samedi 16 mars 2024

L'image des femmes au cinéma

Nathalie Wood dans "La Prisonnière du désert" (John Ford)

 

 Suivez le lien vers une vidéo du CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée), qui décrypte intelligemment l'image des femmes au cinéma. 

https://www.cnc.fr/cinema/videos/portraits-de-femmes_2082614

 

En complément, de nombreuses informations sur les droits de la femme dans le monde et en France en 2024, grâce à Oxfam :

https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmes-hommes/8-mars-journee-internationale-droits-femmes/

 

 

 

vendredi 15 mars 2024

Un podcast avec Hélène Dorion : elle vous explique tout !


 

Un entretien avec Hélène Dorion, qui éclaire la lecture de son recueil Mes Forêts : une bonne préparation pour la dissertation !

A écouter absolument, sur le site du CNL (Centre National du Livre)

https://www.youtube.com/watch?v=gE2YAHimxKU

jeudi 7 mars 2024

Fonctions du poète et de la poésie

Selon les époques, le statut du poète et de ce qu’il produit, la poésie, a pu évoluer. Il existe cependant une vision intemporelle du poète, qui est un être particulier, à part. Vous trouverez sur cette fiche, que j’avais publiée sur un autre blog, des éléments de synthèse, notamment dans le point n° 3 de cette fiche. Hélène Dorion reprend un peu l’une des images du poète, notamment dans le 3ème texte étudié. http://bacfrancaisldd2015.over-blog.com/2016/05/que-retenir-du-groupement-de-textes-inspiration-poetique-et-fonctions-de-la-poesie.html

Lecture analytique linéaire : "On dirait une silhouette mystérieuse" (Hélène Dorion, Mes Forêts)

 

Photo de Felix Mittermeier

Introduction :

Le poème est situé vers la fin de la 3ème section du recueil, intitulée « L’onde du chaos », dont les premiers poèmes évoquent un environnement saccagé par l’homme, des catastrophes, un être humain détaché de la nature. Le poème qui précède immédiatement celui-ci, qui est placé en regard, sur la page de gauche, débute par ces mots : « Il fait rage virale / sur nos écrans / qui jamais ne dorment ». Mais ici, le contraste est frappant, donnant l’impression d’une promenade sereine au pied d’un arbre. Peut-être est-ce aussi un écho à la fin du poème précédent, qui s’achève sur ces mots : « ce que l’on veut réparer ». Tout n’est peut-être pas perdu, si nous savons revenir aux arbres, à la nature, si nous savons prendre le temps de les observer, de les écouter.

 

Structure du poème :

Le poème progresse d’une observation extérieure de l’arbre à une observation intérieure, intime de celui-ci, qui répond aussi à l’écriture progressive du poème.

On peut considérer que le poème progresse en deux étapes à peu près équilibrées (en nombre de vers) :

- Partie 1 (v. 1-14, 4 premières strophes) : L’arbre apparaît, est observé, est défini et présenté comme lié au monde et à l’intime

- Partie 2 (v. 15-26, 4 dernières strophes) : Le dialogue entre l’arbre et la poète devient fusionnel, signe d’une liaison profonde entre lui et la parole intime de la poète

 

Problématiques envisageables :

* En quoi l’arbre est-il acteur du monde et de la création poétique ?

* Comment la relation à l’arbre permet-elle un autre rapport de l’être humain à la nature et au temps ?

 

Analyse linéaire :

 

Partie 1 (v. 1-14) : L’arbre apparaît, est observé, est défini, et présenté comme lié au monde et à l’intime :

 

* L’expérience personnelle, comme d’un observateur, est mise en avant, devant l’arbre :

- La vue est mise en avant : « on dirait » (v. 1) : emploi du pronom personnel en tête de poème, inclusif (synonyme de « nous ») de la poète et du lecteur, invité à suivre la même expérience que la poète. Le verbe, au conditionnel, exprime un sentiment personnel, une impression exprimée par l’observateur de cet arbre.

- Autre aspect personnel par l’emploi du déterminant possessif 2ème personne du singulier : « tes pas » (v. 6).

- Notons une forme de progressivité au vers 1 par : le conditionnel de « dirait » + « silhouette » (= vision globale, imprécise) + adjectif qualificatif épithète « mystérieuse » (= manque d’informations, incapacité à interpréter). Donc le poème progresse vers un regard qui se pose sur l’arbre, et va ensuite approfondir cette observation au fil du texte.

