jeudi 28 novembre 2019

Lecture analytique (non linéaire) : l'arrivée de la Princesse à la Cour


NB. Il ne s'agit pas d'une lecture linéaire, mais organisée comme pour un commentaire écrit. Si j'ai le temps, je réorganiserai cette étude de manière linéaire, en suivant les trois parties que nous avons définies pour ce texte. 

 

Introduction :

Le roman de Mme de Lafayette s’ouvre sur un tableau de la cour de France dans les dernières années du règne de Henri II. C’est dans un cortège d’êtres d’exception, décrits de manière superlative et abstraite, que paraît tout à coup l’héroïne, Mlle de Chartres, future princesse de Clèves. Personnage de fiction, elle est encore plus extraordinaire que les plus prestigieuses dames de la cour et sa vraisemblance se trouve garantie par le cadre historique du roman.
Cependant, si ce portrait est, comme les autres, placé sous le signe de l’excellence et de l’abstraction, il s’en distingue sur un point : la place essentielle faite à l’éducation qu’a reçu la jeune fille. C’est le passage central du texte, qui donne à cette présentation une importance décisive pour la suite.

  1. L’art du portrait
  2. Les conseils d’une mère
  3. Une présentation sous-jacente de la Cour


I. L’art du portrait
C’est avec élégance que Mme de Lafayette introduit la belle héroïne de son roman.
A. L’effet d’attente
Mme de Lafayette ne livre pas d’emblée le nom de l’héroïne. C’est au contraire par une sorte d’énigme que débute le portrait, l’apparition d’une inconnue dans le microcosme de la cour : Il parut alors une beauté à la cour qui attira… marque un effet de rupture dû à l’irruption de la fiction dans la chronologie. Tous les regards se portent vers cette beauté parfaite qui, surpassant toutes les autres, suscite leur admiration.
Le récit marque alors un temps d’arrêt. En revenant sur le passé de la jeune fille mystérieuse, l’auteur donne les éléments de résolution de l’énigme : on apprend qu’elle était de la même maison que le vidame de Chartres, dont il a été question au début du roman, et son nom est révélé par celui de sa mère, Mme de Chartres.
La fin du texte renvoie au début, et l’image, un instant interrompue, de l’entrée de Mlle de Chartres dans ce lieu où les regards jouent un rôle essentiel, revient au premier plan : Lorsqu’elle arriva, le vidame alla au devant d’elle.
B. Une beauté idéalisée
La première désignation de l’héroïne est une métonymie : une beauté, reprise par une beauté parfaite et la grande beauté. Elle est l’incarnation de la beauté.
Sa description physique demeure très vague. On évoque seulement la blancheur de son teint, ses cheveux blonds, la régularité de ses traits. On insiste également sur sa jeunesse dans sa seizième année. Il n’y a donc aucun élément vraiment pittoresque dans la présentation qui est faite de l’héroïne. C’est une description stéréotypée.
Mme de Lafayette, bien loin de tendre vers le réalisme, se plaît au contraire à accumuler les termes abstraits qui favorisent les interprétations les plus subjectives. Elle préfère suggérer ce qui émane de la jeune fille : l’éclat, la grâce, les charmes. Ces concepts malaisés à définir créent un halo de connotations positives qui font rêver le lecteur.
L’absence de description précise va de pair avec une idéalisation du personnage, à travers divers procédés :
  • La narratrice suggère d’abord l’intensité de sa beauté par les effets qu’elle provoque sur son entourage : elle attira les yeux de tout le monde, elle donna de l’admiration, le vidame fut surpris de la grande beauté… Le narrateur rapporte l’admiration dont elle fait l’objet : l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes, grâce à un champ lexical de la vue : parut, yeux, voir.
  • Les procédés hyperboliques sont nombreux.Mlle de Chartres est présentée dans une sorte de surenchère, comme surpassant tous les autres membres d’une cour qui, elle-même, est exceptionnelle. Les superlatifs sont nombreux : tout, parfaite, une des plus grandes, extraordinaires, extrême, un des grands partis, extrêmement, la grande beauté, que l’on n’a jamais vu qu’à elle, tous.
Le caractère exceptionnel du personnage concerne aussi son statut social : une des plus grandes héritières de France, un des grands partis qu’il y eut en France. L’idéalisation touche également sa mère, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires.
Sa singularité vient enfin de l’éducation qu’elle a reçue.
  • Mme de Lafayette n’insiste pas sur la formation intellectuelle de son héroïne. Tout est dit en une formule qui met sur le même plan les facultés mentales et les dispositions physiques : sa mère travailla […] à cultiver son esprit et sa beauté.
Ainsi, cette description présente à la fois les traits précieux, par son aspect hyperbolique, et classiques, par son abstraction et son art de la suggestion (métonymie, usage de l’impersonnel : il parut, on dut croire).


