vendredi 22 mai 2020

Lecture analytique linéaire : "Sois tranquille, cela viendra !" de Jaccottet



Cette analyse menée de manière linéaire est basée sur celle de Jean-Michel Maulpoix sur la page dont le lien figure ci-dessous. Elle complète, reformule et précise l’étude proposée par ce poète. Il est donc indispensable de se référer à cette première étude car tout n’est pas repris dans le tableau.



L’analyse est aussi inspirée de celle proposée par le site anabac :

NB. Ce qui figure entre guillemets et en italique dans le tableau ci-dessous est issu de l’étude de Maulpoix. Ce qui est entre guillemets et avec entre parenthèses (J) est extrait du sonnet de Jaccottet.

Introduction à l’étude proposée
- Une réécriture : Ce sonnet est un écho à celui de Baudelaire intitulé « Recueillement » (1er vers + thématique), à lire ici :
Jaccottet propose donc ici ce que l’on nomme une réécriture du sonnet de Baudelaire : il s’en inspire, mais en propose sa version. On remarquera notamment que le poème de Jaccottet est plus serein que celui de Baudelaire. La vision de la vieillesse, de l’approche de la mort est proposée de manière plus apaisée.

- Un poème lyrique : Jaccottet livre ici partage ici ses sentiments, médite sur la vie et la mort inéluctable de tout être humain. Il lie cette réflexion à celle sur l’écriture poétique, son rôle, son poids.

- Une réflexion sur la mort et la manière de chacun d’appréhender cette « fin » (v. 2, J). Maulpoix : Le poème suggère l’écoulement du temps, et « un jeu subtil de ruptures […] manifeste la manière dont il perturbe et défait la vie, aussi bien que la vanité des tentatives humaines de s’y soustraire. » : exemple des enjambements qui créent un effet d’attente (attente de la mort, inéluctable), ou qui tentent au contraire de l’oublier, de la repousser, mais inévitablement, elle se rappelle aux êtres humains. Les rimes croisées montrent aussi notamment le fait que l’être humain, ici plus particulièrement le poète (Jaccottet donc), croise la mort, y est associé, comme tout être humain, voué à une disparition certaine au bout d’un certain nombre d’années sur Terre.

- Comment se rassurer face à cette réalité de la mort ? L’amour peut être source d’apaisement " un poème d’amour : certains vers évoquent une femme, un être aimé, mais aussi un couple. La poésie peut encore être source d’apaisement " un poème autoréférentiel sur la poésie : dans certaines ambiguïtés, il fait référence au langage et à l’art de la  poésie, ainsi qu’au poète. 

- Mouvements du poème : les deux documents proposés (Maulpoix et anabac) se contredisent sur ce point. Quand Maulpoix évoque une accélération et une dramatisation croissante (les tentatives de s’apaiser par l’amour ou la simple volonté de dédramatiser n’ont pas suffi à éloigner la perception de l’approche de la mort), le site anabac suggère que celui qui s’exprime trouve progressivement une forme d’apaisement dans ses propos au cours du sonnet. Ceci souligne toute l’ambiguïté proposée par ce texte, qui alterne entre un accueil serein de la condition humaine (puisque nous devons mourir, pas besoin de s’angoisser pour cela), et des moments où la fuite inexorable du temps est moins bien acceptée (ce qui offre au poème un aspect tragique : chaque être humain est soumis à un destin fatal).

Titre du poème
Pas de titre spécifique : le titre est celui du début du poème, comme souvent quand l’auteur n’a pas choisi de titre à son texte. Voir l’analyse au vers 1.

