jeudi 29 avril 2021

Résumé des "Fausses Confidences" de Marivaux scène par scène

 


Il peut ne pas être facile de retenir toutes les subtilités de l'intrigue de la pièce, notamment au niveau des réactions des un.e.s et des autres au gré des différentes confrontations. 

Voici un résumé scène par scène qui en dit assez, mais pas trop, pour mieux maîtriser l'ensemble de la pièce :


https://www.etudes-litteraires.com/marivaux-fausses-confidences.php

 

 

Où regarder "Les Fausses Confidences" de Marivaux ?


 

Il existe assez peu de choix en ligne gratuitement. Voici néanmoins deux captations complètes de la pièce :

Mise en scène de Patrice Le Cadre en 2005 :

 https://www.youtube.com/watch?v=I1RmfHXC5n0

 

Mise en scène de Hubert Japelle en 2010 : 

https://www.youtube.com/watch?v=gxMu9OxZJYs

 

Mais aussi : 

Théâtre à la table : Très intéressant, vous pouvez aller regarder les comédiens de la Comédie Française qui se sont filmés en train de dire la pièce, mais autour d'une table. Ils jouent déjà le texte, qu'ils ont encore sous les yeux. Outre leur grand talent qui permet de bien comprendre les subtilités de la pièce, cela permet de découvrir une étape dans le processus qui mène à une représentation sur scène. 

https://www.youtube.com/watch?v=9pZecJzEu8U

 

 

Lecture analytique linéaire : Les Fausses Confidences acte I, scène 14 (extrait)

 


Pour situer le texte :

 

Dorante est devenu l’intendant d’Araminte, riche veuve, mais elle hésite encore à le garder à son service.

Dans cette scène, Dubois vient d’annoncer à Araminte que Dorante est fou amoureux d’elle, ce qui explique que Dorante soit devenu fou et n’est donc pas fréquentable : ceci est une fausse confidence qui entre dans la stratégie de Dubois pour qu’Araminte soit amoureuse de Dorante et se marie avec lui.

 

Aspects majeurs du texte :

 

* Dubois mène le dialogue avec Araminte et apparaît comme une sorte de metteur en scène qui agit sur le destin de Dorante, sans que celui-ci soit présent. Il est le maître de la parole dans ce passage.

 

* Dubois agit sur Araminte, la manipule, provoque volontairement certaines réactions chez elle (notamment intérêt & jalousie) : elle est un peu son pantin. Elle se retrouve en position de demander des informations à Dubois, en auditrice.

 

* Le but de l’ensemble de l’extrait est de dresser un portrait flatteur de Dorante aux yeux d’Araminte : bel homme, bonne éducation, origines sociales qui correspondent aux attentes d’Araminte, et surtout fidélité/sincérité de Dorante dans son amour pour Araminte.

 

* Le texte progresse vers une surprise et un intérêt croissant d’Araminte pour Dorante, ce que souhaite Dubois. Progression vers l’idée, pour Araminte, d’un amour fou de Dorante pour elle. Le spectateur le sait grâce à certaines scènes qui ont précédé dans cet acte I, où Araminte n’était pas présente : le spectateur en sait plus qu’elle (et que Dorante, qui n’est pas présent).

 

* Manières de Dubois de procéder : l’exagération ; un langage direct, sans détours ; qualités de conteur pour reconstituer des faits.

 

Questions problématiques possibles :

* En quoi Dubois agit-il ici comme une sorte de metteur en scène de l'amour de Dorante pour Araminte ?

* Comment Dubois poursuit-il ici la mise en place de son stratagème ?

* Comment Dubois s'y prend-il pour susciter l'intérêt d'Araminte pour Dorante ?

 

Découpage du texte (plan) :

 

1- Lignes 1 à 14 : Effets d’Araminte sur Dorante ; Dorante très courtisé.

 

2- Lignes 15 à 26 : retour en arrière : récit de Dubois, depuis le 1ère regard de Dorante sur Araminte : réactions de Dorante, agissements de Dubois. Suite de l’explication sur la folie supposée de Dorante.

 

Analyse linéaire :

 

Partie 1 :

 

* Lignes 1-2 :

- Dubois insiste sur le fait que l’ amour de Dorante pour Araminte est passionnel : Dubois fait ici une vraie confidence : « Il vous adore ». Proposition grammaticale simple (sujet + verbe, avec pronom personnel complément intercalé). Noter le choix du verbe qui montre un amour passionné de Dorante pour Araminte : le verbe est utilisé dans le cadre d’une relation d’une personne à une divinité. Proximité des deux pronoms personnels = relation proche suggérée entre les deux personnages (Dorante et Araminte), dès le début de cette réplique, comme une préparation d’Araminte à cette possibilité de relation amoureuse entre eux.

