le poète évoque la mort en général, ne dit pas que la femme est morte (ce sera le cas dans la strophe 3). Peut-être est-ce parce qu’il veut reculer le moment de dire, de mettre des mots sur le fait que Nush est décédée. Donc un poème qui va aussi vers une prise de conscience, une acceptation de ce décès ? 

 

Strophe 3 :

Suite logique de la strophe 2 : le poète continue à disparaître. Présence bien plus forte de la mort. La mort de Nush va progressivement s’étendre, s’imposer à toute la terre, annihiler non seulement le poète mais aussi toute forme de vie. Progression vers le « silence », dernier mot du poème.

 

- La femme est enfin nommée : « Nush ». Aspect donc clairement autobiographique du texte. La nommer la fait revivre en quelque sorte, elle existe encore. Manière aussi de l’interpeler plus directement.

 

- Pas de reprise ici de « Notre vie », au contraire : « morte », en début de strophe et de vers, qui frappe ainsi le lecteur, semble annoncer la couleur de cette strophe. Noter toutefois la proximité sonore [o], [r], [m] & [n], [vi] : proximité des deux états, la vie et la mort. Comment l’interpréter ? Pour Eluard, la mort de son épouse l’a comme tué ? puisqu’il repense sans cesse à elle, elle revient à la vie dans ses souvenirs ? Il souhaiterait qu’elle revienne à la vie ? Il est comme mort depuis le décès de celle qu’il aimait, ou se rapproche de cet état mortuaire ?

 

- Opposition dans le vers 11 entre « visible » et invisible », Nush étant placée au centre des deux adjectifs antonymes " permet de mettre les deux termes à égalité, de montrer que Nush est les deux à la fois, ou successivement. Elle n’est plus visible puisqu’elle est enterrée (cf. strophes précédentes), mais elle est encore visible dans sa mémoire : sa mort ne la rend pas moins présente pour autant.

 

- Oppose aussi de manière étonnante la force de Nush à sa propre faiblesse de poète, de vivant : le comparatif « et plus dure » contrebalance d’abord l’adjectif au préfixe négatif « invisible » qui laisse penser à quelque chose d’impalpable, qui ne peut donc être « dur » (au sens premier du terme).

Ce comparatif se comprend quand on lit le vers suivant (enjambement qui crée une forme d’ambiguïté de sens) : elle est plus forte que des sensations liées à des fonctions vitales (se nourrir et boire), ce qui est logique puisque, si elle est morte, elle n’est plus soumise à ces nécessités physiques inhérentes à la vie humaine (mais cela peut être un peu morbide).

Puis la fin du vers 11 et la fin du vers 12 mettent en parallèle les conditions de Nush et de lui-même : « plus dure » « mon corps épuisé » " force de Nush, contrastant avec l’affaiblissement du poète (clairement désigné par le déterminant possessif « mon »). Dans le vers 12 sont donc assemblés des éléments liés à la condition humaine, corporelle (« faim », « soif », « corps épuisé »), manière d’insister sur sa condition d’être vivant, quand Nush n’est plus préoccupée par ces considérations matérielles, par le délabrement de son corps.

 

- Eluard se rapproche de la mort : vers 12 à mettre en parallèle avec le vers 10 : « boit et mange » / « la faim et la soif » : suite logique = la mort épuise le poète, comme tout être humain ; elle le guette, l’épuisement du corps le rapproche lui-même de la mort.

 

- Les vers 13 et 14 sont ambigus : l’absence de ponctuation et la disposition en vers ne permet pas clairement de déterminer à quoi se rattachent grammaticalement les groupes nominaux qui y apparaissent. Toutefois le sens, notamment du vers 14, laisse penser qu’il évoque ici Nush, nommée au vers 11, et qui préside en quelque sorte les vers 11 à 14.

« masque » est répété aux deux vers, les encadrant (début et fin des deux vers) ; ils sont suivis chacun d’un complément du nom (« de neige » ; « d’aveugle »). Les deux vers se rapportent à ce qui cache : la neige recouvre la terre, les larmes brouille le regard de celui qui pleure, l’obscurité de la nuit ne permet pas de voir aux alentours, l’aveugle ne peut voir. Ils poursuivent donc l’invisibilité annoncée au vers 11.

Quels sens accorder donc à ces vers ? a) Tout d’abord, Eluard ne peut plus voir Nush. Elle est cachée par la terre qui la recouvre désormais, éloignée ainsi de lui qui est « sur la terre » quand elle est « sous la terre » (compléments circonstanciels de lieu). b) Mais le « masque » froid (cf. la neige), le « masque d’aveugle » peut aussi se rapporter à la vision de Nush morte, aux yeux fermés, au corps refroidi par la mort, qui provoque (« source ») la tristesse d’Eluard, ses pleurs. c) Enfin, puisque ces deux vers s’enchainent également à la référence au « corps épuisé » d’Eluard, ce masque peut aussi être celui d’Eluard, qui rejoint progressivement Nush dans la mort. On pourrait dire que l’absence de l’être aimée l’a transformé en mort-vivant : il continue à vivre sur cette terre, mais en lui tout est mort car sa raison de vivre, son principe de vie, sa femme Nush, n’est plus à ses côtés. On se rappelle combien Nush est présentée dans les strophes 1 et 2 comme à l’origine de leur vie à tous, comme la source de leur dynamisme, de leur bonheur. Disparaissant, elle ne permet plus à Eluard de continuer à vivre réellement.

Par conséquent, l’ambiguïté de ces vers permet à Nush et Eluard de se rejoindre dans la mort, réelle pour l’une, psychologique pour l’autre.

 

- Les multiples références à la mort construisent une atmosphère lugubre pour le lecteur : « neige » = froid, hiver, saison où la nature est comme morte ; « sous la terre » = monde des morts, où l’on enterre les défunts ; « nuit » = souvent liée symboliquement à la mort, à l’absence de lumière qui est associée à la vie. La mort, qui prenait en quelque sorte le pouvoir dans la strophe 2, se fait ici omniprésente, ce que la redondance des deux compléments circonstanciels de lieu du vers 13 suggère : « sur la terre et sous la terre ».

 

- Le dernier vers se recentre de manière plus évidente sur le poète, par le déterminant possessif placé en tête de vers (« mon »), et par la présence également du pronom personnel « je ». Donc les marques de la 1ère personne sont au début de chaque hémistiche de cet alexandrin, mis ainsi en valeur.

L’éloignement de Nush, évoquée par le complément circonstanciel de lieu « sous la terre » qui fait écho au participe « ensevelie » du vers 1, par son caractère « invisible », par les verbes au passé qui classe Nush dans un temps révolu et non dans le présent du poète, se poursuit ici : « mon passé se dissout ». Nush, qui appartient à son passé, à ses souvenirs, se dissout donc, leur vie commune évoquée dans les strophes 1 et 2 n’existe plus : il parle désormais au singulier car il est seul. Cette solitude s’est imposée à lui, il en prend conscience, les souvenirs ne permettant pas de faire revivre inlassablement Nush, qui disparaît ainsi une 2ème fois, en quelque sorte. Il est à noter que l’emploi du verbe réfléchi « se dissout », dont le sujet est « mon passé » souligne que le processus est inéluctable, se produit de lui-même et que le poète n’y peut rien, subit cette situation.

Le 2ème verbe le montre par contre acteur de ce qu’il se passe, puisque le sujet en est « je », et que le verbe au présent est un verbe d’action : « fais ». Il semble prendre une décision. Mais en même temps, elle apparait comme la suite logique de ce qui précède : il ne peut rien contre la disparition de Nush, et même son langage de poète ne peut la faire revenir, ne serait-ce que le temps d’un poème. Le 2ème hémistiche apparaît comme la conséquence, au moins, du 1er hémistiche. On pourrait ainsi reformuler ce vers qui ne contient pas de connecteur logique : Puisque mon passé se dissout, je fais place au silence ; ou : mon passé se dissout et par conséquent je fais place au silence. L’expression « faire place à » est relative à l’espace, au lieu : après avoir évoqué un espace mort (la neige, la nuit), lui-même choisit le vide, dans une forme de synesthésie qui associe la vue (« aveugle ») et l’ouïe (« silence »), où l’on nie l’usage des sens, qui est encore une forme de mort de l’être humain, Nush, ou Eluard.

Le nom « silence » clôt ce poème, qui ensuite laisse le lecteur dans le silence effectivement, avec le blanc de la page qui suit. Ce mot s’oppose bien entendu à tous ceux qui ont précédé, où Eluard évoquait Nush, s’exprimait, usait du langage. On pourrait considérer que cette fin signe l’échec du poète à se souvenir, à user de son pouvoir de poète à employer une langue qui fasse vivre encore Nush. Face à la mort, il est impossible de lutter. Et puisque les seuls éléments qu’il puisse dire de Nush sont ceux de ses souvenirs, qui s’effacent en plus, il ne peut sans cesse se répéter, il ne peut sans cesse trouver des mots nouveaux pour évoquer la femme qu’il a aimée.

 

Conclusion :

- Eluard cherche, un peu comme Hugo dans son Livre IV des Contemplations, à rendre compte de la manière dont il a vécu la mort de son épouse. Comme Hugo, il est dévasté, livre ses sentiments, dresse une sorte de portrait de son état d’esprit. La mort de l’être aimé gagne le monde des vivants et marque une rupture fondamentale pour le poète. Le lecteur peut à la fois découvrir l’intimité du poète et se mettre à sa place, comprendre ce que peut vivre un amant placé dans une telle situation : on passe d’une expérience personnelle à une découverte plus universelle.

 

- Eluard use à la fois des possibilités habituelles de la poésie, par son emploi notamment des vers réguliers, de surcroît des alexandrins, vers nobles de la poésie française traditionnelle. Mais par ailleurs, il renouvelle les règles, comme d’autres depuis la 2ème moitié du 19è siècle. Son absence d’emploi de la ponctuation permet de laisser planer des ambiguïtés, de laisser le lecteur déterminer en partie le sens du poème, de permettre des interprétations diverses. Le poème n’en a ainsi que plus de force, par sa polysémie, et il met le lecteur dans la position d’un chercheur actif, et non d’un spectateur passif.

La puissance du langage poétique est aussi interrogée, par cette fin de poème qui semble acter l’impuissance des mots à dire toute la douleur ressentie. On pense encore à Hugo qui, dans le Livre IV, propose une suite de pointillés, sous le titre de ce qui est présenté comme un poème qui reprend simplement la date de la mort de sa fille.  

 


lundi 1 novembre 2021

Eléments essentiels à retenir du recueil des Contemplations


Pour une vision synthétique du recueil des Contemplations d'Hugo, vous pouvez vous reporter à cette page très bien faite et synthétique :

 
Les éditions Ellipses ont mis en ligne une présentation de l'oeuvre, comme toujours synthétique et documentée :
 
 
 
Autre document : la page qui suit est aussi très intéressante pour aborder notamment les aspects autobiographiques et les modifications que Hugo opère pour donner au lecteur une impression de vie au "goutte à goutte", comme il le dit dans sa Préface :

http://www.matisse.lettres.free.fr/contemplations/bilanlivre1.htm

 

Pour le plaisir des yeux, allez aussi voir les pages du manuscrit des Contemplations, entièrement en ligne, numérisé, sur le site de BNF. Par exemple, vous trouverez ci-dessous des liens vers des poèmes évoqués en cours :

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10088985v/f64.item

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10088985v/f142.item

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10088985v/f266.item

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10088985v/f267.item

 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10088985v/f275.item