Vers 1
- Dès le départ, ambiguïté par l’emploi de la 2ème personne du singulier, et le pronom démonstratif neutre, bien imprécis, « cela » (J) : à qui s’adresse le poète ? A une autre personne (cas classique du poème lyrique, qui s’adresse par exemple à l’être aimé) ? A lui-même, dans une sorte de dédoublement, ce qui suggère d’emblée un poème méditatif, de retour sur soi ? Au lecteur, dans une généralisation des propos (ce que dit ici le poète concerne chaque être humain) ?
Et de quoi est-il question ici ? Comment le poète peut-il être sur de cet avenir (ce que suggère l’emploi du mode indicatif avec les verbes « viendra » (J) & « te rapproches » (J), le présent prenant la place du futur, comme si le temps s’accélérait dans un même vers).
- Utilisation de deux verbes de mouvement + utilisation de l’impératif, de l’indicatif futur : insistance sur une progression, dont on va vite comprendre que c’est un mouvement vers la mort. Aspect inéluctable déjà suggéré ici.
- La phrase exclamative peut suggérer un ordre donné d’accepter la réalité, de ne pas lutter contre ce qui doit arriver. Ce peut être aussi l’expression d’une douleur face à cette réalité, peut-être même d’une sorte d’ironie (antiphrase) moqueuse face à celui/celle qui ne veut pas accepter qu’il/elle mourra : le poète, l’être humain, n’est pas tranquille, serein, mais pourtant il sait qu’il lui faudrait l’être.
- « tranquille » (J) : est-ce une référence à l’ataraxie ? Chez les Grecs, notamment les Stoïciens, l’ataraxie est l’état de l’âme qui est apaisée car elle connait et a accepté tout ce qui existe. L’angoisse de la mort disparaît quand on accepte ce sort de toutes façons inéluctable. Nul besoin de s’en préoccuper puisqu’on n’a pas prise sur cet avenir. Autant s’occuper du présent. C’est peut-être ce que l’impératif suggère : une volonté du poète de devenir plus sage, d’accepter ce sort, ce destin très humain. C’est aussi un appel à ses lecteurs à faire de même.

Vers 2
- « tu brûles » (J) « partie de cache-cache » : l’expression signifie que celui qui cherche un objet caché est tout proche de le trouver. Noter que l’humour peut-être présent au vers 1 par l’antiphrase se retrouve ici dans cette référence au jeu de l’enfance. Jaccottet évoque un sujet très sérieux, angoissant, mais veut aussi le dédramatiser ainsi.
- Le feu est aussi souvent lié à la passion amoureuse : manière d’introduire ce thème. Le feu est par ailleurs la destruction, la fin progressive de l’individu : la mort est introduite de manière plus précise ici.
- Même emploi de l’exclamation qu’au vers 1 (voir l’analyse plus haut).
- Mise en évidence d’une explication des deux phrases précédentes par l’emploi de la conjonction de cause « car » (J) en tête de 3ème phrase.
- « Le mot » : le poème se réfère à lui-même, au langage qui le constitue. Mise en évidence d’un mot particulier, mais pas cité ici.
- Même emploi de l’indicatif futur : même analyse qu’au vers 1. Certitude accentuée par l’emploi du verbe « être » ainsi conjugué au futur.
- Position du nom « fin » (J) en fin de vers : référence à la fin du poème (puisqu’il parle de « mot » -J), mais aussi suggestion de la fin de l’être humain, de sa mort. La thématique principale du poème se précise petit à petit aux yeux du lecteur.
- L’enjambement (vers 1 à 2) met en avant l’attente de l’être humain (qui attend sa mort), mais aussi son caractère inéluctable et une forme de rapidité de l’arrivée de la mort, de la vie qui est courte. Noter que les deux premières phrases sont courtes, ce qui renforce cet effet.  

Vers 3
- « du poème » (J) : enjambement : effet de surprise (la fin… de quoi ? pouvait se demander le lecteur dans le vers 2). Annonce de la fin de ce poème, alors qu’on vient d’en débuter sa lecture. Comme la vie humaine, le texte a une fin, qu’on sait déjà proche. La lecture du poème mime en quelque sorte la vie humaine. Cela fait penser à certains poèmes de Francis Ponge qui mime aussi le phénomène qu’il évoque (le pain est mangé à la fin du poème, la pluie s’arrête quand le poème qui lui est consacré est terminé). Jaccottet utilise la forme courte du sonnet pour faire ressentir dans sa lecture même le sujet évoqué, celui de la mort de tout être humain.
- « plus que le premier » (J) : comparatif de supériorité. Volonté de comparer deux moments d’un poème. Encore une fois, le poème mime l’avancée du temps qu’il évoque. Quand nous aurons fini de lire le poème, la mort sera plus proche qu’au début de sa lecture !
- « sera proche » (J) : jeu de sonorités avec la rime du vers 1 = accentuation forte du mouvement vers la mort, ou de la mort vers soi. Même usage du futur de l’indicatif (voir plus haut).

Vers 4
- Le chemin est l’image habituelle de la vie, dont la progression vers la mort, vers sa fin, ne s’arrête jamais.
- Personnification de la mort, qui se déplace elle aussi (écho aux autres verbes de mouvement de ce quatrain). Référence aux allégories de la mort dans certaines cultures ?
- Négation totale : manière de renforcer l’avancée inexorable vers la mort.
- Ressemblance phonique des noms « mot » et « mort » (v. 2 & 4 -J) : accentuation encore une fois du fait que le poème mime/reflète la progression du poète, du lecteur, vers la fin du texte, vers la fin de la vie.
- Nouvel enjambement : « de ta mort » (J), attendue à la fin du vers 3, mais inéluctable. La lecture du poème ne peut pas s’arrêter non plus, puisque la fin des vers nous invite/incite à lire ce qui suit. Le lecteur est entraîné vers la fin du texte, comme l’être humain vers sa fin.
  - Le chemin s’arrête toutefois puisqu’il y a un point : fin de phrase + fin de strophe. Manière de suggérer la mort encore une fois ?


Vers 5
- L’image de la mort endormie sous les branches est-elle un clin d’œil humoristique à la fable du « Lièvre et de la Tortue » de La Fontaine ? La mort ne serait donc pas le lièvre, qui perdrait contre la vie au final, mais la tortue qui poursuit inlassablement son chemin et vainc tout être vivant au final. Même humour que dans la 1ère strophe : volonté de la part de Jaccottet de ne pas trop se prendre au sérieux comme poète, peut-être.
- Suite de la personnification de la mort, entamée dans la strophe 1 : le pronom « elle » (J) reprend le groupe nominal « ta mort » (J). Nouvel usage d’un verbe de mouvement (« aille » -J- = verbe « aller »). Le temps avance sans cesse, donc la mort s’approche sans cesse pour chaque être humain.
- Parallèle avec la strophe 1 : même emploi d’un verbe à l’impératif au début (« ne crois pas » -J). Volonté du poète de s’auto-persuader ? Conseil donné au lecteur ?
- Le verbe « croire » se réfère à l’opinion personnelle de chacun. La croyance peut être une opinion non fondée rationnellement (ex. si on croit en Dieu, on n’a pas la preuve qu’il existe). Donc ici le poète lutte contre cette tendance de l’être humain à vouloir se tromper lui-même, à penser que la mort ne viendra pas si vite, à oublier parfois sa finitude, le fait qu’il mourra forcément un jour. L’emploi du subjonctif « aille » (J) souligne encore combien cette manière de penser est une erreur, un mensonge à soi-même, une illusion.

Vers 6
- Nouvelle auto-référence, comme dans une mise en abyme, au poème lui-même (« tu écris » -J). Le poème évoque la mort, mais aussi l’écriture littéraire, qui a parfois été présentée comme lutte contre le temps qui passe, comme une manière pour le poète de rester vivant après sa mort, par ses écrits. Ici, Jaccottet semble plus pessimiste : l’écriture littéraire ne stoppe pas le temps, même un instant. C’est peut-être une réponse aux poètes qui évoquaient l’écriture poétique comme une manière d’être éternel (pensez à Ronsard dans le poème « Quand vous serez bien vieille » (à lire ici : https://www.poetica.fr/poeme-90/pierre-ronsard-quand-vous-serez-bien-vieille/). Le poète parle à la fois à tout le monde (voir l’emploi universalisant de l’article défini « la » -J- au vers 2, et l’indéfinition du « tu », du « cela », et l’évocation large de la mort),  et parfois plus particulièrement de lui-même.
- Suite de la personnification de la mort (elle a du souffle, ou le perd !). La mort est comme un être humain, nous ressemble. Ce peut être une manière de la dédramatiser, de la banaliser.

