mercredi 26 janvier 2022

Lecture analytique linéaire : deuxième extrait du postambule de la déclaration d'Olympe de Gouges

 


 

Contexte :

Les articles de la Déclaration sont terminés. Le début du postambule montre que l’autrice s’adresse désormais spécifiquement aux femmes. Ce texte répond directement à l’Exhortation aux hommes placée avant la déclaration. Comme elle s’est adressée aux hommes, pour les interpeller, elle le fait désormais avec les femmes. Après avoir interpellé fortement les femmes pour les inciter à agir pour leurs droits, elle effectue un retour en arrière sur les rapports homme-femme, dans les couples notamment, dans l’Ancien Régime, en notant que cette situation n’a pas évolué malgré la Révolution.

Tout l’extrait vise à préparer la revendication finale de nouvelles lois devant permettre le partage des fortunes et l’accès des femmes aux postes de l’administration du pays.

 

Structure du texte : 3 parties.

1) Lignes 1 à 10 : Tableau de la situation des femmes en couple dans l’Ancien Régime, dont la seule manière de réussir en société était d’user de leur beauté physique et de leur caractère doux. 

2) Lignes 10 à 15 : Suite du tableau, pour rappeler le sort des femmes quand elles vieillissent, délaissées par leur époux ou amant.

Lignes 15 à 21 : Suite d’exemples, de mises en situation concrètes pour montrer que dans tous les cas, les hommes sont avantagés et les femmes injustement délaissées et dépossédées de leur confort de vie.

3) Lignes 21-22 : Conclusion de cet extrait : appel à voter de nouvelles lois pour imposer aux hommes de partager leur fortune et leurs postes (dans l’administration du pays).  


Aspects majeurs du texte :

- Le texte met en valeur la situation de soumission des femmes au bon vouloir des hommes.

- Le texte évoque de manière concrète ce qui concerne la fortune, les biens matériels, dont les femmes ne peuvent disposer comme elles l’entendent et qui les mènent forcément à la misère : pas d’égalité des fortunes.

- Le texte se base sur des rappels, situés dans l’Ancien Régime, mais qui s’avèrent toujours présents, ce qui justifie la demande de légiférer pour que la société évolue vers une égalité du partage (fortunes ; postes) entre femmes et hommes. 

 

Problématiques possibles :

* Comment Olympe de Gouges dénonce-t-elle la situation de soumission des femmes aux hommes et revendique-t-elle un meilleur partage des fortunes et des emplois ?

* En quoi ce texte se présente-t-il comme dénonciateur de la place de la femme dans la société française durant l'Ancien Régime et pendant la Révolution française ?

 

Analyse linéaire :

Partie 1 : lignes 1 à 10 :

* La première phrase vise à piquer la curiosité du lecteur et à présenter le sujet de la réflexion qui va être menée dans l’ensemble de cet extrait :

- Début par un complément circonstanciel de temps (« sous l’Ancien Régime ») qui signale de suite le retour en arrière, avant la Révolution, effectué par Gouges.

- « tout était vicieux, tout était coupable » : affirmation double qui décrit par l’imparfait la situation durant l’Ancien Régime. Hyperbole, pas de nuances, par la répétition du pronom indéfini « tout », la répétition du verbe « être » qui signale un état durable, que l’imparfait évoque aussi. Condamnation morale, par les deux adjectifs péjoratifs « vicieux » et « coupable » : l’ensemble de la période précédente est à rejeter car immorale.

- La phrase l. 1-2 se scinde en deux parties opposées (utilisation d’un point-virgule et de la conjonction de coordination « mais »). Le verbe au conditionnel (« pourrait ») montre que Gouges lance une réflexion, une hypothèse offerte à tous (pronom indéfini « on »). Elle lance un paradoxe de réflexion, en créant une autre opposition entre deux groupes nominaux, un acte positif, celui de « l’amélioration » et un pluriel très péjoratif évoquant des pratiques jugées immorales, « des vices ».

La question posée est aussi une manière de présenter l’objet de sa réflexion dans les lignes qui vont suivre, où elle va y répondre. Gouges suscite ainsi l’intérêt du lecteur dans ce passage de son postambule. Cette réflexion est encore suggérée par le verbe relatif à la vue « apercevoir » (l.2).

 

* Lignes 2 à 8 : réponse à la question posée : Gouges explique comment les femmes pouvaient réussir en société dans l’Ancien Régime. Elle poursuit donc le retour en arrière opéré dès la ligne 1.

- L’emploi de l’imparfait montre ce retour en arrière. Les imparfaits expriment des actions habituelles (« voyait » l. 3 ; « profitait » l. 5 ; « portait » l. 6 ; « se faisait » l. 7), ou correspondent à un état durable (« avait » l. 2 & 5 ; « possédait » l. 4 ; « était » l. 6 & 7). Cela montre qu’elle décrit la situation sociale des femmes (celles qui étaient proches des gens aisés, pas l’immense partie du peuple) installée pendant l’Ancien Régime. « reçue » (l. 8) indique aussi une habitude, un mode de vie (« une espèce d’industrie ») répandu dans les classes dominantes de l’Ancien Régime (« la première classe »).

- La base de la réussite est énoncée dès le départ : « une femme n’avait besoin que d’être belle ou aimable ». La négation restrictive (« n’… que ») réduit la réussite sociale des femmes à leur beauté physique (« belle ») ou à leur capacité à se faire apprécier par leur conversation, sans doute une forme de politesse (« aimable » : l’adjectif est formé sur le verbe « aimer », et montre une attitude de la femme de se mettre en position d’être aimée, de susciter l’amour chez un homme, ce qui montre une forme de soumission à certaines règles de séduction pour s’en sortir dans la société). Le « besoin » indiqué souligne que ce n’est pas un choix mais une contrainte.  

- La conséquence de ce qui précède (le démonstratif qui débute le groupe nominal « ces deux avantages » indique la reprise des deux adjectifs « belle » et « aimable ») s’exprime par un champ lexical de l’argent, du confort matériel : « fortunes » (l. 3), « richesses » (l. 6), « l’or » (l. 7), « commerce » (l. 7). Ce champ lexical se poursuivra plus loin dans le texte. C’est ce que gagne la femme qui se soumet aux hommes. Le verbe « possédait » (l. 4) joue aussi de la correspondance entre les atouts de la femme (beauté physique, amabilité) et de ce que cela peut lui rapporter (à ce qu’elle possède en propre répond ce qu’elle possède matériellement ensuite). La fin de ce passage exprime ouvertement ce qui peut paraître choquant, que des femmes se vendent, en quelque sorte : le groupe nominal « le commerce des femmes » le résume, mettant les femmes en position de complément du nom « commerce », comme si elles n’étaient que des objets, des biens de consommation. C’est une manière pour Gouges de dénoncer les pratiques de l’Ancien Régime.  

- Gouges énonce les diverses possibilités offertes aux femmes pour vivre correctement durant l’Ancien Régime, mais pour souligner que la seule solution pour elle était d’user de ses charmes pour espérer vivre dans un certain confort, que seuls les hommes pouvaient lui offrir.

Grammaticalement, les phrases sont construites en deux parties, proposition subordonnée puis proposition principale, pour indiquer ces différentes possibilités : ainsi elle utilise une proposition subordonnée circonstancielle de temps (« quand… avantages ») pour en indiquer la conséquence (« elle voyait cent fortunes à ses pieds ») ; elle utilise, encore avant la proposition principale, une proposition subordonnée de condition (« si elle n’en profitait pas »), pour ensuite indiquer la conséquence sur cette femme (« elle avait… tête »). La dernière possibilité se décline grammaticalement en une phrase simple, courte et plus expéditive (« La plus indécente… or »).

La 1ère possibilité indiquée est la femme qui se plie à cette règle de se vendre pour obtenir des faveurs (l. 4-5), et le résultat est très positif, puisqu’aux « avantages » répondent une hyperbole, « cent fortunes ».

La 2ème possibilité suppose l’inverse, ce que la négation indique (« si elle n’en profitait pas »), mais les conséquences sont pénibles pour la femme qui se place dans cette position : jugement négatif des hommes, de la société sur le fait de ne pas respecter le comportement habituel, attendu (« caractère bizarre » = étrange, hors normes, incompréhensible car différent de ce que l’on attend ; « philosophie peu commune » = manière de réfléchir qui sort de l’ordinaire), qui amène à une opinion, un regard (« considérée ») définitif sur elle : « une mauvaise tête » = mauvaise manière de réfléchir, comme s’il ne pouvait y en avoir qu’une. La négation « ne … plus » est en plus restrictive (« que comme ») (l. 6) et met en valeur le mépris des hommes vis-à-vis de ces femmes qui ne veulent pas vendre leurs charmes, leur réduction à moins que rien.