Le point-virgule qui suit cette courte proposition annonce des explications, des précisions, qui vont justifier une affirmation aussi forte, et dont Araminte pourrait douter : il faut lui prouver que cet amour de Dorante pour elle est sincère, effectivement passionné.

« six mois » : temps long mis en avant (début de deuxième partie de phrase après le point-virgule + proposition principale) : cela suggère déjà que l’amour de Dorante pour Araminte n’est pas passager mais durable.

La deuxième proposition subordonnée est plus longue que la première, qui est plus longue que la première proposition grammaticale de la réplique (« Il vous adore ») : on a comme une amplification progressive des propos, un rythme plus ample qui montre qu’il précise l’annonce de début de réplique qui se présentait comme un choc en quatre syllabes.

« contempler » = forme d’admiration -> souligne encore l’amour de Dorante pour elle.

« enchanté » est à prendre au sens de « ensorcelé », du charme d’un magicien. Le terme est donc fort, et montre encore une fois que Dorante est dans un état de folie, anormal, et que ceci est lié à Araminte, ce que la proposition subordonnée circonstancielle de temps « quand il vous parle », qui inclut Araminte, vient mettre en évidence.  

 

- Un amour qui a mené Dorante à la folie/un état maladif (selon Dubois) : les deux propositions subordonnées introduites par « que » (« qu »’) viennent effectivement compléter le verbe « adore », mais aussi ce que Dubois a dit avant ce passage, à savoir que Dorante est fou. En effet, les conséquences de cet amour sur Dorante sont extrêmes, ce que la négation totale « ne… point » souligne, comme les deux références à la mort par l’emploi de mots de la famille du verbe « vivre » : « n’en vit point » + « donnerait sa vie ». L’amour de Dorante pour Araminte le mène au bord de la mort, lui a ôté toute forme de dynamisme, de vigueur (si elle ne l’accepte pas et que cet amour reste à sens unique). Cela permet aussi d’impressionner fortement Araminte : cet amour est très fort, et Dorante s’en trouve affaibli par sa faute, en quelque sorte.

Pour surprendre Araminte, voire la choquer, Dubois fonctionne aussi par opposition de deux termes temporels : « donnerait sa vie » ≠ « vous contempler un instant », et l’opposition entre la mort et le fait de jeter un regard sur elle. La disproportion souligne une forme d’absurdité, qui doit au moins étonner Araminte, et lui prouver la force de l’amour de Dorante pour elle.

 

- Dubois se montre stratège pour agir sur Araminte : Dans la dernière phrase de cette réplique, Dubois va plus loin en interpellant, en impliquant Araminte : « vous », pronom sujet du verbe « avez dû voir ». Par l’emploi du verbe « voir », il la place en position de témoin de ce qu’il vient d’expliquer, du fait que Dorante n’est pas dans son état normal. Il se met en quelque sorte à sa place, pense, voit pour elle. Cette obligation est exprimée par le verbe « devoir » (« dû »). L’idée est aussi de montrer à Araminte qu’il n’est pas en train de mentir, que sa parole est celle de la vérité (même s’il exagère) : il veut prouver la véracité de ses propos, qu’elle le croit.

 

* Lignes 3-4 :

- Araminte, soumise à la stratégie de Dubois : Le début de la réplique d’Araminte montre qu’elle va dans le sens suggéré par Dubois : emploi de l’adverbe « bien » et de la locution « en effet », qui approuve la véracité des propos de Dubois. Le verbe « paraître » (« m’a paru ») fait écho au verbe « voir » employé par Dubois : elle se place donc dans la position d’un témoin, comme Dubois le lui suggérait (imposait ?). Elle approuve donc ce qu’il a dit. L’emploi de l’adjectif « extraordinaire » montre qu’elle a remarqué ce comportement qui sort de l’ordinaire, de la normalité chez Dorante. A noter que l’on peut prendre ce terme dans deux sens : qui sort de l’ordinaire, qui quotidien de l’habituel ; ou qui est très surprenant, peut-être même admirable. Cela suggère qu’Araminte est vraiment touchée par ce qu’elle apprend.

