dimanche 26 mars 2023

Lecture analytique linéaire : Les Fausses Confidences, acte II, scène 13 (extrait)

 


Pour situer le texte :

 

Tout au long de l’acte II, les preuves d’amour de Dorante pour Araminte se succèdent : il a refusé un mariage avec une riche femme (proposition de M. Remy), un portrait commandé par Dorante se révèle être celui d’Araminte, Dorante a admiré le portrait d’Araminte suspendu dans son appartement chez elle. Mais il n’a rien avoué à la principale intéressée, Araminte.

Araminte, qui est celle qui doit se faire piéger par Dorante, aidé de Dubois, renverse ici la situation, en étant celle qui veut piéger Dorante, lui faire enfin avouer directement cet amour.

 

Aspects majeurs du texte :

 

* Jeux de pouvoir :

- Araminte impose son pouvoir à Dorante, en jouant de son autorité sociale (il travaille pour elle en qualité d’intendant), mais aussi dans un but précis : lui faire avouer l’amour qu’il lui porte.

 

- Dorante est soumis aux ordres, les suit, mais trouve plusieurs moyens de résister en partie à l’autorité d’Araminte à ce moment. Il n’avouera pas son amour pour elle. Il n’y aura donc pas de confidence.

 

* Jeux de communication :

- Les deux personnages ne parviennent pas à communiquer, à échanger. Chacun dissimule, ne dit pas le vrai sur soi ; Araminte ment même en mettant en scène la lettre qu’elle ne compte pas envoyer.

 

- Le texte multiplie pourtant le jeu de communication : la communication est orale (au moment de la scène et attendue entre Araminte et le comte), mais aussi épistolaire ; et le texte multiplie les liens de communication entre personnages : Araminte et Dorante se parlent ; Araminte s’adresse au comte dans la lettre ; Araminte s’adresse en fait à Dorante en feignant de s’adresser au comte ; chacun s’adresse à soi-même, à défaut de communiquer avec l’autre directement.

 

* L’extrait prend des sens pluriels, pour le spectateur, du fait de cette communication détournée. La double énonciation théâtrale est pleinement exploitée (le spectateur en comprend bien plus que Dorante, et même qu’Araminte) :

- Ambiguïtés des paroles : Araminte passe par le détour d’un piège tendu à Dorante pour le faire parler : le contenu même de la lettre prend un sens particulier de ce fait.

 

- Les personnages ne veulent pas se livrer mais ils le font de manière implicite : leur amour est perceptible et ils se dévoilent malgré tout, au moins au spectateur. 

 

Questions problématiques possibles :

- Comment Araminte use-t-elle de son autorité pour tenter de faire avouer à Dorante son amour pour elle ?

- Comment Araminte se fait-elle ici stratège afin de faire parler Dorante au sujet de l'amour qu'il lui porte ? 

- En quoi l'autorité d'Araminte sur Dorante vise-t-elle à une vérité avouée par Dorante ?

- En quoi Dorante subit-il le stratagème d'Araminte mais parvient-il à lui résister ?

 

Découpage du texte (plan) : 

1) Lignes 1 à 6 : Dorante résiste en se basant sur un prétexte matériel.

2) Lignes 7 à 14 : Dorante résiste en argumentant.

3) Lignes 15 à 22 : Dorante se trouve mal.

 

Analyse linéaire :

 

Partie 1 :

* Lignes 1 à 4 :

- Araminte impose son autorité à Dorante.

Analyse des deux didascalies : elle agit, ce que montrent les deux verbes d’action ; « elle-même » renforce le verbe « allant », rappelant qu’elle est l’employeur de Dorante et n’était pas censée se déplacer pour l’aider.

Emploi d’une phrase interrogative (l. 1) : elle guide le dialogue, car cela suppose que Dorante lui réponde, d’autant que la question le vise personnellement par l’utilisation du pronom personnel « vous ». La reprise par Araminte des paroles de Dorante, sous forme exclamative (« je ne trouve point » -> « vous n’en trouvez point ! ») apparaît comme un reproche, qui nie l’incapacité de Dorante à trouver du papier pour écrire la lettre demandée.

Dorante parle à Araminte : emploi de la formule « Madame » ( Araminte quand elle s’adresse à lui) : rappel de leur différence de rang social. Il lui doit le respect, elle peut ne pas s’en embarrasser.

- Dorante résiste à Araminte :

" l’emploi de la négation « ne pas » entourant le verbe « trouve » (l. 2) le souligne : il simule une incapacité presque physique, use d’un prétexte matériel (le « papier »). Il ne parvient pas à s’imposer non plus par la parole : réplique courte (« Il est vrai »), plus courte que celle d’Araminte. NB. La parole est une forme de pouvoir sur l’autre, ce que le théâtre, genre de la parole (entre autres), met bien en évidence.

" la réplique d’Araminte ligne 3 montre encore combien le subterfuge de Dorante pour retarder la rédaction de la lettre ne fonctionne pas : les deux phrases s’opposent (« ne trouvez pas » = négation // présentatif « voilà » + complément circonstanciel de lieu « devant vous ». Dans la première phrase, Dorante ne voit pas le papier, dans la deuxième Araminte le lui montre et il semble très visible. Elle souligne que sa remarque n’a pas de sens.

Dorante est contraint d’avouer qu’il a menti, ce que l’adjectif « vrai », précédé du verbe « être » au présent d’énonciation (l. 4) souligne, et fait bien comprendre qu’il avoue que cette absence de feuille n’était qu’un prétexte. La reprise par Araminte de la négation de Dorante lui permet d’insister sur le mensonge de celui-ci et sur sa faiblesse à ce moment (elle qu’il ne souhaite pas écrire la lettre puisqu’il peut s’agir de perdre toute chance de séduire Araminte).

 

* Lignes 5 à 6 :

- Araminte se présente comme détentrice d’une autorité sur Dorante, d’abord parce qu’elle est effectivement son employeur, ensuite parce qu’elle souhaite lui imposer un aveu de son amour pour elle.  

" Éléments qui montrent la hiérarchie sociale entre eux : début de réplique (l. 5) par un verbe à l’impératif, seul dans la phrase = ordre sec donné à Dorante, sans ménagement. Verbe « écrivez » + citation de la lettre qui suit : elle dicte et il doit transcrire ce qu’elle prononce oralement = travail d’intendant. Deux phrases interrogatives adressées à Dorante : mise en évidence de son autorité (l. 5 & 7) g La première, en fin de réplique, fait écho à l’ordre donné en début de réplique, par le réemploi du verbe « écrire » (« écrivez » / « écrit ») ; elle encadre la citation de la lettre et rappelle l’action que doit accomplir Dorante ici. Le passage du présent de l’impératif (« écrivez ») au passé composé de l’indicatif (« avez-vous écrit ») : autre moyen de faire pression sur Dorante qui doit aller vite dans sa tâche de secrétaire. Nouvel usage par Araminte de la seule deuxième personne du pluriel (« vous ») pour parler à Dorante Dorante la nomme (« Madame » l. 6), pour souligner encore la hiérarchie entre les deux personnages. Dans la lettre, par contre, Araminte utilise « Monsieur » (l ; 5) pour désigner le Comte, ce qui renforce le contraste. 

" L’autorité d’Araminte se retrouve également dans ce qu’elle fait écrire au Comte, ici et plus bas dans l'extrait : on y retrouve plusieurs verbes à l’impératif (« hâtez-vous »  l. 5 ; plus loin : « n’attribuez point » l. 9) et le verbe « vous attend » (l. 8) est dans la proposition subordonnée dont « Madame veut » est la proposition principale. Araminte est une maîtresse femme qui s'impose aussi au Comte. 

- La double énonciation est un stratagème, dans la relation Araminte/Dorante et par rapport aux spectateurs :

" elle se met ici en place, par une double communication, orale entre Araminte et Dorante, écrite entre Araminte et le Comte, mais par l’intermédiaire de Dorante qui écoute et retranscrit à l’écrit ce message au Comte. C’est un moyen de pression supplémentaire d’Araminte sur Dorante, mais c’est aussi une source d’interprétations diverses des termes employés.

" Outre la double énonciation créée par les citations de la lettre dictée par Araminte, il faut également noter les apartés qui permettent ici de révéler les émotions d’Araminte, sans que Dorante en soit destinataire : seuls les spectateurs sont censés entendre ce qu’elle dit « à part » aux lignes 8-9. A-t-elle réussi à influencer Dorante ? Oui puisqu’elle a observé la souffrance intérieure de Dorante : elle l’énonce oralement au début de sa phrase (« il souffre ») ; non parce qu’elle constate aussi que pour l’instant son stratagème n’a pas réussi (opposition par la conjonction de coordination « mais » + négation autour du verbe « dire »). La question qui suit (« Est-ce qu’il ne parlera pas ? »), interrogative totale, laisse entendre qu’Araminte est un peu désarmée, ne sait pas si elle parviendra à faire avouer Dorante, donc à s’imposer à lui de ce point de vue, d’autant qu’il s’agit d’une interro-négative qui guide vers l’idée d’un échec.

- Le but de la double énonciation par la lettre est que Dorante soit forcé d’avouer son amour pour elle. Il faut noter que le spectateur sait pourquoi Araminte dicte cette lettre au Comte, alors que Dorante n’est pas au courant qu’il s’agit d’un moyen de pression sur lui (il doute un peu à la fin de la scène néanmoins, l. 22).

" Le contenu même du billet (courte lettre) est en partie contradictoire : « Madame veut que je vous l’écrive, et vous attend pour vous le dire » : écho des verbes « écrire » et « dire », verbes relatifs à la  communication, et qui se terminent par les mêmes sonorités = mise en avant de la contradiction, car si elle veut lui annoncer cette nouvelle très importante, elle peut se contenter de l’écrire, ou plus logiquement attendre que le comte soit face à elle pour en faire l’annonce.  

" La lettre est donc en fait destinée à Dorante, d’une certaine manière. C’est ce qui explique l’annonce franche « votre mariage est sûr », dans une proposition grammaticale simple, avec le verbe « être » au présent qui énonce une forme de constat. Le verbe « hâtez », en tête de courrier, est aussi une ruse d’Araminte : Dorante va être pris de court dans la course à la conquête d’Araminte, il doit faire vite connaître ses sentiments à Araminte s’il ne veut pas la laisser partir dans les bras du Comte. Donc ce verbe renvoie aussi à la rapidité avec laquelle Dorante devrait avouer son amour : le verbe s’adresse aussi à lui.

- La pression développée par Araminte sur Dorante fonctionne en partie, comme le suggère sa réaction :

" il peine à s’exprimer : la phrase est courte, sans verbe, ce qui suggère une émotion soudaine ressentie par le personnage, qui le met en position de faiblesse dans le dialogue. 

 " l’emploi du mot interrogatif « comment », et l’apostrophe « Madame » (l. 6) peuvent signifier qu’il n’a pas entendu, ce qu’Araminte feint de penser dans sa réplique qui suit (négation autour du verbe « écoutez » l. 7). Mais elle montre surtout son incompréhension : il ne pensait pas qu’Araminte avait pris cette décision, elle qui a notamment montré auparavant qu’elle n’était pas femme à se marier pour des raisons autres que l’amour, puisqu’elle vit déjà aisément.


Partie 2 :

* Lignes 7 à 10 :

- La réaction d'Araminte est aussi indiquée au lecteur/spectateur : outre la double énonciation créée par les citations de la lettre dictée par Araminte, il faut également noter les apartés qui permettent ici de révéler les émotions d’Araminte, sans que Dorante en soit destinataire : seuls les spectateurs sont censés entendre ce qu’elle dit « à part » aux lignes 8-9. A-t-elle réussi à influencer Dorante ? Oui puisqu’elle a observé la souffrance intérieure de Dorante : elle l’énonce oralement au début de sa phrase (« il souffre ») ; non parce qu’elle constate aussi que pour l’instant son stratagème n’a pas réussi (opposition par la conjonction de coordination « mais » + négation autour du verbe « dire »). La question qui suit (« Est-ce qu’il ne parlera pas ? »), interrogative totale, laisse entendre qu’Araminte est un peu désarmée, ne sait pas si elle parviendra à faire avouer Dorante, donc à s’imposer à lui de ce point de vue, d’autant qu’il s’agit d’une interro-négative qui guide vers l’idée d’un échec.

- La pression qu’Araminte impose à Dorante s’accentue au fur et à mesure :

" répétition de la proposition grammaticale « votre mariage est sûr » (l. 5 & 7) pour insister sur cette fausse confidence, quitte à faire souffrir encore plus Dorante ;  début d’une justification de la décision prise d’épouser le Comte aux lignes 9-10 qui vise à provoquer une émotion encore supérieure chez Dorante et le terme « résolution » rappelle à Dorante qu’il s’agit d’un choix apparemment définitif, arrêté.

" la référence au procès (« suites d’un procès douteux ») est soumise à la négation initiale de la phrase (« n’attribuez point »), ce qui nie donc le fait qu’elle ait prise cette décision de mariage pour se sauver d’un procès avec le Comte qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses pour elle (d’où l’emploi de l’adjectif « douteux » pour qualifier le « procès »). C’est la solution que sa mère, Mme Argante, a proposée : le mariage avec le Comte résoudrait le litige qui oppose Araminte au Comte au sujet d’un terrain. Dorante a étudié la question puisque, en sa qualité d’intendant, il doit conseiller Araminte sur ce sujet. La référence au procès a donc pour rôle d’évoquer une question bien connue de Dorante, et de le faire enrager encore plus, en suggérant que ce n’est pas cette problématique très matérielle qui a poussé Araminte à se décider de l’épouser. Elle suggère d’emblée que sa décision a été prise parce qu’elle est éprise du Comte, ce qu’elle énoncera clairement aux lignes 12-13, dans sa réplique suivante.  

" Le verbe « veut », dont « Madame » (l. 7) est le sujet, grammatical, renforce l’idée qu’elle est seule à décider, et que cette autorité s’impose à Dorante puisque le « je » qui le désigne se retrouve dans la proposition subordonnée introduite par « que », donc soumis à Araminte, maîtresse de la proposition principale. 

- La parole est source de vérité et de mensonge/dissimulation : Elle est ici ce qui doit permettre à la vérité d’être mise au jour, mais elle est également ce qui permet de mentir, de ne pas dire :

" l’emploi du nom « mot » (l. 8) montre bien que la parole, le langage pourrait être le moment de la vérité affichée, mais que ce n’est pas encore le cas de la part de Dorante, ce que la négation autour de « parlera » (l. 8) dit également.

" les verbes « écrire » des lignes 5 & 7, comme le verbe « dire » de la ligne 8 mettent en mots un mensonge d’Araminte qui n’enverra pas son courrier puisqu’elle ne souhaite pas se marier avec le Comte. La parole est aussi encore l’expression d’une autorité, puisqu’Araminte s’exprime à la place de Dorante, dans le courrier rédigé : « je » (l. 7 + l. 12) + l’expression de l’explication l. 9-10 est censée être faite directement par Dorante !

 

* Lignes 11 à 13 :

- Dorante résiste à Araminte en argumentant : Il progresse donc en partie puisqu’il use de la logique, de la raison.

" D’ailleurs, il parle ici de manière plus longue que pour les répliques précédentes, donc il reprend un peu le pouvoir que la parole donne à celui qui la développe.

" Il reprend l’argumentation qu’Araminte lui a attribué aux lignes 9-10 pour la contrecarrer : il répète l’adjectif « douteux » (l. 11), qui suggère qu’Araminte pourrait perdre son procès contre le Comte ; l’exclamation qui suit le terme remet en cause cette idée d’échec du procès, ce que le verbe « gagner » employé juste avant a déjà exprimé. Il se rebelle contre le mot qu’elle a utilisé, contre le mot qu’elle lui a fait utiliser. C’est donc une forme de liberté personnelle qu’il revendique ainsi, liberté de penser au sujet de ce procès, liberté de ne pas penser comme Araminte, de ne pas tout se laisser imposer par elle.

" Il exprime sa pensée de manière très affirmée : emploi du verbe « assurer », qui renforce ensuite le verbe « gagner » employé dans la proposition subordonnée COD ; verbe « gagneriez » au conditionnel, mais n’exprime pas ici un doute, puisqu’il s’agit du style indirect (il lui a dit : vous le gagnerez) : donc futur de l’indicatif rapporté au style indirect, ce qui montre une forme de certitude de la part de Dorante qui a bien étudié le litige et pense qu’Araminte ne peut perdre le procès ; certitude répétée par la fin de sa réplique, par la négation « ne... point ».

- Araminte reprend son autorité, ne tient pas compte de ce que Dorante vient de dire, de l’émotion qu’il a exprimée. Elle veut toujours le mettre sous pression, lui faire avouer son amour.

" C’est comme si Dorante ne s’était pas exprimé : elle poursuit la dictée de la lettre débutée avant. 

" elle dit « N’importe », en début de réplique, séparé de ce qui suit par une virgule, donc mis en valeur : elle fait mine de ne pas tenir compte de ce que Dorante a dit (le verbe « importer » signifie « prendre en compte », « s’intéresser », mais il est ici nié). Par ce petit mot elle balaye toute la réplique précédente de Dorante.

" Ce qui renforce encore ce dédain (qu’elle joue), est la suite de cette courte phrase par un impératif seul, une nouvelle fois (voir ligne 5) : « achevez ». Elle lui donne un ordre, celui de poursuivre ce courrier qui le fait souffrir, et la phrase courte ressemble à un refus de dialoguer, d’échanger avec lui, ce qui apparaît comme assez brutal de sa part. Elle lui refuse le droit de s’exprimer (sinon pour ce qu’elle souhaite, l’aveu amoureux).

" La suite de la lettre ressemble aux lignes 9-10 : Araminte fait parler Dorante : emploi de la 1ère personne du singulier « je », sujet du verbe « suis chargé », donc de l’action  exprimée ; ajout de la délégation « de sa part » qui suggère qu’il est seul à rédiger ce courrier au nom d’Araminte, et ajoute des éléments personnels. Le but est de faire souffrir Dorante qui se retrouve ambassadeur forcé de l'amour (qu'elle feint) d'Araminte pour le Comte : sa jalousie et sa douleur ne peuvent que s'en trouver renforcées.

- La double énonciation joue encore ici un rôle dans le sens du message : 

" La lettre est menteuse puisqu'elle ne sera jamais envoyée. Mais Dorante ne le sait pas à ce stade de la scène, alors que le spectateur en a connaissance. Cette lettre est donc une fausse confidence de ce point de vue ; elle se présente comme une vérité sûre (« vous assurer » ; « seule »), pour que Dorante ne doute pas de ce qu’Araminte y explique. Et comme le suggérait la phrase précédente, Araminte dit avoir pris la décision d’épouser le Comte pour des raisons sentimentales, car elle a reconnu son « mérite » (l. 13), ce qui est une décision basée sur la « justice » et non sur une raison matérielle, non désirée réellement. Le but d'Araminte est bien entendu de faire réagir Dorante qui sait qu'il a un concurrent en amour et il doit donc se déclarer rapidement à Araminte sous peine de la voir s'échapper. 

" Araminte dit à Dorante que ce qui lui importe dans le mariage est bien le mérite, l’intérêt personnel que l’on peut trouver à l’autre dans le couple. Araminte, riche veuve, n’a pas besoin de se marier pour gagner un confort matériel et peut donc épouser un homme qu’elle appréciera pour ses qualités personnelles. C’est aussi un message de Marivaux, une réflexion lancée à ses contemporains sur les justifications du mariage dans les milieux de la bourgeoisie et de la noblesse du XVIIIè siècle.

 

* Ligne 14 :

- Araminte parvient à influencer Dorante : aparté = connaissance par les spectateurs de l’état d’esprit de Dorante à ce stade de la conversation : l’interjection « ciel ! » exprime son émotion, comme un cri en une syllabe. Cette émotion est précisée par la phrase qui suit, « je suis perdu ». La force du verbe « perdre », comme le fait de l’employer associé au verbe « être » qui exprime un état, semble suggérer que Dorante se sent piégé dans une décision définitive, qu’Araminte aussi est perdue pour lui définitivement. Il est comme désespéré.

- Mais le stratagème d’Araminte échoue encore :

" pas de communication entre les deux personnages : Araminte a parlé « à part » (l. 8), Dorante aussi.

" Dorante résiste de nouveau en argumentant : Il parle de nouveau un peu plus ; il argumente de nouveau à l’encontre de ce qu’elle lui fait écrire, ce que la conjonction de coordination « mais » (connecteur logique d’opposition), en évidence en tête de phrase, met en avant. L’opposition est aussi marquée par l’emploi du temps imparfait (« aviez »), de la négation qui entoure ce verbe, qui s’oppose aux sentiments avoués au présent de leur conversation par Araminte pour le Comte dans le texte de la lettre (lignes 12-13 : présents des verbes « rend » et « détermine »). L’emploi du terme « inclination » (au sens d’amour) associé au déterminant « aucun » afin de nier cette inclination lui permet à la fois d’exprimer son incompréhension et de rétablir la vérité (sans le savoir).

 

Partie 3 :

* Lignes 15-16 :

- La réplique est en deux parties : le début ressemble encore à l’attitude qu’elle a adoptée depuis le début du dialogue, une forme d’autorité forte, puis elle s’attendrit tout en jouant d’une autre stratégie, en tentant de prendre Dorante par les sentiments en lui parlant de lui, de son état émotionnel.

- Araminte fait encore preuve d’autorité envers Dorante : elle use encore d’un impératif, toujours au début de sa réplique, ne tenant pas compte de ce qu’il a dit, ne commentant pas g elle semble inflexible, sans sentiments, intraitable. On peut aussi se demander si elle ne veut pas « achever » Dorante, si elle ne lui demande pas d’avouer enfin, d’arrêter de résister à ses assauts. Elle répète toute la fin de la phrase déjà dictée de la lettre, qui exprime clairement un amour pour le Comte. C’est encore une manière de faire souffrir Dorante, de le mettre sous pression. L’emploi du verbe de parole « dire » (« vous dis-je ») met en avant le fait que l’autorité d’Araminte passe par ses paroles.

- Double sens ? La citation de la fin de la phrase précédente de la lettre (« Qu’elle rende… détermine ») pourrait être encore une manière de mettre en avant les sentiments d’Araminte pour Dorante, même si elle ne s’est pas encore vraiment avouée à elle-même ce sentiment ; ou cela pourrait être une suggestion à Dorante d’avouer tout le mérite qu’elle a pour lui ?

- L’émotion, les sentiments s’expriment :

" Tout à coup le pronom « vous » pour désigner Dorante se répète, alors qu’il était souvent sous-entendu, dans les verbes à l’impératif.

" Les verbes sont aussi désormais au présent d’énonciation. Araminte paraît tout à coup (à partir de « Je crois ») s’intéresser à Dorante, de manière personnelle.

" Elle évoque son apparence visuelle : « la main vous tremble » ; « paraissez changé » ;,elle se réfère à son physique (« main », « mal »).

" La manière de s’exprimer d’Araminte change, se fait moins autoritaire : Le rythme des phrases assez courtes donne une impression d’inquiétude (un début d’affolement ?). La double interrogation est insistante et montre qu’Araminte n’est plus aussi autoritaire, pose des questions à Dorante sur son sort quand elle les posait avant au secrétaire : le statut des personnages change un peu suite au changement d’attitude d’Araminte envers Dorante.   

On peut noter l’ambiguïté du sens du mot « mal » : mal physique (malaise) ? Ou mal intime, sentimental ?

- Araminte espère avoir réussi à faire plier Dorante : elle exprime peut-être ici son espoir d’avoir réussi à percer la carapace de Dorante, à le faire fléchir, et qu’il va avouer son amour pour elle.

 

* Lignes 17-21 :

- Dorante, comme Araminte, s’exprime plus personnellement : sa réponse répond à la dernière question d’Araminte, par une forme de synonymie (« mal » → « pas bien ») ; emploi de la 1ère personne du singulier avant le verbe « trouve » qui renvoie à son état personnel, à ce qu’il ressent. Ici aussi le sens de « mal » est ambigu, double : malaise physique ? (c’est ce qu’il dit à Araminte) ; malaise sentimental ? (il se le dit à lui-même, le dit au spectateur, et Araminte, au courant des sentiments de Dorante pour elle peut le comprendre en ce sens aussi). Donc Dorante se livre mais de manière encore très indirecte, implicite, cachée.

- Araminte, par contre, reprend son rôle de stratège, joue son rôle et tente encore une fois de contraindre Dorante à avouer son amour pour elle :

" le spectateur sait qu’elle n’est pas sincère et est même ironique (antiphrase) quand elle dit : « quoi ! Si subitement » (double exclamation l. 18) et commentaire qui suit « cela est singulier ».

 Elle a tant joué avec les nerfs et les sentiments de Dorante qu’elle ne peut être vraiment étonnée de cette réaction.

" elle continue à jouer ce rôle de femme qui ne s’intéresse que peu à Dorante, d’employeur de Dorante (rapport professionnel) : elle reprend ses impératifs, donnant des ordres concernant la lettre (« pliez », « mettez », « vous direz » l. 18-19) ; elle critique le travail de son employé, comme pour le rabaisser : « tout de travers » ; « n’est presque pas lisible » (l. 20).  

" on peut noter aussi l’enchaînement des actions liées à la lettre (« pliez », « mettez », « direz », « porte »), l’adresse au comte qui est ainsi nommé complètement et directement (l. 18-19) et donc en partie présent, la référence à l’« adresse » : tout ceci est encore un moyen de faire pression sur Dorante en accélérant l’issue de ce stratagème, de cette situation où la lettre qui permettra d’unir Araminte et le Comte va partir, où cette union va devenir réalité, mettant à bas les projets de Dorante.

- Araminte comprend qu’elle a échoué : l’emploi de « convaincre » après la négation « il n’y a pas encore là » conclut sa dernière réplique de la scène, montrant qu’elle a pris conscience qu’elle n’a pas pu agir sur lui comme elle l’entendait.

- Mais Araminte semble sous le coup de l’émotion, comme Dorante : deux apartés découpent sa réplique (milieu de réplique puis fin de réplique), nuançant, par leur position dans la réplique et par leur sens, l’attitude qu’elle montre à Dorante. Les spectateurs comprennent qu’elle est aussi sous le coup de l’émotion. « Le cœur me bat » : nomme le siège des sentiments, de l’amour, ce qui peut laisser supposer que l’émotion exprimée par ce cœur qui bat, donc qui bat plus vite que d’habitude, est peut-être celui de l’amour qu’elle ressent pour cet homme, sans se l’avouer clairement à elle-même.  

Elle compatit sans doute aussi à tout ce qu’elle a fait endurer à Dorante durant ce jeu de la lettre.


* Ligne 22 :

- Après les apartés d’Araminte dans la réplique précédente, voici ceux de Dorante. Lui aussi fait le bilan de cette scène. Le spectateur peut ainsi comparer les réactions de l’une et de l’autre à la fin de ce jeu de dupes. Ces apartés soulignent aussi toujours une forme d’incommunication entre les deux personnages. 

- Dorante se confie donc : Il se questionne sur le sens de ce qui vient de se passer (phrase interrogative). Et il fait une hypothèse qui contient effectivement la réalité de ce que nous savons, en tant que spectateurs être la vérité : Araminte a fait en sorte de l’« éprouver », de le tester. Il comprend à demi-mot ce qu’elle a voulu faire. Lui qui tente de se jouer d’elle, a failli tomber dans le piège de celle qu’il veut en quelque sorte piéger.

- Le rôle majeur de Dubois dans cette pièce est rappelé en toute fin de scène : Dorante s’est repris, raisonne, mais semble aussi faire appel au metteur en scène de la relation qu’il veut nouer avec Araminte, comme dans un aveu de faiblesse.

 

Conclusion :

* Araminte met effectivement Dorante sous pression ici, devenant celle qui tente de manipuler Dorante, mais elle n'y parvient pas. Cependant, deux scènes plus loin, dans la scène 15, Dorante fera cet aveu. Son stratagème n'échoue donc que temporairement. 

 

* Cet extrait met bien en évidence combien cette pièce propose une réflexion sur la communication, sur un échange de paroles qui soient vraies. Mais paradoxalement, pour accéder à cet échange vrai, il faut en passer par le détour, par le mensonge, par la dissimulation. C'est en quelque sorte aussi une image du genre théâtral qui, en passant par l'illusion de la scène, met en évidence des vérités humaines.