La progressivité est aussi chronologique, comme si le temps avançait au fur et à mesure du déroulement du poème : emploi du connecteur temporel « puis » (adverbe de temps, v. 4), dans une 2ème strophe, marquant ainsi encore plus le franchissement d’une sorte d’étape supplémentaire ; emploi de « jour » (v. 4), référence au temps terrestre, marqué par la répétition du passage de la nuit et du jour (Dorion y fait référence à plusieurs reprises dans son recueil). 

- L’ouïe est aussi suggérée par la référence au « silence » (v. 9) -> Suite de l’expérience personnelle, correspondant à la présence d’un observateur devant cet arbre, dans la nature. Volonté de faire partager l’expérience au lecteur. Ce sens est aussi mis à contribution par la métaphore de l’arbre musicien (voir plus bas).

- Un sentiment esthétique est aussi exprimé : il est question de « grâce », de « beauté » (v. 11). Il s’agit encore une fois d’un regard personnel, d’un jugement de valeur ici, sur cet arbre, admiré par l’observateur.

- le temps présent des verbes peut être un présent d’énonciation, celui de l’observateur devant cet arbre : « glissent » (v. 2), « s’élancent » (v. 3), « recommence » (v. 4), « jette » (v. 5), « tend » (v. 7), « recueille » (v. 13), « s’inclinent » (v. 14).  

 

* L’arbre est caractérisé, défini :

Ä L’arbre est présenté comme puissant, acteur (à la différence de l’observateur humain) :

- Verbes de mouvements dans les deux premières propositions subordonnées relatives (vers 2 et 3) : « glissent » ; « s’élancent », ce 2ème verbe étant synonyme d’un grand dynamisme, d’une vie interne de l’arbre.

- Verbes à lier aussi aux verbes d’actions de l’arbre : « l’arbre jette » (v. 5) ; « il tend » (v. 7), « il recueille » (v. 13) : l’arbre agit.

- À noter que l’arbre agit sur un espace de plus en plus vaste, comme l’indique les références spatiales, puisque l’on passe du « jardin » (v. 6) à « l’univers » (v. 7), aux « confins » (v. 9) : cela démontre une forme de puissance infinie.

 

Ä Il possède son propre rythme de vie, sa propre temporalité : 

Comme l’arbre semble occuper de manière particulière l’espace (voir ci-dessus), il occupe le temps également de manière particulière :

- v. 4 : le verbe « recommence » (construit sur la présence du préfixe de répétition « re- ») est lié au nom à valeur temporelle « le jour ». Le temps est celui de l’arbre qui apparaît dans la strophe 1 et est nommé au vers suivant (v. 5). Il s’agit d’un temps répétitif, cyclique, qui est celui de la nature (le poème se clôt sur la référence aux saisons v. 26). Ce temps se différencie de celui des humains qui est souvent plutôt représenté comme un temps linéaire, qui progresse.

- la proposition subordonnée relative du vers 8 (« où les âmes jamais ne fanent ») complète l’action de l’arbre sur l’univers (v. 7), et revêt une forme d’éternité, comme l’indique la négation « ne… jamais ».

- le présent des verbes est autant celui d’énonciation (temps de l’observateur devant cet arbre) que celui de l’habitude, de la répétition : « glissent » (v. 2), « s’élancent » (v. 3), « recommence » (v. 4), « jette » (v. 5), « tend » (v. 7), « recueille » (v. 13).  

 

* L’arbre est présenté par les liens qui l’unissent :

Ä à l’ensemble de la nature, comme partie d’un grand tout qu’il unifierait :

- Il semble immense, contenir des éléments naturels autres que lui : « où glissent des rivières » (v. 2) : proposition subordonnée relative indiquant un lieu, au pluriel. On peut imaginer qu’il s’agit de la sève de l’arbre, mais ici on a l’impression qu’il contient un écosystème entier !

- l’arbre est relié au sol dans la strophe 2 : « l’ancre » (v. 5) est ce qui le retient à ce qui est en-dessous de lui, comme pour un bateau où l’ancre descend jusqu’au fond de l’eau, sur le sol sous-marin ; le complément circonstanciel de lieu « dans le jardin » (v. 6) rappelle aussi le sol, la terre. Cette métaphore semble aussi lier le terrestre et le marin, l’ancre étant lié aux navires sur mers.

- mais il est aussi lié à l’aérien dans la strophe 3 (comme un parallélisme avec la strophe 2) : il est question de l’espace infini de « l’univers » (v. 7), et « le ciel » du vers 10 le confirme, groupe nominal qui est lié immédiatement dans les deux vers suivants à l’« arbre » (v. 11 & 12).

 

Ä à l’intime, à l’être humain (que l’on suppose être l’observateur de celui-ci) :

- un lien s’établit entre l’observateur et l’arbre : vers 6-7 : le vers  évoque « l’arbre » quand le vers 7 en parallèle évoque celui/celle qui est à ses côtés, par le « jardin », lieu personnel, nature maîtrisé par l’être humain, le plus souvent à côté de son habitation, et le possessif de « tes pas ». Le lien s’opère par l’espace : d’une part « l’ancre » de l’arbre se fixe « dans le jardin » et d’autre part les pas de la personne considérée l’ont menée aux côtés de l’arbre. Quand on se promène souvent dans la même forêt, ou que l’on croise souvent le même arbre, une forme de proximité s’établit.

- l’humain semble devenir en partie végétal : « les âmes jamais ne fanent » (v. 8) : ce qui définit profondément un être humain est comparé par la métaphore végétale contenue dans le verbe à une fleur ou une feuille.

- à l’inverse, l’arbre est personnifié, ou semble agir vers les humains : il est la source de « rêves » (v. 3), capacité d’abord humaine : les vers 2 et 3 sont profondément liés entre eux ; ils construits en parallèle (deux propositions subordonnées relatives, introduites par le pronom relatif « où », chacune sur un vers), et se font écho par leurs sonorités (allitérations en [s] et [l] entre les verbes « glissent » et « s’élancent » ; assonance en [è] et allitérations en [r] et [v] entre « rivières » et « rêves ». Ainsi, l’on passe d’un élément naturel, concret, les « rivières », à une notion plus humaine, abstraite, celle des « rêves ».  

- l’arbre est aussi celui qui ramène l’humain vers lui-même : « arbre de solitude et de questions » (v. 12) : ici encore une égalité existe entre l’arbre et l’observateur, qu’on suppose en train de se promener seul, et qui observe seul cet arbre, dans le silence. L’arbre aussi peut être seul, pas forcément au milieu d’une forêt. Il est d’ailleurs dans ce poème considéré de manière individuelle, toujours désigné au singulier (« une silhouette » v. 1, « l’arbre » v. 5). Il est aussi porteur de questions : il questionne les humains, sur lui, sur la nature, sur eux-mêmes, peut-on supposer.  

 

* L’arbre est associé à un instrument de musique, peut-être la lyre, et devient poète :

- au vers 7, l’arbre « tend les cordes », ce qui évoque bien entendu un instrument à cordes. Dans la mythologie antique, Orphée est considéré comme le prince des poètes, comme celui qui est à l’origine de cet art de la parole et de la musique. Dans les représentations traditionnelles, il s’accompagne d’une lyre (et l’on pense bien entendu à l’adjectif « lyrique », formés sur le même mot, qui qualifie le plus souvent une forme de poésie) : musique et art de la parole sont liés. Si Orphée pouvait charmer tous les éléments naturels, arbres y compris, ici les rôles semblent inversés. Si l’observateur est la poète Dorion, elle écoute l’arbre, sa musique.

- La métaphore rebondit au vers 14, puisque les branches sont comparées (mot de comparaison « comme ») à des « archets », par leurs formes certainement, mais aussi par leur mouvement, puisqu’elles « s’inclinent » (v. 14) (on pense aux archets des violons par exemple).

- Quelle est cette musique de l’arbre ? Peut-être est-ce simplement le bruit du vent dans ses feuilles et dans ses branches, le craquement du bois, les oiseaux qui s’y posent (il sera question d’oiseau au vers 24). Dorion appelle ainsi à écouter autant qu’observer : la découverte de l’arbre n’est possible qu’avec de l’attention, qu’en prenant le temps, afin de le décrire, comme dans ce poème qui qualifie l’arbre progressivement, depuis un regard très vague au vers 1 (la « silhouette »). 

 

Partie 2 (v. 15-26, 4 dernières strophes) : Le dialogue entre l’arbre et la poète devient fusionnel, signe d’une liaison profonde entre lui et la parole intime de la poète

 

* On note à la fois une forme de rupture avec la 1ère partie du poème et une réelle continuité :

- rupture car le pronom de la 2ème personne du singulier (« tu ») apparaît au début de deux vers successifs en anaphore (vers 15 et 16), après un changement de strophe, qui marque un changement. Cette 2ème personne n’était apparue qu’indirectement par le déterminant « tes » au vers 6. Elle est ici répétée 3 fois (vers 15, 16, 19). Après avoir évoqué l’arbre, le poème se focalise un peu plus sur :

-> l’observateur = la poète) ? (désigné à la 2ème personne comme dans le roman La Modification de Michel Butor) ;

-> le lecteur ?

