Plan du
texte :
Passage en 3 moments :
1) l’aveu de la princesse, au discours direct (moment
dramatique traité sur le mode théâtral)
2) reprise de la narration avec description de la réaction (gestes)
de monsieur de Clèves « pendant tout ce discours »
3) début de la réponse du mari au discours direct, avec
effets de reprise des paroles de sa femme
Aspects majeurs du
texte :
* Un moment de vérité entre les deux époux, qui tranche avec
les mensonges et hypocrisies de la Cour
* Mise en évidence pour les lecteurs du caractère
exceptionnel de ce passage, de cet aveu, mais aussi de l’attitude des deux
personnages
* L’aveu de la Princesse est basé sur une argumentation
solide, et réfléchie
* Les deux personnages sont à la fois acteurs et victimes de
la situation
Problématiques possibles :
* En quoi ce moment du roman est-il exceptionnel par la vérité exprimée par les deux personnages ?
* Comment cet aveu est-il construit en miroir, permettant aux deux personnages de livrer leurs sentiments intimes ?
Étude
linéaire :
1) L’aveu de la
Princesse :
* Un aveu rapide et assez implicite :
- « si
j’ai des sentiments qui vous déplaisent » (l. 8-9) : le seul
mot qui nomme expressément sa passion est celui de « sentiments ». De
plus, il apparaît dans une proposition subordonnée, au milieu d’une phrase,
comme noyé dans celle-ci !
- pourquoi procéder ainsi ? le langage est proche de
celui de la préciosité, mouvement littéraire du XVIIè siècle, qui aime l’art de
l’ellipse, de la suggestion, plus que celui de nommer directement le sujet
abordé ; les deux époux appartiennent à la haute aristocratie française,
possède donc un art du langage qui n’est pas celui du peuple, et cet art de
l’aveu sans trop en dire peut correspondre au langage de leur classe
sociale ; on peut penser aussi qu’il s’agit, de la part de la Princesse,
d’un respect vis-à-vis de son mari, à qui elle avoue des sentiments amoureux
pour un autre que lui, quand il sait qu’elle n’est pas amoureuse de lui ;
enfin peut-être est-ce aussi une manière d’avouer mais en restant sur une forme
de réserve (la Princesse avoue, mais en même temps, c’est un acte difficile,
donc elle ne le fait pas trop directement).
* Singularité du passage signalée par :
- l’emploi de paroles rapportées au style direct (pour la
Princesse et ensuite pour le Prince), ce qui n’est pas si courant dans
l’ensemble du roman.
- la théâtralité du passage (dialogue, gestes et
attitude de chacun indiqués) : dès début de son intervention, lié à la
proposition incise « lui répondit-elle » : le 1er
geste de la Princesse dramatise l’instant : « se jetant à ses genoux » (l. 1) =
visualisation du personnage, pour le lecteur + renforcement de la douleur du
personnage, pathétique pour le lecteur + soumission à son mari.
- l’annonce claire de l’« aveu » (le mot est prononcé par la
Princesse l. 2), comme un projet pour cette réplique : effet d’attente de
la part du lecteur (même si le lecteur connaît les actes et l’objet de la
passion du personnage). Aveu mis en évidence par la proposition subordonnée
relative hyperbolique « que
l’on n’a jamais fait à son mari » (l. 2) = manière encore de
signaler la singularité de ce qu’elle s’apprête à faire, donc de susciter
l’intérêt du lecteur (négation « ne… jamais » : adverbe de temps
indiquant l’unicité de ce que la Princesse s’apprête à faire). Elle répète la
même hyperbole pour mettre en avant ce caractère exceptionnel ligne 10 : « plus d’amitié et plus
d’estime que l’on en a jamais eu ». L’emploi de l’adjectif « vrai » (l. 3)
montre encore qu’elle souhaite faire preuve de vérité.
* But 1 de cet aveu : se justifier et expliquer
son attitude (absence de la Cour) :
- elle met en avant la pureté conservée de sa vertu (elle
n’a trompé son mari qu’en pensée, elle n’a pas succombé à Nemours, n’a pas fait
de lui son amant) : défense de « l’innocence de [sa] conduite et de [ses] intentions » (l.
2) : double complément du nom renvoyant l’un aux actes (« conduite »),
l’autre aux pensées (« intentions »), englobant donc tout ce qui
pourrait rendre la Princesse coupable aux yeux de son époux.
- la phrase suivante débute par la formule impersonnelle « Il est vrai »
(l. 3), annonçant une concession à son époux, ce qui est la marque d’une
certaine subtilité de la part de la Princesse (sa stratégie argumentative). L’emploi
du nom « raisons »
= valeur explicative de son attitude.
- La raison est donnée après, par le biais de la conjonction
de coordination « et »
(l. 3) : « et
que je veux éviter les périls… » (l. 3-4) : « la cour » (l.
3) est citée avant, et donc liée aux « périls » ; le lecteur comprend, dans cet euphémisme,
qu’elle évoque indirectement Nemours et l’amour irrépressible qu’elle lui porte.
La proposition subordonnée circonstancielle de but « pour me conserver digne d’être à
vous » (l. 7-8) apparaît aussi comme une justification de sa
volonté de s’écarter de la cour.
* But 2 de cet aveu : supplier son époux de
l’aider :
- elle interpelle son mari :
"
apostrophe initiale de la réplique, par l’interjection « Eh bien » (l. 1), puis par « Monsieur »
"
jeu des pronoms des 1ère personne du singulier et 2ème personne
du pluriel, en début de réplique (ligne 1, « je vais vous ») puis reprise après
(lignes 5, puis 7-11 : « je »
/ « vous »)
"
interpellation plus directe vers la fin de la réplique, par l’énumération des 3
verbes à l’impératif ligne 11 (« conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore ») :
supplication forte, appel à l’aide. Son époux doit remplacer sa mère, ce
que montre la reprise du verbe « conduire » utilisé à la ligne 7) ; noter que le
rythme haché de cette fin de phrase (4 à 5 syllabes par groupes de mots)
renforce aussi cette supplication, comme dans un souffle un peu précipité de la
fin de l’aveu. Fin de la réplique sur « vous », comme pour lui passer
la parole, mais aussi pour s’effacer devant lui, son autorité.
"
cette interpellation de fin de réplique avait en fait débuté plus haut par « Je vous demande »
(l. 8), puis dans la phrase suivante par l’impératif « songez » (l. 9), en tête de
phrase. On peut se dire que si elle s’efface en apparence devant lui, elle lui
impose aussi de manière de plus en plus forte son argumentaire, sa manière de
réfléchir.
- l’appel aux sentiments du Prince (« pitié » ; « aimez », et
plus haut l. 10 « amitié »
= affection ; hyperbole « mille
pardons » l. 8) est une manière de le faire plier (dans ce cas,
elle semble maîtriser son argumentation), ou la marque du désespoir où elle se
trouve (signe de sa faiblesse).
- elle évoque deux fois l’éloignement de la cour :
ligne 3 puis ligne 6. Elle supplie son époux de la laisser éloignée de la
Cour ; l’aveu vient expliquer cette demande, la justifier. Elle a la
solution au problème qu’elle expose : ne plus apparaître à la Cour, devant
celui qu’elle aime.
* Cet aveu oppose action et pensées (c’est encore un
argument pour se défendre auprès de son époux) : son aveu montre qu’elle
affirme n’avoir jamais succombé à celui qu’elle aime, qu’elle n’a pas agi en ce
sens, mais qu’elle met l’accent sur ce qu’elle sait être sa faute : ses
pensées, son penchant, ses émotions qui la poussent vers Nemours.
- Aux lignes 8 et 9 s’opposent « sentiments » et « actions ». Les
sentiments sont actuels (verbe « avoir » -« j’ai »- au présent de
l’indicatif), les actions sont futures (verbe « ne vous déplairai jamais »). Le
balancement entre les deux éléments s’effectue grâce à la locution adverbiale « du moins »
(l. 9) : la Princesse avoue ses sentiments jugés fautifs, mais les
contrebalance par le fait qu’elle n’a pas mal agi, l’action étant jugée pire
que la pensée, que ce qui est simplement ressenti. L’emploi de l’adverbe
temporel « jamais » signale un engagement éternel, dans une forme
d’hyperbole ; on note aussi que l’emploi de l’indicatif futur présente cet
engagement comme une vérité. Ici aussi on constate donc une forme de stratégie
argumentative de la part de la Princesse.
- Elle plaide aussi « l’innocence de [sa] conduite et de [ses]
intentions » (l. 2) : elle associe ici les actes (la
« conduite ») et même sa pensée (« intentions »). Elle veut
signaler ainsi à son époux qu’elle n’est pas tombée dans les bras de celui
qu’elle aime, que cette passion en est restée au stade d’un sentiment
intérieur, jamais avoué à Nemours, et jamais passé au stade de l’acte. Et cela
montre que sa passion l’a dominée mais qu’elle ne l’a pas choisie
(« intentions »).
* Cet aveu est-il celui d’une femme forte, sûre
d’elle-même (a), ou une marque de faiblesse de sa part, voire une impossibilité
d’exercer une liberté personnelle (b) ? Un aveu ambigu :
(a)
- « je
n’ai jamais donné nulle marque de faiblesse » (l. 4-5) :
négation « ne plus » = sens absolu, définitif sur son passé (passé
composé du verbe ; indicatif = vérité, réalité). Elle s’affirme fortement,
et en même temps on sait que c’est faux : son émotion lors de l’accident
de cheval de Nemours, sa réaction lors du vol du portrait, son plaisir à
réécrire la lettre avec lui le prouvent. Donc volonté de simplement convaincre
son mari ? Volonté de se convaincre elle-même que tout ceci est du passé
et ne reproduira plus ? Noter que le nom « faiblesse » (encadré d’une négation)
fait écho au nom « force »
qui clôture la phrase ligne 3, ce qui pourrait aller dans le sens d’une volonté
de laisser, rejeter cette passion dans le passé : elle veut avoir la force
de résister.
- « je
veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon
âge » (l. 3-4) : le verbe « vouloir » à la 1ère
personne du singulier semble montrer une force personnelle, mais en même temps,
ses paroles rappellent beaucoup celles de sa mère (cf. 1er extrait
étudié en lecture analytique : arrivée à la cour), et le nom
« cour » précède immédiatement cette partie de la phrase.
Assume-t-elle vraiment ? Se cache-t-elle derrière un argumentaire qui
n’est pas le sien (ce que le pluriel des « personnes »
soulignerait, éloignant le propos de sa propre personne) ?
- « le
parti que je prends, je le prends » (l. 7): verbe d’action
répété, ce qui montre sa détermination. « pour faire ce que je fais » (l.
9-10) : même procédé de répétition du verbe d’action. Même emploi de la 1ère
personne du singulier pour s’affirmer.
(b)
- « si
vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour » (l.
5-6) : le nom « liberté »
montre qu’elle met en avant le choix qu’elle veut faire, mais en même temps,
c’est son mari qui décide : sujet du verbe « laisser » +
proposition subordonnée circonstancielle de condition qui souligne que cette
issue n’est pas certaine, car soumise à la décision de M. de Clèves ; elle
est en position de pronom complément, « me », et non en position de sujet
décideur.
- la disparition de sa mère la rend plus fragile : 2ème
proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse, « si j’avais encore Mme de Chartres pour
aider à me conduire » (l. 6-7), donc qui évoque une situation qui
n’existe pas. Notons le verbe « aider » dont le complément est la princesse : « me », comme
ci-avant ; de plus « conduire »
laisse entendre qu’elle ne souhaite pas ou ne peut pas diriger elle-même son
existence, qu’elle n’en a pas la force nécessaire.
- enfin, si les deux subordonnées laissent penser qu’il y a
un choix, c’est faux : Mme de Chartres est décédée ; il ne reste donc
que la fuite possible. Pas de choix laissé à la Princesse.
- les trois verbes à l’impératif de la fin de la réplique
(ligne 11 : « conduisez-moi,
ayez pitié, et aimez-moi encore ») soulignent aussi un appel à
l’aide, et donc une faiblesse de sa part. Sa seule issue est que son mari, qui
a autorité sur elle (pensez à la hiérarchie dans le couple au XVIè siècle :
elle dit ligne 8 qu’elle veut être « digne d’être à [lui] », comme une forme de
possession du mari sur son épouse), accepte qu’elle s’éloigne de la cour.
* Quels valeurs et jugements sur la société (la cour)
met-elle en avant ?
- la cour est dangereuse : « périls » (l. 4) (noter le
pluriel) ; « craindrais »
(l. 5) ; « dangereux »
(l. 7 : elle ne précise pas quel danger la guette en s’éloignant de la
cour. Peut-être une exclusion définitive de ce monde, et donc une entorse faite
à son statut de noble et de riche héritière proche du pouvoir ?). Il faut
donc (c’est son argumentaire) qu’elle fuie la cour et la personne qu’elle aime
qui s’y trouve (« m’éloigner
de la cour », « éviter les périls », « me retirer de la
cour » : 3 verbes à l’infinitif, verbes d’action, dont deux de
mouvement, de déplacement).
- elle n’a fauté qu’en pensée : « innocence de ma
conduite et de mes intentions » (l. 2) ; elle ne ressemble pas à
d’autres femmes de la Cour (exemple : histoire de Mme de Tournon). La
distance qu’elle met avec la Cour symbolise aussi le fait qu’elle ne ressemble
aux femmes de ce milieu hypocrite. Son aveu tranche d’ailleurs par la vérité
qu’il présente avec le mensonge et la dissimulation communs aux personnages de
la Cour.
- tout autant que sa vertu, elle met en avant les risques
encourus par son image sociale : « d’en laisser paraître »
(l. 5), tout en notant que pour l’instant son image sociale n’est pas
écornée : « nulle
marque de faiblesse » (l. 5).
- elle défend sa vertu dans le cadre du mariage qui la
lie à son époux : « digne
d’être à vous » (l. 8) ; elle rappelle son « amitié » (l.
10) (= affection, ici), son « estime » pour lui. Elle le nomme comme
son « mari »
(lignes 2 et 10), rappelant ainsi sa fidélité dans le mariage.
2) Reprise brève
de la narration : la réaction de M. de Clèves :
* Réaction simultanée aux propos de la Princesse :
- l’emploi du plus-que-parfait le prouve : ce temps
permet d’effectuer un bref retour en arrière (« était demeuré » l. 12 ; « n’avait pas songé »
l. 13), au moment où la Princesse s’exprimait encore.
- le narrateur offre le point de vue interne du
Prince : ses pensées (« n’avait
pas songé » ; « pensa » ; « si admirable »
= jugement de valeur esthétique) ; son regard (« jeta les yeux sur elle » ;
« il la vit »).
- on note une réaction de souffrance exacerbée :
hyperbole « mourir de
douleur » (l. 15).
* Comme pour début du passage, volonté de théâtraliser
l’instant :
- gestes du mari (« la tête appuyée sur ses mains » ; « il jeta les
yeux sur elle » ; « l’embrassant en la relevant »)
- mais aussi description de l’état de la Princesse à ce
moment (« à ses
genoux » ; « le visage couvert de larmes » ;
« d’une beauté si admirable »).
- s’il ne l’a pas regardée pendant qu’elle parlait (il était
« hors de
lui-même » l. 13 = pas lui-même ? comme
déconnecté ?), restant comme à distance, il la prend dans ses bras et le
remet au même niveau que lui (« l’embrassant en la relevant ») : proximité plus
grande entre eux.
- cette théâtralisation permet essentiellement de créer du
pathétique, les deux personnages faisant également pitié.
3) La réponse du
Prince de Clèves à la Princesse (suite de sa réaction) :
* Une réponse en miroir à celle de la
Princesse :
- même paroles rapportées au style direct "
même importance des deux prises de parole aux yeux du lecteur. Cela crée une
forme d’égalité entre les deux personnages aux yeux du lecteur.
- reprise de certaines paroles ou procédés de la Princesse,
pour se les appliquer à lui-même, ou pour les appliquer à la Princesse : « ayez pitié de moi »
l. 11 (Princesse) & 16 (lui-même) ; emploi de verbes à l’impératif
pour renvoyer des demandes à la Princesse l. 16 ; « digne d’être à vous » l. 8
(Princesse au Prince) & « j’en
suis digne » l. 16 (Prince), mais il reprend aussi le terme, pour
approuver la Princesse à son sujet : « vous me paraissez plus digne d’estime »
(l. 18) ; l’« estime »
qu’elle a annoncé avoir pour lui (l. 10) correspond à celle qu’il a pour elle
(l. 18) ; même apostrophe initiale (« Monsieur » l. 1 & « Madame » l.
16) ; même demande de pardon (« Je vous demande mille pardons » l. 8 & « pardonnez »
l. 16).
- pourquoi le Prince reprend-il les propos de la Princesse ?
Il veut montrer qu’il est à la hauteur de ce que la Princesse veut s’imposer à
elle-même ; il veut montrer qu’il ne souhaite pas qu’elle s’abaisse devant
lui (d’où le geste l. 15), qu’il lui ressemble, qu’ils sont donc proches l’un
de l’autre, malgré cet aveu qui signale qu’elle en aime un autre que lui ;
mettre en avant sa propre douleur (elle n’est pas la seule à souffrir !)
* Donc : Egalité des deux personnages en ce
moment :
- le geste l. 15 (« en la relevant ») inverse « à ses genoux » (l. 1), inverse
l’autorité habituelle des maris sur leurs épouses au XVIè siècle.
- le Prince ne souhaite pas qu’elle s’abaisse devant lui
(d’où le geste l. 15), il veut montrer qu’il lui ressemble, qu’ils sont donc
proches l’un de l’autre, malgré cet aveu qui signale qu’elle en aime un autre
que lui.
* Le Prince, par son intervention, se présente lui
aussi comme un être exceptionnel, ouvert, tendre, compréhensif :
- pas de colère envers son épouse : pas de phrases
exclamatives, pas de lexique de la colère ; au contraire, longues phrases
explicatives marquant plus une attitude calme et assez réfléchie de la part du
Prince.
- acceptation de la situation même si elle le fait souffrir.
Ce caractère exceptionnel se mesure aussi à la réponse
inattendue de la part du Prince :
- un Prince différent des autres hommes : il
n’utilisera pas cet aveu contre elle pour se venger (règle habituelle dans leur
monde ; et peut-être plus largement chez les êtres humains ?) : « je ne réponds pas, comme
je dois, à un procédé comme le vôtre » (l. 17-18) :
l’insertion de la subordonnée de comparaison « comme je dois » au milieu de la
proposition principale, interrompt celle-ci, manière de souligner combien le
Prince est différent des autres hommes de la Cour. Le verbe
« devoir » (« dois »),
au présent de vérité générale, rappelle les règles de comportement qui
s’imposent normalement aux hommes sur leurs épouses dans la société dans
laquelle ils évoluent (= il devrait s’énerver contre elle, la haïr) ; mais
la négation « je ne
réponds pas » indique qu’il ne suit pas cette règle générale.
- il présente son épouse comme un modèle exceptionnel,
guidant ainsi le lecteur vers cette image du personnage : « plus digne d’estime et
d’admiration que tout ce qu’il y a jamais eu de femmes au monde »
(l. 18-19) "
hyperbole très forte par la comparaison de la Princesse à toutes les femmes de
la terre, et aussi à toutes celles qui ont existé. C’est évidemment aussi une
manière de montrer tout son amour pour elle, indéfectible, malgré l’aveu qu’elle
vient de lui faire : il s’exprime toujours au présent de l’indicatif (« vous me paraissez »
l. 18 ; « elle
dure encore » l. 21-22). Le pronom possessif dans « un procédé
comme le vôtre » (l. 18) souligne que l’aveu qu’elle vient de faire
n’appartient qu’à elle, est unique, qu’aucune femme ne saurait dans leur monde
être aussi franche avec son époux.
* Plus que de la colère, le Prince ressent et fait part d’« une affliction […] violente »
(l. 17 : noter l’hyperbole qui montre combien il souffre).
- Une différence entre eux : la Princesse n’a pas fait
part de son affliction vis-à-vis de ce qu’elle livre à son mari, de ce qu’elle
lui fait subir. L’opposition entre eux est ici signalée par la construction en
deux parties opposées de la phrase (rupture par le point-virgule et la
conjonction de coordination d’opposition « mais » l. 19). Au modèle admirable,
exceptionnel qu’elle propose (« estime » ; « admiration » l. 18-19)
répond ainsi son affliction exceptionnelle.
- Il renforce le groupe nominal « affliction violente »
par une hyperbole (superlatif de l’adjectif « malheureux ») : « le plus malheureux homme
qui ait jamais été » (l. 19-20). Il se singularise ainsi par rapport
à tous les autres hommes présents et passés, auxquels il se compare.
Comme la Princesse s’est expliquée, s’est justifiée, a livré
le fond de son âme, il fait de même : il s’explique et se confie.
- nombreuses occurrences de la 1ère personne du
singulier
- champ lexical des sentiments (« affliction »,
« admiration », « malheureux », « passion », « amour »)
- emploi de connecteurs logiques qui articulent les
différents moments de son explication (« et » l. 16 ; « mais »
l. 19).
* Un Prince qui se présente en position de faiblesse :
il n’est pas acteur de sa passion, ni de sa tristesse infinie.
- « Vous
m’avez donné de la passion » (l. 20) : il est position de
victime de l’amour et de son épouse (pronom personnel complément d’objet
indirect « m’ »). « je
me trouve » (l. 19) : verbe à la forme réfléchie, qui souligne
qu’il subit ce sort, comme un personnage de tragédie soumis à une forme de
destin et qui constate la situation dans laquelle il se trouve, sans pouvoir
agir sur elle. Il utilise une négation définitive, en reprenant ses propos de
la ligne 20 pour les inverser : « vous m’avez donné » "
« je n’ai jamais vous
donner de l’amour » (l. 22), toujours pour mettre en avant son
incapacité à agir pour elle. L’amour non réciproque est souligné par le passage
par la conjonction « et »
d’une proposition principale et de sa subordonnée, à une autre principale avec
subordonnée, qui s’oppose à la première : « je n’ai jamais pu vous donner de l’amour »
"
« et je vois que vous
craignez d’en avoir pour un autre » (l. 22-23) (opposition
« je » "
« vous » ≠ « vous » "
« un autre »).
Conclusion :
* L’aveu met en scène un moment étonnant dans ce roman, où
chacun dissimule ses sentiments et la vérité de ce qu’il ou elle est. C’est
pourquoi il a étonné les premiers lecteurs de Mme de Lafayette et suscité des débats
sur sa vraisemblance.
* Au final, ce n’est pas seulement la Princesse qui apparaît
comme exceptionnelle dans ce passage : le rapprochement par la structure
du texte des deux personnages met aussi en valeur le caractère extraordinaire
du Prince.
* Ces deux personnages tranchent avec la Cour, sont
au-dessus par leur vertu, leur comportement.
* On notera cependant que le Prince sera emporté par une
autre forme de passion, la jalousie, qui le mènera à sa mort. L’aveu peut
paraître positif au moment où il se produit, mais la Princesse porte la
responsabilité des conséquences de cet aveu sur son époux, et elle souffrira de
ce sentiment de culpabilité.
* Nemours, présent mais caché, admire aussi cette Princesse.
Cet aveu renforce l’amour qu’il lui porte, dans la mesure où il lui est
confirmé qu’elle est supérieure aux autres femmes qu’il a pu connaître.