La question qu’elle pose en fin de réplique relance les propos de Dubois : c’est ainsi que le dialogue théâtral est ici alimenté. Cela montre aussi encore qu’elle est celle qui demande, que Dubois est dans la position de celui qui détient une forme de savoir, qui lui offre une forme de supériorité sur Araminte. Le fait de nommer indirectement Dorante (« le pauvre garçon » ; « il ») est encore une manière de souligner qu’elle s’intéresse à cet homme.

 

 

- Araminte montre ses sentiments : « quelque » + « petite chose » : elle reste imprécise sur ce qu’elle a perçu de Dorante et qui lui aurait montré que celui-ci n’est pas dans son état normal. Cela montre qu’elle a déjà un certain intérêt pour Dorante, mais peut-être aussi se retient-elle, ne veut-elle pas afficher ouvertement à Dubois combien ce qu’il a dit a fait effet sur elle, et combien l’amour de Dorante pour elle la touche, d’où ces imprécisions.

L’émotion d’Araminte est sensible par deux phrases exclamatives successives (« Eh ! juste ciel ! »), dont une interjection qui souligne une réaction presque incontrôlée à ce qu’elle a entendu (« Eh »).  On sent sa grande surprise, ce qui est un sentiment intérieur qu’elle exprime ici : elle réagit à l’annonce de Dubois et à ses explications. Cela signifie que Dubois est en bonne voie de réussir ce qu’il souhaite provoquer sur elle.

Elle exprime également une forme de compassion pour Dorante, par l’emploi de l’adjectif « pauvre », mais le nom « garçon » qui suit évoque une forme de condescendance, de maternalisme. Elle ne prend pas encore tout à fait au sérieux Dorante, le comportement de celui-ci.

 

* Lignes 5 à 10 :

- L’objectif de Dubois va être de renforcer encore l’idée de folie amoureuse de Dorante auprès d’Araminte, ce qui justifiera plus loin dans la scène (pas dans cet extrait) sa suggestion d’éloigner Dorante d’elle (tout en souhaitant qu’elle n’en fasse rien). Il use ainsi du nom « démence », qui évoque une folie complète. Il accentue le nom « démence » par la négation et l’emploi du verbe « croire » au conditionnel : il se met encore une fois à sa place, comme à la ligne 2, tout en suggérant par le conditionnel combien il est difficile d’imaginer, de comprendre l’ampleur de la folie de Dorante. Il laisse Araminte tenter d’imaginer, et sans doute va-t-elle imaginer pire que ce qu’il aurait pu dire sur Dorante !

Dubois peut également chercher ainsi à provoquer la réaction d’Araminte qui peut trouver la présentation de Dorante exagérée, puisqu’elle l’a vu Dorante et qu’il ne lui est pas apparu ainsi.

Autre manière encore d’accentuer la folie amoureuse de Dorante, l’ajout après le point-virgule, donc dans la même phrase : Dubois reprend des termes liés à la mort (voir ligne 1), ou à la maladie : « ruine », « coupe la gorge ». Le premier suppose un affaiblissement (ici physique, au moins), qui était déjà suggéré par « n’en vit point » (l. 1), et une mort violente par la référence à une partie du corps. On peut noter que la démence est sujet des verbes et que Dorante est en position de victime (pronoms personnels compléments « le », « lui »).

 

- Dubois construit une image très positive de Dorante : Le but de Dubois est aussi bien sûr, maintenant qu’il a expliqué que cette folie était une folie amoureuse, de renforcer encore et toujours l’image d’un amour exceptionnel de Dorante pour elle, de le lui démontrer encore et toujours. L’ampleur des conséquences de cet amour sur Dorante justifient cela, comme l’énumération des qualités de Dorante dans la phrase suivante : beauté physique (« bien fait », « d’une figure passable » : on notera la litote qui suggère que Dorante est un très bel homme) ; bonne éducation  bonnes mœurs (« bien élevé », noter la répétition de l’adverbe « bien », mélioratif) ; origines sociales acceptables par Araminte (« de bonne famille », adjectif mélioratif ; on est au XVIIIè siècle : on ne se marie pas avec des personnes issues de classes sociales très inférieures).

Dubois nuance ensuite après le point-virgule et la conjonction de coordination (« mais ») marquant une opposition, en évoquant le peu de richesses de Dorante, ce qui peut être un critère de choix pour Araminte, même si sa position financière personnelle lui permet déjà de vivre aisément sans se marier. Dubois ne cache pas la vérité, au moins en apparence, affichant aux yeux d’Araminte la fiabilité de son témoignage ; sa sincérité et donc aussi sa loyauté envers elle, pour qu’elle lui fasse entièrement confiance. Il fait donc ainsi dans ce texte à la fois le portrait de Dorante et un peu le sien propre.