La 3ème possibilité reprend l’idée de la 1ère, celle d’une femme qui accepte ces règles pour s’en sortir, mais ici, par le biais du superlatif qui précède l’adjectif péjoratif « indécente », il s’agit pour Gouges de montrer que l’Ancien Régime est effectivement immoral, mettant en valeur des personnages qui ne le méritent pas selon les règles de morale admises par la société. De plus, le paradoxe est aussi mis en valeur par l’opposition entre « indécente » et « se faisait respecter » : Gouges laisse entendre que ce type de femmes ne mérite normalement pas le respect, mais que leur immoralité leur permet de gagner de « l’or ».  

* Lignes 8 à 10 : Dès la phrase « Le commerce… crédit » (l. 7-8), Gouges oppose les habitudes de vie de l’Ancien Régime, du passé, au présent, au changement nécessaire depuis que la Révolution s’est produite, mais qui n’est pas encore véritable en 1791 : l’adverbe temporel « désormais » marque cette opposition, comme la négation « n’aura plus », qui indique un abandon de ces pratiques. L’emploi du futur de l’indicatif est aussi un moyen de se projeter vers un avenir où les femmes ne seront plus soumises aux hommes pour vivre décemment.

Cette projection dans ce présent et l’avenir se poursuit dans la phrase suivante, mais pour indiquer l’option inverse, grâce à la proposition subordonnée de condition « S’il en avait encore » (la préposition « encore » laisse entendre que les habitudes anciennes se poursuivent), et à la conséquence de celle-ci, exprimée par la proposition principale « la Révolution serait perdue… corrompus », avec des verbes au conditionnel pour bien montrer que cela peut rester hypothétique, peut ne plus être réalité (« serait », « serions »). La conséquence est radicale : Gouges englobe l’ensemble de la « Révolution » et la lie au verbe « perdue » ; cette hyperbole veut montrer que le statut des femmes est essentiel pour que les acquis de la Révolution ne soient pas balayés. La question n’est pas accessoire, n’est pas un petit sujet anodin. Elle pourrait remettre en cause l’ensemble du processus de transformation de la société française entamé en 1789 (le « nous » collectif -l. 9- englobe bien toute la société française). La suite de la phrase explique cette affirmation : le terme « corrompus » qui la termine rappelle les termes qui qualifiaient l’Ancien Régime au début du passage (« vicieux », « coupable », « vices », « indécente »). C’est bien une manière de montrer que s’il n’y a pas changement de la part des hommes dans la manière de considérer les femmes, c’est comme si la Révolution en revenait aux pratiques de l’Ancien Régime et aux valeurs de cette période ancienne (morale = valeurs). L’adverbe « toujours », comme plus haut « encore », accentue l’idée que la Révolution n’en serait pas une si elle laissait perdurer des modes de vie qui nient l’égalité hommes-femmes et l’autonomie des femmes dans la société. Elle oppose les « nouveaux rapports », les nouvelles relations sociales instituées par la Révolution (place plus grande du peuple dans la vie de la nation), et « nous serions toujours corrompus », qui nie la réalité des changements obtenus.    

 

Partie 2 : lignes 10 à 21 :

* Début de cette 2ème partie du texte marquée par le connecteur logique « cependant » (l. 10) placé en tête de phrase. Ce qui va suivre s’oppose à l’idée que la situation des femmes pourrait ne pas évaluer à l’occasion de la Révolution française (l. 8-10). Et Gouges en appelle une nouvelle fois à ce qui fonde cette Révolution et auparavant au principe fondateur des Lumières : « la raison » (l. 10). Elle annonce donc qu’elle va démontrer par la logique que la situation qui ne permet aux femmes de vivre décemment qu’en lien avec les hommes n’est pas admissible. A noter que terme « raison » reviendra encore ligne 16.

