mercredi 11 mars 2020

Comment le personnage de roman a-t-il évolué ?

Achille, héros de la guerre de Troie

Le héros romanesque

La notion de « héros » a évolué au fil du temps, et n’est pas unique. Le terme existe aujourd’hui dans la vie de tous les jours, mais aussi pour évoquer certains personnages de romans, de films.
Il est certain que, quand le roman prend naissance au Moyen-Âge, ses personnages de chevaliers ont hérité des qualités des héros de l’épopée antique (L’Illiade, L’Odyssée d’Homère, L’Énéide de Virgile). Les héros antiques sont des êtres extraordinaires, qui se distinguent du commun des mortels. Comment ?
- Ils sont dotés d’une force physique hors normes.
- Ils sont plus doués que la moyenne pour se battre, pour manier certaines armes.
- Ils possèdent une force de caractère supérieure.
- Ils possèdent pour certains un art de la parole très développé et peuvent convaincre même une divinité.
- Ils sont souvent plus intelligents, plus rusé que leurs contemporains.
- Ils ont souvent des origines divines, ce qui les distingue de leurs semblables, en leur donnant par exemple des relations privilégiées avec certaines figures divines de la mythologie.   
- Ils accomplissent des exploits, des actes extraordinaires, qui sont souvent admirés.
- Ils défendent des valeurs morales.
- Ils mettent leurs qualités au service de la communauté, du bien public.
- Ils peuvent se mettre en danger au nom du groupe auquel ils appartiennent, voire mourir pour ce groupe.

L’évolution du personnage de roman et l’anti-héros

L’évolution des personnages de roman va s’effectuer notamment en ne respectant pas, voire en prenant le contrepied des caractéristiques listées ci-dessus. Et la notion d’« anti-héros » va naître. L’évolution de la construction d’un personnage de roman au fil des siècles s’explique de différentes manières : le roman suit d’abord l’évolution des sociétés dans lesquelles les écrivains vivent, et les personnages sont toujours le reflet du monde dans lequel ils ont été créés ; chaque romancier va tenter de trouver des idées nouvelles, pour faire avancer la littérature, pour se démarquer des auteurs qui l’ont précédé ; l’objectif est aussi d’intéresser le lecteur, en lui proposant des personnages originaux, extra-ordinaires, qui sortent de l’ordinaire.
Comment les romanciers ont-ils fait évoluer les personnages de leurs œuvres ?  Comment ont-ils réussi à créer des personnages en faisant preuve d’originalité ?
* Il existe des personnages qui ne possèdent pas des capacités physiques, intellectuelles, morales hors du commun, comme les héros antiques. Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo est un héros car il possède une force physique exceptionnelle et qu’il va œuvrer au long de son existence pour le bien des autres, se sacrifiant pour Cosette par exemple. Par contre, Coupeau dans L’Assommoir d’Émile Zola est un être banal par sa condition sociale (petit couvreur), mais surtout parce qu’il se laisse aller, qu’il se tue à petit feu dans l’alcool, qu’il ne résiste pas pour se battre contre les aléas de sa condition sociale qui semble lui imposer la misère éternellement. Il en est de même pour Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert qui semble n’avoir aucune prise sur les événements qui l’entourent, ne pas être acteur de sa propre vie. On peut aussi constater que certains auteurs ont tenté de ne pas attribuer d’identité claire à leur personnage (nom, prénom, origine sociale, origine géographique, profession, relations familiales ou sociales, …). 

* Au contraire, on observe des personnages qui possèdent des dons qui les démarquent des êtres humains habituels. Ici, cela signifie que les romanciers se réfèrent d’une certaine manière aux héros antiques. Mais ils vont inventer des pouvoirs particuliers : des personnages lisent dans les pensées des autres, peuvent se déplacer très rapidement et de manières originales, se rendre invisibles, … Pensons à tous les super-héros nés dans les comics books américains, mais aussi à Dutilleul dans Le Passe-muraille de Marcel Aymé, qui peut traverser les murs et va en profiter. La Part des Ténèbres de Stephen King voit se battre un écrivain et l’un de ses personnages, devenu réel et vivant, son double. Dans Le Tambour de Günter Grass, un enfant de trois ans décide de ne pas grandir : il garde donc cette taille, et peut aussi briser du verre grâce à son cri perçant.  

* D’autres personnages romanesques n’agissent pas (et cette remarque est en partie liée à celle ci-dessus). Pour qu'il y ait récit, il est normalement nécessaire que des événements particuliers se produisent. Même s'ils ne sont pas exceptionnels, ils rompent la monotonie de la vie des personnages. Le lecteur ou le spectateur d'un film attend donc en général que certains personnages et notamment le personnage principal agissent, réagissent. En faisant des choix pour orienter sa vie dans une certaine direction ou en réagissant de manière active (et non passive) à une situation qu'il n'a pas choisie, le personnage s'affirme comme un héros. Il infléchit le cours de sa vie, son destin, ne se laisse pas manipuler par d'autres personnages ou par les aléas de son existence (événements, situation sociale, etc). D’autres personnages ne correspondent pas à cette attente : ils se laissent guider par les événements, laissent les autres choisir pour eux. Ils ne s'affirment pas. On peut se demander si Meursault dans L’Étranger d’Albert Camus n'appartient pas en partie à cette catégorie : il semble suivre les événements et les gens quand ils se présentent (Raymond, la chaleur sur la plage, l'enchaînement dramatique des pas qui le mènent vers l'Arabe) ; il se tient à distance de gens (pas de choix quant à un mariage ou à un refus de celui-ci avec Marie).

* On peut rencontrer des personnages qui ne vivent pas d’événements exceptionnels dans leur vie. Certains personnages suivent donc une vie morne et monotone. Le personnage de Jeanne dans Une Vie de Guy de Maupassant est une femme simple et banale, qui va connaître la déchéance progressive, et être manipulée par son fils. Le récit se fait très réaliste et propose donc un personnage qui ressemble à l’existence de nombreuses femmes. Emma Bovary, de Gustave Flaubert, aspire à une vie moins médiocre, rêve d’accéder à une société de luxe, mais la réalité va lui imposer l’existence banale d’une épouse de petit médecin de province. À l’inverse, une vie banale peut voir cette banalité brisée parce qu’un événement peu ordinaire survient. Même s’ils n’ont pas de capacités extraordinaires, des événements peuvent toujours survenir dans leur existence ! Le personnage devient par là même exceptionnel par la situation qu’il vit, qu’il n’a pas choisie, mais qui est extraordinaire. Winston Smith, dans 1984 d’Orwell va devenir une forme de résistant à la dictature de Big Brother, mais sans véritablement avoir commis d’acte de terrorisme spectaculaire : c’est parce qu’il appartient à ce monde étonnant de ce roman, qu’il en est un peu en marge, qu’il devient une forme de héros. La figure mythologique d’Œdipe pourrait aussi être rappelée ici : c’est son destin, les circonstances qui l’amènent à vivre l’extraordinaire : tuer son père et se marier avec sa mère. Il n’a pas décidé ce parcours de vie.  

* Certains romanciers proposent des personnages qui apparaissent comme détestables aux yeux de tous les lecteurs ou de certains d’entre eux. Le personnage des Bienveillantes de Jonathan Littell est un officier nazi qui trouve du plaisir à assister à une exécution, et qui participe à la machine d’extermination nazie. Le lecteur doit s’identifier à lui puisque le récit est à la première personne, tout en le mettant à distance au vu des actes et pensées abjects qu’il développe. Valmont et la marquise de Merteuil qui se lancent des défis dans Les Liaisons dangereuses pour « pervertir » notamment la jeune Cécile de Volanges ou tromper la sincérité de la Présidente de Tourvel sont des anti-héros en ce sens que le lecteur assiste à leur méfaits, à leur irrespect des autres, à leur égoïsme. 

* Nous avons tendance, comme lecteur, à rechercher dans les personnages des fictions des pendants des êtres humains. Ainsi les personnages de certains dessins animés, qui n’ont rien d’humain par leur apparence, possèdent en général la parole, sont dotés de pensées, d’émotions, de sentiments, et gardent certains aspects humains comme des yeux, des membres qui permettent d’agir, de se déplacer. Il en est de même de nombreuses représentations d’extraterrestres. Par conséquent, le romancier peut jouer avec cette attente, cette attitude du lecteur, en proposant des personnages qui se comportent de manière originale, inattendue. Meursault d’Albert Camus est un « étranger » car il semble détaché du monde, et le fait qu’il soit narrateur nous donne donc une vision étrange des faits qu’il a vécus, des personnages qu’il a croisés. C’est pour cela qu’il sera condamné au final : il est trop différent de la société dans laquelle il vit. Bardamu, le personnage de Louis-Ferdinand Céline, dans Le Voyage au bout de la nuit, clame sa lâcheté au beau milieu des combats de la Première Guerre mondiale, à un moment où l’héroïsme et la défense de l’intérêt supérieur de la nation sont mis en valeur par la société française. Don Quichotte de Cervantès entre aussi dans cette catégorie : il lui arrive des événements hors du commun simplement parce qu’il s’imagine chevalier à une époque où ceux-ci ont disparu, et parce qu’il s’avère un bien médiocre chevalier. 

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