Afin de masquer malgré tout cette nuance, Dubois enchaîne de suite (conjonction de coordination « et ») avec une autre information selon laquelle Dorante est très courtisé, preuve que ce manque de richesse n’est pas une tare. Le pluriel « des femmes », l’emploi du verbe « épouser », qui suggère une démarche qui va au-delà d’une simple relation de séduction amoureuse sans lendemain, la négation restrictive « n’a tenu qu’à lui », tout suggère le franc succès de Dorante auprès d’autres femmes. Dubois exagère sans doute, mais le but est de donner encore plus de valeur à Dorante aux yeux d’Araminte, tout en la rendant peut-être aussi jalouse. Cela prépare encore un autre aspect que Dubois veut mettre en avant comme argument en faveur de Dorante : Dorante a refusé toutes ces propositions (ligne 13), pour rester fidèle à Araminte, à l’amour qu’il lui porte, preuve de la sincérité de cet amour de Dorante, qui n’est pas guidé par d’autres considérations que cet amour. Le verbe au conditionnel « auraient mérité » et le subjonctif « fît » donnent déjà cette indication implicitement.

Noter que la conjonction « et » introduit aussi une autre opposition, qui annihile en quelque sorte la première introduite par « mais » : « des femmes qui l’étaient » -> le pronom « l’ » reprend l’adjectif « riche ». Dorante aurait pu se laisser guider par une considération très humaine, mais aussi très en phase avec la manière d’être de la bourgeoisie et de la noblesse désargentée du XVIIIè siècle : profiter, par un mariage, de la richesse d’une épouse. Mais il ne l’a pas fait.

 

- Stratégie de Dubois : l’exagération : Dubois n’arrête pas d’ajouter des éléments à son édifice, allant toujours plus loin dans les précisions et dans l’exagération : non seulement de nombreuses femmes courtisent Dorante, mais elles aussi avaient des qualités auxquelles Dorante aurait pu être sensible : « fort aimables » (= caractère agréable, renforcé par l’adverbe d’intensité « fort ») ; deux propositions subordonnées relatives introduites par le pronom relatif « qui », suggèrent qu’elles ont proposé (générosité inscrite dans « offraient ») leurs richesses (cela aurait pu seulement être implicite et uniquement pensé par Dorante qui aurait trompé une femme sur ses réelles intentions : elles se proposent de l’épouser même s’il ne les aime pas, peut-être) et le verbe « mérité » suppose encore combien elles avaient de qualités personnelles en plus de leur fortune. 

L’emploi de l’imparfait de répétition suggère que la situation de femmes souhaitant épouser Dorante s’est présentée à plusieurs reprises : « offraient ». Ceci est repris par l’expression temporelle « tous les jours » (l. 9), en ce qui concerne l’une d’entre elles.

 

- Autre stratégie de Dubois : l’exemple particulier : Pour accentuer encore la pression sur Araminte, Dubois choisit d’aller encore plus loin en citant une femme en particulier, ce qui rend en quelque sorte le danger que Dorante accepte un mariage autre que celui avec Araminte plus présent : « il y en a une ». Les verbes de mouvement « revenir » et « poursuit » suggèrent la volonté forte de cette femme de séduire Dorante. L’emploi de l’adverbe « encore » rend cet exemple très présent, ce qui va d’ailleurs être repris par Araminte dans sa réplique qui suit (« actuellement ? »).

 

- Dubois témoin direct et fiable : Dubois veut assurer que son exagération reflète la réalité, en usant du verbe « savoir » (« je le sais »), et de sa qualité de témoin direct (« je l’ai rencontrée »). Il utilise la première personne du singulier pour se mettre en avant lui-même, non pour se mettre en valeur mais pour rappeler à Araminte qu’elle dispose avec lui d’un témoin direct sur Dorante, et que donc sa parole ne peut être que porteuse de vérité, de sincérité. Cela fait partie de sa stratégie. Sa parole est sa force.

 

* Lignes 11 à 14 :

- Araminte soumise au dialogue dirigé par Dubois : La question d’Araminte montre que Dubois a encore une fois mené Araminte exactement où il le souhaitait : Araminte s’inquiète pour Dorante, et la question brève (un seul mot) met en avant sa seule préoccupation qui est de savoir si les avances de cette femme existent encore au moment où le dialogue a lieu.

Le fait que sa réplique soit si courte met encore en valeur le fait que c’est bien Dubois qui maîtrise la parole, qui maîtrise leur échange. Dans l’ensemble du texte, ses répliques sont plus longues que celles d’Araminte, parce qu’il possède des informations qu’elle n’a pas, mais aussi parce qu’il la place dans la position d’être soumise à ce qu’il dit. Elle use surtout de phrases interrogatives, qui la soumettent en quelque sorte à Dubois, attendent de lui des informations. La parole est ici une forme de pouvoir, malgré le statut de valet de Dubois.

 

- Araminte sensible au sort de Dorante : La didascalie « avec négligence » est importante car elle aussi (comme sa prise de parole) montre dans quel état d’esprit est Araminte. Double sens possible : elle ne s’intéresse pas vraiment à ce que dit Dubois, mais tout le reste du dialogue montre que ce n’est pas le cas. Donc, elle feint cette « négligence », ce manque de considération pour le sujet. Pourquoi ? Sans doute ne veut-elle pas montrer à Dubois combien Dorante l’intéresse de plus en plus, combien les propos de Dubois agissent sur elle.  

 

- Dubois continue cette pression forte sur Araminte par une réponse sans détours : phrase non verbale, assez courte en tête de réplique, apostrophe intercalée (« Madame »), et reprise de l’adverbe « actuellement » qui pouvait suggérer une forme de crainte de la part d’Araminte. Il ne la ménage pas ! Au contraire, il accentue encore son exemple en offrant des détails physiques qui donnent encore plus de réalité à cette femme (« grande » + « brune » + « très piquante »).

 

- Dubois poursuit le portrait flatteur d’un Dorante fidèle à son amour pour Araminte : Passage à l’idée que pour l’instant Dorante a tout refusé : fin de la première phrase avec ce qui aurait pu être une dernière qualification de cette femme (après les adjectifs qualificatifs, une proposition subordonnée relative), mais qui permet de revenir à Dorante, après avoir parlé des femmes qui s’intéressent selon Dubois à lui. Annonce nette avec le verbe « fuir », qui montre un mouvement inverse à celui des femmes vers lui, et un mouvement rapide, volontaire de sa part. On fuit aussi un danger, qui répond au danger peut-être perçu par Araminte, mais dans le sens où ces femmes sont des rivales potentielles (même si pour l’instant Araminte n’est pas amoureuse de Dorante et n’envisage rien de particulier avec lui).

Suite du refus dans la phrase suivante, là aussi sans ambages, par des propositions grammaticales courtes et simples (« il n’y pas moyen » + « Monsieur refuse tout »). Le « tout » final permet aussi de revenir au propos précédent de Dubois : l’amour de Dorante pour Araminte est sans limite et sincère puisqu’il ne se laisse pas distraire !

 

- Dubois se fait narrateur et acteur : Il reconstitue des faits passés, fait entendre ainsi Dorante, mais le fait aussi voir à Araminte, et donc au spectateur qui n’a pas assisté à ce qui est censé avoir eu lieu avant le début de la pièce : propos au style direct de Dorante (« je les tromperais ; je ne puis les aimer, mon cœur est parti »), usage de la proposition incise comme dans un récit (« me disait-il ») ; élément physique et donc visuel (« la larme à l’œil »). Ce rappel est ainsi très vivant : Dubois nous le fait entendre et voir. Même si tout est offert par Dubois et qu’on ne sait si ce qu’il dit est vraiment arrivé, il sait donner des accents de vérité à son témoignage.

Il joue à se mettre à la place de Dorante en rappelant ses paroles au style direct : le « je » (X2, l. 13) met Dubois en position de porte-parole, au premier sens du terme, d’acteur aussi, qui rejoue une réplique passée. En citant Dorante, il montre encore une fois combien ce qu’il dit à son sujet est vrai, puisqu’ici il s’efface derrière les paroles de son ancien maître. Le témoignage se fait en quelque sorte encore plus direct, encore plus vrai. La proposition incise « me disait-il », intercalée au milieu des paroles de Dorante, montre combien Dubois est un témoin direct et privilégié pour Araminte, et combien l’amour qu’il dit être celui de Dorante pour elle n’est pas feint.

 

- Suite du portrait flatteur de Dorante par Dubois : Ici encore aussi, Dubois vante les mérites de son maître. Il montre sa probité morale, son respect des femmes, ce que les termes suivants mettent en avant : « tromperais » (vocabulaire moral ; emploi du conditionnel = refus de Dorante de se marier avec ces femmes alors qu’il est amoureux d’Araminte) ; « son tort » (autre terme moral : ses refus répétés doivent blesser certaines femmes et Dubois dit que Dorante s’en préoccupe : est-ce un tort que de refuser ? Pas vraiment, donc Dubois exagère encore une fois) ; « ne puis » (négation qui indique une impossibilité de fait, un état, sans conditions, alors qu’au XVIIIè siècle, les unions d’intérêt étaient fréquentes dans la noblesse et la bourgeoisie).

« la larme à l’œil » : détail physique, visuel, doit créer une forme de pathétique, faire prendre en pitié Dorante. Dubois cherche à susciter ce sentiment chez Araminte pour qu’elle soit touchée par l’attitude de Dorante. On peut aussi penser ici que cette indication ressemble à une didascalie, ajoutée à la réplique précédente : Dubois ressemble parfois à un dramaturge.   

 

- Sincérité de l’amour de Dorante pour Araminte : opposition entre la négation de « je ne puis les aimer » et l’affirmation « mon cœur est parti », où les deux mots « aimer » et « cœur » se réfèrent à l’amour et se font écho, renforçant cette opposition entre le refus des autres femmes et le cœur de Dorante entièrement dévoué à Araminte. Le verbe de mouvement « parti » illustre le fait qu’il a comme déjà donné ce cœur à une autre : son cœur ne lui appartient plus, est presque physiquement ailleurs. 

 

Partie 2 :

 

* Lignes 15-19 :

- Araminte sensible au sort de Dorante & guidée par Dubois dans ses réactions : Le début de la réplique d’Araminte montre encore une fois qu’elle réagit aux propos de Dubois, n’est pas insensible : « fâcheux » = qui est difficile à supporter, qui suscite du déplaisir ? Cela reste une réaction qui ne montre pas sa passion, mais ce n’est pas encore le moment : cela viendra tout au long de la pièce jusqu’à son aveu dans l’acte III. Sa question montre encore une fois aussi qu’elle a envie d’en savoir plus. Dubois a resserré le propos sur l’amour de Dorante après avoir parlé d’autres femmes, et Araminte poursuit dans cette voie plus personnelle, envisageant maintenant la relation (seulement visuelle pour l’instant) entre Dorante et elle : « m’a-t-il vu » (deux pronoms personnels pour chacun des deux personnages) ; puis progression de la relation par le mouvement et la maison d’Araminte (« venir chez moi »), ce qui suggère une relation déjà plus proche dans l’espace, et vers un espace plus intime.

L’interpellation finale « Dubois » (l. 15) montre combien elle est attachée aux paroles de celui-ci, combien il a pris de l’importance pour elle.  

 

- L’interjection initiale « Hélas ! » poursuit le pathétique de sa précédente réplique : Dubois feint, joue comme un acteur. Il interpelle aussi immédiatement son interlocutrice par l’apostrophe « Madame », pour entretenir cette relation particulière qu’il a avec elle en ces moments.  

Dubois devient encore plus ici narrateur, en remontant dans le passé : début par la référence à un moment précis du temps (« un jour » précisé ensuite par « un vendredi ») ou un lieu précis (« l’Opéra », « l’escalier » ; « votre carrosse ») ; emploi des temps habituels du récit (passé simple « fut », « sortîtes », « perdit », « vit », « raconta », « suivit », « trouvai » ; imparfait « était », « remuait » ; plus-que-parfait « avait demandé ») ; verbes d’action (sortir, perdre, suivre, demander) ; mise en avant de sa qualité de témoin ou de celle de Dorante (« je m’en ressouviens » ; « il vous vit » ; « à ce qu’il me raconta » ; « je le trouvai »). Araminte et les spectateurs peuvent complètement s’imaginer la scène qui devient ainsi concrète, vivante. Elle prend ainsi une grande importance : c’est le jour du coup de foudre de Dorante pour Araminte.

 

- Dubois, témoin fiable : La précision des indications données par Dubois prouve encore sa qualité de témoin majeur et fiable (il répète le jour de « vendredi », en le renforçant par l’affirmation « oui), du moins est-ce l’image qu’il construit de lui. Le vendredi était le jour habituel des élites parisiennes pour se rendre à l’Opéra donc Dubois invente peut-être, brode peut-être. Mais son effet sur Araminte est le même et c’est ce qui compte.

 

- L’amour de Dorante apparaît encore dans ce passage : l’enchaînement immédiat entre le fait de voir Araminte descendre l’escalier et le fait de la suivre est indiqué par l’absence de changement de phrase et l’emploi de la conjonction « et » (l. 18) ; le retour en arrière qui suit (« avait demandé ») prouve que dans ce mouvement vers elle, il s’était déjà renseigné, s’intéressant immédiatement beaucoup à elle. Si Dorante est désormais dans la maison d’Araminte, il s’est de suite rapproché d’elle et d’un lieu un peu plus intime que le lieu public qu’est l’Opéra : le carrosse.

La comparaison « comme extasié » ajoute à l’ensemble, puisqu’avant, dans ce récit, on n’envisageait que les actes de Dorante (qui parlaient déjà par eux-mêmes), mais ici on en vient aux réactions, aux sentiments du personnage. « extasié » = tombé en extase, émerveillé, hors de lui-même -> la réaction de Dorante est immédiatement très forte, cet amour passionné le prend de suite. On enchaîne de suite avec la dernière proposition grammaticale de la réplique, sans changer de phrase (pause courte du point-virgule, comme dans tout ce récit qui se fait ainsi haletant, rapide) : « il ne remuait plus » = contraste avec les actions précédentes, avec les mouvements précédents de Dorante, ce qui accentue encore la force de cet amour au premier regard. Cela renvoie aussi en partie aux références à la mort du début : ne pas bouger est une forme de comportement inverse à celui de la vie, ce qui prouve que cet amour l’a atteint au plus profond de lui.

 

* Ligne 20 :

- Araminte sans voix, ne maîtrise pas le dialogue : Réplique courte : elle n’a pas le monopole de la parole, seul Dubois le possède. Son enthousiasme, son émotion, lui interdisent peut-être de réagir plus. Cela n’interrompt que peu le récit de Dubois, qui sepoursuit dan sa réplique suivante, à partir de la ligne 21.

 

- Araminte intéressée : Phrase exclamative qui exprime de l’enthousiasme, la marque de son intérêt. D’ailleurs, le terme d’« aventure » montre qu’il s’agit pour elle d’événements extraordinaires, incroyables.

 

* Lignes 21 à 26 :

- Dubois conteur : Le récit se poursuit (suite des lignes 16-19) : mêmes indices du récit que précédemment (temps du récit, verbes d’action, indications spatiales et temporelles, évocation de l’état d’esprit de Dorante).

 

- Mêmes objectifs que précédemment :

↘ répondre à la curiosité d’Araminte sur le coup de foudre de Dorante et les moments qui l’ont suivi ;

↘ prouver toujours que l’amour de Dorante pour elle a été immédiat et profond ;

↘ par conséquent, susciter l’intérêt d’Araminte pour Dorante, un homme qui l’aime sincèrement, et l’emmener doucement vers la possibilité d’une relation amoureuse avec Dorante ;

↘ pour Dubois, se positionner encore comme un témoin fiable et incontournable, comme une source d’informations qui permet à Araminte d’en savoir beaucoup sur Dorante, sans qu’il soit censé le savoir (en fait il sait que Dubois œuvre pour lui, et donc raconte ce qu’il faut pour convaincre Araminte, mais elle ne le sait pas).

 

- Dubois, bon conteur : Volonté de Dubois de rendre vivant sa reconstitution, donc il nous fait entendre ses cris : après le verbe de parole (« crier »), deux points et une citation (« Monsieur ! ») dont l’exclamation confirme le cri. Cela renforce aussi l’expression « j’eus beau » qui signifie qu’il s’est répété.

Dubois s’implique aussi dans son discours, comme dans ses répliques précédentes, en utilisant la 1ère personne du singulier et en rendant compte de ses actions (« crier », « jetai », ) ainsi que de ses sentiments personnels (« espérais » ; « aimais »).

 

- Dorante, comme fou d’amour : L’absence de réaction de Dorante à ses cris est mise en avant par une proposition non verbale (« point de nouvelles »), ce qui illustre le fait que Dorante n’a pas répondu à ses cris, s’est tu. La négation apparaît immédiatement après la citation (« point »), ce qui frappe Araminte et le spectateur. Cette négation est ensuite répétée (« il n’y avait plus personne »), donc renforcée : l’impact d’Araminte sur Dorante est immense. Il ne bougeait plus, maintenant, il ne parle plus.

La folie de Dorante est encore rappelée, fil conducteur du dialogue : « personne au logis ». A noter l’expression familière employée par Dubois, marque de son statut social, que Marivaux rappelle (un valet s’exprime de manière moins soutenue qu’un maître), et manière encore une fois de frapper ses auditeurs sur l’effet de ce coup de foudre.  A la fin de la phrase suivante, l’« air égaré » va dans le même sens. Deux négations, plus bas, poursuivent cet effet qui montre Dorante dans un état d’affaiblissement, changé par rapport à ce qu’il était auparavant, comme les symptômes d’une maladie : « Point du tout » (l. 23), écho au « Point » en tête de phrase également de la ligne 21 ; « il n’y avait plus » (l. 24).

Comme dans la réplique précédente, il rappelle à Araminte la responsabilité de celle-ci dans l’état amoureux de Dorante : « vous aviez tout expédié » (l. 24-25), où l’emploi du pronom sujet à la 2ème personne du pluriel l’implique. Le terme « expédié » rappelle encore la brutalité de la naissance de cet amour de Dorante pour elle, mais semble aussi, de manière provocatrice, rendre presque coupable Araminte d’avoir mis Dorante dans cet état. Dubois joue encore de son pouvoir sur elle.

 

- Suite du portrait flatteur de Dorante : Dubois, même s’il donne une image de folie du personnage de Dorante, qui pourrait paraître contradictoire avec l’objectif de convaincre Araminte d’entamer une relation amoureuse avec lui, de se marier avec lui, nuance son propos encore une fois, en dressant un portrait par ailleurs flatteur de Dorante : superlatif « le meilleur maître », accentué par l’expression de ses sentiments personnels « aimais » + point d’exclamation (l. 23). Il rappelle aussi qu’en temps normal, Dorante possède de nombreuses qualités, qu’il liste dans une énumération évocatrice ligne 24 (même effet de style qu’aux lignes 5-6) : « ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante » (intelligence + cordialité).  

 

- L’effet de l’amour de Dorante pour Araminte n’est pas passager mais durable, ce qui ne peut qu’être positif aux yeux de celle-ci : le passé simple « fîmes », allié à la négation restrictive « ne… que » (l. 25) le souligne -> action longue, répétée + un emploi du temps réduit à une seule activité pour Dorante et pour Dubois (« rêver » / « épier »). La vie tout entière de Dorante et de Dubois est tournée « dès le lendemain » de la rencontre (effet de rapidité mis en avant, dans ce complément circonstanciel de temps en tête de phrase introduit par la conjonction « et » qui indique la conséquence immédiate de la rencontre) vers elle : « vous aimer » / « où vous alliez » : répétition des pronoms personnels de 2è personne du pluriel la désignant. Le parallélisme de construction (l. 25-26) met encore plus en valeur cette exclusivité du maître et de son valet vers Araminte : pronom personnel complément « lui » + verbe à l’infinitif « rêver » + pronom personnel « vous » / pronom personnel complément « moi » + verbe à l’infinitif « épier » + pronom personnel « vous ».

 

* Ligne 27 :

- Comme pour sa réplique précédente, Araminte ne relance pas le dialogue par une question. Elle n’en a pas besoin puisque le récit de Dubois va se poursuivre dans la réplique suivante.

- Elle exprime encore une fois sa surprise, une émotion : phrase exclamative ; verbe « s’étonner », accentué par son complément « à un point » qui montre un grand étonnement. Ceci qui prouve qu’elle est sensible à ce qui est dit de Dorante, qu’elle s’intéresse à lui et à cet amour qu’il lui porte, aux effets de cet amour sur lui. Si elle s’y intéresse, c’est qu’elle est touchée et que, potentiellement, elle pourrait aller plus loin, vers un rapprochement avec Dorante.

 

Conclusion :

- Dubois mène ce dialogue, poursuit inlassablement son objectif qui est qu’Araminte soit charmée par Dorante, mais sans que ceci se fasse de manière trop directe. Il se montre à la fois directif et stratège pour que son objectif se réalise. Son stratagème est de masquer derrière une forme de dépit face à l’état peu glorieux de son ancien maître une série de louanges sur lui, qui semble posséder toutes les qualités. Cela lui permet aussi de dresser l’image d’un amour profond, durable,  sincère, de Dorante pour Araminte, ce qui ne peut que la charmer.

- Dubois est ici le vrai porte-parole de Dorante qui n’est pas présent, qui ne s’exprime pas face à Araminte pendant longtemps, ne voulant lui avouer ouvertement ce qu’il a sur le cœur. Dubois s’en charge, de manière très directe. Et les qualités de conteur de Dubois permettent de reconstituer des scènes passées, de les faire vivre, d’élargir le champ de l’imagination d’Araminte mais aussi des spectateurs qui, ainsi, se replongent dans ce qui s’est passé avant le début de la pièce.