mercredi 19 janvier 2022

Lecture analytique linéaire : début du postambule de la Déclaration d'Olympe de Gouges

 


 

Contexte :

Les articles de la Déclaration sont terminés. Le début de ce postambule montre que l’autrice s’adresse désormais spécifiquement aux femmes. Ce texte répond directement à l’Exhortation aux hommes placée avant la déclaration. Comme elle s’est adressée aux hommes, pour les interpeller, elle le fait désormais avec les femmes. La déclaration ne peut rester une simple liste d’intentions, il faut qu’elle soit suivie de réformes, et mes femmes ont un rôle à jouer en ce sens. 

 

Structure du texte : 3 parties.

1) Lignes 1 à 7 : Interpellation des femmes et retours sur ce que la Révolution a modifié en France, grâce notamment à la participation des femmes aux mouvements de révolte " but : préparer la 2ème partie.

2) Lignes 7 à 15 : Nouvelle interpellation afin de souligner que si les hommes se sont libérés grâce à la Révolution, les femmes n’ont pas obtenu les mêmes droits : l’égalité hommes-femmes n’existe pas et elles ne bénéficient donc pas des avantages acquis par le changement de régime politique. But : faire en sorte que les femmes prennent conscience de cette situation.

3) Lignes 15 à 22 : Appel aux femmes à agir pour réclamer leurs droits, en offrant des pistes pour faire avancer leur situation.

 

Donc : le mouvement global du texte est de repartir des changements passés récents, positifs d’abord puis négatifs en ce qui concerne les femmes pour que, par une prise de conscience de la situation, celles-ci agissent pour changer cette situation. 

 

Aspects majeurs du texte :

- Le texte est construit en fonction de ses visées argumentatives : faire prendre conscience de l’inégalité persistante entre hommes et femmes et de la nécessité de se battre pour acquérir les mêmes droits.

- Le texte apparaît comme un discours adressé aux femmes : il utilise donc les techniques, la rhétorique, propres au genre du discours.

- Le texte se situe généralement dans une temporalité proche de l’écriture de la Déclaration et de ce postambule : passé immédiat, présent, futur proche souhaité.

 

Problématiques possibles :

* En quoi ce début de postambule se présente-t-il comme un discours adressé aux femmes afin qu'elles prennent conscience de l'inégalité persistante entre homes et femmes ?

* Comment Olympe de Gouges, dans ce début de postambule, dénonce-t-elle une Révolution inachevée qui ne profite pas aux femmes françaises ?

 

Analyse linéaire :

Partie 1 : lignes 1 à 7 :

* Forte interpellation initiale :

- Apostrophe dès le début (« Femme ») : mise en avant des destinataires premières de ce texte. Le singulier a une valeur universelle = toutes les femmes, mais il permet à chacune de se sentir interpellée directement, presque personnellement. Emploi par ailleurs de la 2ème personne du singulier, pour renforcer cet appel personnalisé (« toi » ; « tes »).

- Double emploi de l’impératif (« réveille-toi » ; « reconnais ») afin aussi d’interpeller fortement, d’inciter les femmes à prêter attention à ce qu’elle va leur dire.

* Souhait que les femmes prennent conscience de la situation nouvelle engendrée par les événements récents (la révolution et les changements qu’elle a entrainés) :

- « réveille-toi » : au sens figuré, passage d’un état d’inertie et d’absence de conscience de la réalité, à un état d’attention et de compréhension de ce qui entoure les femmes.

- « reconnais » : verbe déjà utilisé dans le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et reprise dans celui de la Déclaration des droits de la femme. Volonté ici aussi d’une prise de conscience plus aigue de la réalité. Reconnaître, c’est acter ce qui préexiste, ce qui est déjà là : les « droits » qui sont ceux de la femme (« tes ») existent, il suffit de s’en saisir. Cela rejoint l’idée, développée par ailleurs par Gouges, que les droits de la femme sont, comme ceux de l’homme, naturels, de naissance.

- Ce qui a changé avec la Révolution est rappelé ici : la « raison » s’est imposée comme base de la réflexion et de l’organisation sociale. Le terme, cher aux philosophes des Lumières, est repris dès le début de ce postambule, ce qui en souligne l’importance. Il montre que les droits des femmes découlent de cette nouvelle situation en France (« reconnais tes droits » est placé après cette affirmation « le tocsin… univers », seulement séparé par un point-virgule).

* Gouges cherche à frapper l’esprit de ses destinataires en employant des figures de style adaptées à sa volonté de convaincre :

- Gouges, ici comme ailleurs, afin de faire passer efficacement son message, emploie une image concrète pour évoquer une notion abstraite : allégorie du « tocsin de la raison » = comparaison entre la raison qui devient la base de toute discussion, de toute nouvelle organisation, de toute nouvelle loi, et le tocsin, cloche destinée à alerter en cas de danger, à susciter l’action collective pour résoudre le problème " cela souligne que la raison est désormais incontournable ; c’est aussi une manière de dire aux femmes que leur intelligence, que leur capacité à raisonner sera un outil pour se battre pour leurs droits (elle en reparlera dans la partie 3 du texte). L’hyperbole « dans tout l’univers » souligne combien la raison est désormais ce qui régit la nouvelle société et régira toutes celles du monde (aspiration des révolutionnaires à une forme d’universalité des droits proclamés).

* Gouges insiste sur le basculement entre le fonctionnement de l’Ancien Régime et celui qui a instauré une Assemblée nationale et accordé au peuple des pouvoirs réels dans la vie de la nation (la monarchie constitutionnelle débute le 13 septembre 1791, et Gouges fait paraître sa Déclaration le lendemain, 14 septembre 1791) :

- Emploi du passé composé, temps qui sert à exprimer des actions/événements ponctuels, afin de montrer les évolutions récentes en France : « n’est plus environné » ; « a dissipé » ; « a multiplié » ; « a eu » ; « est devenu ». La plupart souligne des évolutions positives, sauf le dernier. La négation « n’… plus » (l. 2) souligne combien un changement s’est produit, que la situation passée a disparu.

- On note des oppositions qui montrent aussi ces changements permis par la Révolution : la « raison » (l. 1) s’oppose à l’énumération « de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges » (l. 2-3). La raison suppose une capacité individuelle de tout être humain à utiliser son intelligence, à baser sa réflexion sur la logique, la rationalité, les faits, ce que l’on peut prouver. A l’inverse, les 4 noms de cette énumération rappellent le poids de l’Eglise et d’une organisation sociale passée qui ne donnait aucune possibilité au peuple de s’exprimer : la « superstition » est une pensée basée sur des croyances, donc non rationnelle et on sait combien l’Eglise catholique a soumis les populations à sa manière de voir le monde et la société durant plusieurs siècles ; les philosophes des Lumières et les Révolutionnaires ont lutté contre les « préjugés » dont la formation même du mot (préfixe « pré » accolé au radical provenant du verbe de réflexion « juger ») montre l’absence de réflexion, des jugements effectués avant tout examen rationnel ; le « fanatisme » est un comportement excessif, qui s’oppose donc au dialogue et à l’échange argumenté ; enfin les « mensonges » évoquent le souhait de tromper, de manipuler l’autre, et s’opposent donc à la « vérité » (l. 4) que la raison aspire à faire apparaître. L’énumération et les oppositions de termes antonymes montrent combien la société de l’Ancien Régime n’accordait aucune liberté à la grande majorité de la population, ce que le verbe « environné » (synonyme d’encercler, donc emprisonner) souligne aussi.

Dans la phrase lignes 4-5, d’autres oppositions apparaissent encore : entre la « vérité » et « la sottise » (bêtise = absence de raisonnement, fausseté) ou « l’usurpation » (usage de la force pour priver d’autres personnes de leurs biens, de ce qui leur revient) ; entre la lumière (qui rappellent l’expression de Kant sur les « lumières » de l’esprit humain, ou celle de l’« obscurantisme » combattue par Voltaire, entre autres) indiquée par le « flambeau » et « tous les nuages » qui masquent la lumière du soleil : puisque la « vérité » appartient au groupe nominal sujet du verbe « a dissipé », cela montre que c’est bien la vérité, la raison, qui a permis d’éliminer les sources d’oppression intellectuelle précédentes.

* Gouges insiste, à la fin de cette première partie, sur la liberté que le peuple a gagnée grâce à la Révolution :

- De la même manière que dans les phrases précédentes, elle oppose le passé au présent :

Le passé est rappelé par la métaphore très frappante des esclaves : le peuple, particulièrement les hommes, est comparé aux esclaves noirs qui subissent la déportation vers l’Amérique et le travail forcé dans les plantations (« l’homme esclave » + « ses fers » = les chaînes qui emprisonnaient les esclaves sur les navires et parfois dans les plantations). L’emploi du mot « esclave » ne peut que faire penser à cette situation, dénoncée par ailleurs par plusieurs philosophes des Lumières (pensez au Nègre de Surinam dans Candide de Voltaire, ou à De l’esclavage des Nègres de Montesquieu) mais aussi par Gouges (dans une pièce de théâtre en 1789, L’Esclavage des noirs). Le terme suggère donc une dénonciation vigoureuse de la situation d’oppression dans laquelle le peuple se trouvait avant 1789.

Le présent est exprimé par « briser ses fers », le verbe montrant symboliquement une libération du peuple, des hommes, grâce à une nouvelle force gagnée par le collectif, le rassemblement des individus lors de la Révolution française (action exprimée par le verbe « a multiplié » + pluriel « ses forces »). Le présent est aussi indiqué par la phrase suivante : proposition participiale en tête de phrase (« devenu libre »), en évidence, avec l’adjectif « libre » qui rappelle bien sûr l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, et le participe passé du verbe « devenir » qui exprime une modification, une transformation.

* Enfin, Gouges prépare sa transition avec la 2ème partie de son texte : elle montre que si les hommes ont gagné en liberté grâce à la Révolution française, ce n’est pas le cas des femmes :

- Opposition entre « libre » qui concerne les hommes, et « injuste » qui souligne la relation des hommes aux femmes. Le préfixe négatif insiste sur ce que subissent les femmes, la justice étant bien sûr au fait que les femmes devraient être les égales des hommes.

- L’emploi du passé composé (« est devenu ») souligne ici que Gouges retrace les événements survenus depuis deux ans, qu’elle raconte. Dans la phrase précédente (lignes 5-6), elle rappelait la libération des hommes, mais avec l’aide des femmes : double passé composé « a multiplié », « a eu ». Et ici elle montre la suite des événements, celui de l’injustice faite aux femmes.

- Elle oppose donc la liberté gagnée pour les uns à l’injustice encore subie au moment où elle rédige sa Déclaration par les autres : les femmes ont participé à la libération du peuple " « a eu besoin » = nécessité, aspect incontournable ; parallélisme entre « ses forces » et « aux tiennes », qui souligne d’abord que les femmes sont une force dans la nation, et ensuite qu’elles ont donc été partie prenante, à égalité des hommes, des changements survenus en France. Pourtant, pas d’égalité des résultats obtenus : les fers brisés sont ceux des hommes uniquement : « ses fers ». La liberté est uniquement celle des hommes : « devenu libre » est au masculin. Ceci souligne combien l’inégalité des femmes avec les hommes est effectivement une injustice. Dernière opposition : entre « injuste » et « compagne », ce dernier terme suggérant une complicité, un partage, donc une égalité.

 

Partie 2 : lignes 7 à 15 :

* Nouvelle interpellation forte des femmes :

- Nouvelle apostrophe, qui fait écho à la première (l. 1) et qui est ici en plus doublée (deux fois « femmes ») et appuyée par un point d’exclamation. On note des différences : le pluriel est ici employé, montrant une nouvelle fois une universalité de cet appel fait aux femmes, mais en suggérant sans doute une force du collectif, des femmes rassemblées, que Gouges voudrait voir exister et suggère donc ainsi aux femmes qui la lisent ; l’emploi du « ô » suggère aussi une interpellation, voire une forme de prière, comme celle envers dieu, à qui souvent ce mot est adressé, ou des personnes que l’on respecte, ce qui est bien sûr le cas ici.

- Emploi successif de questions rhétoriques (deux questions enchaînées l. 7-8, une question l. 10, deux questions enchaînées l. 10-11, une longue question l. 13-15) : volonté encore une fois de susciter la réflexion chez les femmes. L’objectif de la partie 1 était essentiellement de faire le constat des avancées grâce à la Révolution. L’objectif de la partie 2 est de faire prendre conscience aux femmes que ces avancées ne concernent pas les femmes, qu’elles ont été écartées par les hommes de ces progrès.

- 1ère question au sens plus large que les suivantes : emploi de l’adjectif « aveugles » = image concrète, comme celle du sommeil, au début de texte, du comportement des femmes = pas de conscience de leur état de soumission. Les questions suivantes et les réponses qu’elles apportent doivent justement mettre sous les yeux des femmes de manière évidente qu’elles ne bénéficient pas des droits que les hommes ont désormais (on pense notamment à la possibilité d’aller débattre à l’Assemblée, puis, dans les années qui suivront, le fait qu’elle seront écartées du droit de vote ou d’être élues de la nation). L’emploi du mot interrogatif « quand » et du verbe au futur « cesserez » met l’accent sur le temps qui s’écoule et projette les femmes dans un avenir incertain, en imaginant justement l’arrêt de cet aveuglement, mais que l’interrogation rend impossible à dater. Le but est bien sûr de provoquer les femmes en soulignant que l’injustice qu’elles subissent est aussi de leur responsabilité, qu’elles doivent en prendre conscience car la situation est évidente au moment où Gouges écrit.

* Gouges va mettre en parallèle le passé (l’Ancien Régime) et le présent, après la Révolution, afin de souligner que les femmes n’ont rien gagné pour elles grâce à leurs combats aux côtés des hommes, voire ont vu leurs droits régresser au quotidien.  

- « avantages » (terme mélioratif, au pluriel, ce qui en élargit la portée) ≠ « mépris », « dédain » (deux termes synonymes, qui se renforcent donc ainsi l’un l’autre. « avantages » suppose une avancée, un surplus par rapport à ce qui précédait la « révolution » ; la réponse donnée par Gouges à sa question est ironique puisque ce qu’elle énonce ne sont pas des avantages, au contraire. Les deux noms renvoient à une attitude hautaine de la part des hommes (c’est implicite mais on le comprend), à une inégalité, à un sentiment de supériorité des hommes. Cette opposition entre question et réponse souligne la dénonciation de la situation par Gouges. A noter que les comparatifs de supériorité « plus marqué » et « plus signalé » renforcent le dédain affiché par les hommes, montrent que la révolution a fait avancer la situation, mais vers une dégradation du regard des hommes sur les femmes.  

- Opposition ensuite entre :

le passé de l’ancien régime marqué par la « corruption » " le complément circonstanciel de temps « dans les siècles de corruption » montre une condamnation complète de l’Ancien régime, le terme de « corruption » renvoyant à l’immoralité de ces siècles, au fait que le système qui était en vigueur ne profitait qu’à une minorité. Le passé composé « avez régné » souligne ce retour en arrière de Gouges.

le présent (verbes « est » et « reste » l. 10), après la révolution, et la réponse à la question « que vous reste-t-il donc ? » = « la conviction des injustices de l’homme ».

Une nouvelle fois, on note une opposition entre les termes liés au passé, à l’Ancien Régime, et au présent, à la période durant laquelle Gouges écrit : « vous n’avez régné »« empire […] détruit », les termes se rapportant au pouvoir politique dans les deux cas, et montrant encore ironiquement que les femmes qui n’avaient déjà que peu de place dans la société avant la Révolution en ont encore moins désormais. Le verbe « reste » et la forme interrogative suggèrent que les femmes ne possèdent plus d’emprise sur les hommes. Et la réponse montre qu’il ne leur reste qu’une « conviction », une pensée, ce qui est effectivement bien maigre.

Une nouvelle fois, Gouges dénonce la situation dans laquelle les femmes se trouvent en utilisant le terme dépréciatif « injustices », au pluriel, et en nommant les coupables, les « hommes ». En énonçant clairement ce qu’il en est, Gouges met en évidence pour ses lectrices ce qu’est la situation, afin encore une fois qu’elles en aient pleinement conscience.

- « longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison » (l. 13-14) : opposition par la conjonction de coordination « mais », par la double référence temporelle de l’adverbe « longtemps » et du nom « saison », et par la négation « n’est plus » qui marque la nécessaire disparition de l’idée qu’hommes et femmes ne sont pas égaux. Gouges souligne encore la contradiction des hommes : les « Législateurs français », pourtant « correcteurs de cette morale » issue sans doute entre autres du christianisme (mais rectifiée par la Déclaration des droits de l’homme qui stipule que tout le monde est à égalité), se contredisent en reposant la question aux femmes : « qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » (sous-entendu : nous ne sommes pas identiques et vous ne pouvez prétendre aux mêmes droits dans la nation que nous).

* Olympe de Gouges montre aux femmes qu’elles peuvent s’engager, faire face aux hommes pour réclamer leurs droits, car les hommes ne sont pas à craindre.  

- Dans l’Ancien Régime, les hommes étaient soumis à la noblesse, au roi : le fait même d’évoquer « la faiblesse des hommes » (l. 9) est une manière de dire aux femmes qu’ils ne sont pas si forts qu’ils le paraissent. L’autre sens de ce passage est de souligner que si les hommes ont gagné le pouvoir de diriger le pays avec la Révolution, les femmes se trouvent bien démunies face à eux du fait de ce changement.

- Deux verbes relatifs à la peur (les femmes ont peur des hommes), dans des phrases sous forme interrogative, remettent donc en question, font douter de la capacité des hommes à les impressionner : « qu’auriez-vous à redouter » (l.11-12) (le conditionnel montre aussi que ce n’est qu’hypothétique) et « craignez-vous » (l. 13).

- Toute la référence au Christ est provocatrice, doit faire réagir les femmes lectrices, mais aussi sans doute les hommes ! Le parallèle entre les hommes et le Christ s’opère par la répétition du mot « Législateur(s) », appliqué une fois au Christ (l. 12) et une fois aux hommes (l. 13). Gouges reprend un épisode très célèbre de l’Evangile et donc connu de tous ses lecteurs, celui des « noces de Cana ». Et elle reprend aussi une des traductions de la réponse donnée par le Christ à sa mère venue lui signaler le manque de vin durant cette fête : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre toi et moi ? » " « Femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? ». « Le bon mot » du Christ est donc un jeu de langage, mais puisqu’elle le qualifie ainsi, encore une fois dans une question, elle signale qu’elle n’adhère pas à l’attitude du Christ en cette occasion, et donc dénonce l’attitude méprisante des hommes envers les femmes en 1791. Et la réponse qu’elle propose de faire aux hommes contredit bien sûr celle attendue : « tout » (l. 15) ; c’est en soi une proposition d’entrer en résistance contre les hommes (voir ci-dessous : faire agir les femmes) en argumentant contre leurs idées, en demandant aux femmes de « répondre ».

* Gouges commence déjà à imaginer des femmes en action (ce qu’elle fera encore plus ouvertement dans la partie 3) :

- « la réclamation de votre patrimoine » (l. 11) : le fait même de réclamer est un mode d’action, qui remplace la « conviction » intime (une pensée) du groupe nominal précédent.

- « entreprise » : à comprendre dans le sens du verbe « entreprendre », c’est-à-dire se lancer dans un projet.

* Gouges souligne encore une fois que les femmes sont détentrices, de naissance, par « nature » (l. 11), de droits identiques à ceux des hommes.

- « votre patrimoine » : il existe, puisqu’elle l’énonce. Elle compare ici le patrimoine financier ou immobilier aux droits.

- « fondée sur les sages décrets de la nature » : le terme juridique de « décret » laisse entendre une décision qui s’applique à tous, qui ne se discute pas. La « nature » est celle dont il a été question dans le préambule (« droits naturels ») : hommes et femmes sont dotés des mêmes droits car appartenant à la même espèce humaine.  

 

Partie 3 : lignes 15 à 22 :

* Gouges veut inciter les femmes à se battre pour défendre leurs droits légitimes, à agir pour changer la situation d’inégalité qui perdure entre femmes et hommes.

- 3 verbes à l’impératif, « opposez » (l. 17), « réunissez-vous », « déployez » (l. 18), qui sont trois verbes exprimant une action, invitent fortement les femmes, maintenant qu’elles ont conscience de leur situation (ce qui a précédé dans le texte a permis cette prise de conscience).

