jeudi 5 décembre 2019

Quels passages lire et relire dans La Princesse de Clèves ?



Première partie :

* L’incipit (« La magnificence et la galanterie… d’un mérite extraordinaire »)

* L’arrivée de la Princesse à la Cour (1er texte étudié en lecture analytique)

* La description de la Cour (« Mme de Chartres, qui avait eu tant d’application pour inspirer la vertu à sa fille, ne discontinua pas de prendre les mêmes soins dans un lieu où ils étaient si nécessaires et où il y avait tant d’exemples si dangereux… dans des choses où l’on était souvent embarrassée quand on était jeune. »)

* 1ère rencontre entre la Princesse et Nemours (2è texte étudié en lecture analytique), et les suites immédiates de cette rencontre («  La Reine les interrompit pour faire continuer le bal… ce qui paraît n’est presque jamais la vérité. »)

* Le refus de la Princesse d’aller au bal du maréchal de Saint-André pour ne pas voir Nemours, et l’aveu à elle-même de son amour pour lui (« Mme de Chartres combattit quelques temps l’opinion de sa fille… à conter à Mme de Chartres ce qu’elle ne lui avait point dit encore. »)

* La mort de Mme de Chartres, dernier dialogue entre la Princesse et sa mère (« Lorsqu’elle revint chez sa mère, elle sut qu’elle était beaucoup plus mal qu’elle ne l’avait laissée… de tout ce que je viens de vous dire. »)

Deuxième partie :

* L’histoire de Mme de Tournon (début de la 2ème partie du roman)

* Le vol du portrait de la Princesse par Nemours (« Il y avait longtemps que M. de Nemours souhaitait d’avoir le portrait de Mme de Clèves… retomba dans l’embarras de ne savoir quel parti prendre. »)

* Mme de Clèves montre involontairement ses sentiments pour Nemours lorsqu’il est blessé (« Peu de jours avant l’arrivée du duc d’Albe… elle était mêlée de quelque sorte de douceur. »)

* La réécriture commune de la lettre du Vidame et la jalousie de la Princesse (« Mme de Clèves se retrouva dans un nouvel embarras… ce qui était arrivé de la fausse lettre du vidame. »)

Troisième partie :

* L’aveu de sa passion par la Princesse à son mari (« Vous ne me dites rien, reprit-il… Lorsque ce prince fut parti »)

* L’évocation de l’aveu à la Cour devant la Princesse et Nemours (« Le voilà lui-même, et je veux lui demander ce qui en est… elle s’en alla chez elle. »)

* Les réactions de M. de Clèves, de Mme de Clèves, du duc de Nemours après la scène de la discussion à la Cour sur l’aveu (« Il est aisé de s’imaginer en quel état ils passèrent la nuit… M. de Nemours fut longtemps à s’affliger et à penser les mêmes choses. »)

* Le jour du tournoi et la mort du roi (« Enfin le jour du tournoi arriva. » " fin de la troisième partie)

Quatrième partie :

* La retraite de la Princesse à Coulommiers (« Mme de Martigues vint à Coulommiers… de s’y promener seule une partie de la nuit. »)

* Nemours à Coulommiers observe la Princesse, sait qu’elle pense à lui. Ses réflexions et sa 2ème tentative de la voir (« Le gentilhomme qui était très capable… la conduite qu’elle avait eue jusqu’alors. »)

* Le dernier dialogue entre les époux de Clèves avant sa mort de M. de Clèves (« Vous versez bien des pleurs… et pour M. de Nemours ne se peut représenter. »)

* Les réflexions de Mme de Clèves, entre passion et raison (« S’il eût su ce qu’il évitait… dans le même jardin où elle l’avait trouvé. »)

* Le dialogue entre Nemours et la Princesse, chez le Vidame (« L’on ne peut exprimer ce que sentirent M. de Nemours et Mme de Clèves… Elle sortit en disant ces paroles »)

* L’excipit (« Cette vue si longue et si prochaine de la mort... » " fin du roman)

Lecture analytique (complément) : la première rencontre de la Princesse et de Nemours


Pour compléter la lecture linéaire de cet extrait de La Princesse de Clèves, vous pouvez vous reporter à cette page qui propose un excellent commentaire de ce passage, mais sous forme de commentaire écrit, organisé selon des axes de lecture (et non linéaire) :


Lecture analytique linéaire : la première rencontre de la Princesse et du duc


Problématique : Comment cette rencontre est-elle placée sous le signe du sublime, mais contient-elle aussi des ferments de l’avenir des deux personnages ?

Étude linéaire :
* Plan divisé en trois parties :
1) Lignes 1 à 4 : Mise en situation ; explications par un retour en arrière
2) a) Lignes 4 à 15-16 : Le point de vue de la Princesse de Clèves : vers le 1er regard porté sur Nemours
b) Lignes 16-17 à 21 : la réaction de Nemours et la danse ensemble
NB. Les deux parties ci-dessus font partie d’un seul mouvement : le rapprochement des deux personnages vers leur réunion dans la danse
3) Lignes 22 à 31 : Le dialogue entre les deux personnages, guidé par le roi et les reines

* Partie 1 (lignes 1 à 4) :
- Emploi de verbes au plus-que-parfait de l’indicatif (« avait ouï » ; « avait dépeint » ; « avait parlé » ; « avait donné ») : retour en arrière dans un récit au passé ; explications du moment où le récit est parvenu de la vie des personnages. Explication ici du fait que la Princesse connaît déjà un peu Nemours, mais ne l’a encore jamais vu. Manière aussi de guider le récit, et donc la Princesse vers Nemours, comme si le récit lui-même ne lui laissait aucun choix, ou que les circonstances, le hasard devaient la guider vers cet homme (comme une fatalité tragique).
- Mise en relation des deux personnages dès cette 1ère phrase du paragraphe : « Mme de Clèves » sujet du verbe / « de ce prince » COI du verbe « parler » ; plus proche par les deux pronoms « le lui » (l. 2), « lui en » (l. 2).
- Point de vue de la Princesse mis en avant : les sens de l’ouïe et de la vue sont cités (« ouï » + « parlé », « voir » + « dépeint ») ; des sentiments, la curiosité, puis l’impatience sont aussi mis en avant. Noter que la curiosité est une manière de montrer que la Princesse se met en mouvement vers le Prince de Nemours, que l’impatience est une gradation (mouvement plus rapide, désir plus fort), la phrase se terminant par « voir » qui souligne ce mouvement, et annonce ce qui va suivre (elle va le voir effectivement).
- Rôle majeur de la reine dauphine dans la rencontre entre les deux personnages : si le début de la phrase dit que toute la Cour est responsable du fait qu’elle connaît déjà un peu Nemours (« à tout le monde »), la suite souligne le rôle de la dauphine : mise en évidence après la pause marquée par le point-virgule + conjonction « et » renforcée par l’adverbe « surtout » d’accentuation, avant de citer « madame la dauphine » qui lui propose un portrait visuel (« dépeint »), répète le portrait (« tant de fois »). La structure même de cette partie de la phrase montre que la « curiosité » et « l’impatience » de la Princesse est la conséquence de cette attitude de la dauphine (« d’une sorte…. qu’elle lui avait donné » : la proposition subordonnée circonstancielle de conséquence souligne ce rôle de la dauphine sur les réactions de la princesse).
Noter que cette subordonnée et le verbe « donner » montrent que la Princesse subit cette action de la dauphine.

