mercredi 15 décembre 2021

Lecture analytique linéaire : le Préambule de la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne (Olympe de Gouges)

 


Plan du texte :

- 1er mouvement : lignes 1 à 5 (jusqu’à « … Assemblée nationale ») : entrée en matière précisant qui lance la déclaration qui va suivre, et qui demande la participation à l’Assemblée des représentants du peuple.

- 2ème mouvement : lignes 5 à 13 (« Considérant… de tous. ») : Justification de la Déclaration à suivre et explications sur les droits des femmes revendiqués.

- 3ème mouvement : lignes 14-16 (dernier paragraphe) : conclusion et transition vers les articles de la Déclaration.

 

Problématiques possibles :

 

* Comment ce préambule à la Déclaration se présente-t-il comme une revendication forte des droits de la femme et de la citoyenne ?

 

* En quoi ce préambule vise-t-il à la fois à faire prendre conscience que les femmes ne sont pas en 1791 l'égale des hommes et à revendiquer une cette égalité ?

 

 

Analyse linéaire :

* 1er mouvement (l. 1-5) :

- Ce préambule débute sur une demande forte, une revendication, celle de participer à l’Assemblée nationale, représentant donc toute la nation :

« à décréter » → le verbe indique une décision unilatérale qui doit être prise, que le texte qui va suivre doit être l’occasion d’agir, pour changer une situation ; la formule grammaticale avec la préposition « à » suivie d’un verbe est impérative, et suppose une action immédiate.

Cette immédiateté apparaît également dans les termes temporels (autant que juridiques) de « séances » et de « prochaine législature » (cf. l’adjectif qualificatif notamment) : attente d’une décision future mais qu’on imagine assez proche dans le temps.

« demandent » : ordre donné encore une fois ; présent d’énonciation mais qui prend aussi une valeur impérative ; le pluriel montre aussi qu'une communauté entière, celle des femmes, fait cette réclamation, ce qui lui donne encore une force indéniable.

 

- Ce début de préambule souligne qui s'exprime ici : il s'agit de l'ensemble des femmes. Donc, même si le texte est écrit et publié par Olympe de Gouges, elle s'exprime au nom de toutes les femmes. Cet aspect collectif est souligné par l'énumération « les mères, les filles, les sœurs », ce qui en souligne son caractère large. On peut noter que le terme d'« épouses » n'est pas utilisé : seuls les termes évoquant la maternité et la fratrie sont repris → les femmes s'affirment en dehors de ce qui les lie à leur époux, aux hommes donc ; cela permet aussi peut-être de souligner ce qu'elles représentent par rapport aux hommes, à savoir leur origine (ils ont tous une mère), qu'elles sont bien entendu indispensables à la vie, qu'elles sont la moitié de la société.

 

- Les femmes sont présentées ici comme exclues de la représentation nationale, et elles réclament donc d'y être intégrées, associées. Ainsi, deux occurrences du groupe nominal « assemblée nationale » apparaissent (l. 1 & 5), et celui de « nation » (l. 4) = forme d’insistance en aussi peu de lignes.

Pour rappel, définition de la « nation » à la Révolution française : Personne juridique constituée par l'ensemble des individus composant l'État, mais distincte de ceux-ci et titulaire du droit subjectif de souveraineté (source : CNTRL). Le terme suppose donc bien que l’ensemble de la population y est intégré, et que des représentants de cette nation peuvent être issus de l’ensemble de celle-ci, sans aucune exclusion. Pourtant, on sait que les femmes ont été écartées des instances représentatives de la nation. La 1ère occurrence, et surtout la 2ème suggèrent que les femmes ne font pas partie de cette assemblée, pourtant appelée « nationale », ce qui semble contradictoire, puisque la moitié de la population (les femmes) n’en font pas partie : « demandent d’être constituées en Assemblée nationale » = cela n’est pas encore le cas, et elles le réclament donc ; « constituées en » = organisation politique, de l’État.

La juxtaposition de l’énumération énonçant l’identité de ceux qui énoncent cette Déclaration (l. 4) avec le groupe adjectival apposé « représentantes de la nation », montre que cette apposition les définit à part entière : il s’agit d’une vérité présentée comme indiscutable, un constat. Les mères, filles, sœurs se retrouvent ici rassemblées, unies dans cette même qualification de « représentantes », ce qui montre à la fois leur unité et leur volontarisme d’être reconnues. La contradiction entre « représentantes de la nation » et « demandent d’être constituées en Assemblée nationale » suggère implicitement que la Déclaration des droits de l’homme n’est pas complète, qu’elle se prétend universelle, mais écarte la moitié de l’humanité. Les termes de « nation » et de « nationale » impliquent (voir la définition de « nation » ci-avant) une association politique, juridique, donc volontaire et pas de fait. Les femmes sont donc invitées à s’impliquer dans la gestion de la nation, du pays, à y participer activement.  

* 2ème mouvement (l. 5 à 13) :

- Gouges déplace le cœur de la déclaration vers la question des Femmes dans la société : remplacement d’un complément du nom essentiel -> « droits de l’Homme » => « droits de la femme ». Donc féminisation du texte, sachant que « Homme » englobait dans la Déclaration initiale hommes et femmes : Gouges met l’accent sur les femmes en particulier, par un singulier (« femme ») à valeur englobante. C’est encore une manière de rappeler à tous ceux de son époque, femmes comme hommes, que la femme fait partie intégrante de la nation, et surtout de montrer combien elle ne dispose pas des droits énoncés dans la Déclaration des droits de l’Homme, ce qui risquait d’être oublié par les hommes de son temps, malgré les belles intentions de cette Déclaration qui se voulait universelle.

 

- Structure de ce 2ème mouvement : une seule et longue phrase constitue ce paragraphe qui articule notamment des constats initiaux et une justification de la Déclaration par les buts poursuivis par celle-ci.

 

-> Constats : les droits de la femme sont bafoués, n’existent que peu : Le fait de débuter par un verbe au participe présent (« considérant ») met en évidence, en effet, un constat, une observation préalable sur la réalité de la société française au moment où Gouges écrit. On notera que ce verbe est chez elle au début d’une phrase, alors que les rédacteurs de la Déclaration initiale l’avaient englobé dans une phrase plus longue où le terme était donc moins mis en valeur. Gouges veut insister sur la situation dans laquelle se trouvent les femmes.

Énumération de noms à valeur péjorative : « l’ignorance, l’oubli et le mépris ». Forme aussi de gradation ascendante (= de pire en pire), les trois termes résonnant entre eux et se renforçant ainsi les uns les autres grâce à une assonance en [i] => insistance sur ce qui constitue la situation des femmes en 1791 : exclusion des femmes du champ de la réalité (les deux premiers termes) voire déconsidération (« mépris »). Par qui ? Elle ne le dit pas, mais le seul fait d’être passée de la dénomination « Homme » à « femme » sous-entend que ceux qui ne sont plus désignés, les hommes, sont responsables de ces attitudes qu’elle dénonce par ce choix de termes péjoratifs.

Le pluriel de « droits » rappelle qu’évidemment ceux-ci sont pluriels, nombreux.

Le verbe « être » conjugué au présent de l’indicatif (« sont ») indique un constat d’une réalité indubitable et actuelle au moment où elle écrit. Il introduit une relation logique, que l’emploi du nom « causes » et de ses compléments (« des malheurs publics et de la corruption des gouvernements ») souligne : elle va énoncer les conséquences de l’absence de droits accordés aux femmes. L’adjectif épithète « seules », placé avant le nom « causes » qu’il complète, réduit l’énumération des causes, indique que le statut peu enviable des femmes  a des conséquences simples à énoncer, que ce statut explique sans ambiguïté la situation entière de la société. En effet, du singulier de « la femme », on passe au pluriel de « malheurs publics » où l’adjectif « publics » renvoie à l’ensemble de la nation, et au pluriel de « gouvernements » qui invite à remonter aux différents gouvernements qui ont dirigé le pays depuis plusieurs années ou décennies (donc élargissement temporel aussi). Gouges montre ainsi que nier le droit des femmes a des conséquences sur l’ensemble du pays, hommes compris, et instances dirigeantes comprises. Les termes « malheurs » et « corruption » sont très péjoratifs et insistent bien sûr sur les conséquences négatives du statut de la femme : « malheurs » rappelle la guerre, la misère, toutes les souffrances du peuple ; « corruption » est plus accusatoire, renvoyant à une gouvernance qui n’était pas au service de tous mais d’une minorité qui a profité de ses avantages, ce qui était fréquent dans l’Ancien Régime. On comprend aisément que Gouges invite à renverser le raisonnement : si on accorde plus de droits aux femmes, les mêmes qu’aux hommes, l’ensemble de la société connaîtra plus de bonheur, et le pays sera mieux géré, le gouvernement moins corrompu. D’une certaine manière, elle propose une solution aux problèmes de la France.

 

-> Demandes, réclamations : Le choix du verbe et le fait de le conjuguer au passé composé (« ont résolu ») marquent une décision ferme et en quelque sorte irrévocable. Le pluriel poursuit l’énumération de son sujet, montrant que la Déclaration n’est pas uniquement celle de Gouges, mais est faite au nom de toutes les femmes.    

- Gouges rappelle les caractéristiques des droits dont les femmes disposent, en rappelant la raison de ces droits, leur origine : il s’agit des « droits naturels inaliénables et sacrés de la femme » (l. 8). Elle reprend exactement les termes de la déclaration initiale, en féminisant simplement le complément du nom (« de la femme »), dans la logique globale de l’ensemble de son texte qui est de remettre au cœur de la réflexion la situation et le statut des femmes en cette fin de XVIIIè siècle. Le terme « naturels » rappelle les réflexions des philosophes (pensons à l’article « Égalité (droit naturel) » de Jaucourt dans l’Encyclopédie) : les femmes sont dotées de naissance des droits qui vont être explicités, car elles sont des êtres humains, à égalité avec les hommes. Pour accentuer cet adjectif « naturels », elle y ajoute ceux d’« inaliénables et sacrés », coordonnés entre eux (« et »), afin de suggérer que ces deux nouveaux adjectifs qui viennent compléter le groupe nominal « droits naturels » vont de pair. « inaliénables » semble indiquer que la possibilité que les femmes ne puissent jouir entièrement de tous leurs droits ne saurait exister : ces droits sont intangibles, ne peuvent disparaitre. Le terme est d’une grande force, et vise certainement à interpeller les hommes qui voudraient maintenir les femmes dans un état de soumission (de « tyrannie », comme elle le dira à l’article 4). « sacrés » va encore plus loin que le terme « inaliénables », dans une forme de gradation : le terme renvoie à une valeur supérieure, à laquelle il est impossible de toucher, que l’on doit respecter absolument, qui revêt une dimension presque religieuse. Par le jeu de renvoi entre ce préambule et celui de la Déclaration des droits de l’Homme, puisqu’ici Gouges reprend les termes déjà employés initialement dans la première déclaration, elle rappelle, met l’accent, sur cette réalité : indiquer que les droits qui vont être définis dans les articles sont inviolables pour tous les êtres humains doit s’appliquer aussi aux femmes. La Déclaration des droits de l’Homme incluait les femmes, mais la réalité de l’époque fait que Gouges sait que dans les faits les droits des femmes seront bafoués puisque les hommes restent aux commandes du pays. Elle opère donc à la fois un rappel et une explicitation du sens de la Déclaration des droits de l’Homme.

« leurs droits et leurs devoirs » : on peut noter aussi qu’ici, elle lie explicitement droits et devoirs par la conjonction de coordination « et », les montrant comme indissociables, comme elle le fera à plusieurs reprises dans les articles de sa Déclaration : les devoirs supposent aussi des droits. Et les femmes, si elles sont soumises aux devoirs de la collectivité, de la société, n’ont pas assez souvent les droits qui vont avec.

 

- Gouges explicite différents objectifs de cette Déclaration :

Les trois propositions subordonnées conjonctives circonstancielles de but (qui débutent donc toutes par la conjonction de subordination « afin que ») l’indique clairement, par un jeu d’empilement, d’insistance grammaticale.  

 

-> « exposer » suggère qu’il faut montrer, mettre en évidence, diffuser cette déclaration ; le terme même de « déclaration » rappelle le choix de ce terme par les auteurs de la 1ère Déclaration, soulignant qu’écrire, c’est à la fois mettre en évidence, entériner et faire savoir ; l’adjectif épithète « solennelle » donne une gravité à cette déclaration, en montre l’importance, la force, le fait qu’elle a été mûrement réfléchie, lui donne un caractère assez officiel ;

 

-> La Déclaration doit aussi être un rappel permanent des droits de la femme. Donc elle multiplie les références au temps : 

« constamment présente » : l’adverbe temporel indique une permanence de la présence de ce texte, donc des droits de la femme qu’il va préciser. Le fait qu’il précède l’adjectif « présente » donne cette couleur temporelle à ce dernier, et l’assonance en [en] permet aux deux termes d’entrer en résonance l’un avec l’autre, de se renforcer l’un l’autre ;

le verbe « rappelle » (l. 9) indique bien que le texte devra permettre de répéter à ceux qui l’oublieraient les droits de la femme (ce terme d’ailleurs vient contrer celui d’« oubli » énoncé dans les constats de départ), et le verbe « rappelle » est de plus accentué par la locution adverbiale « sans cesse » (temporelle et indiquant la répétition), qui souligne que Gouges envisage que le combat sera long, que les droits de la femme ne seront pas considérés comme totalement acquis rapidement ;

« être à chaque instant comparés » introduit la même idée de répétition dans le temps (« chaque instant ») de l’usage de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne comme base de réflexion et de transformation de la société, la comparaison devant être faite entre le texte de la Déclaration et tout nouveau projet législatif et politique ;

 

-> Gouges présente la Déclaration comme un texte fondateur, sur lequel se baser pour toutes les discussions à venir, pour l’adoption de toutes les lois futures, pour toutes les réformes qui vont être menées :

 « fondées désormais sur » montre que cette Déclaration se présente comme une base, un socle de « principes » essentiels sur lequel pourront s’écrire les lois à venir, qu’elle ne pourra pas être remise en question, ce que l’adverbe « désormais » souligne.

« être à chaque instant comparés » : voir l’analyse juste ci-dessus.

« en soient plus respectés » : la Déclaration est donc bien une manière de faire perdurer les nouveaux droits acquis pour les femmes. Il doit être un texte de référence, auquel on revient pour vérifier si les nouvelles décisions respectent ces droits.

« tournent toujours au maintien » : ici encore l’adverbe temporel « toujours » indique un souhait de ne pas revenir en arrière, de faire exister à l’avenir les droits des femmes, que la Déclaration des droits de l’Homme a indiqué et qu’elle rappelle dans sa propre Déclaration. Le nom « maintien » insiste aussi sur cette permanence.  

Elle met ainsi en parallèle des principes généraux et les décisions concrètes à venir, qui devront être en adéquation : Ce texte général, qui édicte des « principes simples et incontestables », donc supérieurs, permettra de guider les décisions à venir, qui seront plus concrètes, qui règleront des questions plus précises, plus pragmatiques. Elle évoque ainsi « les actes » (l. 10) en comparaison (« comparés avec ») avec le « but de toute institution politique » (l.11). Et les « réclamations des citoyennes » (l. 12) sont liées aux « principes simples et incontestables » (l. 13) de cette Déclaration.   

 

-> La déclaration se présente comme tournée vers un avenir de réformes, de changements :

On note que la plupart des objectifs de la Déclaration sont effectivement soutenus par la conjonction de subordination « afin que » qui introduit trois propositions subordonnées de but successives (aux lignes 8, 10 et 12). La Déclaration se justifie donc par l’avenir qu’elle va permettre de mettre en place. Elle n’est pas une étape, un texte de plus, mais un point de départ vers des horizons que Gouges dessine d’emblée dans ce préambule : elle aide le lecteur à comprendre combien cette Déclaration doit permettre de modifier le statut des femmes dans la société, changer la société profondément. Ceci correspond bien à l’idée d’un préambule qui justifie les articles qui suivront, offre la raison pour laquelle ils ont été rédigés, et les objectifs poursuivis par ceux-ci.

Le fait de terminer le paragraphe sur une liste d’objectifs majeurs du respect des droits des femmes les met bien évidemment en valeur : « au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous ». Le dernier terme, déjà employé dans la Déclaration des droits de l’Homme, est en quelque sorte le plus important. Le bonheur devient, au XVIIIè siècle, un objectif majeur. Les transformations sociales, politiques ou économiques doivent permettre à tous d’accéder à ce bonheur. Gouges reprend donc cette valeur suprême. On peut penser que le terme prend une teinte particulière sous sa plume, surtout suivi « de tous » : encore une fois, elle rappelle que les femmes n’ont pas accès à ce bonheur, et que les transformations à l’œuvre au moment de la Révolution doivent leur permettre d’y accéder. Elle a aussi conservé le terme initial de « Constitution », montrant son attachement aux textes nouvellement écrits, aux règles que la nouvelle société se donne, ce que l’écriture de cette Déclaration des droits de la Femme au lexique souvent législatif souligne. Enfin, elle ajoute au milieu du texte initial, les « bonnes mœurs » : l’adjectif « bonnes » rime avec le début de « bonheur », insistant sur l’harmonie sociale souhaitée, et l’expression souligne encore que les femmes aspirent au respect qui leur est dû. 

 

- Gouges lutte pour l’inclusion des femmes dans la construction des nouvelles institutions (cf. déjà évoqué au 1er mouvement).

-> C’est pourquoi elle utilise des pluriels englobant toute la société et tous ceux qui agissent pour écrire les nouveaux principes directeurs du régime à venir : « tous les membres du corps social » insiste ainsi sur l’ensemble des citoyens, mettant en parallèle le pluriel du groupe nominal « les membres » renforcé par l’adjectif indéfini « tous » (qui invite à ne procéder à aucune exclusion de qui que ce soit), et le singulier du complément du nom « corps social ». Ce singulier permet de passer d’une multiplicité au caractère indivisible d’une unité. Le « corps » est un ; par cette métaphore, on comprend que tous les membres, toutes les parties du corps sont liés entre eux et indispensables les uns aux autres.

On retrouve ce caractère englobant à la fin de ce paragraphe, à la ligne 14 : « de tous », bien mis ainsi en valeur, comme un nouveau rappel que les femmes font bien partie de la société, et de la partie agissante de la société, de celle qui dirige aussi cette société. Il est donc à noter qu’elle ne souhaite pas l’exclusion des hommes, en réponse à celle des femmes dans la société révolutionnaire, mais qu’elle vise à l’universalité, en rappelant simplement que les femmes ne doivent pas être exclues par les hommes.

-> Par ailleurs, comme elle le fera souvent dans ses articles, elle détaille la signification du terme « Homme » utilisé dans la Déclaration des droits de l’Homme : elle évoque ainsi à se suivre, conjointement, le « pouvoir des femmes » et le « pouvoir des hommes » : la répétition du mot « pouvoir » est évocatrice de cette volonté que les unes et les autres possèdent cette autorité dans la société, à part égale. On note qu’elle a modifié, au centre du préambule, des termes de la Déclaration des droits de l’Homme : les expressions « pouvoir législatif » et « pouvoir exécutif » ont disparu au profit de celles de « pouvoir des femmes » et de « pouvoir des hommes ». Elle ne nie pas la nécessité de cette séparation des pouvoirs chère à Montesquieu notamment, mais elle préfère mettre l’accent sur une autre scission au sein de la société française, celle entre femmes et hommes, afin de bien rappeler que les nouveaux principes révolutionnaires doivent bien s’appliquer au statut de la femme, afin de lui faire accéder à une égalité réelle avec l’homme. Le lecteur des deux Déclarations s’aperçoit de cette réécriture et doit donc s’interroger sur la raison de celle-ci ; elle doit l’alerter d’autant plus. C’est une stratégie rhétorique et littéraire de la part de Gouges. 

 

* 3ème mouvement (l. 14 à 16) :

- Le connecteur logique « En conséquence » placé en tête de paragraphe indique expressément que cette fin de préambule découle directement de ce qui a été énoncé précédemment. C’est aussi pourquoi ce dernier paragraphe s’annonce comme la conclusion de ce préambule qui met encore l’accent sur la place des femmes dans la société à construire.

Elle termine sa phrase par l’annonce des articles qui vont suivre : les « Droits suivants ». On remarque qu’elle ne reparle pas des devoirs, ce qui semble logique, puisque les femmes ont déjà bien des devoirs dans cette société de fin de XVIIIè siècle, mais il leur manque une reconnaissance réelle et concrète de leurs droits, que la majuscule vient renforcer. Bien évidemment, elle remplace « les Droits suivants de l’Homme et du Citoyen » par « les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne », pour bien rappeler que son texte vise à mettre en avant ces droits féminins qui risquent d’être délaissés dans les institutions à venir. Elle termine en évoquant la Femme et la Citoyenne : le fait de lier par une conjonction de coordination (« et »), comme dans l’original, montre bien que les deux sont ici inséparables. La désignation de « Citoyenne » évoque bien la place des femmes dans la vie politique de la société, de leur implication réelle dans celle-ci. C’est encore une fois un rappel, mais aussi en même temps une sorte de revendication.

 

- On remarque encore une fois la force de la parole, de cette « déclaration », de cet acte d’écriture. Ainsi, la solennité déjà évoquée de cette Déclaration, son caractère sacré, est ici encore rappelé, comme dans la Déclaration initiale par la référence à « l’Être suprême », une divinité supérieure, qui cautionne et rend inattaquable le contenu des articles qui vont suivre. Le fait de reprendre exactement la même formulation que dans la Déclaration des droits de l’Homme, est aussi encore une fois une manière d’affirmer que les droits de la femme sont aussi sacrés que ceux des hommes, ce que certains d’entre eux, à l’époque, niaient. Le double verbe « reconnaît et déclare », lui aussi repris de l’original, est significatif : reconnaître, c’est admettre une réalité déjà là, existante, mais aussi la mettre en évidence, la faire connaître (les deux mots ont le même radical) ; « déclare » rappelle le titre de ce texte (« déclaration »), et souligne que dire, écrire, coucher sur le papier, est une manière de clamer ouvertement ce que l’on pense, de le faire connaître ici encore, d’affirmer ce que l’on estime important, une vérité. Déclarer prend donc encore une fois un caractère assez solennel, ce qui montre tout le sérieux que Gouges veut donner à son texte, à ses idées.

 

- Gouges met en valeur les qualités des femmes : elle remplace l’expression initiale de la Déclaration des droits de l’Homme « l’Assemblée nationale » par une longue périphrase pour désigner les femmes : « le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles ». Après avoir évoqué l’égalité entre hommes et femmes, elle semble ici évoquer une hiérarchie, que l’adjectif « supérieur » indique. Peut-être est-ce une manière de défendre avec vigueur, et de manière un peu provocatrice (pour le lectorat de l’époque notamment), les qualités des femmes. En effet, dans cette longue désignation, elle met en avant les qualités féminines, de beauté physique (« en beauté »), mais aussi morales (« courage »), qu’elle met à égalité par l’intermédiaire d’une comparaison (« comme »). Le fait de choisir en particulier le courage comme qualité morale féminine renvoie peut-être encore à une forme de provocation, et de volonté de renversement de la hiérarchie habituelle (les hommes dominant les femmes), le courage étant plus lié aux hommes, par exemple dans le cadre de la guerre, de combats. En reprenant une caractéristique peut-être plus marquée à l’époque par la masculinité, elle montre combien les femmes sont l’égal de l’homme, qu’elles peuvent être à égalité sur les mêmes domaines qu’eux. L’ajout des « souffrances maternelles », juste après le « courage », est sans doute une manière aussi de préciser en quelles circonstances les femmes font preuve de courage : quand elles accouchent, mais également quand elles éduquent, s’occupent des enfants, ce que l’adjectif « maternelle » regroupe. On peut noter au passage que Gouges boucle son préambule comme elle l’a commencé, quand elles désignaient les femmes comme « mères » (l. 4). Elle met les femmes en valeur dans ce rôle fondamental qu’elles tiennent dans la société de l’époque.

 

* En conclusion :

- Ce préambule, comme son nom l’indique, justifie parfaitement les raisons et les buts poursuivis par son autrice : la défense des droits fondamentaux des femmes, à égalité avec les hommes. Ce texte s’annonce à la fois comme une mise en valeur de ces droits, mais aussi comme un appel à se battre pour les faire exister. Ce préambule est donc bien programmatique de la suite du texte, du contenu des articles, dont le premier clame la liberté et l’égalité fondamentales des femmes.

- Gouges propose une forme de réécriture du texte de départ, non pour nier la force de la première Déclaration, mais bien pour rappeler aux hommes de son époque que les droits proclamés sont bien aussi ceux des femmes, que ces dernières ne sauraient être exclues du nouveau pouvoir, des nouvelles institutions, comme elles l’ont toujours été auparavant. C’est un texte à valeur universelle qui  conserve aujourd’hui une grande force argumentative, mais c’est donc également un texte de circonstance, lié au contexte dans lequel il a été rédigé. Et Gouges avait bien senti que les femmes ne seraient pas forcément incluses dans le cadre du nouveau régime : elles seront en effet écartées de l’Assemblée nationale et privées du droit de vote. Gouges paiera de sa vie le fait d’avoir voulu défendre son droit à l’expression de ses opinions.