lundi 27 janvier 2020

La peinture orientaliste : un regard occidental


La peinture orientaliste montre à voir des scènes de paysages issus de l'Afrique du nord ou du Proche-Orient. Elle montre au XIXè siècle que le regard des Lumières (comme Montesquieu dans ses Lettres persanes) sur ces contrées est d'abord celui d'occidentaux.

A lire et à voir ici :









Sujets de dissertation sur le personnage de roman


Afin d'approfondir votre réflexion sur le personnage de roman, voici quelques sujets de dissertation, qui pourraient être tout à fait rattachés au roman de La Princesse de Clèves, même s'ils datent de plusieurs années et font donc référence à des œuvres diverses, comme cela était possible avec les épreuves du baccalauréat précédentes. 









Lecture analytique linéaire : le discours de Vautrin à Rastignac



Introduction :

Le Père Goriot met en scène le personnage éponyme à la pension Vauquer. Il s’est enrichi et est parvenu à marier ses filles à des représentants de la riche aristocratie parisienne. Mais les besoins matériels de ses filles sont immenses et elles finiront par le ruiner. Dans la même pension que le Père Goriot loge un jeune homme arrivé de province sans le sou, et qui ambitionne de s’intégrer à ce même milieu de la haute aristocratie. Les parcours des deux personnages se croisent et se répondent : Goriot connaît la déchéance provisoire quand Rastignac reste ambitieux.

 

Plan de l’extrait :

1ère phrase introductrice : constat que Rastignac doit faire un choix de vie. Vautrin va l’aider à faire ce choix.

Mais il va progressivement fermer toutes les portes des possibilités qui s’offrent à Rastignac pour ne plus en garder qu’une.

 

1) Rappel des faits passés par Vautrin

a) Décision de Rastignac de « parvenir »

b) Emprunt d’argent aux sœurs de Rastignac. Mais solution à court terme car l’argent va être vite dépensé

 

2) Projection vers l’avenir de Rastignac

a) Le travail. Mais cela ne rapporte pas d’argent ou si peu

b) S’enrichir rapidement. Mais pas facile car beaucoup de jeunes gens le souhaitent et peu de places. Deux possibilités :

- Être génial

- Être corrompu, solution mise en avant par Vautrin.

 

Axes d’étude dans tout l’extrait :

- Vautrin est un habile orateur, qui use de stratégies argumentatives de qualité pour convaincre Rastignac, s’imposer à lui en créant une forme de connivence entre eux deux. Le but de Vautrin est aussi de pousser Rastignac à agir dans la société dans le sens qu’il souhaite. Il montre aussi

- Vautrin donne une piètre image de la société de son temps, et offre une vision violente (volontariste) de la réussite sociale. Vautrin propose une vision peu morale des rapports entre individus dans la société. Vautrin montre une forme d’obsession pour l’argent, signe de la réussite sociale.

 

Problématiques possibles :

* En quoi Vautrin cherche-t-il à imposer à Rastignac un mode de réussite social violent ?

* Comment, par un discours aux stratégies argumentatives habiles, Vautrin démontre-t-il à Rastignac qu’il n’y a qu’une solution pour réussir à Paris ?

* Comment Vautrin assoit-il son autorité sur Rastignac en lui proposant un modèle d’enrichissement basé sur la corruption ? 

 

Étude linéaire :

* 1ère phrase : lancement de son discours avec annonce partielle de l’objectif de celui-ci (pousser Rastignac à prendre une décision) :

- emploi d’un présentatif (« voilà »), suivi d’un GN avec une métaphore« le carrefour de la vie ») : le carrefour est le lieu où plusieurs routes s’offrent à soi, et il faut choisir ; chemin de la vie.

- emploi d’un verbe d’action en fin de phrase (« choisissez »), pour montrer que les paroles qui vont suivre devront être suivies d’actes de la part de Rastignac ; impératif = autorité de Vautrin sur Rastignac, que l’apostrophe « jeune homme » renforce (Vautrin se présente comme un homme plus âge, plus mûr, plus expérimenté, qui peut le conseiller.

 

1) Rappel des faits passés par Vautrin (l. 1 à 8)

a) Rappel de la décision de Rastignac de « parvenir » (l. 1-5 « Vous avez déjà choisi… qui me va ») :

 

* Retour en arrière opéré par Vautrin, pour montrer que Rastignac a déjà agi, fait des choix vers le destin que Vautrin va lui proposer, comme si Vautrin ne faisait que suivre ce que Rastignac a déjà inauguré :

- emploi du passé composé (« vous avez choisi » ; « vous êtes allé » X2 ; « vous avez flairé » X2 ; « vous êtes revenu » l. 1-4) = retour en arrière.

- Les deux points (l. 1) annoncent une  explication sur le choix opéré par Rastignac.

- répétition du verbe d’action« choisir » (« choisissez » ; « vous avez déjà choisi ») : insistance, montrant que Rastignac a déjà avancé.

- les verbes « aller » et « flairer » (l. 1-4) sont aussi des verbes d’action, et leur répétition montreencore le volontarisme de Rastignac, que Vautrin tient à faire constater.

 

* Vers où Rastignac a-t-il déjà avancé ? Vers l’argent, le luxe, que Rastignac souhaite :

- deux personnages sont cités (Mme de Bauséant, Mmme de Restaud), qui représentent la noblesse aisée du pays, donc la richesse. La désignation « la Parisienne » rappelle aussi le luxe implicitementpuisque c’est à Paris que l’on trouve les plus grandes fortunes du pays et que les mondanités de la noblesse sont les visibles, développées (sorties, réceptions, …).

- vocabulaire de Vautrin assez percutant, par son caractère un peu familier : « flairé » (l. 2 & 3). Rapport au sens de l’odorat, comparaison peut-être implicite à un animal qui renifle et est attiré, instinctivement. Volonté de posséder, qui renvoie au désir de Rastignac de s’enrichir, de vivre dans ce monde de la haute aristocratie parisienne. Noter le nom « luxe » (l. 2) est placé en fin de phrase, comme le but à atteindre par Rastignac, déjà mis ici en valeur.

- la répétition, en italique, donc bien en évidence, du verbe « parvenir » (l. 4), à la fin de cette première étape du retour en arrière, souligne la décision prise par Rastignac : s’élever dans la société, s’insérer dans la haute aristocratie du pays, donc s’extraire de son milieu modeste. Le mot a en effet un sens d’élévation sociale. A noter aussi le radical de ce verbe, « venir », verbe de mouvement, qui montre bien que Rastignac ne souhaite pas rester dans sa condition actuelle. Le mot fait aussi écho aux passages chez les deux aristocrates, exprimés par des verbes de mouvement (« allé »).   

 

* Une prise de décision soudaine par Rastignac, repérée par Vautrin : « parvenir » :

- « ce jour-là » (l. 3) : insistance sur le fait que la première décision de Rastignac a été soudaine, et qu’elle est bien la conséquence du passage chez les deux femmes, rappelé dans la phrase précédente (cf. déterminant démonstratif « ce »).

- verbe de mouvement inverse du verbe « aller » (« vous êtes allé ») utilisé dans les phrases précédentes (« vous êtes revenu » l. 3-4) :cet écho souligne quel’idée de « parvenir » est la conséquence de ce qui a précédé.

- métaphore encore ici : « un mot écrit sur votre front » (l. 4). Cela souligne que Rastignac est décidé, que cela se voit sur son visage. Mais c’est également comme si c’était définitif (les écrits restent, surtout s’ils sont bien visibles sur le visage).

- citation (d’où les italiques) de ce « mot » par Vautrin : « Parvenir ! Parvenir à tout prix » (l. 4) : il lit à livre ouvert dans Rastignac, parle comme à sa place. Cela va justifier aussi le fait que, l’ayant bien compris, il peut le conseiller au mieux sur la suite des choix à opérer pour réussir dans ce monde luxueux.

- « prix » (l. 4) : rappel qu’il est question d’argent, mais aussi que si tous les moyens sont permis, l’honnêteté ne sera pas respectée forcément (annonce de la fin de notre extrait).

 

* Vautrin, très volontariste aussi, crée ainsi une sorte de connivence avec son interlocuteur (pour le convaincre plus facilement, l’amadouer) :

- emploi du déterminant possessif « notre » + nom indiquant une parenté (« cousine »).

- connivence encore par le rappel du lien familial avec un résident de la pension Vauquer où Vautrin et Rastignac résident : « la fille du père Goriot ».

- noter la répétition dans toutes les phrases du texte du pronom personnel « vous » : Vautrin semble être très préoccupé par le sort de Rastignac, il parle même à sa place, il le comprend comme si c’était lui. Mais c’est aussi une forme d’usurpation d’autorité : Rastignac doit suivre ce que Vautrin lui dit.

- autre moyen de créer de la connivence : il approuve, félicite même (« bravo ! » l. 5). Noter le point d’exclamation qui renforce les félicitations.

- « qui me va » (l. 5) = qui me convient = sentiment positif de Vautrin vis-à-vis de Rastignac = connivence ainsi soulignée.

 

* Vautrin impose déjà son autorité, sa parole argumentée :

- il emploie la 1ère personne du singulier (deux mots dans une courte phrase, de plus : « je », « me » l. 5), qui tranche avec la deuxième personne utilisée dans tout le reste du texte : cela montre que Vautrin, s’il laisse croire qu’il met Rastignac en avant, reste maître du jeu, de sa parole, de son argumentation. Marque aussi de l’autorité qu’il détient sur le jeune homme.

- Vautrin se cite lui-même (proposition incise « ai-je dit »), comme dans un dialogue à la phrase citée en italique précédente, qui se présentait comme une citation de Rastignac. Vautrin fait mine de dialoguer, d’échanger avec Rastignac mais il impose en fait ses vues.

- noter le langage encore un peu familier de Vautrin (« gaillard »), signe de son appartenance à un milieu populaire, mais aussi manière d’affirmer encore plus ses idées (la vulgarité donne une force, mais aussi révèle parfois une forme de violence du personnage qui tient les propos).

 

b) Rappel du 1er moyen employé par Rastignac pour « parvenir » : l’emprunt à ses sœurs (l. 5-8 « Il vous a fallu… maraude ») :

* Vautrin poursuit son retour en arrière (emploi du passé composé encore ici : « a fallu » l. 5 ; « avez saigné » l. 6 ; emploi du participe passé « arrachés » l. 7), avance dans le temps, après la décision de Rastignac de percer le monde de l’aristocratie parisienne.

 

* La question de l’argent revient de manière précise et pressante :

- formule impersonnelle (« il vous a fallu » l.5) pour montrer que la décision de Rastignac impose le besoin d’argent, que Rastignac n’a pas d’autres solutions que de s’en procurer. Le verbe « falloir » montre aussi cette obligation qui s’impose à Rastignac, comme la succession du sujet « il » et du pronom personnel complément « vous ».

-  l’apparition du mot « argent » (l. 5) renvoie aussi au but que Rastignac s’est assigné : parvenir signifie acquérir un niveau de vie possible grâce à des moyens financiers conséquents.

- rappel de la somme (« vos quinze cents francs » l. 6-7) : écho au nom « argent », sujet de ce texte : critique d’une société française et/ou parisienne dédiée au fait d’amasser de l’argent.

- autre référence à l’argent : « pièces de cent sous » (l. 7-8). Comparaison par le biais du comparatif de supériorité « plus… que » (l. 7) entre des châtaignes, fruits de l’hiver, qui ne valent pas grand-chose, et poussent facilement, sans soin, et l’argent →mépris de Vautrin pour le territoire d’origine de Rastignac, qui est ainsi considéré comme très pauvre, et donc inintéressant puisqu’on ne peut s’y enrichir. C’est aussi une manière de mettre en valeur le milieu social auquel Rastignac aspire, celui de la très grande richesse, et donc de montrer que Rastignac ne peut songer retourner dans ce pays. 

 

 

 

* Vautrin continue à se montrer bon discoureur :

- question rhétorique (« où en prendre ? » l. 5) : cela rythme les propos de Vautrin, relance l’intérêt du jeune homme, mais aussi de nous lecteurs. Par ailleurs c’est comme une étape de la réflexion menée par Vautrin. Vautrin se met à la place de Rastignac encore une fois, parlant à sa place, posant la question qu’il a dû se poser.

- suite du lexique familier de Vautrin (« filer » ; « maraude » l. 8) = emploi d’une comparaison : Vautrin use d’un discours très expressif, qui doit frapper l’esprit de Rastignac et des lecteurs du roman.

 

* Autre stratégie argumentative : Vautrin souligne que Rastignac a fait usage de violence vis-à-vis de sa famille :

- le verbe « prendre » (l. 5) laisse penser que ce n’est pas un emprunt, que l’argent a été comme arraché. Cela renvoie en partie à l’expression « à tout prix » : Vautrin va suggérer à Rastignac qu’il s’est déjà laissé aller à la malhonnêteté (préparation de la fin de son raisonnement, qui sera d’autant plus facilement acceptée que Rastignac est déjà sur cette pente, selon Vautrin).

- le verbe « saigner » (l. 6) fait référence au sang, au meurtre, à la mort. Il est normalement utilisé pour des animaux : dévalorisation des sœurs. Notons le contraste entre ce verbe violent, et le possessif familial « vos sœurs » (l. 6) : Le lecteur ne peut qu’être choqué. Pour Vautrin, cela permet de remuer aussi Rastignac, mais surtout de lui montrer qu’il s’est déjà montré malhonnête, et vis-à-vis de membres de sa famille de plus.

- phrase qui vise à minimiser l’acte précédent de Rastignac, par le présent de vérité générale (« flouent » l. 6), et les pluriels à valeur universelle (« tous les frères » ; « leurs sœurs »). Le verbe « flouer » renvoie au vol, donc encore à un acte malhonnête.

- le verbe « arrachés » (l. 7) fait écho au verbe « saigner » par sa violence dans les rapports humains qu’il suggère. L’argent suscite des convoitises qui créent des violences y compris au sein des familles : autre critique par Balzac de la société de son époque.

- exclamation de Vautrin (« Dieu sait comme ! » l. 7), qui s’étonne de la capacité de Rastignac à rassembler une telle somme. Référence à Dieu, mais uniquement dans une forme d’interjection, car ce que Rastignac a fait est bien peu moral : ironique ?

- violence encore rappelée par la référence aux soldats (« comme des soldats à la maraude » l. 8) : par leur identité (leur fonction est de tuer, de se battre) ; par leur action (à la maraude = en train de chercher à voler, notamment des fruits et légumes dans les campagnes). Encore une référence à la malhonnêteté : Vautrin tente d’installer cet état de fait comme quelque chose d’habituel, pour préparer la suite de ses propos ; il montre aussi ce qu’il est (un voleur, un bandit) ; l’argent est ainsi aux actes délictueux, il va servir à s’insérer dans le milieu de l’aristocratie parisienne, d’une manière pas forcément très réglementaire.

 

*Noter que le verbe « vont » (l. 8) est au présent et exprime un futur proche : le retour en arrière est fini.

 

2) Projection vers l’avenir de Rastignac :

* Transition entre les deux étapes de son discours :

- « Après » (l. 8) : connecteur temporel, pour passer du passé (et présent) à l’avenir que Vautrin va proposer à Rastignac, manière de montrer qu’il a l’ascendant sur lui, qu’il est comme détenteur d’un savoir qu’il offre à Rastignac. Verbe au futur de l’indicatif : « ferez ».

- phrase interrogative ligne 8, pour marquer l’étape de ce passage (rupture avec les phrases déclaratives qui dominent dans le passage), et pour interpeller Rastignac, le pousser à réfléchir : mais comme Vautrin va répondre, il va orienter la réflexion du jeune homme dans le sens qu’il souhaite.

- Emploi du verbe « faire » (l. 8) : le projet est toujours d’agir.

 

 

 

 

a) 1ère solution pour « parvenir » et s’enrichir : le travail :

* Vautrin évacue cette solution par divers arguments :

- 2ème question (« vous travaillerez ? » l. 8-9) = une solution émise par Vautrin, très courte, comme si elle était destinée d’emblée à être évacuée. La phrase qui concerne le travail est courte (l. 9-10), ce qui montre encore que ce ne peut être une solution à envisager par Rastignac : pas besoin d’argumenter longtemps pour montrer que c’est une mauvaise solution.

- La réponse donnée par Vautrin (il souligne qu’il y répond en reprenant un mot de la même famille que le verbe « travailler » : « le travail ») est sans appel : le verbe au présent de vérité générale (« donne » l. 9) indique que c’est bien une vérité sociale : la seule récompense attendue si on travaille est « un appartement » (l. 10), ce qui semble maigre.

- la modestie de la récompense du travail est encore soulignée par l’insertion du complément circonstanciel de temps « dans les vieux jours » (l. 9-10), qui laisse imaginer une vie de dur labeur, et qui contraste encore avec ce qui arrive juste après, le COD « un appartement ».

- le complément circonstanciel de lieu « chez maman Vauquer » (l. 10) est aussi important, car la pension Vauquer abrite de très modestes, voire sordides logements (vieux, sales). Le gain espéré par le travail n’est même pas un appartement décent. 

- dernier coup de massue, en quelque sorte : « à des gars de la force de Poiret » (l 10) : seuls ceux qui ont la force de caractère de Poiret, un des pensionnaires de la maison Vauquer, peuvent réussir à obtenir ce type de logement. Sous-entendu : Rastignac ne peut espérer autant en travaillant.

 

Conclusion de ces arguments : le travail n’est pas la bonne solution pour s’enrichir.

 

*Encore une fois, Vautrin se montre habile dans son argumentation :

- L’appartement chez « maman Vauquer » est un exemple, ce que la référence au personnage de Poiret confirme. Par cette illustration concrète, Vautrin veut se faire bien comprendre de Rastignac, et frapper son esprit, car Poiret vit modestement (la pension Vauquer est modeste, immonde, décrépite).

- Vautrin se montre aussi ironique et moqueur envers toute la médiocrité de Poiret, et donc de l’avenir promis à ceux qui tentent de s’enrichir en travaillant : travailler = faire des efforts, se fatiguer.

Donc Vautrin fait comprendre que le travail n’est pas une option acceptable pour le jeune homme, il élimine cette possibilité pour « parvenir ».

- répétition du verbe « comprendre » (« comme vous le comprenez » l. 9) : Vautrin se met à la place de Rastignac par la comparaison, où Rastignac est nommé (« vous ») et sujet du verbe (« vous comprenez ») ; et il donne une définition du « travail ». Vautrin détient un savoir, qu’il donne à Rastignac. C’est aussi une manière de s’imposer à Rastignac, de montrer une forme de supériorité sur lui.

- opposition entre le CC de temps « en ce moment » et le CC de temps « dans les vieux jours » : Vautrin projette Rastignac dans un avenir lointain. Tel un mage, il peut prédire l’avenir. Cette opposition souligne que Rastignac se trompe, ce que l’affirmation de Vautrin confirme.

 

b) 2èmes solutions pour « parvenir » et s’enrichir cette fois rapidement :

* « Une rapide fortune » (l. 10-11) est placé en tête de phrase, bien en évidence, et contraste fortement avec la médiocrité dont il était question dans la phrase précédente (lenteur de l’enrichissement, et modestie des résultats). Vautrin fait miroiter un autre avenir à Rastignac.

Vautrin avance par étapes bien ordonnées : il va poser le problème, puis proposer deux solutions (faire preuve de génie ou être corrompu), pour finalement montrer qu’une seule (la corruption) d’entre elles est efficace pour réussir. Cela démontre aussi la finesse de son argumentation pour convaincre Rastignac.

 

* Vautrin pose les données du problème et insiste sur la difficulté pour Rastignac de « parvenir » :

- termes mathématiques : « problème », « résoudre », « cinquante mille », « nombre » (l. 11 & 12). Le projet de Rastignac est résumé comme un problème mathématique, scientifique. Cela montre que c’est possible, mais aussi sans doute que ce peut être difficile.

- et effectivement, Rastignac se trouve mis à égalité avec un grand nombre de jeunes (50 000) : « cinquante mille jeunes » (l. 11) à « votre position » (l. 12) : opposition entre les deux termes, égalité-comparaison de Rastignac à ces 50 000 jeunes gens = petitesse de Rastignac, donc manque de chances d’y parvenir. Et Vautrin insiste dans la phrase suivante en opposant encore le jeune Rastignac et le groupe immense des jeunes qui souhaitent « parvenir » : « une unité » est opposée à « ce nombre-là » (l. 12) (50 000 = nombre très élevé).

- deux termes se renforcent l’un l’autre et évoquent la difficulté et la fatigue, le travail en quelque sorte : « efforts » ; « acharnement » (l. 13).

 

* Vautrin clôture ensuite son raisonnement, le referme vers la solution unique pour « parvenir » :

- le terme « chemin » (l. 15) fait écho au carrefour du début de l’extrait : métaphore du chemin de la vie. Et l’emploi du verbe « fait » (l. 15), avant « son chemin », montre bien que rien n’est acquis en soi, qu’il faut travailler pour se construire un avenir confortable. 

- Restent deux solutions : opposition entre les deux compléments d’agent  « génie » et « corruption » (l. 15). Le génie suppose des talents personnels qu’on met en valeur, quand la corruption suppose seulement la capacité à tromper, à utiliser les autres à son profit. Le premier terme est mélioratif, et le deuxième est péjoratif, supposant un jugement de valeur moral dépréciatif.

- Vautrin écarte le génie comme une solution efficace, viable : la dernière phrase (« l’honnêteté ne sert à rien » l. 17), courte, apparaît comme une vérité définitive, à laquelle on ne peut s’opposer, par le présent de vérité générale (« sert »), l’article défini placé devant un trait de caractère (« l’honnêteté »), le pronom indéfini « rien », comme une sorte d’hyperbole, sans exceptions possibles.

- il ne reste que la corruption, ce que suggère l’avant-dernière phrase de l’extrait (« Il faut entrer… peste » l. 16-17). Le choix de la peste est éloquent : maladie (donc très péjoratif), qui détruit, tue, très contagieuse (donc le lexique militaire, qui suggère déjà la mort, est renforcé ici). Violence de la méthode préconisée par Vautrin, puisqu’il faut se montrer le plus fort, détruire autour de soi pour s’imposer.

Vautrin montre clairement qu’il a choisi une forme d’immoralité pour réussir, et qu’il suggère à Rastignac de faire de même. Vision sociale très négative : cela signifie que Balzac observe que la société de son époque fonctionne ainsi. La violence du discours de Vautrin dénonce quelque part cette manière de faire, de réussir, de s’en sortir.

- on peut noter que la solution de la corruption, de la malhonnêteté, seule possible selon Vautrin, est énoncée dès la ligne 13, ce qui élimine d’emblée l’autre solution, qui ne sera énoncée qu’à la ligne 15 (« génie »), pour être de nouveau écartée par le retour du lexique violent. 

 

* Vautrin souligne donc que pour « parvenir », il s’agit de se battre violemment :

- Rastignac est comme à la ligne 8 assimilé à un combattant sur un champ de bataille : champ lexical militaire (« position » ; « unité » ; « combat » l. 12-13) ; même le nombre de jeunes gens (50 000) fait penser à une armée.

- cette image militaire, de combat, se poursuit avec la comparaison concrète et donc très frappante de la phrase suivante des araignées dans un pot : animalisation des jeunes gens, cannibalisation (« manger » l. 13). Le groupe nominal « bonnes places » (l. 14) propose une vision de la société où il y a des endroits, des milieux où l’on vit bien. Vautrin souligne que ceux qui y accèdent ne sont pas les plus méritants d’une forme de justice sociale, ceux que l’on récompenserait pour leurs mérites réels. Il s’agit plutôt de la loi de la jungle (d’où l’image des araignées), de la loi du plus fort.

- plus loin, aux lignes 16-17, on retrouve un lexique militaire & violent : « masse d’hommes » ; « boulet de canon » (l. 16) à comparaisons encore une fois : manière de Vautrin de s’exprimer très concrète, visuelle, frappante. C’est aussi ainsi une manière de convaincre son interlocuteur (voir ci-dessous).

 

* Vautrin est un fin rhétoriqueur qui impose encore une fois sa manière de voir la situation à Rastignac :

- interpellation directe de Rastignac par un verbe à l’impératif placé en tête de phrase : « jugez » (l. 12). Vautrin s’impose à Rastignac, par l’usage de cet impératif et par ce verbe qui se réfère à la réflexion personnelle : appel à la pensée rationnelle de son interlocuteur.

- Vautrin articule très bien son discours, est clairement dans un discours très argumenté : connecteur logique de cause « attendu que » (l. 14).

- Ligne 15 : encore une phrase interrogative (question rhétorique), pour interpeller à la fois Rastignac et le lecteur du roman. Comme pour le verbe « comprendre » plus haut, Vautrin met en valeur ses connaissances, qu’il souligne ici par le verbe « savoir » (« savez-vous » l. 15). Le mot interrogatif « comment » montre aussi que Vautrin peut expliquer, a compris ce que d’autres n’ont pas compris. Le fait qu’il réponde immédiatement, de manière assez courte, incisive, sans reprendre grammaticalement les mots de la question, affiche encore son savoir (« par… » l. 15).

- « il faut » (l. 16) : usage du verbe « falloir », formule impersonnelle, présent de vérité générale : cela exprime la certitude de Vautrin, sûr de lui, de son savoir, le fait qu’il conseille Rastignac.

 

Conclusion :

* Par le discours de Vautrin, Balzac offre un portrait du Paris du XIXè siècle peu flatteur, où le luxe côtoie la misère, où ceux qui sont très aisés sont corrompus, où ce n’est pas l’intelligence qui permet d’accéder aux hautes sphères sociales, mais la violence. La fiction permet, par ce personnage de bandit, de révéler la réalité sociale.

* Vautrin offre ici une vision cruelle, personnelle (parcours associé : individu), de la réussite sociale, mais qui en fait, suit les règles collectives du milieu qu’il évoque (parcours associé : société). Et sa « morale », même si elle peut apparaître immorale, est bien celle de la morale de l’époque, au sens des règles admises collectivement comme régissant ce milieu social de l’aristocratie parisienne, et donc de l’élite dirigeante de la France monarchique post-napoléonienne.

* Rastignac finira, à la fin du roman, par suivre les conseils de Vautrin, en lançant son fameux « A nous deux maintenant ! » et en se rendant chez Mme de Nucingen, qui appartient à la haute aristocratie parisienne.

lundi 13 janvier 2020

Lecture analytique linéaire : l'aveu de la Princesse de Clèves


Plan du texte :
Passage en 3 moments :
1) l’aveu de la princesse, au discours direct (moment dramatique traité sur le mode théâtral)
2) reprise de la narration avec description des gestes de monsieur de Clèves « pendant tout ce discours »
3) la réponse du mari au discours direct, avec effets de reprise des paroles de sa femme

Aspects majeurs du texte :

* Un moment crucial du roman, mais aussi entre les deux époux : importance de la parole qui dévoile. Ils se livrent l'un à l'autre. 

Ainsi le passage est construit comme un dialogue, et sur un parallèle de la parole entre les deux personnages (le Prince répond en miroir aux propos de la Princesse).

* Les deux personnages apparaissent comme exceptionnels aux yeux du lecteur par ce disocurs de vérité, mais aussi par la moralité et la relation à leur épouse/époux. Ils diffèrent des autres personnages du roman, des membres de la haute aristocratie à laquelle ils appartiennent à la Cour. 

* Les paroles des deux époux ont une visée explicative (se livrer), mais aussi pour la Princesse une visée argumentative : sa parole est orientée vers la volonté de convaincre son époux de sa bonne foi, de sa moralité sauve, et enfin qu'elle doit pouvoir se retirer de la Cour (lui seul peut valider ce choix puisqu'il est son époux).

* Les personnages font à la fois montre de force et de faiblesse, d'autorité et de soumission.  
 

Étude linéaire :
1) L’aveu de la Princesse :
* La singularité du passage est signalée par l’emploi de paroles rapportées au style direct (pour la Princesse et ensuite pour le Prince). Ceci donne une théâtralité au passage. De plus, dès début de son intervention, lié à la proposition incise « lui répondit-elle » : le 1er geste de la Princesse dramatise l’instant : « se jetant à ses genoux » (l. 1) = visualisation du personnage, pour le lecteur + renforcement de la douleur du personnage, pathétique pour le lecteur + soumission à son mari. Annonce claire de l’« aveu » (le mot est nommé par la Princesse l. 2), comme un projet pour cette réplique : effet d’attente de la part du lecteur (même si le lecteur connaît les actes et l’objet de la passion du personnage). Aveu mis en évidence par la proposition subordonnée relative hyperbolique « que l’on n’a jamais fait à son mari » (l. 2) + manière encore de signaler la singularité de ce qu’elle s’apprête à faire, donc de susciter l’intérêt du lecteur. Elle répète la même hyperbole pour mettre en avant ce caractère exceptionnel ligne 10 : « plus d’amitié et plus d’estime que l’on en a jamais eu ».  
* Un aveu pour se justifier et expliquer son attitude et ce qu’elle souhaite à l’avenir : elle met en avant la pureté conservée de sa vertu (elle n’a trompé son mari qu’en pensée, elle n’a pas succombé à Nemours, n’a pas fait de lui son amant). Défense de « l’innocence de [sa] conduite et de [ses] intentions » : double complément du nom renvoyant l’un aux actes, l’autre aux pensées, englobant donc tout ce qui pourrait rendre la Princesse coupable aux yeux de son époux. La phrase suivante débute par la formule impersonnelle « Il est vrai » (l. 3), annonçant une concession à son époux, marque d’une certaine subtilité de la part de la Princesse (stratégie argumentative) + nom « raisons » = valeur explicative de son attitude, raison donnée après « et que je veux éviter… » (les dangers de la cour : euphémisme pour désigner Nemours et l’amour irrépressible qu’elle lui porte). La proposition subordonnée circonstancielle de but « pour me conserver digne d’être à vous » (l. 7-8) apparaît aussi comme une justification de sa volonté de s’écarter de la cour.
* Un aveu qui oppose action et pensées (c’est un argument pour se défendre auprès de son époux) : son aveu montre qu’elle affirme n’avoir jamais succombé à celui qu’elle aime, qu’elle n’a pas agi en ce sens, mais qu’elle met l’accent sur ce qu’elle sait être sa faute : ses pensées, son penchant, ses émotions qui la poussent vers Nemours. Aux lignes 8 et 9 s’opposent « sentiments » et « actions », les 1ers étant actuels (verbe « avoir » au présent de l’indicatif), les actions sont futures (verbe « ne vous déplairai jamais »). Elle plaide aussi « l’innocence de [sa] conduite » (l. 2), mettant ainsi en avant qu’elle n’est pas tombé dans les bras de celui qu’elle aime, que cette passion en est restée au stade d’un sentiment intérieur, jamais avoué à Nemours, et jamais passé au stade de l’acte.
* Cet aveu est-il celui d’une femme forte, sûre d’elle-même, ou une marque de faiblesse de sa part, voire une impossibilité d’exercer une liberté personnelle ? Un aveu ambigu :
- « je n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse » : négation « ne plus » = sens absolu, définitif sur son passé (passé composé du verbe). Elle s’affirme fortement, et en même temps on sait que c’est faux : son émotion lors de l’accident de cheval de Nemours, sa réaction lors du vol du portrait, son plaisir à réécrire la lettre avec lui. Donc volonté de simplement convaincre son mari ? Volonté de se convaincre elle-même que tout ceci est du passé et ne reproduira plus ? Noter que le nom « faiblesse » (encadré d’une négation) fait écho au nom « force » qui clôture la phrase ligne 3.
- « si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour » : le nom « liberté » montre qu’elle met en avant le choix qu’elle veut faire, mais en même temps, c’est son mari qui décide (sujet du verbe « laisser » + proposition subordonnée circonstancielle de condition qui souligne que cette issue n’est pas certaine, car soumise à la décision de M. de Clèves). Elle est en position de pronom complément, « me », et non en position de sujet décideur.
- la disparition de sa mère la rend plus fragile : 2ème proposition subordonnée circonstancielle de condition, « si j’avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire ». Notons le verbe « aider » dont le complément est la princesse : « me », comme ci-avant ; de plus « conduire » laisse entendre qu’elle ne souhaite pas ou ne peut pas diriger elle-même son existence, qu’elle n’en a pas la force nécessaire.
Enfin, si les deux subordonnées laissent penser qu’il y a un choix, c’est faux : Mme de Chartres est décédée ; il ne reste donc que la fuite possible. Pas de choix laissé à la Princesse. Noter qu’elle répète cet éloignement de la cour : ligne 3 puis ligne 6.
- « je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge » (l. 3-4) : le verbe « vouloir » à la 1ère personne du singulier semble montrer une force personnelle, mais en même temps, ses paroles rappellent beaucoup celles de sa mère (cf. 1er extrait étudié en lecture analytique : arrivée à la cour), et le nom « cour » précède immédiatement cette partie de la phrase. Assume-t-elle vraiment ? Se cache-t-elle derrière un argumentaire qui n’est pas le sien (ce que le pluriel des « personnes » soulignerait, éloignant le propos de sa propre personne) ?
- « le parti que je prends, je le prends » : verbe d’action répété, ce qui montre sa détermination. « pour faire ce que je fais » (l. 9-10) : même procédé de répétition du verbe d’action. Même emploi de la 1ère personne du singulier pour s’affirmer.
- les trois verbes à l’impératif de la fin de la réplique (ligne 11) soulignent aussi un appel à l’aide, et donc une faiblesse de sa part. Sa seule issue est que son mari, qui a autorité sur elle (pensez à la hiérarchie dans le couple au XVIIè siècle : elle dit ligne 8 qu’elle veut être « digne d’être à [lui] », comme une forme de possession du mari sur son épouse), accepte qu’elle s’éloigne de la cour. L’appel aux sentiments du Prince (« pitié » ; « aimez », et plus haut l. 10 « amitié » = affection ; hyperbole « mille pardons » l. 8) est aussi une manière de le faire plier (dans ce cas, elle semble maîtriser son argumentation), ou la marque du désespoir où elle se trouve (signe de sa faiblesse).
* Un aveu qui est aussi une interpellation de son mari : apostrophe initiale de la réplique, par l’interjection « Eh bien », puis par « Monsieur ». Jeu des pronoms des 1ère personne du singulier et de la deuxième personne du pluriel, en début de réplique (ligne 1) puis reprise après (lignes 5, puis 7-11) : interpellation plus directe vers la fin de la réplique, par l’énumération des 3 verbes à l’impératif ligne 11 : supplication forte, appel à l’aide (il doit remplacer sa mère : reprise du verbe « conduire » utilisé à la ligne 7) ; noter que le rythme haché de cette fin de phrase (4 à 5 syllabes par groupes de mots) renforce aussi cette supplication, comme dans un souffle un peu précipité de la fin de l’aveu. Fin de la réplique sur « vous », comme pour lui passer la parole, mais aussi pour s’effacer devant lui, son autorité.
Interpellation de fin de réplique débutée par « Je vous demande » (l. 8), puis dans la phrase suivante par l’impératif « songez » (l. 9), en tête de phrase. Elle lui impose de manière de plus en plus forte son argumentaire, sa manière de réfléchir.
* Quels valeurs et jugements sur la société (la cour) met-elle en avant ?
- la cour est dangereuse : « périls » (noter le pluriel) ; « craindrais » (l. 5) ; « dangereux » (l. 7 : elle ne précise pas quel danger la guette en s’éloignant de la cour. Peut-être une exclusion définitive de ce monde, et donc une entorse faite à son statut de noble et de riche héritière proche du pouvoir ?). Il faut donc (c’est son argumentaire) qu’elle fuie la cour et la personne qu’elle aime qui s’y trouve (« m’éloigner de la cour », « éviter les périls », « me retirer de la cour »).
- elle n’a fauté qu’en pensée : « innocence de ma conduite et de mes intentions » (l. 2) ;
- tout autant que sa vertu, elle met en avant les risques encourus par son image sociale : « d’en laisser paraître » (l. 5)
- elle défend sa vertu dans le cadre du mariage qui la lie à son époux : « digne d’être à vous » (l. 8) ; elle rappelle son « amitié » (= affection, ici), son « estime » pour lui. Elle le nomme comme son « mari » (lignes 2 et 10).

2) Reprise brève de la narration : la réaction de M. de Clèves :
* Réaction simultanée aux propos de la Princesse comme le prouve l’emploi du plus-que-parfait qui effectue un bref retour en arrière (« était demeuré » l. 12 ; « n’avait pas songé » l. 13).
Point de vue interne du Prince : ses pensées (« n’avait pas songé » ; « pensa » ; « si admirable » = jugement de valeur esthétique) ; son regard (« jeta les yeux sur elle » ; « il la vit »).
Réaction de souffrance exacerbée : hyperbole « mourir de douleur ».
* Comme pour début du passage, volonté de théâtraliser l’instant : gestes du mari (« la tête appuyée sur ses mains » ; « il jeta les yeux sur elle » ; « l’embrassant en la relevant »), mais aussi description de l’état de la Princesse à ce moment (« à ses genoux » ; « le visage couvert de larmes » ; « d’une beauté si admirable »). S’il ne l’a pas regardée pendant qu’elle parlait (il était « hors de lui-même » = pas lui-même ? comme déconnecté ?), restant comme à distance, il la prend dans ses bras et le remet au même niveau que lui (« l’embrassant en la relevant ») : proximité plus grande entre eux.

3) La réponse du Prince de Clèves à la Princesse (suite de sa réaction) :
* Une réponse en miroir à celle de la Princesse :
- Même paroles rapportées au style direct (pas si fréquent que cela dans ce roman). Même importance des deux prises de parole aux yeux du lecteur.
- Reprise de certaines paroles ou procédés de la Princesse, pour se les appliquer à lui-même, ou pour les appliquer à la Princesse : « ayez pitié de moi » l. 11 (Princesse) & 16 (lui-même) ; emploi de verbes à l’impératif pour renvoyer des demandes à la Princesse l. 16 ; « digne d’être à vous » l. 8 (Princesse au Prince) & « j’en suis digne » l. 16 (Prince), mais il reprend aussi le terme, pour approuver la Princesse à son sujet : « vous me paraissez plus digne d’estime » (l. 18) ; l’« estime » qu’elle a annoncé avoir pour lui (l. 10) correspond à celle qu’il a pour elle (l. 18) ; même apostrophe initiale (« Monsieur » l. 1 & « Madame » l. 16) ; même demande de pardon (« Je vous demande mille pardons » l. 8 & « pardonnez » l. 16).
Buts du Prince ? Montrer qu’il est la hauteur de ce que la Princesse veut s’imposer à elle-même ; montrer qu’il ne souhaite pas qu’elle s’abaisse devant lui (d’où le geste l. 15), qu’il lui ressemble, qu’ils sont donc proches l’un de l’autre, malgré cet aveu qui signale qu’elle en aime un autre que lui ; mettre en avant sa propre douleur (elle n’est pas la seule à souffrir !)
- Le Prince, par son intervention, se présente lui aussi comme un être exceptionnel, ouvert, tendre, compréhensif : pas de colère envers son épouse ; acceptation de la situation même si elle le fait souffrir (voir l’analyse, plus bas, des lignes 26-27, et de toutes les suivantes, dans « La double peine du Prince ») ; honnêteté du prince qui n’utilisera pas cet aveu contre elle pour se venger (règle habituelle dans leur monde ; et peut-être plus largement chez les êtres humains ?) (« vous m’estimez assez pour croire que je n’abuserai pas de cet aveu » l. 29 : à son estime répond son honnêteté : « vous » ≠ « je » + futur de l’indicatif = certitude de la part de la Princesse que son mari gardera cet aveu secret).
* Une réponse inattendue de la part du Prince, comme cet aveu s’écarte des règles des couples princiers, de la Cour de l’époque :
- Négation « je ne réponds pas » + comparaison « comme je dois » (le verbe renvoie aux règles habituelles dans lequel ils vivent, mais aussi à l’autorité habituelle des époux sur leur femme) = il devrait s’énerver contre elle, la haïr, mais c’est l’inverse, comme l’ont montré les relevés en miroir ci-dessus.
- Plus que de la colère, il ressent « une affliction aussi violente » (l. 17 : noter l’hyperbole qui montre combien il souffre). Une différence entre eux : la Princesse n’a pas fait part de son affliction vis-à-vis de ce qu’elle livre à son mari, de ce qu’elle lui fait subir. Il renforce le terme par une hyperbole (superlatif de l’adjectif « malheureux ») : « le plus malheureux homme qui ait jamais été » (l. 19-20). L’opposition entre eux est ici signalée par la construction en deux parties opposées de la phrase (rupture par le point-virgule et la conjonction de coordination d’opposition « mais » l. 19). Au modèle admirable, exceptionnel qu’elle propose répond ainsi son affliction exceptionnelle.
La déploration dure longtemps : les phrases interrogatives des lignes 23-25, qui n’attendent pas de réponse, sont accusatoires mais, puisqu’elles sont entièrement portées vers l’amant, elles l’excluent (voir le prince en position de faiblesse ci-dessous) d’une relation amoureuse avec sa propre épouse.
- Il présente son épouse comme un modèle exceptionnel, guidant ainsi le lecteur vers cette image du personnage : « plus digne d’estime et d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femmes au monde » (l. 18-19) (hyperbole très forte puisqu’elle est comparée à toutes les femmes de la terre, et aussi à toutes celles qui ont existé). C’est évidemment aussi une manière de montrer tout son amour pour elle, indéfectible, malgré l’aveu qu’elle vient de lui faire : il s’exprime toujours au présent de l’indicatif (« vous me paraissez » l. 18 ; « elle dure encore » l. 21-22). La répétition de « un procédé comme le vôtre » (lignes 18 & 28) souligne que l’aveu qu’elle vient de faire n’appartient qu’à elle (cf. le pronom possessif).
Puis il explique qu’il la pensait (en se trompant donc) comme une femme sans cœur : phrase lignes 25-26 : retour en arrière par le plus-que-parfait ; complément d’agent de fin de phrase (« par… ») = explication qu’il s’était donné au fait que la Princesse ne lui témoignait aucune affection (« incapable de l’être » : jugement sévère par l’adjectif avec préfixe de sens négatif, et le verbe « être » qui signale un trait de caractère, une vérité durable. Il découvre qu’elle peut aimer : opposition mise en valeur par l’adverbe « cependant » en tête de phrase (l.26).
* Un Prince qui se présente en position de faiblesse : il n’est pas acteur de sa passion, ni de sa tristesse infinie. « Vous m’avez donné de la passion » (l. 20) : il est position de victime de l’amour et de son épouse (pronom personnel complément d’objet indirect « m’ »). « je me trouve » : verbe à la forme réfléchie, qui souligne qu’il subit ce sort, comme un personnage de tragédie soumis à une forme de destin et qui constate la situation dans laquelle il se trouve, sans pouvoir agir sur elle. Il utilise une négation définitive, en reprenant ses propos de la ligne 20 pour les inverser : « vous m’avez donné » ≠ « je n’ai jamais vous donner de l’amour » (l. 22), toujours pour mettre en avant son incapacité à agir pour elle. L’amour non réciproque est souligné par le passage par la conjonction « et » d’une proposition principale et de sa subordonnée, à une autre principale avec subordonnée, qui s’oppose à la première : « je n’ai jamais pu vous donner de l’amour » ≠ « et je vois que vous craignez d’en avoir pour un autre » (l. 22-23) (opposition « je » ≠ « vous » ≠ « vous » ≠ « un autre »). Les phrases interrogatives assez courtes, qui s’enchaînent rapidement (l. 23-25), montrent qu’il n’a pas ces réponses, répètent son incapacité à se faire aimer de la princesse.
Mais vers la fin de son intervention il se reprend, quand, à partir de la ligne 27, il multiplie les termes louant son épouse (« noble », « confiance », « sincérité », « fidélité »). Il se console (l. 28-29).
* Comme la Princesse s’est expliquée, s’est justifiée, a livré le fond de son âme, il fait de même : il s’explique et se confie. Nombreuses occurrences de la 1ère personne du singulier ; champ lexical des sentiments (« affliction », « admiration », « malheureux », « consolé », « jalousie »). Emploi de connecteurs logiques qui articulent les différents moments de son explication. Après le présent, il utilise le futur (l. 30 & 31), se projette sur leur avenir : il sait articuler sa réflexion, la faire avancer.
* La double peine pour le Prince : il est comme trompé comme mari (même si sa femme n’a succombé qu’en pensées à Nemours), et il est également délaissé comme amant. « j’ai tout ensemble la jalousie d’un mari et celle d’un amant » (l. 26-27) : lien effectué par les deux compléments du nom « jalousie ». Il ajoute cependant une restriction, une nuance, encore une fois après un point virgule et la conjonction de coordination « mais » : le mari qu’il est ne peut être jaloux. Et ensuite il ajoutera que la sincérité de l’aveu de sa femme est tel et si surprenant qu’« il [le] console comme [son] amant » (= en tant que son amant). Se contredit-il donc ? Oui = il est sous le coup de l’émotion, ne contrôle plus ses pensées et émotions ; Non = nous suivons son flux de pensée comme en direct (il ajoute, modifie, ajuste au fur et à mesure de ses paroles, comme dans le cas réel d’une pensée humaine qui n’est pas construite a priori : effet de réel, donc, de la part de Mme de Lafayette).
* Au final, ces deux personnages tranchent avec la Cour, sont au-dessus par leur vertu, leur comportement. La fin de la réplique du Prince met en avant les qualités de la Princesse, qui sont aussi les siennes propres, et qui semblent s’opposer à de nombreux comportements des membres de la Cour qui les environnent : « noble », « confiance », « sincérité », « aimerai pas moins », « fidélité » (l. 28 à 33).