Vers 7
- L’eau est le principe de la vie. Comparaison entre l’amour et l’eau, qui permettrait de lutter contre la mort.
- Répétition de « même quand » (J) : évocation du temps qui passe par la conjonction « quand » (J), et manière de suggérer, avant même l’arrivée de la proposition principale « elle vient » (J), que tous ces efforts seront vains, que l’amour n’empêchera pas la mort de survenir.
- Bien lire ce que dit Maulpoix sur la structure grammaticale à partir de ce vers.
- Boire à la bouche (renforcée par l’allitération en [b]) : proximité des deux êtres qui s’embrassent, et se donnent vie l’un à l’autre. La référence à la bouche est sensuelle : début d’une image de l’amour. « tu » (J) peut être ici l’être humain à qui s’adresse le poète. Il s’attarde sur cette partie de son corps, qui suggère les baisers, le contact amoureux entre eux.
- « étanche » (J) : forme d’apaisement (physique), qui rappelle l’appel à la tranquillité du vers 1. On peut étancher une source, en arrêtant son écoulement. L’écoulement de l’eau a souvent été associé à la vie qui passe, sans cesse (voir Héraclite : « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », ou le poème d’Apollinaire « Le pont Mirabeau »).

Vers 8
- Encore un enjambement : attente du COD du verbe « étancher » + encore une fois le caractère inéluctable de ce qui définit l’être humain, la condition humaine. Mise ainsi en évidence aussi du superlatif « la pire soif » (hyperbole) : pas de définition de ce qu’est cette soif. Soif = la mort (si on ne boit pas, on meurt rapidement) ? Soif de trouver de quoi combler l’angoisse du temps qui passe, notamment en passant du temps avec une personne aimée ? 
- « cris » (J) placé en fin de vers, de strophe, éloigné de son adjectif « doux » (J), est connoté de manières diverses mais plutôt de manière négative : cris de l’amour ou cris de l’effroi devant la progression de la mort que l’amour même ne permettra pas d’éviter ? Noter le contraste fort entre « douce » (J) et « cris » (J) : la douceur de la bouche renvoie par métonymie (synecdoque, plus précisément ici) à la douceur de celui/celle qui possède cette bouche, à son caractère doux, à ses paroles douces ≠ les « cris » (J) sont une parole qui n’est pas apaisante, pas agréable à écouter, des mots qui ne sont pas articulés (donc absence de communication et expression de la colère ou de la douleur). La douceur de vivre un amour est un écho à la tranquillité de l’âme souhaitée depuis le vers 1. Noter l’assonance entre « douce » et « bouche » (J), qui renforce le fait qu’aimer une autre personne peut être source de réconfort.  


Vers 9
- Allitération en [r] : « serres » (J), « force » (v. 9 -J) & « quatre bras » (v. 10 -J) : comme le geste désespéré des amants qui sont solidaires l’un de l’autre en espérant ne pas disparaître, ne pas être séparés par la mort ? Effort pour rester ensemble et lutter contre la fin de leur relation amoureuse ? (dans ce 2ème cas, cela renforce l’idée que rien n’est permanent dans ce que les êtres humains entreprennent : pessimisme de Jaccottet). Mais aussi, simplement, métaphore de l’amour (y compris physique : cf. sensualité de ce poème). Les quatre bras semblent appartenir à un seul et même être : union des deux amants.