* Partie 2 (lignes 4 à 21) :  
a) Lignes 4 à 15-16 :
- Récit focalisé ici sur la Princesse : elle est sujet des verbes, c’est elle qui agit (verbes au passé simple, actions de 1er plan : « passa » l. 4, « arriva » l. 6, « acheva » l. 9, « se tourna » l. 10 ; + quelques verbes à l’imparfait « dansait » l. 7, « cherchait » l. 9) ; c’est son regard que l’on suit (« cherchait des yeux » l. 9, « vit » l. 10), ou ses pensées « crut »
On peut même penser que la manière de vivre l’arrivée de Nemours est vécue par elle, en point de vue interne (même suspense pour le lecteur que pour elle) : « comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit » = lien entre la proposition subordonnée antéposée et la proposition principale qui la suit, entre ce que fait la princesse et ce nouvel événement. Utilisation du pronom « il » impersonnel, qui n’indique pas l’origine de ce bruit (la Princesse ne peut savoir ce qui se passe puisqu’elle danse, est occupée). « quelqu’un » (l. 8) + « à qui » (l. 8) : désignations du nouvel arrivant par des pronoms qui permettent de ne pas le nommer = la Princesse ne sait de qui il s’agit, et ainsi le lecteur ne le sait pas non plus (forme de suspense). Même technique plus loin par des désignations imprécises : pronom démonstratif « celui qui arrivait » (l. 10) ; GN « un homme » (l. 11).
L’organisation spatiale montre aussi que le récit se situe sur la piste de danse (« le bal commença » + « elle dansait » + « acheva de danser » + « cherchait quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre » CC lieu « vers la porte de la salle » + « qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait » (noter cette dernière proposition subordonnée relative qui montre que les deux personnages se rejoignent, par la répétition du verbe « danser » précédemment utilisé pour la Princesse). Autre élément qui montre une focalisation interne : « celui qui arrivait » se transforme en « un homme » puis en « M. de Nemours », suivant la découverte progressive par la Princesse du nouvel arrivant (les verbes « se tourna » et « vit » montrent le déplacement et le regard de la Princesse pour être dans l’axe de Nemours, et ce n’est qu’à ce moment qu’il est nommé, y compris pour le lecteur).
Le point de vue interne se poursuit avec la réaction de la Princesse à la vue de Nemours : « surprise » (l. 13).
- La rencontre semble guidée par les sens de la Princesse, mais aussi ensuite de Nemours : ouïe « assez grand bruit » (l. 7) ; vue « cherchait des yeux » (l. 9), « vit » (l. 10), « vu » (l. 13), « l’air brillant » (l. 14), « voir » (l. 15). La vue vient préciser ce que l’ouïe a juste perçu. La vue est aussi le 1er rapport direct entre les deux personnages, leur 1re mise en relation. Le verbe « voir » s’applique d’ailleurs d’abord à la Princesse, puis au duc.
- L’apparence extérieure revêt une importance capitale ici (à lier à la vue, développée ci-dessus) : les deux personnages sont qualifiés très positivement par leur apparence, ce qui crée encore une fois un lien entre eux, comme s’ils étaient destinés à se rencontrer. Ainsi, le verbe « (se) parer » les décrit l’un et l’autre (l. 5 & 14), repris, pour la princesse par le nom de la même famille « parure » (l. 6).
- Qu’est-ce qui provoque leur rencontre ? Le roi a une responsabilité indéniable : au début de la phrase qui indiquait un « dessein » personnel de la princesse, donc un choix, répond, par une proposition simplement juxtaposée, l’ordre du roi (que le verbe « cria » semble rendre plus pressant, au-delà du statut de ce personnage) : noter la répétition du verbe « prendre » qui souligne l’inversion, le passage du choix personnel à l’acte imposé.
Par ailleurs, le récit semble montrer qu’ils ne pouvaient que se rencontrer et être attirés l’un par l’autre (une forme de destin ?) : mêmes termes ou termes au sens approchant utilisés pour l’un et pour l’autre (« se parer » l. 5 & 14 ; « tout le jour » l. 4 & « le soin qu’il avait pris » l. 14 ; « sa beauté » l. 6 & « l’air brillant » l. 14 ; « surprise », l. 13, de la Princesse et « grand étonnement », l. 16, de Nemours, avec une phrase construite sur un parallélisme : « il était difficile » / « mais il était difficile aussi » + « de le voir » & « de voir Mme de Clèves »  qui souligne cette réciprocité des regards de l’un sur l’autre et leur même réaction à la vue de l’autre) ; mêmes regards de la Cour portés vers eux (« on admira » l. 6 & réactions à la porte à l’arrivée de Nemours « à qui on faisait place » l. 7). Le fait que Nemours enjambe des sièges montre qu’aucun obstacle ne saurait se mettre entre lui et elle. Les propositions grammaticales introduites par le pronom indéfini « il » (« il était difficile ») soulignent aussi que chacun des deux personnages ne peut qu’admirer la beauté de l’autre, n’est pas maître de sa réaction qui est présentée comme inéluctable quand on les regarde ou l’un ou l’autre. La vue, le regard porté sur l’autre (le verbe « voir » suit « il était difficile » dans les deux cas), entraîne vers l’admiration et une première forme d’attirance.

b) Lignes 16-17 à 21 :
- À partir des lignes 15-16, et jusqu’à la ligne 19, par la phrase construite sur un parallélisme, mais mettant en place une inversion, le récit se focalise sur Nemours : expression des sentiments du personnage (« grand étonnement » l. 16, souligné ensuite dans le paragraphe suivant par « tellement surpris » l. 17, les deux expressions mettant en valeur la profondeur de ce sentiment, par l’adjectif épithète « grand » et la conjonction de subordination « tellement que » ; « marques de son admiration » l. 18-19) ; regard porté sur la Princesse (« voir Mme de Clèves » l. 15)
- La beauté de la Princesse est encore une fois soulignée : outre la réaction de Nemours exprimée par hyperboles et son incapacité à masquer son admiration, dans un lieu où il faut savoir maîtriser son apparence tant physique que morale, on note la répétition du groupe nominal « sa beauté » (l. 17). Nemours a donc la même réaction que tous (pronom personnel indéfini « on » l. 6 avant la première occurrence du GN). Il ne distingue donc pas de la foule de ce point de vue. Il s’en distingue par la réaction de la Princesses à son égard, et par l’admiration qu’il suscite lui aussi à la Cour.
- Le mouvement de rapprochement des deux personnages se poursuit. Nemours est attiré vers la Princesse, sans pouvoir semble-t-il contrôler ce mouvement : l’emploi de la voie passive (« il fut tellement surpris » l. 17) souligne qu’il ne contrôle pas sa réaction ; la négation qui entoure le verbe « pouvoir » l. 18 montre encore qu’il perd ses moyens face à la Princesse. Noter d’ailleurs qu’entre la conjonction de subordination « que » l. 17 et la proposition subordonnée qu’elle débute, entre virgules, le narrateur introduit deux subordonnées circonstancielles de temps où la princesse est présente (« lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence ») : c’est une manière de souligner encore que la proximité de la princesse lui ôte toute possibilité de contrôler ses propres réactions.
Physiquement, les deux personnages sont désormais côte à côte : « proche d’elle » ; « ils commencèrent à danser ». Ils entrent en relation l’un avec l’autre, autrement que par le seul regard porté sur l’autre : « elle lui fit la révérence » (noter la proximité des deux pronoms qui les désignent l’un et l’autre : « elle lui »). Les pronoms changent : chacun était désigné différemment (« il », « elle » l. 18 par exemple) ; ils sont rassemblés dans un seul pronom personnel, « ils » (l. 19, 20, 21, 22, 23) ou « les » (l. 21) ou « leur » (l. 22). Notons encore que la fin de la danse est marquée par l’adverbe « ensemble » (l. 21). Tout ceci souligne encore une fois que ce rapprochement était comme inévitable, et prépare la suite du récit où ils seront tournés l’un vers l’autre, attachés par une passion amoureuse réciproque.
- Le regard de la Cour reste présent au long de cet extrait. Le poids de la vie publique sur les personnages est indéniable : la Princesse passe « tout le jour » à se préparer « pour se trouver au bal et au festin royal » (l. 5) et Nemours a aussi pis « soin » de « se parer » pour ce jour des fiançailles royales au Louvre (l. 4-5 ; le fait de citer la cérémonie au début de l’extrait rappelle l’aspect public de ce bal) ; répétition des termes qui rappellent que les deux personnages ne sont pas seuls, sont entourés (pronom personnel indéfini « on » l. 6, 8, 12 ; citation de certains personnages publics connus, comme De Guise l. 7, le roi l. 10, « le roi et les reines » l. 20 ; rappel du lieu qui est ce soir-là bondé : « au bal » l. 5, « au Louvre » l. 6, « la salle » l. 8, 19) ; réactions de la Cour face aux deux personnages (« on admira » l. 6 ; « assez grand bruit » l. 7 ; étonnement l. 12-16, dans les propositions introduites par « il était difficile » qui s’appliquent aux deux personnages, mais aussi plus largement à tout le monde par leur caractère impersonnel ; « un murmure de louanges » l. 19-20 ; « trouvèrent quelque chose de singulier » l. 21).
Le fait de passer de la réaction de toute la salle (l. 19-20) à celle du roi et des reines (l. 20) prépare la fin de l’extrait où ils vont provoquer le dialogue entre les deux personnages principaux.

