mardi 15 mars 2022

Lecture analytique linéaire : la première rencontre de la Princesse et du duc (version courte)

 



Aspects majeurs du texte : 

 

* Une rencontre placée sous le signe du sublime, de l’extraordinaire en ce qui concerne les deux personnages.

 

* Le passage est organisé autour du rapprochement puis de l’attirance réciproque entre les deux personnages dès cette première rencontre.

 

* Ce passage amorce la suite du récit, le nœud de ce roman, puisque cette attirance, alors qu’elle est mariée, va poser problème.

 

* Le poids de la Cour (sur nos deux personnages principaux), de ses conventions, de son regard, est encore une fois développé. 

 

Problématiques possibles :

* Comment cet extrait met-il en scène le rapprochement progressif des deux personnages ?

* Comment la rencontre entre la Princesse et le Duc est-elle présentée comme à la fois exceptionnelle et inévitable ?

* En quoi l'extrait souligne-t-il que la rencontre des deux personnages est placée sous le signe d'une forme de destin ?

 

Plan divisé en trois parties :

 

1) Lignes 1 à 5 : Mise en situation ; préparation de la rencontre

 

2) Lignes 5 à 14 : Le point de vue de la Princesse de Clèves : vers le 1er regard porté sur Nemours

 

3) Lignes 15 à 21 : La réaction de Nemours, la danse ensemble, et la réaction de la Cour


Étude linéaire :

 

Partie 1 (lignes 1 à 5) : la préparation de la rencontre :

 

* Emploi de verbes au plus-que-parfait de l’indicatif (« avait ouï » ; « avait dépeint » ; « avait parlé » ; « avait donné ») : retour en arrière dans un récit au passé.

Visées de ce retour en arrière : explication sur le fait que la Princesse connaît déjà un peu Nemours, mais ne l’a encore jamais vu ; manière aussi de guider le récit, et donc la Princesse vers Nemours, comme si le récit lui-même ne lui laissait aucun choix, ou que les circonstances, le hasard devaient la guider vers cet homme (comme une fatalité tragique).

 

*Mise en relation des deux personnages, préparation de la rencontre dès le début du passage, et ainsi dès cette 1ère phrase du paragraphe : « Mme de Clèves » sujet du verbe / « de ce prince » COI du verbe « parler » ; plus proche par les deux pronoms « le lui » (l. 2), « lui en » (l. 3).

Le point de vue de la Princesse est mis en avant et prépare également la rencontre des deux personnages :

- les sens de l’ouïe et de la vue sont cités (« ouï » + « parlé », « voir » + « dépeint ») ; des sentiments, la « curiosité », puis « l’impatience » sont aussi mis en avant. Noter que la curiosité est une manière de montrer que la Princesse se met en mouvement vers le Prince de Nemours, que l’impatience est une gradation (mouvement plus rapide, désir plus fort), la phrase se terminant par « voir » qui souligne ce mouvement, et annonce ce qui va suivre (elle va le voir effectivement).

 

*La Princesse n’est pas seule responsable du rapprochement futur avec le duc de Nemours : rôle majeur de la reine dauphine dans la rencontre entre les deux personnages. Si le début de la phrase dit que toute la Cour est responsable du fait qu’elle connaît déjà un peu Nemours (« à tout le monde »), la suite souligne le rôle de la dauphine : mise en évidence après la pause marquée par le point-virgule + conjonction « et » renforcée par l’adverbe « surtout » d’accentuation, avant de citer « madame la dauphine » qui lui propose un portrait visuel (« dépeint »), répète le portrait (« tant de fois »). La structure même de cette partie de la phrase montre que la « curiosité » et « l’impatience » de la Princesse est la conséquence de cette attitude de la dauphine (« d’une sorte…. qu’elle lui avait donné » : la proposition subordonnée circonstancielle de conséquence souligne ce rôle de la dauphine sur les réactions de la princesse).

Noter que cette subordonnée et le verbe « donner » montrent que la Princesse subit cette action de la dauphine.

*Importance des apparences, des codes de la Cour : description physique de Nemours méliorative (« mieux fait » l. 2) et relatif à l’art de la conversation, de l’art de se faire apprécier (« de plus agréable » l. 2). Le verbe « dépeindre » se rapporte aussi aux apparences, laissant penser à une peinture, une représentation visuelle. Le verbe « voir » (l. 4) souligne encore ce champ lexical de la vue, de ce qui est visible. Enfin, la précision sur le fait que la Princesse a passé « tout le jour » (complément circonstanciel de temps) « à se parer » (l. 4), souligne encore ce souci de l’apparence donnée aux autres en vue du bal, moment de représentation sociale ; la fin de la phrase, par la proposition subordonnée de but« pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre », le montre encore : le fait de « se parer » est soumis à cet objectif, à ce moment du bal, et le dernier mot de la phrase évoque le palais royal, le Louvre, lieu central de la Cour.

Le début de la partie 2 poursuit sur cette importance accordée à l’apparence : le pronom « on » (l. 5) évoque la cour, le verbe « admira »(l. 5) indique le regard de la Cour sur la Princesse, et les éléments observés indiqués en COD poursuivent l’attention seulement portée sur l’apparence : « sa beauté et sa parure », éléments physiques et extérieurs de la Princesse. Implicitement, on peut y voir une référence à la superficialité de la Cour.

 

 

Partie 2 : Lignes 5 à 14 : vers la rencontre et les réactions de la Princesse

 

Suite du récit en se focalisant de nouveau sur la Princesse :

- elle est sujet des verbes, c’est elle qui agit (verbes au passé simple, actions de 1er plan : « passa » l. 4, « arriva » l. 5, « acheva » l. 7, « se tourna » l. 9 ; + quelques verbes à l’imparfait « dansait » l. 6, « cherchait » l. 8) ; c’est son regard que l’on suit, donc son point de vue (point de vue interne) (« cherchait des yeux » l. 8, « vit » l. 9), ou ses pensées (« crut » l.9).

- On peut même penser que la manière de vivre l’arrivée de Nemours est vécue par elle, en point de vue interne (même suspense pour le lecteur que pour elle) : « comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit » (l. 6) = lien entre la proposition subordonnée antéposée et la proposition principale qui la suit, entre ce que fait la princesse et ce nouvel événement. Utilisation du pronom « il » (l. 6) impersonnel, qui n’indique pas l’origine de ce bruit (la Princesse ne peut savoir ce qui se passe puisqu’elle danse, est occupée). « quelqu’un » (l. 8) + « à qui » (l. 7) : désignations du nouvel arrivant par des pronoms qui permettent de ne pas le nommer = la Princesse ne sait de qui il s’agit, et ainsi le lecteur ne le sait pas non plus (forme de suspense). Même technique plus loin par des désignations imprécises : pronom démonstratif « celui qui arrivait » (l. 9) ; GN « un homme » (l. 9).

- L’organisation spatiale montre aussi que le récit se situe sur la piste de danse, où la Princesse se trouve : « le bal commença » + « elle dansait » + « acheva de danser » + « cherchait quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre » ≠ CC lieu « vers la porte de la salle » + « qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait ».

 

*Le rapprochement des deux personnages se poursuit.

-La proposition subordonnée relative « qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait » (l. 10) montre que les deux personnages se rejoignent, par la répétition du verbe « danser » précédemment utilisé pour la Princesse à la ligne 6), et par le verbe de mouvement « passait » (Nemours vient vers la princesse), suivi du complément circonstanciel de lieu qui débute par la préposition « par-dessus », qui suggère qu’il surmonte les obstacles matériels qui les séparent.

Autre élément qui montre une focalisation interne (point de vue de la Princesse), mais aussi le rapprochement de Nemours : « celui qui arrivait »(l. 9) se transforme en « un homme » (l. 9) puis en « M. de Nemours » (l. 10), suivant la découverte progressive par la Princesse du nouvel arrivant.Les verbes « se tourna » et « vit » (l. 9) au passé simple (actions de 1er plan, qui soulignent l’avancée du récit, donc ici du rapprochement) montrent le déplacement et le regard de la Princesse pour être dans l’axe de Nemours, et ce n’est qu’à ce moment qu’il est nommé, y compris pour le lecteur.

 

*Le point de vue interne permet de rendre compte des réactions de la Princesse à la vue de Nemours :

- sentiment : « surprise » (l. 11).

sens de la Princesse, mais aussi ensuite de Nemours : ouïe →« assez grand bruit » (l. 6) ;vue → « cherchait des yeux » (l. 8), « vit » (l. 9), « vu » (l. 12), « l’air brillant » (l. 13), « voir » (l. 13). La vue vient préciser ce que l’ouïe a juste perçu. La vue est aussi le 1er rapport direct entre les deux personnages, leur 1re mise en relation. Le verbe « voir » s’applique d’ailleurs d’abord à la Princesse, puis au duc.

 

L’apparence extérieure revêt une importance capitale ici (à lier à la vue, développée ci-dessus) : les deux personnages sont qualifiés très positivement par leur apparence, ce qui crée encore une fois un lien entre eux, comme s’ils étaient destinés à se rencontrer. Ainsi, le verbe « (se) parer » les décrit l’un et l’autre (l. 4& 12), repris, pour la princesse par le nom de la même famille « parure » (l. 6).

 

Qu’est-ce qui provoque leur rencontre ? 

- Le roi a une responsabilité indéniable : au début de la phrase qui indiquait un « dessein » (l. 8) personnel de la princesse, donc un choix, répond, par la proposition principale juxtaposée juste après la proposition subordonnée circonstancielle de temps consacrée à la Princesse, l’ordre du roi (que le verbe « cria »l. 9). Cela semble rendre pressant cet appel, au-delà du statut royal de ce personnage ; noter aussi la répétition du verbe « prendre »(l. 8 & 9) qui souligne l’inversion, le passage du choix personnel à l’acte imposé.

- Par ailleurs, le récit semble montrer qu’ils ne pouvaient que se rencontrer et être attirés l’un par l’autre (une forme de destin ?) :

mêmes termes ou termes au sens approchant utilisés pour l’un et pour l’autre (« se parer » l. 5 & 14 ; « tout le jour » l. 4 & « le soin qu’il avait pris » l. 12 ; « sa beauté » l. 5 & « l’air brillant » l. 13 ; « surprise » l. 11, de la Princesse et « grand étonnement » l. 14, de Nemours, avec une phrase construite sur un parallélisme : « il était difficile » / « mais il était difficile aussi » + « de le voir » & « de voir Mme de Clèves » qui souligne cette réciprocité des regards de l’un sur l’autre et leur même réaction à la vue de l’autre) ;

mêmes regards de la Cour portés vers eux (« on admira » l. 5 & réactions à la porte à l’arrivée de Nemours « à qui on faisait place » l. 7). Le fait que Nemours enjambe des sièges montre qu’aucun obstacle ne saurait se mettre entre lui et elle. Les propositions grammaticales introduites par le pronom indéfini « il » (« il était difficile ») soulignent aussi que chacun des deux personnages ne peut qu’admirer la beauté de l’autre, n’est pas maître de sa réaction qui est présentée comme inéluctable quand on les regarde ou l’un ou l’autre. La vue, le regard porté sur l’autre (le verbe « voir » suit « il était difficile » dans les deux cas), entraîne vers l’admiration et une première forme d’attirance.

 

 

Partie 3 : Lignes 15 à 21 : la réaction de Nemours, la danse et la réaction de la Cour :

 

Le mouvement de rapprochement des deux personnages se poursuit.

- Nemours est attiré vers la Princesse, sans pouvoir semble-t-il contrôler ce mouvement : l’emploi de la voie passive (« [il] fut tellement surpris » l. 15) souligne qu’il ne contrôle pas sa réaction ; la négation qui entoure le verbe « pouvoir » l. 16 montre encore qu’il perd ses moyens face à la Princesse. Noter d’ailleurs qu’entre la conjonction de subordination « que » l. 15 et la proposition subordonnée qu’elle débute, entre virgules, le narrateur introduit deux subordonnées circonstancielles de temps où la princesse est présente (« lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence ») : c’est une manière de souligner encore que la proximité de la princesse lui ôte toute possibilité de contrôler ses propres réactions.

- Physiquement, les deux personnages sont désormais côte à côte : « proche d’elle » ; « ils commencèrent à danser » (l. 15 & 16-17). Ils entrent en relation l’un avec l’autre, autrement que par le seul regard porté sur l’autre : « elle lui fit la révérence » (noter la proximité des deux pronoms qui les désignent l’un et l’autre : « elle lui »). Les pronoms changent : chacun était désigné différemment (« il », « elle » l. 15 par exemple) ; ils sont rassemblés dans un seul pronom personnel, « ils » (l. 16, 18, 19, 20, 21) ou « les » (l. 18) ou « leur » (l. 20). Notons encore que la fin de la danse est marquée par l’adverbe « ensemble » (l. 19). Tout ceci souligne encore une fois que ce rapprochement était comme inévitable, et prépare la suite du récit où ils seront tournés l’un vers l’autre, attachés par une passion amoureuse réciproque.

 

* Les lignes 15-16 poursuivent la focalisation débutée sur le personnage de Nemours :

- Celle-ci avait commencé à la ligne 11, par la phrase construite sur un parallélisme (l. 11-14), mais mettant en place une inversion :« il était difficile de n’être pas surprise de le voir » / « mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves » -> transition du regard de la princesse sur Nemours vers le regard de Nemours sur elle.

- expression des sentiments du personnage (« grand étonnement » l. 14, souligné ensuite dans le paragraphe suivant par « tellement surpris » l. 15, les deux expressions mettant en valeur la profondeur de ce sentiment, par l’adjectif épithète « grand » et la conjonction de subordination « tellement que » ; « marques de son admiration » l. 16) ; regard porté sur la Princesse (« voir Mme de Clèves » l. 13).

 

Le regard de la Cour rejoint celui de Nemours : la beauté de la Princesse est encore une fois soulignée :

- La réaction de Nemours est exprimée par hyperboles (voir ci-dessus) et on remarque son incapacité à masquer son admiration, dans un lieu où il faut savoir maîtriser son apparence tant physique que morale.On note la reprise du groupe nominal « sa beauté » (l. 15, cf. déjà employé l. 5). Nemours a donc la même réaction que tous (pronom personnel indéfini « on » l. 6 avant la première occurrence du GN). Il ne distingue donc pas de la foule de ce point de vue. Il s’en distingue par la réaction de la Princesse à son égard, et par l’admiration qu’il suscite lui aussi à la Cour.

- Le regard de la Cour reste présent au long de cet extrait. Le poids de la vie publique sur les personnages est indéniable : la Princesse passe « tout le jour » à se préparer « pour se trouver au bal et au festin royal » (l. 4-5) et Nemours a aussi pris « soin » de « se parer » pour ce jour des fiançailles royales au Louvre (l. 12) ; le fait de citer la cérémonie au début de l’extrait rappelle l’aspect public de ce bal, l. 4-5) ; répétition des termes qui rappellent que les deux personnages ne sont pas seuls, sont entourés (pronom personnel indéfini « on » l. 5, 7, 10 ; citation de certains personnages publics connus, comme De Guise l. 6, le roi l. 8, « le roi et les reines » l. 17 ; rappel du lieu qui est ce soir-là bondé : « au bal » l. 5, « au Louvre » l. 5, « la salle » l. 7, 17) ; réactions de la Cour face aux deux personnages (« on admira » l. 5 ; « assez grand bruit » l. 6 ; étonnement l. 11-14, dans les propositions introduites par « il était difficile » qui s’appliquent aux deux personnages, mais aussi plus largement à tout le monde par leur caractère impersonnel ; « un murmure de louanges » l. 17 ; « trouvèrent quelque chose de singulier » l. 18).

Le fait de passer de la réaction de toute la salle (l. 16) à celle du roi et des reines (l. 16-17) prépare la fin de l’extrait où ils vont provoquer le dialogue entre les deux personnages principaux.

 

Les deux personnages ne sont pas maîtres d’eux-mêmes, sont comme guidés par la Cour, représentée ici par le roi et les reines. « Ils les appelèrent » (l. 19) : « ils » sujet du verbe et « les » COD du verbe. « sans leur donner le loisir de parler à personne » : proposition qui débute par la préposition négative « sans », où l’emploi de « personne » marque aussi une privation, une négation, et où les deux personnages sont encore désignés par un pronom complément (« leur »), ce qui souligne leur absence de liberté d’agir dans ce monde de la Cour. Dans la suite de la phrase, lignes 19-21, ils sont encore désignés par le pronom « leur », ou apparaissent dans des propositions subordonnées (« s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient », « et s’ils ne s’en doutaient pas ») à la proposition principale dont le sujet du verbe est « ils » (= roi et reines) : autre marque du fait qu’ils ne sont pas ici libres de leurs mouvements.

Dans le dialogue qui suivra, la situation sera la même. Le dialogue est ici initié par le roi et les reines (« leur demandèrent » l. 20 + deux propositions subordonnées interrogatives indirectes introduites par « si »).

 

En conclusion :

- Le caractère exceptionnel de cette rencontre est souligné de différentes manières : cadre hors normes (fiançailles de la fille du roi Henri II, Claude de France avec le duc de Lorraine ; palais royal des Valois, le Louvre) ; temps passé par les personnages à « se parer » ; arrivée fracassante de chacun des deux personnages, admirés par la Cour ; guidage des deux personnages l’un vers l’autre grâce au récit et à d’autres personnages ; réaction de grande surprise de chacun des personnages et réunion comme fusionnelle des deux personnages.  

- D’une certaine manière, la suite de la relation entre les deux personnages est comme déjà en germe ici : l’ambiguïté et la difficulté à venir de cette relation sont comme déjà annoncés : difficulté de la princesse à s’avouer son amour ; refus par la Princesse d’accepter de tromper son époux ; impossibilité d’afficher cette passion en public.

- Le lien entre passion et regard est déjà souligné ici : voir l’autre, c’est l’aimer, succomber à sa passion, ne pas la maîtriser.    

- Le poids des conventions sociales, de la Cour qui s’impose aux personnages est aussi bien développé ici.

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire