jeudi 28 novembre 2019

Lecture analytique (non linéaire) : l'arrivée de la Princesse à la Cour


NB. Il ne s'agit pas d'une lecture linéaire, mais organisée comme pour un commentaire écrit. Si j'ai le temps, je réorganiserai cette étude de manière linéaire, en suivant les trois parties que nous avons définies pour ce texte. 

 

Introduction :

Le roman de Mme de Lafayette s’ouvre sur un tableau de la cour de France dans les dernières années du règne de Henri II. C’est dans un cortège d’êtres d’exception, décrits de manière superlative et abstraite, que paraît tout à coup l’héroïne, Mlle de Chartres, future princesse de Clèves. Personnage de fiction, elle est encore plus extraordinaire que les plus prestigieuses dames de la cour et sa vraisemblance se trouve garantie par le cadre historique du roman.
Cependant, si ce portrait est, comme les autres, placé sous le signe de l’excellence et de l’abstraction, il s’en distingue sur un point : la place essentielle faite à l’éducation qu’a reçu la jeune fille. C’est le passage central du texte, qui donne à cette présentation une importance décisive pour la suite.

  1. L’art du portrait
  2. Les conseils d’une mère
  3. Une présentation sous-jacente de la Cour


I. L’art du portrait
C’est avec élégance que Mme de Lafayette introduit la belle héroïne de son roman.
A. L’effet d’attente
Mme de Lafayette ne livre pas d’emblée le nom de l’héroïne. C’est au contraire par une sorte d’énigme que débute le portrait, l’apparition d’une inconnue dans le microcosme de la cour : Il parut alors une beauté à la cour qui attira… marque un effet de rupture dû à l’irruption de la fiction dans la chronologie. Tous les regards se portent vers cette beauté parfaite qui, surpassant toutes les autres, suscite leur admiration.
Le récit marque alors un temps d’arrêt. En revenant sur le passé de la jeune fille mystérieuse, l’auteur donne les éléments de résolution de l’énigme : on apprend qu’elle était de la même maison que le vidame de Chartres, dont il a été question au début du roman, et son nom est révélé par celui de sa mère, Mme de Chartres.
La fin du texte renvoie au début, et l’image, un instant interrompue, de l’entrée de Mlle de Chartres dans ce lieu où les regards jouent un rôle essentiel, revient au premier plan : Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au devant d’elle.
B. Une beauté idéalisée
La première désignation de l’héroïne est une métonymie : une beauté, reprise par une beauté parfaite et la grande beauté. Elle est l’incarnation de la beauté.
Sa description physique demeure très vague. On évoque seulement la blancheur de son teint, ses cheveux blonds, la régularité de ses traits. On insiste également sur sa jeunesse dans sa seizième année. Il n’y a donc aucun élément vraiment pittoresque dans la présentation qui est faite de l’héroïne. C’est une description stéréotypée.
Mme de Lafayette, bien loin de tendre vers le réalisme, se plaît au contraire à accumuler les termes abstraits qui favorisent les interprétations les plus subjectives. Elle préfère suggérer ce qui émane de la jeune fille : l’éclat, la grâce, les charmes. Ces concepts malaisés à définir créent un halo de connotations positives qui font rêver le lecteur.
L’absence de description précise va de pair avec une idéalisation du personnage, à travers divers procédés :
  • La narratrice suggère d’abord l’intensité de sa beauté par les effets qu’elle provoque sur son entourage : elle attira les yeux de tout le monde, elle donna de l’admiration, le vidame fut surpris de la grande beauté… Le narrateur rapporte l’admiration dont elle fait l’objet : l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes, grâce à un champ lexical de la vue : parut, yeux, voir.
  • Les procédés hyperboliques sont nombreux.Mlle de Chartres est présentée dans une sorte de surenchère, comme surpassant tous les autres membres d’une cour qui, elle-même, est exceptionnelle. Les superlatifs sont nombreux : tout, parfaite, une des plus grandes, extraordinaires, extrême, un des grands partis, extrêmement, la grande beauté, que l’on n’a jamais vu qu’à elle, tous.
Le caractère exceptionnel du personnage concerne aussi son statut social : une des plus grandes héritières de France, un des grands partis qu’il y eut en France. L’idéalisation touche également sa mère, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires.
Sa singularité vient enfin de l’éducation qu’elle a reçue.
  • Mme de Lafayette n’insiste pas sur la formation intellectuelle de son héroïne. Tout est dit en une formule qui met sur le même plan les facultés mentales et les dispositions physiques : sa mère travailla […] à cultiver son esprit et sa beauté.
Ainsi, cette description présente à la fois les traits précieux, par son aspect hyperbolique, et classiques, par son abstraction et son art de la suggestion (métonymie, usage de l’impersonnel : il parut, on dut croire).


II. Une éducation originale
Centre du portrait, important en nombre de lignes : éducation de la Princesse : donc appartient à son portrait.

A. Une mère soucieuse de l’éducation de sa fille :
  • Une éducation hors la Cour.
  • Une éducation sans cesse reprise : cf. utilisation des imparfaits d’habitude : elle faisait, elle lui montrait, elle lui faisait voir aussi. Mme de Chartres, qui fonde son éducation sur la parole, sait qu’il n’y a pas d’éducation sans imprégnation.
  • Mme de Lafayette intervient également dans ce discours moraliste par un jugement critique : la plupart des mères s’imaginent qu’il suffit…. Il n’y a donc pas d’éducation sans franchise.
  • Mme de Lafayette donne la parole à Mme de Chartres : programme éducatif présenté d’abord sous forme de discours narrativisé puis indirect (cf. proposition indépendante Mme de Chartres avait une opinion opposée + 3 propositions principales et subordonnées. Début du discours indirect : elle lui faisait voir + PS1 quelle tranquillité… + PS2 combien la vertu ; puis une autre principale mais elle lui faisait voir aussi + PS1 combien il était difficile (+ 2 PS relatives).
Ainsi, caractère vivant d’une conversation.
  • Dans ce passage : sujets des verbes = Mme de Chartres + paroles de la princesse non citées : une mère directrice de conscience, qui guide.
B. Une éducation originale :
Une éducation définie surtout par oppositions :
- Opposition à la Cour : Une éducation en opposition à celle communément admise pour les jeunes filles nobles de haute lignée : début du passage concernant les principes éducatifs : verbe critique « s’imaginent » + phrase suivante : elleavait une opinion opposée. Autre opposition : « ne parler jamais » ≠ « contait » ; « faisait des peintures » : Verbes de paroles en opposition.
« ne… jamais » ≠ elle parle « souvent » à sa fille de l’amour.
- Opposition à la passion amoureuse :
→ Discours sur l’amour de Mme de Chartres bâtis sur l’opposition entre les attraits et les dangers de l’amour : d’un côté ce qu’il y a de plus agréable, de l’autre ce qu’elle lui en apprenait de dangereux.
→ Essentiel du discours : montrer le désordre qui suit la passion (plusieurs lignes) alors qu’elle en dépeint les charmes plus succinctement. 
→ Antithèse entre l’amour et la vertu dans deux tableaux fortement contrastés : amour, les engagements, n’amènent que les malheurs domestiques ≠ la vertu apporte tranquillité, éclat, et élévation. Les deux derniers termes sont propres à séduire une âme d’élite. 
→ « Mais elle lui faisait voir… » : conjonction de coordination appuyant opposition entre « tranquillité », « éclat », « élévation » et « difficile », « défiance de soi ». Reprise de la « vertu », pour souligner qu’elle est un objectif mais difficile à atteindre et à garder.
- Opposition aux hommes : elle lui contait le peu de la sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité. Accumulation de termes très négatifs, ou dans des noms à valeur généralisante, universelle, ou dans un pluriel.

Une éducation forte :
- Termes« peintures » ; « montrait » ; « faisait voir » (X2) : très visuel : audacieuse franchise + ce lexique de la vue rend concret cet enseignement. Rapports entre la mère et la fille fondés sur la confiance réciproque. Mme de Chartres veut persuader et non contraindre.
- Une intériorisation des principes par la Princesse : elle lui enseigne la vertu et veille à la lui rendre aimable.
- Noter qu’elle lui précise la difficulté de cette morale :elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrêmedéfiance de soi-même.

III- Une peinture sous-jacente de la Cour

A. Un monde d’apparences
  • Phrase du début du passage orientée sur la vue et les regards portés sur la Princesse : « parut » ; « attira les yeux » ; « donna de l’admiration » ; « voir de belles personnes » : 4 expressions dans une seule et même phrase ! Le vidame de Chartres s’intéresse à elle à cause de sa beauté.
  • 2è phrase : présentation par le rang : toujours cette apparence, ce jugement de la Cour. Reprise en fin de portrait : « héritière » ; « un des grands partis » ; sa mère « extrêmement glorieuse » : toujours cette définition par rapport à ses origines. Tout est focalisé, pour la Cour, sur la famille à laquelle elle appartient, et qui fait d’elle un bon parti : on lui propose plusieurs mariages, forcément arrangés puisqu’elle apparaît tout juste.
  • Cela s’oppose d’autant plus au long propos éducatif et moral porté par Mme de Chartres au centre du passage.
B. Un monde dangereux
  • Une peinture de la Cour sous-jacente : lieuqui peut être très agréable mais aussi très dangereux pour une jeune personne.
→ La Princesse en a été absente, pour la préserver de ce milieu : « elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour » + juste après « Pendant son absence », lié à la fille, Mlle de Chartres.
→ Critique de la société où la jeune fille va pénétrer : elle lui contait le peu de la sincérité des hommes, leur tromperie et leur infidélité. Les termes sont catégoriques et la peinture sans indulgence.
→ Dans ce monde cruel où règne l’apparence, le sort de la femme ne peut être que de souffrir. Seul refuge : l’amour conjugal, qu’il faut bien distinguer de la passion : ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme […] est d’aimer son mari et d’en être aimée. L’amour se trouve alors paré des charmes de la vertu. C’est le seul salut possible qui allie la tranquillité et la réciprocité : fin du paragraphe, fin du passage sur l’éducation et ses principes par la mère Mme de Chartres.

Conclusion :
  • L’éducation de Mme de Chartres révèle quelques problématiques de son siècle sur l’amour. Faut-il parler d’amour aux jeunes filles ? Un contre-exemple est décrit dans L’école des femmes de Molière : Agnès, tenue à l’écart de tous et de l’amour succombe aux charmes du premier jeune homme qu’elle rencontre, malgré la surveillance sévère d’Arnolphe. L’amour conjugal est-il encore vraiment de l’amour ? Peut-on être heureux dans le mariage ? C’est un sujet dont on débat dans les salons du XVIIème siècle.
  • Même si Mme de La Fayette place son roman au XVIè siècle, il est évident que la peinture de la Cour qu’elle propose ressemble beaucoup à celle de son temps, celle de Louis XIV. Elle critique certains travers de cette société.
  • Un passage qui prépare et justifie la suite du roman : un être d’exception, dont la vertu sera irréductible à la tentation de la passion. Elle ne ressemble pas à la Cour et c’est ce qui va faire sa singularité, et en même temps sa difficulté à supporter ce milieu marqué par ce dont elle a appris à se méfier : la passion. Noter toutefois que l’analyse psychologique est ici absente, que l’on semble rester à l’extérieur du personnage, tant du point de vue du narrateur que de sa mère, Mme De Chartres.

mardi 19 novembre 2019

Des pages sur le web à propos de La Princesse de Clèves

Le couturier Christian Lacroix a illustré le roman de Mme de Lafayette il y a quelques années... En voici un extrait. 


Voici un premier lien à propos du roman de Mme de Lafayette. D'autres liens viendront au fur et à mesure de mes recherches...



Un résumé des Lettres persanes ?


Sur ces deux pages, vous trouverez un rappel du contenu de chacune des lettres contenues dans l'oeuvre de Montesquieu. Il est évident qu'il ne s'agit pas d'avoir retenu chacune d'entre elles, mais cela permet de piocher dans celles qui peuvent nous intéresser, et de les relire ensuite.




samedi 16 novembre 2019

Lecture analytique linéaire : extrait de Histoire comique des Etats et Empires du soleil de Cyrano de Bergerac


Axes d’étude du texte :
- La rencontre d’un homme et d’une population étrange vivant sur le soleil : confrontation à l’altérité, comparaison
- La défense d’un modèle politique démocratique, plus juste (sorte d’utopie)
- La critique de la monarchie absolue connue du personnage du voyageur (et des lecteurs du XVIIè siècle)
- Le désir de susciter la curiosité chez le lecteur

Analyse linéaire :
* Lignes 1 à 4 : temps de récit ; rebondissement de l’action initiée avant l’extrait ; renversement de l’idée attendue (l’aigle doit être, dans un univers d’oiseaux, le souverain).
- « achevait » : imparfait de l’indicatif + pronom démonstratif « ceci » : lien avec ce qui a précédé, et manière de signifier qu’un nouvel épisode va démarrer. « interrompus » le confirme = fin de ce qui a précédé l’extrait.
- proposition subordonnée conjonctive circonstancielle de temps (« quand… mien ») : nouvel événement, ce que l’emploi des passés simples souligne (action de 1er plan, qui font avancer le récit) ; « arrivée » = mouvement d’un personnage, entrée dans le récit où le voyageur et la pie se trouvaient déjà.
- confrontation nouvelle de l’aigle et du voyageur, par leur présence dans la même proposition subordonnée (« un aigle » + « du mien »), et par la précision spatiale (« assez proche »). Réaction du lecteur : le voyageur est-il en danger ? En effet, présupposé = aigle, animal majestueux, puissant, parfois cruel, qui pourrait être un citoyen puissant chez ce peuple d’oiseaux. Jeu sur les a priori du lecteur sur cet animal.
- Notons la narration à la 1ère personne du singulier : personnage et narrateur de sa propre histoire. Impression de témoignage direct pour le lecteur.
- Animalité de l’aigle soulignée : il prend place sur un arbre. Manière de jouer sur la fantaisie du texte qui propose des personnages à la fois animaux et personnifiés.
- Phrase suivante + passé simple « voulus » = réaction du voyageur à l’arrivée de l’aigle. « à genoux = signe de respect mais aussi de soumission à une autorité supérieure. Le voyageur semble penser que l’aigle est un être dominant chez ce peuple d’oiseaux, suivant en ceci ce que le lecteur a déjà pu penser au nom de cet animal dans la phrase précédente.
- suggestion d’emblée que le voyageur narrateur ne va pas se mettre à genoux : « je voulus » (ce n’est pas l’acte lui-même) ; proposition participiale qui vient expliquer le souhait de se mettre à genoux (« croyant… roi ») bâtie sur le verbe « croire » (opinion personnelle du voyageur, mais en même temps ce n’est pas la réalité des faits) ; emploi du subjonctif « ce fût », dont la valeur est celle de l’irréalité (l’aigle n’est pas le roi). Volonté d’étonner le lecteur qui s’attendait pourtant à ce statut de l’aigle.
- Absence de mouvement du narrateur renforcée par l’opposition entre « me mettre à genoux » qui suggère un déplacement, et « contenu » qui montre une immobilité.
- « ma pie » : terme affectueux, montrant que, malgré leurs différences, le narrateur et la pie s’apprécient.
* Lignes 4-7 : passage à des paroles rapportées au style direct ; nouvelle prise de parole de la pie ; accusation forte envers le modèle politique des habitants de la Terre basée sur la loi du plus fort.
- Ligne 4 : phrase interrogative (question rhétorique, remise en question de l’opinion du narrateur à propos de l’aigle) + usage d’un verbe à l’imparfait (« pensiez » : renvoie dans le passé l’idée du narrateur que l’aigle soit roi) + apostrophe directe au narrateur « pensiez-vous » renforcée par la conjonction de coordination « donc » (mise en accusation) + usage du subjonctif (fût » : mode exprimant l’irréel, l’absence de certitudes) = confirmation que l’aigle n’est pas le roi dans cette société, et même qu’il est étonnant que le narrateur y ait pensé. Renversement des idées toutes faites et de la manière de distribuer le pouvoir. Noter que l’adjectif épithète « grand » placé avant « aigle » souligne que la pie a bien compris que le narrateur a interprété cette taille comme liée au pouvoir qu’il pouvait détenir.
- Lignes 4-6 : Attaque forte, de nouveau, contre le modèle politique des hommes, c’est-à-dire essentiellement des Français de la 2ème moitié du XVIIè siècle, que le narrateur représente (apostrophe « vous autres hommes » : pluriel + terme à valeur universelle) : noter l’emploi en tête de phrase du présentatif « c’est », avec le présent de vérité générale, qui souligne que la pie énonce ce qu’elle considère comme une certitude.
Suite de termes péjoratifs, qui montre la piètre image de la politique française auprès de la pie : « imagination » (= pas rationnelle, pas réfléchie) ; « cruels » (suggère la violence, y compris physique, un pouvoir discriminant) ; « sottement » (accusation de bêtise, de manque d’intelligence).
Parallèle entre « vous laissez commander » et « l’aigle nous devait commander », par la répétition du même verbe : passivité choisie de la part des citoyens français (terriens) (« vous » sujet du verbe à la voix active de « laissez » qui implique un manque d’engagement, d’action) / réflexion par le narrateur donc par les hommes que l’aigle, parce que plus fort, les dirige (le verbe « devoir » souligne que ce n’est pas le cas, nuance).
Énumération & gradation d’adjectifs mis au superlatif (« aux plus grands, aux plus forts et aux plus cruels ») = insistance sur le pouvoir excessif exercé sur les peuples terriens par leurs dirigeants, et un pouvoir qui peut devenir violent (dernier adjectif : « cruels »). Noter la proximité des termes « cruels » et « compagnons » qui s’opposent (« compagnons » renvoie à l’origine à ceux qui mangent le pain ensemble, donc partagent le même repas, font preuve de sens collectif, ce qui est impossible dans un rapport de cruauté où l’un impose sa force à l’autre.
« Imagination », « cru » : souligne que les hommes se trompent sur leur manière d’organiser le pouvoir politique. Remise en question des acquis : « jugeant de toutes choses par vous » (proposition participiale à visée explicative de l’erreur de jugement commise par les humains : verbe renvoyant à la réflexion des humains, à une conception) ; remise en question de l’ethnocentrisme par exemple, de l’incapacité à accepter d’autres manières de vivre, de gouverner, du fait d’être autocentrés pour réfléchir.
Multiplication de la 2ème personne du pluriel (« vous » ; « vos ») = attaque frontale de la manière d’envisager le pouvoir politique sur Terre. S’oppose au « nous » final de la phrase et du paragraphe : confrontation des points de vue, rencontre avec l’Autre + transition avec le paragraphe suivant.
* Lignes 8-13 : nouveau paragraphe alors que la pie poursuit son discours (ce que les guillemets ouverts signalent) = nouvelle étape de son discours. Opposition au paragraphe précédent : passage à des explications sur le mode de gouvernance en cours dans ce peuple d’oiseaux du Soleil.
- Opposition marquée par l’emploi en tête de phrase et de paragraphe de la conjonction de coordination « mais » ; par l’emploi du déterminant possessif de la 1ère personne du pluriel (« notre »), qui diffère de la 2ème personne très présente dans le paragraphe précédent ; et par « bien autre » qui signale que le monde dans lequel le narrateur a débarqué est très différent de celui qu’il a quitté. Rencontre avec l’Autre.
- « Politique » : confirmation que le sujet abordé par la pie est celui de la gouvernance d’un pays.
- explication de la différence émise après le point virgule et annoncée par la conjonction de coordination causale « car ». Après le point virgule suivant (ligne 9) la pie va préciser, ajouter des éléments explicatifs ; ce que l’adverbe « encore » annonce cette fois.
- Étonnement des lecteurs du XVIIè siècle par la juxtaposition du verbe « choisir » et du nom « roi » : les rois ne sont pas nommés suite à des élections, et leur succession n’est pas soumise à l’approbation du peuple, à l’époque. La négation « ne que »  (l. 8) renforce l’idée d’un choix opéré selon des règles précises, réfléchies. La répétition du pronom « nous » montre que ce peuple agit collectivement, et que le pouvoir individuel du roi est bien encadré. Il montre aussi une cohésion forte de ce peuple.
- Définition des qualités du roi = écho inversé de l’énumération de la ligne 6 : 3 adjectifs de nouveau, superlatifs de nouveau, et qui sont en quelque sorte les antonymes des adjectifs qui définissaient les gouvernants terriens (grands/forts/cruels faible/doux/pacifique). Donc un modèle politique surprenant car totalement inversé par rapport à celui de la monarchie absolue. Insistance sur la modestie du roi et sur le fait qu’il doit favoriser des relations apaisées entre citoyens, valeur importante de ce pays, ce que la suite confirmera.
- 2ème loi de gouvernance : changement fréquent du roi (« tous les six mois » = temps court). « le changeons-nous » : comme pour « nous choisissons » (l. 8, 11), ou « voulons » (l. 12), insistance sur le fait que le pouvoir reste entre les mains de l’ensemble des citoyens et non entre les mains d’un seul. Les différentes lois visent d’ailleurs à lutter contre le pouvoir individuel, en ne prenant pas quelqu’un de déjà puissant, et en le changeant souvent.
- Explications sur chacun des mots utilisés dans l’énumération, grâce à des subordonnées ou un complément circonstanciels de but : « faible » est repris ligne 10, avec une proposition subordonnée de but qui souligne que le roi reste soumis à la punition de toute victime de son pouvoir (emploi du conditionnel « aurait fait » et du subjonctif « se pût » : manière de montrer sans doute que cela se produit peu souvent, est de l’ordre de l’imaginaire). « le moindre » : le superlatif d’infériorité montre que même le citoyen le plus modeste du royaume peut agir contre le roi. Noter qu’il faut que cette action ait une raison (« à qui il aurait fait quelque tort »), ce que la suite du texte soulignera encore (quand il s’agira de faire mourir le roi).
« doux » est repris ligne 11, avec aussi une subordonnée de but. Négation de la haine répétée, par une structure en miroir (le roi ne doit pas détester, mais aussi il ne doit pas se faire détester) : de nouveau, une valeur essentielle dans ce pays est l’harmonie entre ses membres. Critique des dissensions permanentes dans le royaume de France ?
« pacifique » est repris ligne 12, suivi d’un complément circonstanciel de but. De nouveau, mise en avant de la volonté d’éviter les conflits entre citoyens (ou entre nations), « pacifique » s’opposant au nom « guerre ». Une explication est émise sur le souhait d’éviter la guerre, par un dernier groupe nominal (« le canal de toutes les injustices ») : hyperbole par le pluriel et l’emploi du déterminant indéfini « toutes ». Le paragraphe s’arrête sur le mot « injustices » : la pie souligne que l’organisation du royaume vise à ce que la justice règne et s’applique à tous sans exceptions.
* Lignes 14-16 : Précisions sur l’organisation de la fonction royale, par une référence à un moment particulier de sa charge gouvernementale.
- Début par un complément circonstanciel de temps (chaque semaine »). Auparavant la pie énonçait des règles générales. Ici, elle se fait ainsi plus concrète.
- Sens du collectif souligné encore ici : « les États » ; « tout le monde », « on ». Opposition entre le verbe « tenir » dont le roi est sujet grammatical, et le verbe « recevoir » suivant qui énonce la capacité du peuple dans son ensemble à venir « se plaindre de lui ». Étonnement du lecteur encore une fois : possibilité non seulement de venir s’entretenir avec le roi (au XVIIè siècle, il était difficile de venir s’entretenir avec le roi si on n’avait pas des appuis haut placés), mais encore de le critiquer. Les verbes sont au présent de vérité générale ou d’habitude, montrant que cette manière de procéder est bien la règle admise dans leur pays.
- Phrase suivante construite sur une proposition subordonnée de condition, suivie des conséquences de celle-ci, qui sont présentées comme automatiques par les verbes au présent de vérité générale (« est dépossédé » ; « procède »), et la conjonction de coordination « et » (l. 16) qui enchaîne les deux conséquences. Insistance sur le pouvoir des citoyens sur leur roi (plainte de trois citoyens = peu + adverbe « seulement »). « mal satisfaits » = mécontentement pas forcément important. Donc tout citoyen peut s’exprimer, et à propos du sujet qu’il souhaite aborder.
« il en est dépossédé » : voix passive pour montrer qu’alors il n’a plus le pouvoir (contraste avec le groupe nominal avec déterminant possessif juste avant -« son gouvernement ») ; préfixe privatif « dé », au verbe « posséder » qui rappelle sans doute que Louis XIV était comme propriétaire de la France à son époque.  
- Le terme d’«élection » clôture le paragraphe, le mettant en valeur et donc soulignant ce modèle politique où les citoyens sont maîtres de la gouvernance de leur pays.
* Lignes 17-21 : Suite du paragraphe précédent, par l’évocation de moments particuliers de la gouvernance, pour préciser les rapports entre le roi et ses citoyens. Ici évocation de fautes plus graves qui pourraient avoir été commis par le roi et des conséquences de celles-ci.
- Suite du paragraphe précédent : même début sur un complément circonstanciel de temps (« pendant la journée »), reprise du nom « États » déjà employé ligne 14.
- Possessif « notre » : idée du fonctionnement collectif + opposition encore une fois au « vous » du début du texte = mise en avant de la différence entre cette société d’oiseaux de Soleil et les États européens, notamment français.
- insistance sur le lieu où se situe le roi : « sommet » + « grand » + « if » = hauteur. Cela pourrait suggérer, dans notre système de pensée, une position supérieure conforme au statut royal. Ceci va être une nouvelle fois contrecarré par les explications suivantes (comme l’idée de l’aigle comme roi). Surprise finale dans la phrase (la phrase est structurée de manière à provoquer cet étonnement) : le roi est attaché, ce qui semble peu conforme à ce que l’on sait (le roi peut envoyer quelqu’un en prison mais il ne l’est pas lui-même, les liens renvoyant ici au statut de prisonnier).
- Pouvoir de toute la communauté sur le roi = renversement du pouvoir royal habituel (le pouvoir d’un sur les autres) : « tous les oiseaux » (l. 18) (déterminant + pluriel) + redondance en insistant sur les individualités (« l’un après l’autre » l. 18) « lui » (l. 19). Nouveau renversement : passer « devant lui » ne consiste pas, comme lors des audiences du roi de France, à déposer une supplique de la part d’un représentant du peuple, au contraire : c’est ce que justifie la suite de la phrase après le point virgule, qui, une fois encore, vient préciser ce qui a été énoncé. Comme ligne 15, phrase construite sur une hypothèse (« si... »), avec conséquence de celle-ci. Phrase avec des désignations au singulier (« quelqu’un » + accords des verbes à la 3ème personne du singulier) : un citoyen individuel peut avoir le pouvoir sur le roi (un contre un, en quelque sorte) « il le peut jeter » = le citoyen est maître de cette action, il décide et agit seul, sans avoir besoin de l’assentiment de la communauté.
La présence de l’étang au début du paragraphe s’explique maintenant : le roi finit noyé « étang » ; « eau »).
- la condamnation doit être motivée : « coupable » (terme relatif à la justice, à la morale). Il ne s’agit pas d’une justice irrationnelle, aléatoire (critique implicite peut-être de ce qui pouvait se passer en France au XVIIè siècle), mais réfléchie, qui a du sens. « dernier supplice » : torture extrême : la faute du roi serait ici plus grave que les plaintes citées au paragraphe précédent. Il s’agit donc ici, pour la pie, d’évoquer une situation où le roi s’est montré particulièrement cruel. Sa destitution seule ne suffirait alors pas à le punir.
La dernière phrase du paragraphe montre que la justice doit être intégrale (réponse à la lutte contre toutes les injustices relevées ligne 13). Punition du roi contrebalancée : « conjonction de coordination exprimant l’opposition en tête de phrase et concerne désormais le citoyen qui condamne le roi à la mort (« il justifie la raison » l. 20). De nouveau, l’emploi de « raison » montre que les lois dans ce pays sont basées sur l’intelligence et non sur des choix personnels. A l’encadrement du  pouvoir du roi par le peuple correspond l’encadrement des pouvoirs du peuple sur leur souverain : « condamné » (l. 21, citoyen fautif) répond à « coupable » l. 19, roi fautif), la mort concernant les deux personnes dans ce cas.
Le lecteur doit être surpris par ce mode de fonctionnement si original. Et, s’il peut s’agit d’une forme d’utopie, elle montre qu’elle ne met pas de côté une certaine forme de violence quand les règles collectives, les lois ne sont pas respectées.
* Lignes 34-36 : Après des règles de fonctionnement assez générales, afin d’être plus concrète et montrer qu’ils appliquent réellement ce qu’elle a expliqué, la pie donne un exemple.
- Les verbes au présent ne sont plus des présents de vérité générale, mais des présents d’énonciation. La pie donne un exemple de souverain (la colombe), ce que « à présent » confirme : réalité de leur gouvernement au moment où la pie s’exprime. Le passé simple « eut » (l. 35) évoque le récit d’un fait précis, ponctuel, qui relève aussi de l’exemple précis.
- colombe : symbole de la paix. Cela renvoie au terme « pacifique » (l. 34, rappel de celui lignes 9 & 12), mais aussi à la faiblesse évoquée pour définir le roi (l. 9-10). La colombe n’est pas un gros oiseau, et ne peut menacer, comme l’aigle le pouvait. L’adverbe « si » montre combien la colombe possède ce trait de caractère. Le 2ème paragraphe du texte suggérait que l’harmonie, la paix entre les citoyens est une valeur importante dans cette société. Ceci se confirme ici, par ce choix de roi, et par son rôle : suite de l’exemple, par le rappel d’un événement remontant à peu de temps (« l’autre jour ») ; rôle de réconciliation, de médiateur (« qu’il fallait accorder deux moineaux » : le verbe « falloir » souligne que c’est dans les attributions/obligations du roi). Le paragraphe se termine sur le terme d’« inimitiés », pour montrer qu’il n’en existe pas chez ces oiseaux, ou qu’on les fait disparaître. La colombe ne sait pas ce que c’est, manière de montrer qye son caractère lui interdit de se brouiller avec qui que ce soit (rappel de la ligne 11).
- Le peuple contrôle le roi : « on » (collectif) / « lui faire comprendre » (individu = roi).

Conclusion :
* Un texte qui propose un fonctionnement de société très original (volontairement fantaisiste : voir le mot "comique" dans le titre de l'oeuvre), presque inversé par rapport à la monarchie absolue de la France du XVIIè siècle : Cyrano de Bergerac veut à la fois : emmener son lecteur dans un autre monde, l’émerveiller et le surprendre ; proposer un autre modèle de gouvernance qui lui semble plus juste ; et puisque ce modèle est l’inverse de ce qui existe en France, il critique donc les abus du pouvoir individuel du roi Louis XIV.
* Il s’agit donc d’un texte aux accents utopiques. Et ces oiseaux personnifiés ressemblent fort à des êtres humains, ce qui peut montrer que ce modèle n’est peut-être pas si irréaliste que cela.
* Au XVIIè siècle  La Fontaine, sans emmener ses personnages dans un autre  monde, utilise aussi les personnages animaux pour introduire des critiques qui parfois concernent aussi le pouvoir royal (penser à la fable  « Les obsèques de la lionne »). 

jeudi 7 novembre 2019

Lecture analytique linéaire : extrait de Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil (Jean de Léry) (version 1)




Analyse linéaire, avec mouvements du texte :



- 1er mouvement : lignes 1 à 16 : discussion entre les deux personnages sur les raisons des Européens de couper, exploiter, emporter autant de troncs de bois de Brésil : pratiques des Européens. Etonnement de l’Indien. Paroles longues de Jean de Léry.



- 2ème mouvement : lignes 17 à 32 : discussion entre les deux personnages au sujet de l’intérêt de s’enrichir. Paroles de plus en plus longues du vieillard. La parole est désormais à lui. Confrontation entre deux modes de vie, deux manières d’envisager l’enchaînement des générations. 



- Lignes 33-34 : conclusion du passage. Récit de voyage authentique.



Mouvement 1 :

* Lignes 1 à 3 :

- Phrase construite sur une longue proposition subordonnée circonstancielle de cause (« parce que… »), qui précède la proposition principale (« il y eut une fois… »). → Permet d’indiquer d’abord le regard étonné des Indiens devant le spectacle des Européens en train de prendre du bois de Brésil, et donc de donner le 1er sujet de discussion (l’exploitation de ce bois à grande échelle), avant de démarrer le compte-rendu, le récit de cette rencontre avec le vieillard et la discussion. Ce dialogue est ainsi la conséquence de l’observation par les Indiens des faits et gestes des Européens.

- Confrontation de peuples différents, par les noms utilisés de « Tupinambas » (cités avant les autres, manière de montrer qu’ils seront ici mis en valeur ?) et de « Français ».

- « nos » : manière affectueuse de Léry de parler d’eux. Pas de regard méprisant de sa part.

- « fort ébahis » ; « voir » : expression des émotions (grand étonnement) et du regard des Indiens → Léry nous met à leur place, comme en point de vue interne.

- « des pays lointains » : point de vue des Indiens ici encore : éloignement relatif à l’endroit où on vit. L’Europe est éloignée du Brésil où ils vivent.

- « sont » : présent de narration, et de vérité générale (du moins est-ce encore vrai au moment où les premiers lecteurs de Léry lisent ses pages).

- « leur Arabotan » : déterminant possessif = manière peut-être de signaler une forme d’accaparement indigne, mais surtout sans doute de signaler une essence végétale exotique pour les lecteurs européens, d’où l’emploi du mot indien pour désigner cette espèce. Volonté d’intéresser le lecteur européen, de l’intriguer + manière de reconstituer la culture/les lieux présentés (faire vrai). 

- « c’est-à-dire » : souci de Jean de Léry de se faire comprendre par ses lecteurs, souci didactique.

- « il y eut une fois » : emploi du passé simple, exprimant une action de 1er plan, temps du récit littéraire → Jean de Léry reconstitue les faits réels vécus (récit de voyage authentique), souci de nous emmener dans un récit, de nous laisser imaginer les personnages, la situation. L’emploi de la 1ère personne du singulier rappelle aussi ceci, et montre une implication personnelle de l’auteur dans son récit (il se met en scène, offre dans aussi sans doute son regard personnel sur les faits, personnages, paroles rapportées).

- « sur cela » : manière de confirmer au lecteur que l’exploitation déjà évoquée du bois va effectivement être le sujet de discussion entre les deux personnages.

* Lignes 3-5 :

- Suivant le nom « demande », début d’une question, rapportée au style direct texte ainsi plus vivant, le lecteur imagine le vieillard, par ses paroles, qui d’ailleurs reprennent leurs mots pour désigner les Français et Portugais (« Mairs et Peros »). Toujours aussi ce désir de faire vrai dans la reconstitution, d’y faire croire, de la laisser imaginer.

- « Que veut dire » : objet de l’interrogation = incompréhension des faits et gestes des Européens par le vieillard. Il a observé comme les autres l’exploitation du bois mais ne la comprend pas. Regard qui peut être jugé naïf, qui est en fait celui de l’étranger (par rapport aux Européens).

- « c’est-à-dire » : souci de Jean de Léry de se faire comprendre par ses lecteurs, souci didactique. Souligne aussi que les paroles du vieillard sont une mise en scène par l’auteur : le vieillard n’a certainement pas expliqué le sens de ces mots à Léry qui devait les maîtriser. Donc une reconstitution pour mettre les lecteurs à la place de Léry voire à la place des Indiens ; puis reconstitution pour préparer le message implicite de Léry (défense de la culture locale). 

- « vous autres » : interpellation des Européens ; inversion du regard pour les lecteurs qui se font en plus appeler, nommer dans la langue des Indiens.

- « si loin » ; « votre pays » : inversion encore du regard (voir ligne 2). 

- « quérir du bois » : reprise des mots de Léry en tant que narrateur = unité du texte

- « pour vous chauffer » : l’Indien donne un début d’explication : il a interprété l’exploitation du bois en ce sens (proposition infinitive exprimant le but).

- 2ème question, qui découle de la 1ère : suite du raisonnement du vieillard (chercher du bois si loin, dans des conditions difficiles = ne pas disposer de cette ressource chez soi ; mais cela lui semble peu probable). L’interro-négative suggère ainsi qu’il apporte d’emblée déjà une réponse à sa question. Elle souligne aussi son incompréhension : s’il y a du bois chez eux, pourquoi viennent-ils en chercher ici ?

* Lignes 6-7 :

- Fin des paroles rapportées directement. Léry rapporte sa réponse au style indirect ses paroles sont ainsi moins mises en évidence que celles du vieillard (qui étaient signalées par les deux points, les guillemets, l’expressivité orale avec la ponctuation du style direct comme le point d’interrogation). Pourquoi ? Parce que la réponse est évidente pour ses lecteurs, qu’ils la connaissent déjà ; parce que cela permet de montrer que ce que Léry peut apporter à son lecteur, c’est le raisonnement du vieillard, pas le sien propre. L’usage du participe passé (« ayant répondu ») renvoie dans le passé sa réponse, manière encore de mettre en évidence que ce qui importe, c’est la réaction du vieillard à l’explication de Léry.

- Respect du vieillard par Léry : réponse en deux temps (« oui…, mais non pas… »), affirmative puis négative, opposées par la conjonction de coordination « mais ». Il accorde une part de vérité au raisonnement du vieillard avant de rectifier une autre partie de ce raisonnement (nous avons beaucoup d’arbres, mais pas de la même espèce). Rectification encore ensuite (nous ne brûlons pas le bois de Brésil récupéré chez les Indiens) : « pas comme il pensait » (négation mise avant le verbe exprimant le raisonnement du vieillard, comme la négation autour du verbe « brûler », qui renvoie à celui de « chauffer » employé par l’Indien ligne 5).

- Opposition toujours entre les regards, les appartenances géographiques : « les leurs ». 

* Lignes 8-9 :

- Le mot « ains » (l. 7) introduit ce qui est après la parenthèse, ligne 9 : Léry dit à quoi sert ce bois chez eux (« les nôtres »).

- Noter que les pratiques des Indiens et des Européens se rejoignent (ils font de la teinture avec ce bois) : usage de la conjonction de comparaison « comme » au début de la parenthèse + écho entre « rougir leurs cordons de coton, plumages et autres » et « faire de la teinture » où les mots renvoient à la couleur. Egalité des peuples suggérée ici, malgré la distance et la différence culturelle. Noter le parallélisme de construction des propositions infinitives de but qui débutent lignes 8 puis 9 par « pour », dans un cas pour les Indiens, dans l’autre pour les Européens.

La pratique des Indiens est mise d’abord (même si c’est entre parenthèses), avant celle des Européens : encore une manière de les mettre en valeur ?

* Ligne 10 :

- Reprise du style direct, afin de mettre en avant une nouvelle interrogation du vieillard. Même structure que Léry : il accepte la réponse « voire ») puis oppose une contradiction (conjonction de coordination « mais ») aux réponses de Léry. Suite du raisonnement, par contradictions et demandes de précisions successives.

- « faut » + « tant » : marques de jugements de valeur de la part du vieillard. Etonnement + idée que cette exploitation est excessive, par le lien entre la nécessité indiquée par le verbe « falloir », qui ici est remis en question par l’interrogative, et l’adverbe « tant » qui est également interrogé.

* Lignes 11-15 :

- « oui » : Opposition dans l’affirmation ferme, à l’implicite de la question du vieillard. Volonté de convaincre le vieillard affirmée grâce à l’emploi de la 1ère personne du singulier dans la proposition incise (« lui dis-je »), à la parenthèse qui suit qui souligne la nécessité de le persuader (le verbe « faire » semble indiquer le souhait d’agir sur le vieillard). La longueur de la réplique est aussi le reflet de cette volonté de reprendre le pouvoir par la parole.

- « car » : conjonction de coordination indiquant la cause. Explication de l’affirmation selon laquelle les besoins en bois de Brésil sont colossaux en Europe. Donc Léry discute d’égal à égal, d’homme raisonnable à homme rationnel.

- L’argumentation de Léry est basée sur la richesse d’un marchand unique qui a les moyens d’acquérir tout le bois exporté du Brésil : argumentation économique (« champ lexical : « marchand » ; « marchandises » = mots de la même famille ; « achètera » + énumération de tous les objets possédés/vendus par ce marchand = impression d’une profusion, d’une richesse énorme).

- 2ème parenthèse dans cette réplique : Léry, comme pour la 1ère parenthèse, énonce sa réponse, mais commente aussi en tant que narrateur, au moment où il écrit pour ses lecteurs, son attitude argumentative face au vieillard. Volonté de s’adapter à l’interlocuteur, de prendre en compte sa différence de mode de vie, son absence de repères : le verbe « connaître » souligne le soin de Léry de se baser sur ce que le vieillard maîtrise. L’emploi du mot « toujours » est ambigu : ou Léry se vante, est un peu condescendant, ou il affiche une attitude intellectuelle qui a toujours été la sienne pendant son voyage. Peut-être est-ce alors une invitation à adopter une telle attitude devant toute personne différente de soi.

- « draps rouges » : lien à ce qui précède puisque le bois de Brésil permet de teindre. Mais ensuite Léry évoque d’autres objets, parfois sans doute peu connus des Indiens. Il s’écarte un peu du sujet initial.

- « notre pays » / « ton pays » : même GN, mais avec déterminants possessifs opposés (1ère et 2ème personnes) confrontation des cultures, rencontre de peuples différents ; volonté de dialoguer avec l’Autre.

* Ligne 16 :

- « merveilles » : choses admirables mais surtout au départ étonnantes. Et au sens du Moyen-Âge, événements, situations irréalistes. Le verbe (« contes »), qui renvoie à des histoires inventées et fantaisistes où la magie par exemple peut intervenir, fait aussi écho à cette réaction du vieillard. Marque, donc, à la fois de l’étonnement du vieillard, et du fait qu’il ne croit pas Léry = trop de différences culturelles.

- « mon sauvage » : le nom renvoie à l’image habituelle des Européens sur les nouveaux peuples découverts : proches de la nature, moins avancés techniquement bien souvent, ils paraissent plus proches de l’animalité que de l’humanité selon beaucoup d’Européens de l’époque. Le possessif est affectueux et tranche avec le nom. Léry montre ainsi l’amitié qui l’a uni à cet homme.

- L’interjection (« ah ah ») souligne le souhait de reconstituer une vraie conversation, de lui donner vie, d’intéresser le lecteur en le plongeant dans ce dialogue que Léry reconstitue pour lui.



Mouvement 2

* Ligne 17 :

- « puis » : suite du récit, connecteur temporel. Mais aussi enchaînement des réactions, des réflexions de chacun.

- La proposition participiale, entre virgules, permet de souligner l’intelligence du vieillard (le verbe « retenir » souligne à la fois sa mémoire et sa compréhension, malgré sa réaction de la ligne 16, qui faisait aussi montre d’humour de sa part), comme la 2ème proposition participiale qui montre qu’il reste curieux, cherche à comprendre (le verbe « interroger » souligne cet aspect, comme « plus outre », dont les deux mots sont plus ou moins synonymes, qui montre qu’il ne s’en tient pas à la seule explication de Léry).

* Ligne 18 :

- Début de l’intervention, encore sous forme interrogative, avec la conjonction de coordination « mais » qui marque l’opposition à ce qui vient d’être dit par Léry. Mise en avant de cette opposition en tête de phrase.

- « tant riche » : reprise de l’adverbe « tant » pour insister sur l’adjectif. Le vieillard rebondit exactement sur l’argument de Léry : la richesse, l’accumulation de biens. Il a donc effectivement bien compris et bien suivi les propos de Léry.

- Dialogue : interpellation de Léry par la 2ème personne du singulier + verbe de parole rappelant les propos de Léry (« tu me parles »). Noter la proximité des deux pronoms, 1ère et 2ème personnes du singulier (« tu me ») : proximité dans le dialogue entre les deux interlocuteurs. Le dialogue rapproche.

- La question du vieillard est une interro-négative : elle suggère la réponse à apporter (= il meurt comme tout le monde). Le vieillard oriente l’argumentation. Il reprend le pouvoir sur cet échange argumentatif.

* Ligne 19 :

- Réponse de Léry, qui va dans le sens que le vieillard indiquait. Les deux sont donc ici d’accord et non plus dans l’opposition, comme précédemment. Evolution de leur relation dialoguée. Répétition de l’affirmation par Léry (« si fait » X 2) : réponse positive affirmée.

- Comparaison entre le commerçant européen et les autres hommes : ils sont tous mortels, rien ne les différencie de ce point de vue. Comparaison affirmée aussi par l’apport de l’adverbe « bien » qui renforce le mot qui assure la comparaison « aussi… que… ».

* Lignes 20-21 :

- Nouvelle demande, sans attendre, du vieillard : « derechef ».

- Le vieillard mène désormais le dialogue, son timing. Léry en est réduit à devoir répondre.

- Léry commente toujours la manière dont le dialogue se déploie : « comme ils sont aussi grands discoureurs, et poursuivent fort bien un propos jusqu’au bout » : qualités rhétoriques soulignées par Léry (le terme de « discoureurs » les qualifient comme détenteurs de la compétence de la parole). L’adjectif « grand » est ici très mélioratif, renforcé par « fort bien » qui est associé à un autre mot qui renvoie à la parole, « un propos ».

* Ligne 22 :

- Nouvelle question du vieillard, qui mène donc le dialogue, puisqu’il le relance sans cesse et contraint Léry à répondre.

- La conjonction « et », renforcée par la conjonction « donc », indiquant une conséquence, marque encore une fois le fait que le dialogue est très construit, structuré. Le vieillard est intelligent et sait rebondir sur des propos. Image loin du « sauvage » : image d’un personnage qui raisonne fort bien.

- Structure du dialogue : reprise sur la mort (« mort », mot de la même famille que le verbe « mourir » l. 18). La conjonction de conséquence « donc » marque encore une fois que le vieillard sait bien articuler des arguments.

- « le bien » : références aux richesses accumulées citées précédemment dans le texte.

* Lignes 23-24 :

- Réponse de Léry, plus courte que celles données précédemment : le vieillard a désormais plus la parole. Noter que la phrase est même incomplète puisqu’il n’y a pas de proposition principale (tout le bien qu’il laisse est…), ce qui raccourcit d’autant la phrase. Il est assez logique aussi que Léry ne s’attarde pas sur une information que ses lecteurs (donc européens) connaissent.

- Phrase strictement informative à destination du vieillard. Léry dialogue vraiment, répond au vieillard, lui explique dans le détail (il envisage deux possibilités, de filiation directe, ou indirecte, le passage de l’un à l’autre étant souligné par « et à défaut d’iceux », où conjonction de coordination « et » = connecteur logique d’addition, et « iceux » = pronom de reprise de « enfants »).

* Lignes 25-27 :

- Proposition incise + parenthèse : focalisation sur le locuteur, le vieillard, par le verbe de parole « dire » qui montre que Léry lui laisse la parole dans cette 2ème partie d’extrait ; par le GN « mon vieillard » où le déterminant possessif indique une forme d’amitié, de bienveillance de Léry à l’égard de cet Indien ; par l’indication ajoutée dans la parenthèse, qui est un commentaire du narrateur principal au milieu des paroles de l’Indien.

- Interpellation directe des lecteurs par l’emploi de la 2ème personne du pluriel dans la parenthèse → volonté d’impliquer le lecteur au moment où le vieillard commence à livrer sa manière d’envisager le mode de vie des Européens + manière de renverser le regard de l’époque sur les populations nouvellement rencontrées, qui étaient considérées comme inférieures aux Européens : « nullement lourdaud » (comprendre lourd d’esprit). L’adverbe « nullement » nie en bloc, nettement, cette idée d’un manque d’intelligence de l’Indien. Léry souhaite, avant même qu’on lise la suite, le raisonnement de l’Indien, influencer justement la lecture des explications de l’Indien, faire en sorte que le lecteur pense d’emblée que ce qu’il va lire est intelligent. C’est peut-être aussi une manière de contrer la réaction de certains lecteurs qui, en découvrant un regard décalé sur leurs propres mœurs, rejetterait d’emblée cette manière de voir.

Donc mise en valeur de l’Indien, et donc de ses congénères et de leur culture, de leur manière de voir le monde : on ne dit pas qu’il est différent des autres Indiens, si ce n’est que son grand âge invite à penser à une forme de sagesse.

- Jeu de pronoms personnels, proches l’un de l’autre, qui montre bien la rencontre des cultures, des peuples, et la confrontation des regards : « je », « vous autres Mairs ».

- Reprise du terme indien pour désigner les Français (« Mairs ») : toujours cette volonté de faire vrai, de donner une authenticité aux propos de l’Indien, qui sont ici traduits en français pour que les lecteurs les comprennent. Volonté de donner une couleur locale à ses propos.

- Interpellation directe des Français dans leur ensemble par le vieillard : généralisation par le pluriel « Mairs » / « Français ». Provocation dans l’interpellation par le nom « fols », accentué par l’adjectif « grands » : les lecteurs français ne peuvent que réagir. C’est une manière de montrer l’opposition des points de vue, mais aussi de renverser le regard (les Européens déconsidèrent souvent les Indiens). Cela incite aussi peut-être à lire la suite, les deux points indiquant qu’il ne va pas s’arrêter à ce jugement de valeur mais qu’il va s’expliquer.

Noter que la folie renvoie à l’absence de raison, alors que les Européens de l’époque estimaient en avoir plus que les Indiens.

* Lignes 27-29 :

- 1ère question du vieillard = suite de l’interpellation, qui s’adresse tout autant à Léry qu’à tous les Français, comme nous l’avons vu ci-dessus.

- « car » : conjonction de coordination exprimant la cause, qui suit ce que les deux points suggéraient : il va s’expliquer sur sa qualification de « fols » des Français.

- Question en deux parties. La première insiste sur la pénibilité, les efforts nécessaires aux Français pour exploiter le bois de Brésil (l’adverbe « tant » renforce le verbe « travailler », qui suggère souvent une pénibilité voire une souffrance : à l’origine, en latin, le mot renvoie à un instrument de torture ; le verbe « endurez », à la 2ème personne du singulier, double, précise les souffrances des Français que le vieillard observe, verbe qui est complété par un COD comportant un nom au pluriel qui généralise les souffrances, « maux », lui-même de nouveau renforcé par l’adverbe « tant » qui suggère une multiplicité de souffrances, de douleurs. Le verbe « falloir » qui débute cette partie de phrase, sous forme interrogative, que l’inversion sujet-verbe souligne (« vous faut-il »), montre que cette obligation que les Français subissent n’en est pas une, et, par la présence du pronom « vous », est une obligation que les Français se donnent à eux-mêmes, qui ne leur est pas imposée par une puissance supérieure.

La deuxième partie est une proposition circonstancielle de but, qui explique selon lui la raison des souffrances que les Français s’infligent (« pour amasser ») ; le GN « des richesses » s’oppose ainsi aux « maux » de la première partie de la phrase : il vise à montrer que toutes ses souffrances n’en valent pas la peine puisqu’elles ne servent qu’à s’enrichir. 

- Rappel de la distance géographique qui sépare les deux peuples : récit de voyage, rencontre entre des cultures différentes : « passer la mer » (verbe de mouvement) ; « arrivés par deça » (verbe de mouvement + indication spatiale).

- Notons que la phrase est longue (ligne 25 à 29) : qualités de rhétoriqueurs du vieillard. Capacité à s’exprimer = capacité à développer une réflexion rationnelle, nuancée. Donc vision positive du vieillard, comme un être sensé, qui peut nous en apprendre sur la vie.

- « à vos enfants ou à ceux qui survivent après vous » : le vieillard a bien écouté et compris les propos de Léry qu’il reprend (l. 23-24), preuve de son intelligence d’abord, et de sa volonté de dialoguer, d’échanger ensuite (il est attentif à ce que Léry lui dit). Il a transformé la 2ème partie de la phrase de Léry (« à ses frères, sœurs et plus prochains parents » « à ceux qui survivent après vous ») : il oriente la conversation afin de préparer sa réponse (les Indiens n’amassent pas de richesses pour les générations qui suivent), preuve encore de sa capacité à raisonner mais aussi à organiser son discours (il manie bien l’art de la parole).

* Lignes 29-30 :

- Phrase interrogative qui, encore une fois, remet en question les coutumes européennes, montre qu’elles ne sont pas universelles, ne sont pas une vérité communément admise (cf. relativisme sous-jacent au texte de Léry). L’interro-négative est encore une fois utilisée par le vieillard, qui permet de suggérer une réponse dans la question même (oui, la terre est suffisante pour nourrir tout le monde au fil des générations).

- Vision d’une culture restée proche de la nature, en évoquant « la terre » personnifiée qui nourrit les êtres humains. Elle est sujet actif du verbe « nourrir » = c’est elle qui agit sur les êtres humains. Le passé composé (« a nourris ») souligne que la terre a effectivement permis à une génération de survivre, c’est une vérité admise, un état de fait. Cela permet encore de souligner qu’il y a peu de risques qu’il n’en soit pas de même pour les générations qui suivront.

* Lignes 30-32 :

- « nous » (pronom personnel 1ère personne), très répété, s’oppose aux pronoms « les » (l. 29, pronom 3ème personne) ou « vous » (l. 26, 27, 28, pronom 2ème personne), manière de rappeler le face à face permanent des deux cultures dans le texte, non pour en mettre en place un affrontement, mais pour les comparer, les regarder en miroir l’une de l’autre.

- Reprise de plusieurs termes appliqués d’abord aux Européens, et ici aux Indiens, afin de montrer la comparaison, de souligner que tous les êtres humains sont soumis aux mêmes règles de fonctionnement (« des parents et des enfants », cf. mots des lignes 23-24 ; « après notre mort », cf. l. 22 ; « la terre » + emploi du verbe « nourrir », cf. l. 29). C’est aussi (voir plus loin ci-dessous) une manière de contre-argumenter de manière subtile : il renverse les arguments des Européens pour montrer que leur mode de vie est plus intelligent.

- « comme tu vois » : échange de regards dans le texte. Cela montre aussi que Léry est un observateur, qu’il témoigne dans son texte de ce qu’il a vu : principe de réalité de ce qu’il rapporte ici (le dialogue, cette rencontre, sont réels, ont eu lieu ; témoignage direct). Principe pour convaincre : faire en sorte que l’interlocuteur puisse de lui-même vérifier la réalité de l’argumentation développée : le vieillard est un fin rhétoriqueur.

Dialogue aussi entre les deux personnages qui ont du respect l’un pour l’autre, sont à égalité (« tu » : proximité, interpellation de l’autre).

- « nous aimons et chérissons » : deux verbes de même sens, qui insistent sur l’amour familial, pour préparer ce qu’il va annoncer dans la phrase suivante (il prévient une éventuelle réponse de Léry qui pourrait lui rétorquer qu’ils sont égoïstes, ne s’aiment pas les uns les autres). De plus, on voit encore que les Indiens sont comme les Européens : l’amour filial existe chez eux aussi. Léry veut contrecarrer l’idée que les Indiens sont des êtres à part, très différents des Européens. Il insiste sur ce qui les rapproche les peuples.

- Opposition à ce qui précède mis en avant ligne 31, par le point-virgule qui crée une pause dans la phrase, et par la conjonction de coordination « mais ». Mise en avant de la proposition subordonnée circonstancielle de cause (introduite par la conjonction « parce que »), placée avant la proposition principale (« nous nous reposons sur cela ») → montre encore une fois que le vieillard sait expliquer, articuler des idées ; montre que les Indiens, s’ils refusent d’amasser des richesses, ne sont pas non plus des oisifs insouciants (« nous nous assurons » : verbe à la voix active, qui implique toute la communauté des Indiens, exprimant une forme de certitude et de vérité, mais aussi d’effort de leur part.

- Effort de respecter la terre pour qu’elle nourrisse aussi leurs descendants. Donc manière de montrer qu’eux aussi pensent au futur (usage du verbe au futur simple « les nourrira », avec mise en parallèle avec « nous a nourris », donc parallèle entre ce dont peuvent profiter ceux qui vivent = se nourrir grâce à la terre, et ce qui existera pour nourrir les générations futures). Le vieillard sait contre-argumenter : au raisonnement européen qui implique que s’enrichir vise à aider les générations suivantes, le vieillard répond donc que respecter la nature (= retour au début du texte : ne pas couper autant d’arbres) est le meilleur gage d’aide aux générations qui suivent.

- « sans nous en soucier plus avant » : proposition infinitive introduite par la préposition de sens négatif « sans », qui met en avant le fait que les Indiens ne veulent pas s’angoisser, être dans des préoccupations continuelles.

* Lignes 33-34 :

- Conclusion de tout ce passage, sans commentaire supplémentaire : « voilà », « le discours ».

- Volonté de Léry d’authentifier tout ce dialogue, de prouver qu’il s’est vraiment produit : Léry veut contrebalancer certaines opinions  de son époque selon lesquelles les Indiens seraient des animaux plus que des êtres humains (voir la Controverse de Valladolid). Donc il faut que la parole du vieillard soit réelle, et non versée dans une fiction qui la discréditerait aux yeux des lecteurs français du XVIè siècle. D’où « au vrai » + « que j’ai ouï » (témoignage direct) + « de la propre bouche ».

- Fin du texte sur la mise en valeur des qualités de discoureur du vieillard (« discours » = parole longue et organisée, reflet d’une pensée ; « bouche »).

- « pauvre sauvage américain » : rappel de la différence géographique et culturelle par le nom et le 2ème adjectif qualificatif. Pathétique par l’adjectif « pauvre » = volonté de faire regarder les Indiens en prenant en compte leurs souffrances (et celles de leur contrée) pendant la colonisation.