II. Une éducation originale
Centre du portrait, important en nombre de lignes : éducation de la Princesse : donc appartient à son portrait.

A. Une mère soucieuse de l’éducation de sa fille :
  • Une éducation hors la Cour.
  • Une éducation sans cesse reprise : cf. utilisation des imparfaits d’habitude : elle faisait, elle lui montrait, elle lui faisait voir aussi. Mme de Chartres, qui fonde son éducation sur la parole, sait qu’il n’y a pas d’éducation sans imprégnation.
  • Mme de Lafayette intervient également dans ce discours moraliste par un jugement critique : la plupart des mères s’imaginent qu’il suffit…. Il n’y a donc pas d’éducation sans franchise.
  • Mme de Lafayette donne la parole à Mme de Chartres : programme éducatif présenté d’abord sous forme de discours narrativisé puis indirect (cf. proposition indépendante Mme de Chartres avait une opinion opposée + 3 propositions principales et subordonnées. Début du discours indirect : elle lui faisait voir + PS1 quelle tranquillité… + PS2 combien la vertu ; puis une autre principale mais elle lui faisait voir aussi + PS1 combien il était difficile (+ 2 PS relatives).
Ainsi, caractère vivant d’une conversation.
  • Dans ce passage : sujets des verbes = Mme de Chartres + paroles de la princesse non citées : une mère directrice de conscience, qui guide.
B. Une éducation originale :
Une éducation définie surtout par oppositions :
- Opposition à la Cour : Une éducation en opposition à celle communément admise pour les jeunes filles nobles de haute lignée : début du passage concernant les principes éducatifs : verbe critique « s’imaginent » + phrase suivante : elleavait une opinion opposée. Autre opposition : « ne parler jamais » ≠ « contait » ; « faisait des peintures » : Verbes de paroles en opposition.
« ne… jamais » ≠ elle parle « souvent » à sa fille de l’amour.
- Opposition à la passion amoureuse :
→ Discours sur l’amour de Mme de Chartres bâtis sur l’opposition entre les attraits et les dangers de l’amour : d’un côté ce qu’il y a de plus agréable, de l’autre ce qu’elle lui en apprenait de dangereux.
→ Essentiel du discours : montrer le désordre qui suit la passion (plusieurs lignes) alors qu’elle en dépeint les charmes plus succinctement. 
→ Antithèse entre l’amour et la vertu dans deux tableaux fortement contrastés : amour, les engagements, n’amènent que les malheurs domestiques ≠ la vertu apporte tranquillité, éclat, et élévation. Les deux derniers termes sont propres à séduire une âme d’élite. 
→ « Mais elle lui faisait voir… » : conjonction de coordination appuyant opposition entre « tranquillité », « éclat », « élévation » et « difficile », « défiance de soi ». Reprise de la « vertu », pour souligner qu’elle est un objectif mais difficile à atteindre et à garder.
- Opposition aux hommes : elle lui contait le peu de la sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité. Accumulation de termes très négatifs, ou dans des noms à valeur généralisante, universelle, ou dans un pluriel.