* Partie 3 (lignes 22 à 31) :
- Les deux personnages ne sont pas maîtres d’eux-mêmes, sont comme guidés par la Cour, représentée ici par le roi et les reines. « Ils les appelèrent » (l. 22) : « ils » sujet du verbe et « les » COD du verbe. « sans leur donner le loisir de parler à personne » : proposition qui débute par la préposition négative « sans », où l’emploi de « personne » marque aussi une privation, une négation, et où les deux personnages sont encore désignés par un pronom complément (« leur »), ce qui souligne leur absence de liberté d’agir dans ce monde de la Cour. Dans la suite de la phrase, lignes 23-24, ils sont encore désignés par le pronom « leur », ou apparaissent dans des propositions subordonnées (« s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient », « et s’ils ne s’en doutaient pas ») à la proposition principale dont le sujet du verbe est « ils » (= roi et reines) : autre marque du fait qu’ils ne sont pas ici libres de leurs mouvements.
Dans le dialogue qui suit, la situation est la même. D’une part le dialogue a été initié par le roi et les reines (« leur demandèrent » l. 23 + deux propositions subordonnées interrogatives indirectes introduites par « si »). D’autre part, Nemours et la Princesse ne s’adressent pas directement l’un à l’autre, mais par l’intermédiaire de la reine : « Madame » l. 25 & l. 30 (= la reine dans les deux cas) ; deux interventions au style direct de la reine intercalées entre les interventions de Nemours d’abord, de la Princesse ensuite.
Nemours délègue à la reine le soin de le présenter (« je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom »), il ne le fait donc pas lui-même.
La reine semble penser à la place de la Princesse : « Vous devinez fort bien » (la forme affirmative remplace la forme négative utilisée par la princesse dans sa réplique, et l’adverbe « bien » accentue le fait que la reine se met à la place de la princesse).
- Suite du rapprochement des deux personnages : ils discutent (dialogue, avec paroles rapportées au style direct), lignes 25. Même début de réplique pour les deux personnages, qui nomment leur interlocutrice (« madame »), même si c’est par respect pour son statut royal ; même proposition incise placée au début de la réplique (« dit M. de Nemours » / « reprit Mme de Clèves ») ; même usage du verbe « deviner » (l. 26 & 31). Nemours nomme et donc inclut le nom de la Princesse à ses propres paroles (l. 26), ce qui confirme qu’il l’a reconnue. On sait depuis la ligne 11 que la Princesse l’a aussi reconnu. D’ailleurs, Nemours utilise le verbe « reconnaître » l. 27, quand la reine utilise celui de « connaissez », de la même famille : et l’on sait qu’elle dit ce que la Princesse n’a pas voulu avouer, qu’elle parle en quelque sorte à sa place. Nemours se cite lui-même et évoque la princesse dans une même phrase, comme s’ils s’incluaient tous deux dans un même ensemble, en alternant les désignations de l’un et de l’autre : « je » l. 25, « Mme de Clèves » l. 26, « je »/« j’ » l. 26, « la » l. 27, « je » l. 27, « lui » l. 27.
La reine elle-même évoque leur rapprochement, dans une phrase qui se présente presque sous forme de chiasme : « elle le sait aussi bien que vous savez le sien » (l. 29) (« elle » " « vous » ; « le » " « le sien » + répétition du verbe « savoir »).
Ils se sont reconnus sans avoir été présentés et même sans s’être jamais vus : cela semble indiquer qu’ils étaient comme faits l’un pour l’autre, destinés l’un à l’autre : « vous le connaissez sans l’avoir jamais vu » ; « je n’ai pas d’incertitude » ; « les raisons […] que j’ai pour la reconnaître » ; « les voir danser ensemble sans se connaître ». Le terme « singulier » utilisé ligne 21 souligne le caractère exceptionnel, presque invraisemblable aux yeux de la Cour, de cette union si naturelle dès le départ.
- La réticence de la Princesse dès le début montre qu’elle résiste aussi bien à la pression de la reine (donc de la Cour, qui les regarde) d’avouer qu’elle a reconnu Nemours qu’au fait de montrer (pour les autres, mais aussi à elle-même) qu’elle a un penchant pour Nemours dès cette première rencontre. « qui paraissait un peu embarrassée » : le narrateur souligne qu’elle perd ses moyens, ne maîtrise plus complètement ses émotions. Sa négation (« je ne devine pas si bien que vous pensez ») est un refus de répondre, alors que Nemours l’a fait en la nommant dans sa réplique (« Mme de Clèves »). Peut-être est-ce aussi une manière de montrer qu’elle ne veut pas jouer le jeu de la Cour, se voir imposer un discours, ce que « à ne pas vouloir avouer » semble confirmer (emploi du verbe « vouloir » = choix personnel, liberté affirmée).
En conclusion :
- Le caractère exceptionnel de cette rencontre est souligné de différentes manières : cadre hors normes (fiançailles de la fille du roi Henri II, Claude de France avec le duc de Lorraine ; palais royal des Valois, le Louvre) ; temps passé par les personnages à « se parer » ; arrivée fracassante de chacun des deux personnages, admirés par la Cour ; guidage des deux personnages l’un vers l’autre grâce au récit et à d’autres personnages ; réaction de grande surprise de chacun des personnages et réunion comme fusionnelle des deux personnages.  
- D’une certaine manière, la suite de la relation entre les deux personnages est comme déjà en germe ici : l’ambiguïté et la difficulté à venir de cette relation sont comme déjà annoncés : difficulté de la princesse à s’avouer son amour ; refus par la Princesse d’accepter de tromper son époux ; impossibilité d’afficher cette passion en public.
- Le lien entre passion et regard est déjà souligné ici : voir l’autre, c’est l’aimer, succomber à sa passion, ne pas la maîtriser.    
- Le poids des conventions sociales, de la Cour qui s’impose aux personnages est aussi bien développé ici.