dimanche 31 octobre 2021

Ressources en ligne : la condition de la femme au XVIIIè siècle et pendant la Révolution française


 

Afin de bien comprendre le contexte dans lequel Olympe de Gouges écrit, voici quelques pages et vidéos qui expliquent le statut de la femme au long du XVIIIè siècle et particulièrement durant la Révolution française pendant laquelle Olympe de Gouges rédige sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne :

 

Pages internet : la condition de la femme au XVIIIè siècle

 

https://lettresfrancaises.fandom.com/fr/wiki/Les_femmes_au_XVIII%C2%B0_si%C3%A8cle.

 

http://classes.bnf.fr/essentiels/albums/femmes/

Observation: taper sur « T » dans l’album de la BNF pour avoir les commentaires

 

https://www.lelivrescolaire.fr/page/34236715

dossier comportant de nombreuses pages

 

https://www.youtube.com/watch?v=SZCEWMVTprc

conférence longue et passionnante d’une historienne sur le statut de la femme au XVIIIè siècle

 

https://www.youtube.com/watch?v=mxTq6Lswak0&t=37s

les femmes dans la Révolution, vidéo Lumni

 

https://www.youtube.com/watch?v=Kalp7HrR5hc

interview : présence des femmes dans la Révolution française, avancées dans le droit conjugal et familial, exclusions au cours de la Révolution

 

https://www.youtube.com/watch?v=GDE406xhecM

condition de la femme au XVIIIè siècle, et pendant la Révolution : diaporama d’un enseignant

 

 

Pages plus générales :

 

https://fncidff.info/in-formations/information/historique-des-droits-des-femmes/

histoire de la condition de la femme, du Moyen-âge à aujourd’hui en vidéo

 

https://www.herodote.net/De_la_Revolution_a_la_Belle_Epoque_la_grande_regression-synthese-2214.php

1er paragraphe sur les femmes pendant la Révolution française ; suite : après le XVIIIè siècle

 

 

samedi 30 octobre 2021

Lecture analytique linéaire : "Aller simple" (René-Guy Cadou)

 



Contextualisation :

 

René-Guy Cadou (1920-1951). Mort très jeune (31 ans) de maladie. Originaire de Loire-Atlantique (Sainte-Reine de Bretagne). A aussi vécu à Saint-Nazaire et Nantes. Marqué par la mort de sa mère en 1932. A croisé en 1941 un camion bâché transportant les corps de certains des fusillés de Châteaubriand : cela le marquera et il reviendra sur la barbarie nazie dans certains de ses poèmes. Marié en 1946 à Hélène Laurent qu’il évoquera dans son recueil Hélène ou le règne végétal.

D’abord influencé par le surréalisme, mais évolue ensuite : chef de file d’un groupe de poètes nommé l’école de Rochefort dont l’un des objectifs est d’évoquer la nature, et de ne pas s’enfermer dans les règles du surréalisme. A composé un grand nombre de poèmes malgré sa courte vie. Poésie axée sur la nature (souvenir de son enfance entre autres), la fraternité et l’amour.

Ecrit nombre de ses poèmes dans une petite chambre située dans l’école où il enseigne à Louisfert.

 

Aspects majeurs du poème :

 

- Évocation d’un avenir certain et irrévocable : réflexion sur la mort et la disparition de chaque être humain dans les mémoires des survivants ; réflexion sur la mémoire et le souvenir

- Lien entre le destin collectif, l’Histoire (notamment de la 2nde Guerre mondiale), et le destin individuel

- Scènes particulières évoquées, à caractère symbolique

 

Plan/mouvement du texte :

 

Texte en trois parties : les deux premières débutent de la même manière (« ce sera comme un arrêt brutal du train »), qui les mettent en parallèle, malgré le connecteur « mais » (v. 9).

- vers 1 à 8 : évocation d’une scène collective, puis d’un souvenir qui s’efface des personnes citées

- vers 9 à 14 : rupture par le connecteur logique d’opposition « mais » (v. 9) ; évocation plus personnelle

- vers 15 à 19 : par glissement, retour à un discours plus général, plus universel, qui semble s’adapter à la 2ème partie, mais aussi à la 1ère, comme un bilan, une conclusion du texte

 

Problématiques possibles :

* Comment ce poème se présente-t-il comme une réflexion sur la mort et la mémoire des disparus ? 

* Comment Cadou mêle-t-il le souvenir des morts de l'Histoire collective et de son vécu personnel ? 

 

Analyse linéaire :

 

Partie 1 (v. 1-8) :

 

* Titre du poème : expression qui évoque de suite le voyage (par train, bus, avion), ce que le verbe « aller », ici devenu un nom, suggère également. Le lecteur est d’emblée placé dans l’idée de l’évocation d’un voyage, d’un déplacement. Le mot composé « aller simple » rappelle les voyages sans possibilité de retour, ou du moins dont on n’envisage pas de retour en arrière. Il s’agit donc d’un voyage en avant, définitif. L’absence d’article donne à l’expression un sens plus global, plus universel. Ce peut être une piste d’interprétation suggérée dès le titre au lecteur.

 

* vers 1 & 2 : - Début d’une évocation, sur laquelle, au fil des vers, le poète va apporter des détails susceptibles de permettre au lecteur d’imaginer cette scène. Mais à ce stade du poème, cela reste indéfini : pronom démonstratif « ce » assez imprécis ; pas de précision sur le « train » dont il est question malgré la préposition « du » qui semble indiquer que celui-ci est déjà connu du lecteur -> possibilité d’une interprétation plus générale, universelle, ici aussi.

- Le voyage envisagé dans le titre se confirme, par la mise en avant d’un moyen de transport, le « train », lié aux déplacements souvent un peu lointains (pas pour la commune voisine par exemple), qui ne sont pas forcément quotidiens, mais qui peuvent être particuliers pour ceux qui les vivent. Noter que le train offre une image différente d’autres modes de transport, par les rails sur lesquels il roule, comme une voie déjà tracée, comme une route bien visible.

- Usage d’une comparaison (outil de comparaison « comme »), comparant « ce » et l’arrêt du train. Le lecteur est contraint de se demander ce que recouvre « ce ». Idée d’un événement, par l’emploi du verbe « être » au futur de l’indicatif (« sera »), ce que l’arrêt confirme. De plus, dans un voyage, un arrêt est une rupture, un changement, un élément différent, qui se rapporte donc à un événement particulier dans un récit plus large, dans une continuité qui serait celle du voyage (cf. le titre du poème). Le lecteur pense donc au récit débutant d’un épisode particulier.

- Le vers 2 vient apporter des détails sur le contexte spatio-temporel de la scène envisagée au vers 1 : compléments circonstanciels de lieu (« au beau milieu d’une campagne ») et de temps (« un jour d’été »). Cadre bucolique de la « campagne », mais aussi évocation d’un lieu éloigné de l’agitation : « au beau milieu ». « un jour » individualise le moment du récit, mais reste là aussi imprécis par l’article indéfini « un ». L’été est une saison agréable, connotée positivement, qui renvoie notamment aux vacances. Le « jour » suppose lumière et chaleur, qui créent une image positive. Cela renforce le cadre rural qu’on peut penser agréable.

- Un point qui peut interroger : l’emploi du futur de l’indicatif (« sera »), mode de la réalité et de la certitude, pour un événement qui n’est pas encore survenu. Comment le poète peut-il l’évoquer ? Est-ce une part d’un rêve, donc incertain ? Est-il capable de voir le futur ? Le lecteur s’interroge.

 

* vers 3 & 4 : - Suite de la scène mise en place dans les vers 1 & 2. Pas de ponctuation mais on peut penser être dans une deuxième phrase. Surgissement des personnages (« jeunes filles », « femmes », « enfants »). On note que les personnages cités excluent les hommes : est-ce une manière d’indiquer qu’ils sont absents (et donc où sont-ils ?) ? Une manière d’insister sur le caractère plus fragile des personnages, notamment par leur jeunesse (« jeunes filles » ; « enfants ») ? S’il y a danger, ces personnages ne pourront se défendre aisément.

Le temps avance au cours des vers et de cette phrase : l’arrêt provoque les cris et l’éveil des enfants. On peut aussi observer une forme de zoom : du « train » entier, de la campagne environnante, on passe désormais à un « wagon ».

- Toujours une scène future mais présentée comme certaine : emploi du futur de l’indicatif (« crieront » ; « éveilleront »), pour des verbes exprimant des actions de la part des personnages, supposant des paroles dans les deux cas. Le lecteur ne peut qu’imaginer ce que disent les personnages.

- Si le vers 2 laissait entendre un cadre agréable, ce qui se passe ici contredit cette impression première. Les cris alertent sur le fait que l’arrêt indiqué au vers 1 n’était sans doute pas prévu, et peut même être inquiétant. Le lecteur ne sait pas pourquoi, mais le suppose. Le vers 4 confirme cette inversion puisque le fait d’éveiller « en hâte » les enfants indique une accélération du temps, et une réaction à un événement imprévu. La hâte laisse supposer une forme d’inquiétude de la part de ces femmes.

- Le pluriel désignant systématiquement les personnages les définit en partie, mais encore une fois de manière assez imprécise, ce qui permet à la fois d’imaginer les faits, mais en même temps les laisse dans un cadre imprécis, donc plus universel, et qui laisse au lecteur la possibilité de l’interpréter de différentes manières (différentes situations peuvent correspondre à ce qui est narré).

 

* vers 5 : - 3ème événement provoqué par l’arrêt du train (après les cris des jeunes filles au vers 3, les femmes et les enfants au vers 4). La présence humaine est implicite ici, comme si les êtres humains s’effaçaient, disparaissaient : ce sont des objets qui sont cités, dans un dernier effet de zoom (gros plan), une carte à jouer, un journal. Et ces objets ne sont pas manipulés, mobiles : le verbe « restera » le confirme, ainsi que la position retournée de la carte, indiquant qu’elle ne sert à rien, n’est pas montrée pour faire avancer le jeu débuté. Il n’y a plus personne pour la retourner, comme plus personne pour lire le journal. On est passé, en fin de vers, aux « enfants » à cet objet, le « journal », manière de montrer la disparition de ceux qui étaient dans le train.

Le journal est une forme de rappel du temps qui s’écoule : un journal quotidien est un témoin de l’instant (un jour, quelques jours au plus), et est remplacé chaque jour par un autre journal, par d’autres événements, par l’évocation de ce qui est arrivé à d’autres êtres humains. Ceci prépare les vers suivants sur l’idée du passage du temps, sur le remplacement des générations par d’autres, sur la mort, finalement.   

- L’emploi, encore une fois, du futur accentue d’une certaine manière le caractère inquiétant de ce qui arrive à ces personnages, comme si leur destin était déjà scellé, au moment où le poète s’exprime. Que leur est-il arrivé ? Si l’on regarde la date de la section du recueil dans laquelle se situe ce poème, on trouve 1947-1948. La 2nde Guerre mondiale est encore proche, et on songe aux trains de la déportation par les nazis, et donc de la Shoah, l’extermination des Juifs par le régime hitlérien. La scène en apparence banale et bucolique du départ se transforme donc en horreur. Il est à noter que le poète ne précise pas s’il évoque bien ces événements : il joue sur notre connaissance de ces événements, qui ont traumatisé durablement le monde entier, nous incite à nous les imaginer, nous en souvenir ; il permet également de les rendre plus universels, qu’ils s’appliquent à d’autres événements dramatiques mettant en œuvre des trains, ou qu’ils soient à prendre sur un plan encore plus symbolique, celui du destin, du chemin de la vie, vers une mort brutale, pour quelque raison que ce soit.

 

* vers 6, 7, 8 : - Suite et fin du récit débuté plus haut : emploi de connecteurs temporels (conjonction de coordination « et » X 2 ; adverbe de temps « puis ») ; suite des verbes indiquant des événements, des changements (« repartira » ; « s’effacera »), toujours au futur, ce qui signifie qu’on continue à avancer dans la chronologie ; reprise du groupe nominal « le train », désignant le train déjà évoqué aux vers 1 & 3, comme de l’arrêt (mot repris au vers 7 + déterminant démonstratif désignant l’arrêt déjà évoqué).

- Entre les vers 6 & 7, on note une ellipse temporelle : on passe de l’épisode du train arrêté puis reparti à un moment plus tardif, celui de la mémoire de cet événement : deux noms y font référence, « le souvenir » et « la mémoire ». L’image du départ du train et le souvenir de cet épisode dont le souvenir va disparaître se renforcent l’un l’autre : les deux évoquent d’une certaine manière l’éloignement, la disparition ; on note d’ailleurs que les deux verbes « repartira » et « s’effacera » sont en fins de vers et riment donc ensemble. Les personnes qui étaient dans ce train ne sont plus évoquées ici, suivant ainsi ce que suggérait le vers 5. Non seulement les personnes ont disparu, mais leur souvenir même va disparaître. Il s’agit comme d’une deuxième mort pour ces personnes. Le vers 8 vient insister sur ce que le vers 7 indique déjà, en reprenant l’idée du retour vers le passé qui ne se fera plus (le mot « mémoire » répète celui de « souvenir »), et en évoquant la disparition totale : « de chacun ». Personne ne se souviendra de ce qui s’est passé ce jour-là, et donc des personnes impliquées. On peut noter aussi le choix du verbe « effacer », qui suggère à la fois une disparition progressive (on efface souvent progressivement une surface où il y a des races, par exemple écrites) et une disparition totale, le plus souvent pour laisser place à autre chose, ici sans doute à d’autres êtres humains, à d’autres événements.

Le lecteur ne peut que réagir : après avoir évoqué de manière relativement précise un événement, celui-ci est évacué, toujours à l’indicatif présent, indiquant que ce processus d’oubli sera inéluctable, peut-être parce que la mémoire humaine (« chacun » = tout le monde) fonctionne ainsi. La rupture entre d’une part la mise en place d’un événement, en précisant le cadre spatio-temporel et les personnages impliqués, et d’autre part l’effacement de cet événement doit surprendre et interroger, voire choquer. Si ces personnes ont disparu, sont mortes, dans des circonstances non précisées, mais dont on comprend qu’elles n’ont pas provoqué elles-mêmes cette disparition, il semblerait logique, humain, de se souvenir d’elles. Mais ce n’est pas le cas. Il y a donc une forme de cruauté dans ce processus, que le double connecteur (« et » + « puis ») du vers 6 souligne.

 

Partie 2 (v. 9-14) :

 

* vers 9 & 10 : - opposition majeure dans le poème par l’emploi, en tête de vers 9, de la conjonction de coordination « mais », connecteur logique d’opposition, rupture nette soulignée aussi par le fait que le vers est court (4 syllabes). La rupture s’opère aussi par l’emploi du complément circonstanciel de temps (« ce soir-là »), qui indique une précision, qui n’existait pas au début du poème pour le 1er événement. L’emploi du déterminant démonstratif « ce », comme le fait que le « soir » est un moment relativement précis d’une journée, ajoutent à la rupture avec le 1er événement qui n’était situé dans le temps que par rapport à une saison, l’été. Le lecteur pense que le texte bascule vers un événement autre, plus important peut-être que le 1er, au vu de ces précisions.

- Toutefois, dès le vers 10, le lecteur retrouve exactement les mêmes mots qu’au vers 1. Cela doit surprendre, car cela indique, contrairement au vers 9, qu’il y a ici une forme de répétition avec ce qui a précédé. Dans le même temps, le lecteur comprend qu’il va devoir comparer, mettre en parallèle les deux événements, qu’ils sont liés l’un à l’autre.

On peut interpréter ce vers évidemment exactement comme le vers 1.

 

* vers 11 à 14 : - De la même manière que dans le 1er événement, le poète oscille entre des détails devant permettre de dessiner une image précise de ce qu’il raconte, et des éléments qui viennent contredire cette volonté. Ainsi, on note d’une part trois compléments circonstanciels de lieu, qui débutent les vers 11 et 12 pour les deux premiers, avec encore une fois un effet de zoom (« dans la petite chambre » -> « derrière la lampe »), et qui introduisent ensuite une présence humaine par la métonymie des mains (« dans le parage de ces mains »). De nouveau, le poète utilise les articles définis (« la petite chambre », « la lampe ») ou le déterminant démonstratif (« ces »), comme pour suggérer des éléments déjà connus, au moins de lui-même. L’émergence du déterminant possessif « ma » au vers 14 précise encore cette scène dans laquelle le poète est impliqué.

D’autre part, des éléments viennent donc contredire cette précision de la scène ainsi créée : la proposition subordonnée relative qui vient préciser ce qu’est la chambre contient une négation, indiquant par le participe passé « située » que l’emplacement de cette chambre n’est pas connu au moment où le poète s’exprime. Les 7 premières syllabes du vers s’opposent ainsi en quelque sorte aux 7 suivantes. De la même manière, la proposition subordonnée relative qui complète le nom « lampe » évoque une « colonne de fumée » qui peut venir la masquer. Mais c’est surtout l’adverbe « peut-être » du vers 13 qui marque l’incertitude du poète sur l’emplacement de l’arrêt du train cité au vers 10, ce que l’expression imprécise « dans le parage » renforce.

- Cette nouvelle scène diffère de la précédente en cela qu’elle implique personnellement le poète : « ma présence » nous l’indique, par le déterminant possessif et le sens de ce nom. L’espace où se déroule cette 2ème scène est plus réduit que la 1ère : de la campagne et du train, on est ici passé à une « petite chambre », un espace plus intime, quand le train est un espace public. Elle diffère aussi, comme nous l’avons montré, par le fait que certains éléments ne sont pas parfaitement connus du poète au moment où il s’exprime.

Comment interpréter cette scène ? Le vers 14 confirme ce que le vers 10 pouvait suggérer : le poète évoque sa propre disparition future, sa propre mort. En effet, « déshabituées », par son préfixe privatif « dé- », souligne que la « présence » du poète n’est plus. Les « mains » sont donc celles de proches du poète qui, quand il décèdera, devront faire leur deuil, prendre conscience qu’il ne sera plus jamais à leurs côtés. « ces mains » ne sont pas dans le même vers que « ma présence », comme pour imager cette distance que la mort crée. La chambre peut être celle où le corps du défunt est exposé et la colonne de fumée peut renvoyer à l’évanouissement, à une forme d’évaporation. Donc on s’aperçoit que cette 2ème scène rejoint la 1ère, en évoquant la disparition, la mort : le même destin que les personnages du train attend le poète.

Les incertitudes sont alors compréhensibles : les seuls éléments que le poète ne peut prévoir (le futur de l’indicatif du vers 10, forme de certitude, gouverne toute la suite de la phrase jusqu’à la fin du vers 14), c’est le lieu où il va mourir, d’où l’emploi de l’adverbe temporel « encore » (v. 11). L’emploi du présent aux vers 12 et 14 (« est », « sont […] déshabituées ») donnent malgré tout une réalité implacable à cette mort qui paraît alors s’être produite peu avant. Comme on peut utiliser un présent de narration pour rendre plus vivant, plus présent, un événement du passé, le poète utilise un présent qui rend palpable ce moment de son avenir.

- Dans les deux scènes, le poète évoque ceux qui restent : « chacun » (v. 8) ; « ces mains qui ne sont pas déshabituées de ma présence » (v. 13-14). Dans les deux cas, le poète se déplace après la disparition, la mort, et songe à la suite. Dans le 1er cas, il évoque le souvenir des disparus qui s’efface, ici il dit l’inverse, mais suggère que ce souvenir va également s’estomper. Le texte développe donc une réflexion sur ce que chaque être humain laissera après sa mort, et le poète semble indiquer qu’il ne restera rien, pas même un souvenir. Cette vision paraît assez pessimiste.  

 

Partie 3 (v. 15-19) :

 

* vers 15 à 18 : - répétition de négations, mises en valeur en tête de vers : « rien », « pas » X 2. La mort se double, comme il le suggérait à la fin de la scène 1, mais aussi déjà aux vers 13-14, d’une disparition totale de celui/celle qui est décédé.e. Le futur de l’indicatif est encore employé (« subsistera »), marquant encore une fois une forme de certitude, de destin inéluctable. Le choix du verbe « subsister », nié par la négation qui l’encadre, souligne la discontinuité temporelle : ce qui subsiste est ce qui dure, ce qui reste, au-delà du passage des années ; ici, le poète indique donc que la mort d’une personne est une disparition totale, comme si elle n’avait jamais existé. Le « filet troué » est une métaphore : longtemps, il y a eu dans les trains, au-dessus des têtes des voyageurs, des filets pour mettre les bagages. Ici, ils sont troués et ne retiennent donc pas les bagages. D’ailleurs, au vers 18, le superlatif négatif « pas le moindre bagage » répète cette idée. Le bagage d’une personne contient des effets personnels, qui lui correspondent, qui sont en quelque sorte des signes visibles, matériels, du passage d’une personne quand celle-ci décède. Cadou a peut-être pensé aux effets personnels des déportés durant la 2nde Guerre mondiale, qu’on a retrouvés dans les camps de la mort, en piles gigantesques et sinistres. Mais ici, il pense au fait que ces signes matériels, ces souvenirs des personnes disparus, n’existeront plus après leur mort. Il nie fortement le fait qu’il puisse rester le moindre élément de l’existence humaine d’une personne après le décès de celle-ci.

- Cette fin de poème prolonge la scène 2, en évoquant au singulier un « voyageur », qui peut donc être le poète cité aux vers précédents. Mais il rappelle bien entendu les voyageurs du 1er train, et l’imprécision autour du « voyageur », non nommé permet aussi ce rappel. Le vers 10 était déjà à interpréter sur un plan symbolique, et le champ lexical du voyage (« voyageur », « voyages », « filet », « bagage ») toujours présent ici prolonge cette exploitation symbolique. En effet, si la 2ème scène débute avec une nouvelle évocation d’un train, la suite ne correspond pas au cadre ferroviaire : on ne parle pas de « chambre » dans ce contexte. Le lecteur sait donc que cet « arrêt brutal du train » est à comprendre de manière métaphorique : les rails, le déplacement du train font songer à la route de l’existence, et au fait que son arrêt correspond à celui de la mort. Cadou réutilise une image assez ancienne de la route, du voyage sur terre, ici appliquée au domaine ferroviaire. La fin de ce poème renvoie donc aux deux scènes, au destin futur commun des premiers voyageurs et du poète, tous destinés à mourir et à être oubliés. Le groupe nominal « ultimes voyages » renforce cette interprétation métaphorique : l’adjectif « ultimes » renvoie à ce qui est situé en un lieu qu’on ne pourra pas dépasser, à un moment qui clôt définitivement un processus. Le pluriel montre aussi que le poète n’évoque pas que son voyage sur terre, mais tous les voyages, les vies de tous les êtres humains. Le terme abstrait « allusion »  répond à celui, plus concret de « bagage » : les vers 17 et 18 sont construits en parallèle grâce à une anaphore (« pas la/ pas le ») ; ainsi le lecteur interprète aussi « bagage » dans un sens figuré. Le bagage est simplement ce qui reste de la personne disparue, qui peut être aussi léger qu’une « allusion », un souvenir, quelques mots à son sujet. Mais ici, même cela n’existera pas, selon le poète.

Le thème du voyage permet de suggérer le mouvement, le changement, la vie, mais aussi un temps limité, car un voyage n’est qu’un moment du temps, quelques heures ou jours, pour aller d’un point A à un point B. Métaphoriquement, le voyage est ici la vie humaine.

On comprend donc que les vers 15 à 19 sont une sorte de conclusion générale de l’ensemble du poème.

 

* vers 19 : - Ce vers semble être grammaticalement une phrase différente de ce qui a précédé, et donc une forme d’affirmation courte et définitive, puisqu’elle clôture le texte. Le choix de l’alexandrin en deux hémistiches peut renforcer ce caractère conclusif, moral.

- La forme métaphorique se poursuit : le « vent » est celui « de la déroute », liant un phénomène météorologique concret à un jugement plus abstrait sur une situation. L’effacement est ici exprimé autrement, par l’image du vent qui soulève et déplace : « emporté » termine le poème, laissant penser à un déplacement mais qui n’est plus celui du voyage sur terre, qui est celui d’un élément qui disparaît à la vue de celui qui regarde ce que le vent porte et déplace ailleurs, on ne sait où. Le terme « déroute », par sa formation, évoque encore une fois la négation (préfixe négatif « dé- »), appliquée au nom « route », qui rappelle les rails, le voyage. Mais ici, il s’agit justement de quitter cette route, qu’on comprend être celle de la vie ; c’est une autre manière d’évoquer la mort, rappelant aussi les voyageurs du 1er train qui ont été contraints de descendre.

On observe en effet que le sujet du verbe est « le vent », suggérant que les êtres humains ne sont pas maîtres de ce mouvement qui les dépasse. Comme dans le reste du texte, le destin (mortel) s’impose aux êtres humains. Le pronom « tout » renforce cet effet et fait écho au « rien » du vers 15 : le pessimisme du poète se poursuit, laissant imaginer une disparition totale et définitive de chaque être humain, de lui-même, après leur décès.

 

Conclusion :

- Cadou développe deux scènes, l’une collective, l’autre personnelle, afin de démontrer en quelque sorte son propos, celui de la disparition totale de chaque être humain après son décès. Il ne s’agit donc pas uniquement de parler de la mort, de ce qu’elle a d’angoissant, mais d’un rapport plus global au temps. Chaque être humain disparaît une première fois en mourant, puis une deuxième fois quand plus personne n’en a le souvenir. Le poète offre donc une vision pessimiste de la vie humaine, à moins qu’il ne s’agisse d’une prise de conscience offerte au lecteur sur ce qui l’attend.

- Les références implicites à la déportation des Juifs pendant la 2nde Guerre mondiale rappellent que Cadou a vécu ces événements qui l’ont marqué. Il en appelle donc peut-être ainsi à se souvenir, à ne pas laisser sombre dans l’oubli toutes ces personnes exécutées, victimes d’une barbarie abominable.

- L’angoisse de la mort résonne d’une manière particulière quand on pense au fait que ce poète est décédé jeune. Son épouse Hélène Cadou, également poète, a fait en sorte qu’on ne l’oublie pas et lui a longuement survécu, jusqu’en 2014.

 

jeudi 28 octobre 2021

Découvrir René-Guy Cadou

 


L'émission "Un siècle d'écrivains" avait consacré un épisode à René-Guy Cadou :

https://www.youtube.com/watch?v=TZYop4vWTfc

 

La commune de Loire-Atlantique Sainte-Reine de Bretagne consacre une page de biographie assez détaillée au poète dont il était originaire :

https://www.sainte-reine-de-bretagne.fr/rene-guy-cadou-lenfant-du-pays/

 

 Une lecture oralisée du poème (et d'autres du poète) : 

https://www.youtube.com/watch?v=Q2zHK8X57nk