Vers 10
- « immobiles » : préfixe qui permet de souligner l’inverse du mouvement : les amants tentent d’opposer leur immobilité au mouvement inéluctable de la mort vers eux.
- Peut-être référence implicite au poème « Le Pont Mirabeau » d’Apollinaire (à lire ici : http://www.toutelapoesie.com/poemes/apollinaire/le_pont_mirabeau.htm) : « le pont de nos bras ». Ce poème évoque lui aussi le passage du temps, et oppose le poète, immobile sur le pont, et la Seine, dont l’eau s’écoule inexorablement au-dessous de lui, emportant ses amours, son passé.

Vers 11
- Reprise d’un mot de la même famille : « tu brûles » (v. 2) / « brûlante » (v. 11). Le poème commence à se refermer sur lui-même = aspect inéluctable de la fin annoncée dès le début du texte. Polysémie de l’évocation du feu : feu-passion des amants (sensualité, amour physique) ; feu de la destruction, de la mort, ce que confirmerait le fait que l’adjectif complète le nom « obscurité » qui connote souvent l’absence de la vie, la mort.


Vers 12
- Proposition principale (« elle vient » -J) placée après les propositions principales : grammaticalement, elle était attendue, d’autant plus que l’emploi de « même quand » suggérait d’emblée une opposition, donc le caractère vain de l’échappatoire de l’amour : aimer quelqu’un ne suffira pas à éloigner la mort, ne peut la faire oublier. Le verbe de mouvement « venir » est repris du vers 1 (« viendra » -J), montrant la progression incessante de la mort, accentuée par le passage du futur au présent (la mort est plus proche). Le retour du pronom « elle » (J), non utilisé depuis le vers 5, remplace l’évocation du couple (« tu », « vos » -J). Le caractère inéluctable de l’approche de la mort est aussi mis en évidence par sa position en début de strophe, après une attente provoquée par le passage du 1er au 2ème tercet, dans une phrase qui n’était pas terminée. On attend la mort, et elle arrive effectivement : aucune fuite n’est possible. Le temps présent du verbe peut être interprété comme un présent de vérité générale.
- La référence à Dieu rappelle la fatalité de la mort (Dieu est omniscient, donc lui seul est au courant du moment de la mort de chacun), mais c’est aussi une expression un peu familière, souvent détachée de l’idée d’une divinité supérieure (comme quand on dit « Mon Dieu ! »). Cela fait écho aux moments, dans les deux quatrains, où Jaccottet utilise un langage plus familier, courant. Tout en proposant un sonnet angoissé, il s’amuse du sérieux de ce qu’il écrit, du genre poétique souvent considéré comme le lieu où un langage très particulier se développe. Ceci rappelle aussi le langage poétique de Jacques Prévert qui incluait des mots familiers (" « connerie » in « Barbara » : https://www.lesvoixdelapoesie.com/poemes/barbara), des comptines (" « Les belles familles » : https://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/user_upload/ia28/doc_peda/MDL/actions/poesie/Banques/L_humour_et_la_fantaisie/Les_belles_familles.pdf), dans ses créations poétiques, montrant que le langage poétique est partout, peut absorber toute forme de langage.
- « détours » (J) : la mort peut se présenter parfois à un être humain, mais il peut en réchapper à plusieurs reprises. Il n’empêche que des détours peuvent retarder une arrivée, mais qu’elle se produit malgré tout. L’être humain peut croire reculer l’échéance fatale, sans y parvenir.
- Allitération en [v] : « vient », « vers », « vous » (J). Manière de renforcer la proximité de la mort, qui, ici, ne concerne plus qu’une seule personne, mais les deux amants. L’amour, l’union de deux êtres, ne permet pas d’éloigner la mort. Elle concerne tout le monde.