Sans doute les deux à la fois : le but est de faire vivre au lecteur la même expérience que celle vécue par la poète devant cet arbre, pas simplement de la décrire ou narrer à distance.

- continuité car le processus de rapprochement entre l’arbre et la poète se poursuit, et la thématique temporelle déjà évoquée revient ici.

 

* L’expérience personnelle se poursuit :

Ä L’observateur est encore une fois mis en scène, et de manière plus visible par l’emploi répété de la 2ème personne du singulier. L’ouïe est encore évoquée, par le verbe « écoutes » (v. 15), et le rappel de la musique par le nom « chant » (v. 15). Le regard est aussi rappelé implicitement par les termes de « clarté » (v. 17), donc de lumière, et de « fenêtre » (v. 20) (même si celle-ci est « opaque »), qui permet d’observer à travers des murs.

 

Ä Le regard a progressé, puisque, de l’extérieur, de l’espace infini, on en arrive ici à la « sève » (v.16), à l’intérieur, à ce qui coule au sein du « tronc » (v. 18), à un simple « filet » (v. 17), plus mince que les « rivières » (v. 2) du début. Le regard « traverse » (v. 18) le tronc, comme la sève le traverse. Il s’agit donc de poursuivre la découverte, la connaissance intime de cet arbre. On va jusqu’aux « racines » (v. 15), synonyme des origines, de ce qui est invisible car souterrain, ce qui n’était que suggéré par l’ancre de la 1ère partie. La « clarté » (v. 17) est celle de la connaissance plus profonde de cet arbre.

 

Ä Cette progression va jusqu’à la fusion : la poète se confond avec l’arbre, ce que souligne le verbe « devenir » : « tu deviens la sève » (v. 16), équivalence entre le pronom « tu » et le COD « la sève » dans le même vers. Les deux vers suivants (v. 17 & 18) complètent grammaticalement (apposition contenant une proposition subordonnée relative) mais aussi développent cette fusion entre humain et végétal.

 

* La parole poétique, suggérée dans la 1ère partie par la référence implicite à Orphée, est ici plus clairement évoquée :

Ä Le lexique l’indique tout d’abord : le terme de « poème » (v. 22) est introduit. Le poème est en quelque sorte autotélique, il parle de lui-même. La progression vers l’arbre se confond ainsi avec le déroulement de ce poème, avec la création de ce texte poétique (par le biais de l’écriture pour Dorion, par celui de la lecture pour nous). L’emploi du verbe de parole « dis-tu » (v. 19) renforce cette référence au langage, comme l’emploi du verbe de parole « raconte » : le poète se définit par sa capacité à dire, à exprimer le monde et les êtres humains par les mots, les sons, la musique de la poésie. L’arbre devient poète : la proposition incise « dis-tu », mise un peu à l’écart par l’espace blanc au milieu du vers 19, peut être attribué à l’arbre, qui parlerait à la poète ; et puisque la « fenêtre opaque » (v. 20) est le tronc, c’est bien l’arbre qui « raconte » (v. 21).

 

Ä L’arbre musicien est donc équivalent ici à la poète, ils se ressemblent, ne forment en quelque sorte plus qu’un :

- Les verbes de mouvement qui étaient employés pour l’arbre le sont désormais pour le poème qui « avance » (v. 22), « vole » (v. 23).

- Le poème semble surgir de l’arbre lui-même, comme le suggère son mouvement indiqué par le verbe « avance » (v. 22) et le complément circonstanciel de lieu « sur la tige » (v. 22) : la tige est l’arbre (son tronc, ou ses branches), mimée en quelque sorte ici par le vers qui s’avance vers la droite de la page. Le poème publié s’envole vers le lecteur, prend son autonomie vers le destinataire. Le poème « vole » comme « l’oiseau » (v. 24), devient une forme d’oiseau : la nature et la poésie se mêlent, fusionnent ici encore.

- Aller « sur les traces de l’oiseau » (v. 24) (encore un complément circonstanciel de lieu, comme pour raconter, imager la scène ainsi décrite, celle de la poète se promenant en forêt et créant un poème), c’est lancer la poésie dans les pas de la nature ; c’est comparer la poète à un naturaliste qui se met en quête d’éléments naturels en observant les traces qu’ils laissent derrière eux, qui savent lire les menus indices semés dans la nature et qui sont les signes de la vie qui occupe ces lieux ; c’est permettre aux mots d’exprimer ce à quoi ressemble la nature, la forêt, l’arbre, définir une relation entre les hommes et l’arbre.

 

* Observer la nature, pour Dorion, c’est souvent penser au rapport des êtres humains au temps, et le comparer au rapport de la nature au temps.

Le temps des arbres en particulier est le temps long, un temps qui s’étale sur des dizaines voire des centaines d’années, le temps de pousser à son rythme. Le temps humain est plus court, et celui de nos sociétés actuelles est rapide, rythmé par des occupations et des mouvements incessants (« Il fait un temps d’insectes affairés » p. 73 du recueil), alors que l’arbre est immobile. Ce rapport au temps est évoqué de nouveau dans cette 2ème partie.

Ä L’adverbe de temps « parfois » (v. 23) indique ici une répétition : la poète n’évoque pas une scène en particulier, mais plutôt une règle plus universelle de l’écriture poétique. Le présent de répétition indiqué par le verbe « recommence » (v. 4) se retrouve ici. On oscille donc entre une scène particulière, une promenade et un arrêt devant un arbre particulier, et une répétition de cette scène qui aurait à nous apprendre un nouveau rapport à la nature, plus fusionnel qu’il ne l’est dans nos sociétés actuelles, coupées de la nature. Mais la poésie n’atteint son but d’être en phase avec la nature qu’elle évoque que de temps à autre, « parfois » : le langage poétique tâtonne, tente de rendre compte, sans toujours y parvenir.

 

Ä Si on lit les strophes des vers 15 à 21 comme un ensemble cohérent, on peut comprendre que l’écoulement de la sève est une manière d’accéder à la vie de l’arbre, à sa temporalité. Mais il faut savoir observer car ceci est masqué par le tronc, qui forme une « fenêtre opaque » (v. 20) : il s’agit presque ici d’un oxymore, puisqu’une fenêtre est censée apporter une vue sur ce qui est derrière elle, apporter de la lumière dans un lieu. L’observation de l’arbre n’est pas simplement une contemplation d’un élément naturel, mais l’accès à une réalité cachée, la découverte du temps de notre planète, que nous avons oublié. La poète se donne aussi pour rôle, reprenant ainsi une image traditionnelle du poète, de nous dévoiler la réalité, masquée aux yeux de la plupart des hommes. Le poète est un « voyant » comme l’indiquait Arthur Rimbaud. Elle nous invite à épouser sa démarche, à la vivre comme elle. L’observation de la sève de l’arbre, de son déplacement, nous « raconte le voyage » (v. 21), celui de la vie, celui de notre destinée sur terre. Les mouvements de l’arbre indiqués en 1ère partie se retrouvent dans le déplacement du « voyage » : l’arbre, c’est nous-mêmes.

 

Ä La conclusion du poème (la dernière strophe, les deux derniers vers) indique l’importance de cette thématique. On note deux termes inscrits dans le champ lexical du temps, placés chacun en fin de vers, comme en écho l’un à l’autre : « âge » (v. 25) ; « saisons » (v. 26). La négation restrictive « ne… que… » (v. 25-26) rappelle ce qui définit le passage du temps pour l’arbre : les changements de saisons. Il n’est pas soumis à notre temps humain, plus segmenté. Cette manière de conclure ce poème est peut-être une manière de montrer une voie possible aux lecteurs, une invitation à ralentir, à prendre le temps d’observer la nature, à épouser cette temporalité plus douce. Ce peut être aussi une manière de montrer que les arbres sont à respecter parce qu’ils portent cette forme de sagesse de vie.

 

Conclusion :

* Dans ce poème, Dorion invite les lecteurs à une expérience : d’un regard approfondi sur un arbre, elle invite à prendre ce temps de l’observation de la nature. Mais elle en fait aussi une expérience intime, où la nature, l’arbre ici, a à nous apprendre sur nous-mêmes. Nous faisons partie de la nature ; regarder et écouter l’arbre, c’est aussi revenir à nous-mêmes, à un temps plus réfléchi, moins rapide.

 

* La poésie semble naître de cette admiration de l’arbre. Il n’est pas simplement source d’inspiration, il devient le poème qui se crée sous nos yeux. L’expérience vécue ici est aussi celle du langage poétique, de l’écriture poétique. Le poème montre sa propre création, sous nos yeux de lecteurs.

 

* Dans la suite du recueil, la dernière section (« Le bruissement du temps »), ce temps évoqué ici s’élargit à l’histoire de toute l’humanité, que Dorion retrace, pour en faire surgir les horreurs, les erreurs, mais aussi une forme de renaissance, d’espoir, qui est déjà visible dans ce poème.

 

* Ce poème peut faire écho à celui de François Cheng, poète et académicien : « L’arbre en nous a parlé » :

http://www.barapoemes.net/archives/2019/05/05/37310069.html