Le verbe « dissimuler » est nié par la forme interrogative (« peut-elle »), montrant bien que désormais c’est une vérité évidente que l’inégalité (financière, de pouvoir) entre femmes et hommes n’est pas tenable. Une nouvelle fois d’ailleurs, suite à la question rhétorique, elle répond de manière très affirmative, montrant que le doute n’est pas permis : « la différence est grande ; on le sait » " les verbes au présent de vérité générale pour « est » et d’énonciation « sait » confirment cet aspect de vérité incontestable, comme le pronom personnel indéfini « on » très globalisant, et l’emploi de deux propositions grammaticales courtes et juxtaposées, rendant le propos incisif, sans possibilité de contradiction : la différence entre le statut de l’homme et de la femme, entre leurs pouvoirs respectifs, est évidente en 1791.

* Gouges souligne encore une fois, comme dans la partie 1, que la femme n’a pas d’autre choix que d’attendre d’un homme qu’il permette qu’elle dispose d’une certaine aisance financière : « tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme » (l. 10) = la métaphore du « chemin » permet de comparer l’accès des femmes à la fortune et une véritable route. Puisque l’affirmation se fait négative par le verbe « fermé », qu’elle montre une exclusivité par « tout autre », cela illustre de manière concrète que les femmes ne peuvent vivre correctement qu’en se liant avec un homme. Cette image est reprise par le biais du même verbe quelques lignes plus loin : « les portes mêmes de la bienfaisance lui sont fermées » (l. 14), la porte illustrant ici pire encore, l’absence d’accès à l’aisance (la « bienfaisance »). 

* Gouges compare le statut de la femme face à l’homme en France à celui de l’esclave face à son maître :

- Figure de la style de comparaison par l’adverbe « comme » (l. 11), pour lancer ce rapprochement entre les hommes et les esclavagistes, entre les femmes et les esclaves.

- Reprise d’un lexique lié à la traite négrière, entre les continents africain et américain : « achète » (l. 11), « esclave » (l. 11 & 12 & 13), « côtes d’Afrique » (l. 11), « maître » (X 2 l. 12) " le but est de choquer, car les lecteurs connaissent les conditions abominables dans lesquelles vivent les esclaves, et surtout l’autorité absolue qui leur est imposée. Gouges n’a pas besoin d’entrer dans les détails : les atrocités de la condition des esclaves sont immédiatement posées par les lecteurs sur la condition féminine en France. Cette autorité est exprimée par les noms d’« esclave » et de « maître » qui ne sont jamais loin l’un de l’autre, ainsi que par le verbe « achète » qui rappelle l’expression du « commerce des femmes ».

* Gouges montre ensuite que le pouvoir supposé des femmes sur les hommes est limité dans le temps :

- Elle oppose ainsi sa phrase en deux parties contradictoires, que la conjonction « mais » (l. 12) met en évidence. Le début de la phrase met en place un paradoxe qui doit surprendre le lecteur, puisque « l’esclave » (l. 12) est sujet du verbe relatif au pouvoir « commande », et que le « maître » se retrouve en position de complément d’objet, ce qui, dans le milieu de la traite négrière, était impossible à admettre. On comprend que la femme entretenue par un homme peut exiger beaucoup de lui (notamment des dépenses à son profit). Elle possède donc une forme de pouvoir sur l’homme.

Mais la 2ème partie de la phrase va vite nuancer considérablement ce pouvoir puisque « le maître » (l. 12) redevient sujet du verbe (« donne ») et que la femme se retrouve en position de complément d’objet par l’emploi du pronom « lui » (l. 12). Et il peut lui offrir « la liberté » (l. 12), ce qui rappelle encore une fois qu’elle ne la possède pas. De plus la liberté a ici un sens ironique, car elle renvoie au moment où la femme sera éloignée de l’homme, où elle ne sera plus entretenue par lui et va donc se retrouver dans une situation financière précaire. Le terme mélioratif prend ici une teinte péjorative, ce que la négation « sans récompense » indique immédiatement après le nom « liberté ».

- Gouges avance donc dans le temps humain, poursuit une forme de narration de la vie des femmes entretenues (elle évoque ainsi « un âge » l. 13, qui renvoie au temps humain), imagine un autre moment de la vie de ces femmes entretenues. Si dans leur jeunesse, elles peuvent s’en sortir, cela ne dure souvent pas. Gouges rappelle une réalité, déjà évoquée au début du texte (« une femme n’avait besoin que d’être belle ou aimable ») : quand elle vieillit, la femme devient moins attirante pour l’homme et peut donc à tout moment être renvoyée. Aux lignes 14-15, Gouges avance encore dans le temps, narrant le destin de ces femmes abandonnées par l’homme : « elle est pauvre et vieille », les deux adjectifs mettant en valeur la faiblesse dans laquelle une femme qui vieillit se retrouve. Le contraste est grand avec le début où il était question de beauté physique et de fortune facile (l. 2-5).

- Gouges montre qu’il s’agit d’une forme de fatalité, sur laquelle les femmes n’ont donc pas de prise, qui est en quelque sorte inéluctable : le verbe « a perdu » montre qu’elle ne maîtrise pas le vieillissement de son corps ; « tous ses charmes » rappelle que le physique des femmes est leur atout majeur, mais qu’il n’est pas éternel. La question rhétorique finale, une nouvelle fois, au vu de tout ce qui a précédé le point d’interrogation, ne laisse aucun doute sur la réponse : « que devient cette infortunée ? » ; le terme d’« infortunée » revêt deux significations : elle a perdu l’appui financier, mais aussi sa chance (autre sens du mot « fortune », ce qui renvoie encore une fois au destin implacable des femmes qui seront inévitablement délaissées, l’âge venant). La réponse à la question se fait encore une fois sous la forme d’une phrase nominale, courte et donc d’autant plus implacable : « le jouet du mépris » (l. 14). On note que la femme est ici aussi réifiée (comme ligne 7), considérée comme un simple objet, car manipulée, non maîtresse de sa propre existence.

- La condescendance masculine est encore une fois rappelée par le terme de « mépris ». Gouges insiste donc beaucoup dans cet extrait sur le regard porté par la société et les hommes sur les femmes, que ce soit positivement ou négativement, selon les situations (revoir aussi à ce sujet les lignes 5-7). De la même manière, Gouges rappelle ce qui se dit dans la société sur ces femmes : « dit-on » (verbe de parole « dire » + pronom personnel indéfini à valeur générale). Et l’interrogative directe placée ligne 15 fait entendre ce que pense la majorité de ces femmes. Le verbe « savoir » est inclus dans une interro-négative (« n’a-t-elle pas su ») qui souligne l’incompréhension générale face à ces femmes abandonnées sans le sou. Mais Gouges a bien montré que ce savoir, qui serait une forme de pouvoir de décision sur leur vie passée, était impossible puisqu’elle sont restées toujours à l’état d’esclave, dépendant en tout de l’homme. Gouges dénonce donc cette incompréhension qui contredit la situation réelle : les femmes ne peuvent pas se faire une fortune puisqu’elles ne maîtrisent pas l’argent qui les fait vivre. 

* A partir de la ligne 15, Gouges énonce « d’autres exemples » que celle de la femme évoquée juste avant. Le but est bien entendu de prendre en compte toutes les situations et de montrer que dans tous les cas, les femmes sont soumises aux hommes, ne peuvent s’en sortir sans eux, ce qui est bien entendu une situation peu conforme aux principes révolutionnaires d’égalité de tous. Elle réutilise aussi le terme de « raison » pour appuyer sa démonstration, le fait qu’elle déploie ici une argumentation.

- Enfin, elle souhaite aussi susciter chez ses lecteurs du pathétique, atteindre leur sensibilité, ce qui est une autre manière de convaincre que la situation dans laquelle les femmes se retrouvent est inadmissible : « encore plus touchants ». Le choix des deux qualificatifs au nom « personne », décrite comme « jeune » et « sans expérience » (l. 16), montre toute la faiblesse du personnage féminin face à l’homme aimé. Elle est aussi décrite comme sincère dans ses sentiments et non pas manipulatrice, calculatrice : les deux termes « séduite » et « aime » (l. 16) se rapportent à ses sentiments, ce qui ne peut qu’engendrer la sympathie du lecteur pour cette femme. La faiblesse est aussi suggérée par le verbe « suivre » (l. 17) : elle est soumise à l’homme aimé. Le qualificatif « ingrat » (l. 17) est connoté, suggérant un jugement de valeur négatif, une forme d’égoïsme de la part de l’homme qui ne rend pas ce qu’il a reçu de la femme, son affection, son engagement : le lecteur ne peut qu’avoir pitié de la femme et éprouver une rancœur vis-à-vis de l’homme.

- La violence de l’attitude de l’homme renforce cette position pitoyable de la femme : « son inconstance » est qualifiée d’« inhumaine » (l. 18) ; le choix du verbe « abandonnera » (l. 18) exprime aussi ce rejet brutal de la femme, comme celui de « violera » (l. 20). Comme s’il avait commis un crime, les femmes sont qualifiées de « victimes » (l. 19). Le comparatif de supériorité en deux parties (l. 17-18 : « plus…, plus… ») accentue encore cette violence, puisqu’il met en parallèle la vieillesse (« aura vieilli ») qui atteint hommes et femmes de manière égale, et surtout le fait d’avoir été aux côtés de l’homme (« avec lui ») et l’« inconstance » « inhumaine » de l’homme à l’égard de cette femme : les deux s’opposent puisque que le fait d’avoir été aux côtés de l’homme suppose qu’elle lui a donné de l’affection, l’a soutenu, mais qu’elle ne récolte que le rejet, et l’absence de sentiments (« inhumaine »).   

- Des lignes 16 à 21, Gouges suit une structure démonstrative efficace. Elle use d’un point de départ des « exemples » unique ; la diversité des « exemples » n’apparaît que dans les différentes hypothèses successives que Gouges émet ensuite (situations diverses qu’elle envisage l’une après l’autre, comme elle l’a fait dans la partie 1) :

« une jeune personne sans expérience » (l. 16)  suit l’homme « qu’elle aime » mais est abandonnée quand elle sera plus âgée = situation commune. Noter que le singulier « une jeune personne » est en même temps indéfini (article indéfini « une » + nom au sens indéfini « personne »), afin de globaliser : il s’agit d’évoquer le sort de toutes ces jeunes femmes qui suivent le même chemin.

" « si » (l. 18) / « s’il » (l. 18) / « si » (l. 19) / « s’il » (l. 20) = différentes situations s’appliquant à cette première situation commune

* L’objectif de Gouges est de montrer que peu importe les situations des femmes, leur destin malheureux est unique : elles seront dans tous les cas abandonnées, sans ressources et l’homme aura toujours la loi et le pouvoir de son côté.

- L’emploi du futur de l’indicatif (« abandonnera » X2, « laissera », « sera », « se croira », « violera »)  laisse entendre que Gouges peut prédire le destin de ces femmes à l’avance, puisqu’il est invariablement le même et qu’il n’y a pas d’exception : dans tous les cas, les hommes ne prennent pas leur responsabilité et abandonnent les femmes quand elles leur paraissent moins séduisantes.

- La structure même de la démonstration va dans ce sens : une même situation de départ = les femmes séduites sont toutes jeunes et sans expérience, donc en situation d’être facilement manipulées. Les 4 situations successives énumérées ensuite, par le biais de propositions subordonnées de condition (« si… ») placées avant leur proposition principale, vont toutes dans le même sens, celui de l’avantage donné au sort de l’homme, au détriment de celui de la femme.

ÄSi enfants " « abandonnera de même » (l. 18) : comparaison à la situation précédente où on pouvait imaginer qu’elle n’avait pas eu d’enfants avec cet homme.

ÄSi homme riche " « se croira dispensé » (l. 18) : référence, comme au début du passage, à l’argent (« riche », « fortune ») qui ne sera pas partagé avec la femme et la laissera démunie.

ÄSi engagé avec cette femme par un contrat quelconque " il ne respectera pas cet « engagement », et la loi sera de son côté (« en espérant tout des lois »). Gouges oppose les termes de la subordonnée à ceux de la principale : « lie » ≠ « violera », « ses devoirs » ≠ « lois », et l’« engagement » est remplacé par les « lois ». Donc, Gouges montre que les lois nationales sont toujours en faveur de l’homme, ce qui est une forme de grave injustice, la loi devant normalement s’imposer à tous de la même manière. C’est ce que la déclaration des droits de l’Homme stipule.

ÄSi marié " son mariage supplante tout autre engagement pris avec une autre femme que son épouse. « engagement » s’oppose ici à « droits » (l. 21).

- Donc : Dans tous les cas, l’homme ne respecte pas son « engagement » dans la relation entamée avec une femme. Pourtant ce terme suggère une forme de contrat, même tacite. Et Gouges répète que les lois ne s’imposent pas à ces engagements interpersonnels entre hommes et femmes. Le lexique juridique l’indique : l’homme est « dispensé », ou le droit national est à son avantage (« lois », « perd ses droits »).

Partie 3 : lignes 21-23 :

* Une nouvelle fois, Gouges use de la question rhétorique pour répondre ensuite à celle-ci. C’est une manière de susciter la réflexion chez ses lecteurs et de relancer l’attention. Ensuite, sa réponse est encore une fois sans verbe conjugué, pour qu’elle soit plus courte, plus affirmative, pus incisive.

* Les deux dernières phrases de l’extrait sont la conclusion de ce passage du postambule.

- Un certain nombre de termes employés auparavant reviennent en effet ici : les « lois » (l. 21 ; voir l. 20), « le vice » (l. 21 ; voir l. 1 & 2), les « fortunes » (l. 22 ; voir l. 4, 10, 15, 19 + l. 6 « richesses » & l. 7 « or »). On comprend que tout ce qui a précédé a préparé cette conclusion qui apparaît ainsi très logiquement comme une forme de conséquence des tableaux successifs des situations dans lesquelles les femmes se retrouvent.

- Puisque la situation des femmes ne s’est pas améliorée depuis l’Ancien Régime, que l’attitude des hommes reste la même à leur égard, qu’elles ne sont toujours pas l’égale de l’homme quant aux conditions de vie, la conclusion s’impose : il faut de nouvelles « lois » (l.21). L’emploi du verbe « reste » (l. 21) montre qu’un long chemin a été accompli grâce à la Révolution française mais que ce n’est pas terminé, pas complet, ce qui rejoint les lignes 8-10. Le verbe « faire » (l. 21) qui suit les « lois » indique bien que Gouges invite à agir, à ne pas laisser cette situation en l’état.  

* La situation des femmes est présentée comme immorale et profondément ancrée :

- La situation des femmes délaissées est ici aussi qualifiée de « vice », ce qui suggère un jugement moral : non seulement cela n’est pas conforme aux principes de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui évoque une égalité femmes-hommes (mais elle n’en parle pas ici), mais cette situation n’est pas conforme aux règles de la vertu commune.

- Le verbe « extirper » et le nom « racine » développent une métaphore végétale. Certaines plantes nuisibles qui envahissent les cultures sont difficiles à éliminer et demandent d’être arrachées complètement. Cela montre que changer cette situation des femmes précaires n’est pas aisé.

* La réforme proposée est double :

- La réponse est en effet en deux temps : « celle du… et de… », par la conjonction de coordination « et », et deux groupes nominaux.

- La première réforme concerne l’argent qui a été abordé à de nombreuses reprises au long du texte : le terme de « fortunes » l’indique. Le terme de « partage » est mis en avant, et répond évidemment à l’inégalité dénoncée au long de cet extrait. Pour bien accentuer cette idée de partage, Gouges nomme les deux parties de ce partage de fortune : « entre les hommes et les femmes », comme elle a pu aussi le fait dans les articles de sa Déclaration.

- La deuxième réforme concerne la distribution équitable des postes dans « l’administration publique », donc la gestion de la nation (ce que l’adjectif « publique » évoque), qui doit revenir aux femmes comme aux hommes. Le lien existe avec la fortune, puisqu’un emploi permet à une femme de gagner son autonomie. Ici aussi il s’agit d’un « partage », puisque ce nom est complété par deux compléments du nom (« des fortunes entre les hommes et les femmes » et « de l’administration publique »). Il s’agit donc bien de ne pas tout accaparer pour les femmes mais de parvenir ici encore à une égalité entre les sexes.

 

Conclusion :

Gouges poursuit ses réflexions sur le sort concret des femmes dans la société révolutionnaire. Elle compare encore une fois la situation dans l’Ancien Régime et celle qui suit la Révolution et remarque une fois de plus que la Révolution est incomplète cat les femmes ne bénéficient pas des avancées des changements survenus depuis 1789. 

Le fait de se focaliser sur l’argent, et donc le confort matériel, montre que Gouges ne souhaite pas uniquement débattre sur de grands principes, mais agir au plus près de la réalité de son époque, interpeller sur des réformes précises à effectuer. Cette question renvoie bien entendu à l’autonomie des femmes, dont le confort matériel est pour l’instant trop lié à celui que les hommes leur octroient. De manière sous-jacente, Gouges pointe aussi du doigt l’inégalité des relations hommes-femmes dans le cadre privé, amoureux, du couple. C’est donc aussi un changement des mentalités qu’elle appelle de ses vœux.

 


 

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