Vers 13
- Echo à « détours » (« loin » ou « près » -J) : la mort concerne tout le monde, qu’elle paraisse éloignée, si on est jeune par exemple, ou proche, si on est vieux, ou malade. Caractère inéluctable encore une fois répété. Universalité du poème, qui évoque la condition humaine en général, qui évoque le sort de tous. Rime interne entre « très » et « près » (J), qui montre une égalité de traitement, qui montre que la mort arrivera forcément, tôt ou tard.
- Reprise de l’impératif du vers 1. Le poème se referme sur lui-même, comme une démonstration : la mort concerne tout le mode, est inéluctable, et on ne sait quand elle surviendra. Toutefois (l’opposition est nettement marquée par la conjonction de coordination « mais » (J)), il faut tenter malgré tout de ne pas passer sa vie à avoir ceci en tête, de trouver une forme de tranquillité morale, psychologique. Jaccottet a annoncé l’objectif de son poème au vers 1, et reprend la réflexion à la fin.

Vers 14
- Gradation : la proximité de la mort se fait de plus en plus pressante, puisque le poète avait dit que la mort serait plus proche entre le 1er mot et le dernier mot du poème (v. 2-3-4), et ici elle se rapproche de mot en mot. Négation du pouvoir de la parole pour lutter contre la mort. Le fait aussi que le poème évoque la mort la rend plus présente pour le poète lui-même, et pour le lecteur. Approche de la mort renforcée par l’anaphore « elle vient » (J) entre les vers 12 et 14 : caractère pressant.
Ou : 2ème manière d’envisager, d’interpréter cette répétition " puisqu’elle suit la répétition de « sois tranquille » (J), elle peut être interprétée de manière plus apaisée (rappel de l’ataraxie évoque au vers 1). La mort vient, certes, mais puisqu’on ne peut la contrôler, il faut vivre avec cette idée, l’accepter (d’où l’emploi de l’impératif : comme la mort est obligatoire pour tous, il est aussi obligatoire de savoir vivre sereinement avec cette idée de la fin).
- Comme au vers 2, la conjonction « car » (J) venait expliquer, les deux points annoncent ici aussi une explication. Celle-ci répète le caractère inéluctable de la mort. Si on ne peut contrôler quelque chose, inutile de se battre contre : c’est peut-être le message de l’auteur.
- Le poème parle de lui-même, comme dans une mise en abyme. Reprise du terme « mot » (J), déjà utilisé au vers 2, ce qui montre encore le fait que le poème est construit symétriquement entre le début et la fin de lui-même. La reprise de « mot » (J) montre encore une fois que le sonnet vise à mimer la fin de chaque être humain : le poème s’achève, comme chacun mourra.
Par ailleurs, c’est aussi de la parole poétique, de l’auteur, dont il est question, grâce à cette ambiguïté sur l’identité de « tu » (le poète seulement ? l’être aimé ? le lecteur ? l’être humain ?). Jaccottet sait qu’à chaque nouveau mot qu’il aligne, il se rapproche de la mort. Mais c’est aussi le cas de tout être humain : nous sommes des êtres de langage. Contrairement aux animaux qui ont un langage inné, qui évolue peu, nous sommes capables de faire évoluer en permanence notre langage, qui est complexe du point de vue grammatical et lexical, qui exprime nos réflexions. La fin du poème, c’est la fin du langage. La fin du langage, c’est la fin de tut être humain. Il faut donc continuer  communiquer entre nous, à parler, à écrire (des poèmes, entre autres).
- Fin du poème sur l’adjectif qualificatif « vieux » : insistance sur le passage du temps, toujours plus visible.
- Dernier vers constitué de mots monosyllabiques : rapidité du temps qui passe, comme le passage d’un mot à un autre est rapide.
 


vendredi 15 mai 2020

France Culture aide à réviser les oeuvres au programme


Depuis le 6 avril, la station de radio France Culture a démarré une nouvelle émission visant à vous permettre de réviser les œuvres au programme.  Je vous ai sélectionné celles qui vous concernent : soyez à l'écoute !

Lien général vers la page "Nation apprenante" de la station de radio :