- Encore une fois elle leur montre qu’elles ont le pouvoir de changer leur situation, qu’elles en sont capables : elle rappelle la « faiblesse » (l. 16) des hommes, les traite d’« orgueilleux » (l. 19) pour dénoncer leur caractère prétentieux qui ne correspond pas à ce qu’ils sont réellement.

- Elle affirme fortement, grâce au présent d’énonciation, et par une formule impersonnelle (« il » l. 21) qui lui donne la forme d’une vérité, qu’« il est en [leur] pouvoir » de se libérer du joug des hommes.  

* Gouges souligne les moyens que doivent utiliser les femmes pour obtenir une réelle égalité.

- Suivant les préceptes des philosophes des Lumières, elle met en avant la réflexion personnelle, l’argumentation. Il s’agit de convaincre les hommes que les droits des femmes sont légitimes. Elle utilise ainsi les noms « raison » et « philosophie » qui se rapportent à la capacité des femmes de mener une réflexion de manière logique. L’image des « étendards », symboles de pouvoir, ici de la raison, montre qu’elle aspire à ce que la réflexion logique soit ce qui guide les femmes.

- Les femmes doivent aussi se fonder sur ce qui leur appartient : leur courage (« courageusement ») et « l’énergie de leur caractère ». La lutte ne sera possible que si elles s’y investissent avec dynamisme.

* Gouges demande l’égalité des hommes et des femmes et non une nouvelle inégalité :

- Elle oppose fortement l’image de la servitude à celle du partage. « non » (l.19) et « mais » (l. 20) marquent le double rejet du souhait que les femmes prennent la place actuelle des hommes, celui de la supériorité. Les termes péjoratifs évoquant l’esclavage des hommes montrent le rejet de cette situation (« serviles » + « rampants » = images de la servitude absolue ; « adorateurs » = comme devant des divinités aux pouvoirs supérieurs). A l’inverse les termes mélioratifs mettent en avant la situation d’égalité réelle entre femmes et hommes : « fiers » (l. 20) vient remplacer « orgueilleux » (l. 19) ; le verbe « partager » évoque un échange ; « les trésors » invite à penser que la situation égalitaire permettra de gagner symboliquement des richesses, une forme de bonheur mutuel.    

* Elle laisse entendre que ce futur est accessible, voulant sans doute aussi donner de l’espoir aux femmes qui la lisent et voudraient la suivre dans son combat :

- « et vous verrez bientôt » (l. 19) : la conjonction de coordination enchaîne directement après les impératifs, donnant l’impression que, dans le temps, les conséquences de l’engagement des femmes seront immédiats, changeront de suite la situation inégalitaire. Le futur permet de se projeter dans l’avenir, après s’être retournée sur le passé récent et s’être attardée sur le présent. Enfin l’adverbe de temps « bientôt » laisse imaginer des changements rapides.

- « vous n’avez qu’à le vouloir » (l. 21-22) : la négation restrictive « n’… qu’ » montre qu’il n’y a qu’un moyen pour obtenir leurs droits, mais aussi que le simple fait de le souhaiter permettrait déjà d’y parvenir !

- La rime interne entre « pouvoir » et « vouloir » invite encore à penser que cet avenir est possible, basé sur les capacités propres des femmes et leur détermination.

 

Conclusion :

* Olympe de Gouges démontre ici de réelles qualités d’éloquence. Par des oppositions frappantes, par des images concrètes qui illustrent des idées abstraites, par une progression temporelle au fil du texte, de l’Ancien Régime au futur souhaité, par des questions rhétoriques, elle emporte son lectorat, qui croit lire une forme de discours, tant les techniques utilisées relèvent beaucoup de l’art oratoire. Le texte prend ainsi une force réelle.

* Ce début de postambule suit immédiatement les articles et on comprend aisément que l’autrice souhaite que sa Déclaration ne soit pas un simple texte de plus dans la littérature révolutionnaire mais qu’elle soit un vrai programme de réformes. Son appel aux femmes montre que la force du collectif, qui a déjà permis de grands changements dans la société française au cours des dernières années, sera encore la solution pour que les femmes obtiennent réellement une égalité avec les hommes.

 

 

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