Une éducation forte :
- Termes« peintures » ; « montrait » ; « faisait voir » (X2) : très visuel : audacieuse franchise + ce lexique de la vue rend concret cet enseignement. Rapports entre la mère et la fille fondés sur la confiance réciproque. Mme de Chartres veut persuader et non contraindre.
- Une intériorisation des principes par la Princesse : elle lui enseigne la vertu et veille à la lui rendre aimable.
- Noter qu’elle lui précise la difficulté de cette morale :elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrêmedéfiance de soi-même.

III- Une peinture sous-jacente de la Cour

A. Un monde d’apparences
  • Phrase du début du passage orientée sur la vue et les regards portés sur la Princesse : « parut » ; « attira les yeux » ; « donna de l’admiration » ; « voir de belles personnes » : 4 expressions dans une seule et même phrase ! Le vidame de Chartres s’intéresse à elle à cause de sa beauté.
  • 2è phrase : présentation par le rang : toujours cette apparence, ce jugement de la Cour. Reprise en fin de portrait : « héritière » ; « un des grands partis » ; sa mère « extrêmement glorieuse » : toujours cette définition par rapport à ses origines. Tout est focalisé, pour la Cour, sur la famille à laquelle elle appartient, et qui fait d’elle un bon parti : on lui propose plusieurs mariages, forcément arrangés puisqu’elle apparaît tout juste.
  • Cela s’oppose d’autant plus au long propos éducatif et moral porté par Mme de Chartres au centre du passage.
B. Un monde dangereux
  • Une peinture de la Cour sous-jacente : lieuqui peut être très agréable mais aussi très dangereux pour une jeune personne.
→ La Princesse en a été absente, pour la préserver de ce milieu : « elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour » + juste après « Pendant son absence », lié à la fille, Mlle de Chartres.
→ Critique de la société où la jeune fille va pénétrer : elle lui contait le peu de la sincérité des hommes, leur tromperie et leur infidélité. Les termes sont catégoriques et la peinture sans indulgence.
→ Dans ce monde cruel où règne l’apparence, le sort de la femme ne peut être que de souffrir. Seul refuge : l’amour conjugal, qu’il faut bien distinguer de la passion : ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme […] est d’aimer son mari et d’en être aimée. L’amour se trouve alors paré des charmes de la vertu. C’est le seul salut possible qui allie la tranquillité et la réciprocité : fin du paragraphe, fin du passage sur l’éducation et ses principes par la mère Mme de Chartres.

Conclusion :
  • L’éducation de Mme de Chartres révèle quelques problématiques de son siècle sur l’amour. Faut-il parler d’amour aux jeunes filles ? Un contre-exemple est décrit dans L’école des femmes de Molière : Agnès, tenue à l’écart de tous et de l’amour succombe aux charmes du premier jeune homme qu’elle rencontre, malgré la surveillance sévère d’Arnolphe. L’amour conjugal est-il encore vraiment de l’amour ? Peut-on être heureux dans le mariage ? C’est un sujet dont on débat dans les salons du XVIIème siècle.
  • Même si Mme de La Fayette place son roman au XVIè siècle, il est évident que la peinture de la Cour qu’elle propose ressemble beaucoup à celle de son temps, celle de Louis XIV. Elle critique certains travers de cette société.
  • Un passage qui prépare et justifie la suite du roman : un être d’exception, dont la vertu sera irréductible à la tentation de la passion. Elle ne ressemble pas à la Cour et c’est ce qui va faire sa singularité, et en même temps sa difficulté à supporter ce milieu marqué par ce dont elle a appris à se méfier : la passion. Noter toutefois que l’analyse psychologique est ici absente, que l’on semble rester à l’extérieur du personnage, tant du point de vue du narrateur que de sa mère, Mme De Chartres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire