Analyse linéaire,
avec mouvements du texte :
- 1er mouvement : lignes 1 à 16 :
discussion entre les deux personnages sur les raisons des Européens de couper,
exploiter, emporter autant de troncs de bois de Brésil : pratiques des
Européens. Etonnement de l’Indien. Paroles longues de Jean de Léry.
- 2ème mouvement : lignes 17 à 32 :
discussion entre les deux personnages au sujet de l’intérêt de s’enrichir.
Paroles de plus en plus longues du vieillard. La parole est désormais à lui.
Confrontation entre deux modes de vie, deux manières d’envisager l’enchaînement
des générations.
- Lignes 33-34 : conclusion du passage. Récit de voyage
authentique.
Mouvement 1 :
* Lignes 1 à 3 :
- Phrase construite sur une longue proposition subordonnée
circonstancielle de cause (« parce que… »), qui précède la
proposition principale (« il y eut une fois… »). →
Permet d’indiquer d’abord le regard étonné des Indiens devant le spectacle des
Européens en train de prendre du bois de Brésil, et donc de donner le 1er
sujet de discussion (l’exploitation de ce bois à grande échelle), avant de
démarrer le compte-rendu, le récit de cette rencontre avec le vieillard et la
discussion. Ce dialogue est ainsi la conséquence de l’observation par les
Indiens des faits et gestes des Européens.
- Confrontation de peuples différents, par les noms utilisés
de « Tupinambas » (cités avant les autres, manière de montrer qu’ils
seront ici mis en valeur ?) et de « Français ».
- « nos » : manière affectueuse de Léry de
parler d’eux. Pas de regard méprisant de sa part.
- « fort ébahis » ; « voir » :
expression des émotions (grand étonnement) et du regard des Indiens →
Léry nous met à leur place, comme en point de vue interne.
- « des pays lointains » : point de vue des
Indiens ici encore : éloignement relatif à l’endroit où on vit. L’Europe
est éloignée du Brésil où ils vivent.
- « sont » : présent de narration, et de
vérité générale (du moins est-ce encore vrai au moment où les premiers lecteurs
de Léry lisent ses pages).
- « leur Arabotan » : déterminant possessif =
manière peut-être de signaler une forme d’accaparement indigne, mais surtout
sans doute de signaler une essence végétale exotique pour les lecteurs
européens, d’où l’emploi du mot indien pour désigner cette espèce. Volonté
d’intéresser le lecteur européen, de l’intriguer + manière de reconstituer la
culture/les lieux présentés (faire vrai).
- « c’est-à-dire » : souci de Jean de Léry de
se faire comprendre par ses lecteurs, souci didactique.
- « il y eut une fois » : emploi du passé
simple, exprimant une action de 1er plan, temps du récit littéraire →
Jean de Léry reconstitue les faits réels vécus (récit de voyage authentique),
souci de nous emmener dans un récit, de nous laisser imaginer les personnages,
la situation. L’emploi de la 1ère personne du singulier rappelle
aussi ceci, et montre une implication personnelle de l’auteur dans son récit
(il se met en scène, offre dans aussi sans doute son regard personnel sur les
faits, personnages, paroles rapportées).
- « sur cela » : manière de confirmer au
lecteur que l’exploitation déjà évoquée du bois va effectivement être le sujet
de discussion entre les deux personnages.
* Lignes 3-5 :
- Suivant le nom « demande », début d’une
question, rapportée au style direct →
texte ainsi plus vivant, le lecteur imagine le vieillard, par ses paroles, qui
d’ailleurs reprennent leurs mots pour désigner les Français et Portugais
(« Mairs et Peros »). Toujours aussi ce désir de faire vrai dans la
reconstitution, d’y faire croire, de la laisser imaginer.
- « Que veut dire » : objet de
l’interrogation = incompréhension des faits et gestes des Européens par le
vieillard. Il a observé comme les autres l’exploitation du bois mais ne la
comprend pas. Regard qui peut être jugé naïf, qui est en fait celui de
l’étranger (par rapport aux Européens).
- « c’est-à-dire » : souci de Jean de Léry de
se faire comprendre par ses lecteurs, souci didactique. Souligne aussi que les
paroles du vieillard sont une mise en scène par l’auteur : le vieillard
n’a certainement pas expliqué le sens de ces mots à Léry qui devait les maîtriser.
Donc une reconstitution pour mettre les lecteurs à la place de Léry voire à la
place des Indiens ; puis reconstitution pour préparer le message implicite
de Léry (défense de la culture locale).
- « vous autres » : interpellation des
Européens ; inversion du regard pour les lecteurs qui se font en plus
appeler, nommer dans la langue des Indiens.
- « si loin » ; « votre
pays » : inversion encore du regard (voir ligne 2).
- « quérir du bois » : reprise des mots de
Léry en tant que narrateur = unité du texte
- « pour vous chauffer » : l’Indien donne un
début d’explication : il a interprété l’exploitation du bois en ce sens
(proposition infinitive exprimant le but).
- 2ème question, qui découle de la 1ère :
suite du raisonnement du vieillard (chercher du bois si loin, dans des
conditions difficiles = ne pas disposer de cette ressource chez soi ; mais
cela lui semble peu probable). L’interro-négative suggère ainsi qu’il apporte
d’emblée déjà une réponse à sa question. Elle souligne aussi son incompréhension :
s’il y a du bois chez eux, pourquoi viennent-ils en chercher ici ?
* Lignes 6-7 :
- Fin des paroles rapportées directement. Léry rapporte sa
réponse au style indirect →ses
paroles sont ainsi moins mises en évidence que celles du vieillard (qui étaient
signalées par les deux points, les guillemets, l’expressivité orale avec la
ponctuation du style direct comme le point d’interrogation). Pourquoi ?
Parce que la réponse est évidente pour ses lecteurs, qu’ils la connaissent
déjà ; parce que cela permet de montrer que ce que Léry peut apporter à
son lecteur, c’est le raisonnement du vieillard, pas le sien propre. L’usage du
participe passé (« ayant répondu ») renvoie dans le passé sa réponse,
manière encore de mettre en évidence que ce qui importe, c’est la réaction du
vieillard à l’explication de Léry.
- Respect du vieillard par Léry : réponse en deux temps
(« oui…, mais non pas… »), affirmative puis négative, opposées par la
conjonction de coordination « mais ». Il accorde une part de vérité
au raisonnement du vieillard avant de rectifier une autre partie de ce
raisonnement (nous avons beaucoup d’arbres, mais pas de la même espèce).
Rectification encore ensuite (nous ne brûlons pas le bois de Brésil récupéré
chez les Indiens) : « pas comme il pensait » (négation mise
avant le verbe exprimant le raisonnement du vieillard, comme la négation autour
du verbe « brûler », qui renvoie à celui de « chauffer »
employé par l’Indien ligne 5).
- Opposition toujours entre les regards, les appartenances
géographiques : « les leurs ».
* Lignes 8-9 :
- Le mot « ains » (l. 7) introduit ce qui est
après la parenthèse, ligne 9 : Léry dit à quoi sert ce bois chez eux
(« les nôtres »).
- Noter que les pratiques des Indiens et des Européens se
rejoignent (ils font de la teinture avec ce bois) : usage de la
conjonction de comparaison « comme » au début de la parenthèse + écho
entre « rougir leurs cordons de coton, plumages et autres » et
« faire de la teinture » où les mots renvoient à la couleur. Egalité
des peuples suggérée ici, malgré la distance et la différence culturelle. Noter
le parallélisme de construction des propositions infinitives de but qui
débutent lignes 8 puis 9 par « pour », dans un cas pour les Indiens,
dans l’autre pour les Européens.
La pratique des Indiens est mise d’abord (même si c’est
entre parenthèses), avant celle des Européens : encore une manière de les
mettre en valeur ?
* Ligne 10 :
- Reprise du style direct, afin de mettre en avant une
nouvelle interrogation du vieillard. Même structure que Léry : il accepte
la réponse « voire ») puis oppose une contradiction (conjonction de
coordination « mais ») aux réponses de Léry. Suite du raisonnement,
par contradictions et demandes de précisions successives.
- « faut » + « tant » : marques de
jugements de valeur de la part du vieillard. Etonnement + idée que cette
exploitation est excessive, par le lien entre la nécessité indiquée par le
verbe « falloir », qui ici est remis en question par l’interrogative,
et l’adverbe « tant » qui est également interrogé.
* Lignes 11-15 :
- « oui » : Opposition dans l’affirmation
ferme, à l’implicite de la question du vieillard. Volonté de convaincre le
vieillard affirmée grâce à l’emploi de la 1ère personne du singulier
dans la proposition incise (« lui dis-je »), à la parenthèse qui suit
qui souligne la nécessité de le persuader (le verbe « faire » semble
indiquer le souhait d’agir sur le vieillard). La longueur de la réplique est
aussi le reflet de cette volonté de reprendre le pouvoir par la parole.
- « car » : conjonction de coordination
indiquant la cause. Explication de l’affirmation selon laquelle les besoins en
bois de Brésil sont colossaux en Europe. Donc Léry discute d’égal à égal,
d’homme raisonnable à homme rationnel.
- L’argumentation de Léry est basée sur la richesse d’un
marchand unique qui a les moyens d’acquérir tout le bois exporté du
Brésil : argumentation économique (« champ lexical :
« marchand » ; « marchandises » = mots de la même
famille ; « achètera » + énumération de tous les objets possédés/vendus
par ce marchand = impression d’une profusion, d’une richesse énorme).
- 2ème parenthèse dans cette réplique :
Léry, comme pour la 1ère parenthèse, énonce sa réponse, mais
commente aussi en tant que narrateur, au moment où il écrit pour ses lecteurs,
son attitude argumentative face au vieillard. Volonté de s’adapter à
l’interlocuteur, de prendre en compte sa différence de mode de vie, son absence
de repères : le verbe « connaître » souligne le soin de Léry de
se baser sur ce que le vieillard maîtrise. L’emploi du mot
« toujours » est ambigu : ou Léry se vante, est un peu
condescendant, ou il affiche une attitude intellectuelle qui a toujours été la
sienne pendant son voyage. Peut-être est-ce alors une invitation à adopter une
telle attitude devant toute personne différente de soi.
- « draps rouges » : lien à ce qui précède
puisque le bois de Brésil permet de teindre. Mais ensuite Léry évoque d’autres
objets, parfois sans doute peu connus des Indiens. Il s’écarte un peu du sujet
initial.
- « notre pays » / « ton pays » :
même GN, mais avec déterminants possessifs opposés (1ère et 2ème
personnes) confrontation des cultures, rencontre de peuples différents ;
volonté de dialoguer avec l’Autre.
* Ligne 16 :
- « merveilles » : choses admirables mais surtout
au départ étonnantes. Et au sens du Moyen-Âge, événements, situations
irréalistes. Le verbe (« contes »), qui renvoie à des histoires
inventées et fantaisistes où la magie par exemple peut intervenir, fait aussi
écho à cette réaction du vieillard. Marque, donc, à la fois de l’étonnement du
vieillard, et du fait qu’il ne croit pas Léry = trop de différences
culturelles.
- « mon sauvage » : le nom renvoie à l’image
habituelle des Européens sur les nouveaux peuples découverts : proches de
la nature, moins avancés techniquement bien souvent, ils paraissent plus
proches de l’animalité que de l’humanité selon beaucoup d’Européens de
l’époque. Le possessif est affectueux et tranche avec le nom. Léry montre ainsi
l’amitié qui l’a uni à cet homme.
- L’interjection (« ah ah ») souligne le souhait
de reconstituer une vraie conversation, de lui donner vie, d’intéresser le
lecteur en le plongeant dans ce dialogue que Léry reconstitue pour lui.
Mouvement 2
* Ligne 17 :
- « puis » : suite du récit, connecteur
temporel. Mais aussi enchaînement des réactions, des réflexions de chacun.
- La proposition participiale, entre virgules, permet de
souligner l’intelligence du vieillard (le verbe « retenir » souligne
à la fois sa mémoire et sa compréhension, malgré sa réaction de la ligne 16,
qui faisait aussi montre d’humour de sa part), comme la 2ème
proposition participiale qui montre qu’il reste curieux, cherche à comprendre
(le verbe « interroger » souligne cet aspect, comme « plus
outre », dont les deux mots sont plus ou moins synonymes, qui montre qu’il
ne s’en tient pas à la seule explication de Léry).
* Ligne 18 :
- Début de l’intervention, encore sous forme interrogative,
avec la conjonction de coordination « mais » qui marque l’opposition
à ce qui vient d’être dit par Léry. Mise en avant de cette opposition en tête
de phrase.
- « tant riche » : reprise de l’adverbe
« tant » pour insister sur l’adjectif. Le vieillard rebondit
exactement sur l’argument de Léry : la richesse, l’accumulation de biens.
Il a donc effectivement bien compris et bien suivi les propos de Léry.
- Dialogue : interpellation de Léry par la 2ème
personne du singulier + verbe de parole rappelant les propos de Léry (« tu
me parles »). Noter la proximité des deux pronoms, 1ère et 2ème
personnes du singulier (« tu me ») : proximité dans le dialogue
entre les deux interlocuteurs. Le dialogue rapproche.
- La question du vieillard est une interro-négative :
elle suggère la réponse à apporter (= il meurt comme tout le monde). Le
vieillard oriente l’argumentation. Il reprend le pouvoir sur cet échange
argumentatif.
* Ligne 19 :
- Réponse de Léry, qui va dans le sens que le vieillard
indiquait. Les deux sont donc ici d’accord et non plus dans l’opposition, comme
précédemment. Evolution de leur relation dialoguée. Répétition de l’affirmation
par Léry (« si fait » X 2) : réponse positive affirmée.
- Comparaison entre le commerçant européen et les autres
hommes : ils sont tous mortels, rien ne les différencie de ce point de
vue. Comparaison affirmée aussi par l’apport de l’adverbe « bien »
qui renforce le mot qui assure la comparaison « aussi… que… ».
* Lignes 20-21 :
- Nouvelle demande, sans attendre, du vieillard :
« derechef ».
- Le vieillard mène désormais le dialogue, son timing. Léry
en est réduit à devoir répondre.
- Léry commente toujours la manière dont le dialogue se
déploie : « comme ils sont aussi grands discoureurs, et poursuivent
fort bien un propos jusqu’au bout » : qualités rhétoriques soulignées
par Léry (le terme de « discoureurs » les qualifient comme détenteurs
de la compétence de la parole). L’adjectif « grand » est ici très
mélioratif, renforcé par « fort bien » qui est associé à un autre mot
qui renvoie à la parole, « un propos ».
* Ligne 22 :
- Nouvelle question du vieillard, qui mène donc le dialogue,
puisqu’il le relance sans cesse et contraint Léry à répondre.
- La conjonction « et », renforcée par la
conjonction « donc », indiquant une conséquence, marque encore une
fois le fait que le dialogue est très construit, structuré. Le vieillard est
intelligent et sait rebondir sur des propos. Image loin du
« sauvage » : image d’un personnage qui raisonne fort bien.
- Structure du dialogue : reprise sur la mort
(« mort », mot de la même famille que le verbe « mourir »
l. 18). La conjonction de conséquence « donc » marque encore une fois
que le vieillard sait bien articuler des arguments.
- « le bien » : références aux richesses
accumulées citées précédemment dans le texte.
* Lignes 23-24 :
- Réponse de Léry, plus courte que celles données
précédemment : le vieillard a désormais plus la parole. Noter que la
phrase est même incomplète puisqu’il n’y a pas de proposition principale (tout
le bien qu’il laisse est…), ce qui raccourcit d’autant la phrase. Il est assez
logique aussi que Léry ne s’attarde pas sur une information que ses lecteurs
(donc européens) connaissent.
- Phrase strictement informative à destination du vieillard.
Léry dialogue vraiment, répond au vieillard, lui explique dans le détail (il
envisage deux possibilités, de filiation directe, ou indirecte, le passage de
l’un à l’autre étant souligné par « et à défaut d’iceux », où conjonction
de coordination « et » = connecteur logique d’addition, et
« iceux » = pronom de reprise de « enfants »).
* Lignes 25-27 :
- Proposition incise + parenthèse : focalisation sur le
locuteur, le vieillard, par le verbe de parole « dire » qui montre que
Léry lui laisse la parole dans cette 2ème partie d’extrait ;
par le GN « mon vieillard » où le déterminant possessif indique une
forme d’amitié, de bienveillance de Léry à l’égard de cet Indien ; par
l’indication ajoutée dans la parenthèse, qui est un commentaire du narrateur
principal au milieu des paroles de l’Indien.
- Interpellation directe des lecteurs par l’emploi de la 2ème
personne du pluriel dans la parenthèse → volonté d’impliquer le lecteur au
moment où le vieillard commence à livrer sa manière d’envisager le mode de vie
des Européens + manière de renverser le regard de l’époque sur les populations
nouvellement rencontrées, qui étaient considérées comme inférieures aux
Européens : « nullement lourdaud » (comprendre lourd d’esprit).
L’adverbe « nullement » nie en bloc, nettement, cette idée d’un
manque d’intelligence de l’Indien. Léry souhaite, avant même qu’on lise la
suite, le raisonnement de l’Indien, influencer justement la lecture des
explications de l’Indien, faire en sorte que le lecteur pense d’emblée que ce
qu’il va lire est intelligent. C’est peut-être aussi une manière de contrer la
réaction de certains lecteurs qui, en découvrant un regard décalé sur leurs
propres mœurs, rejetterait d’emblée cette manière de voir.
Donc mise en valeur de l’Indien, et donc de ses congénères
et de leur culture, de leur manière de voir le monde : on ne dit pas qu’il
est différent des autres Indiens, si ce n’est que son grand âge invite à penser
à une forme de sagesse.
- Jeu de pronoms personnels, proches l’un de l’autre, qui
montre bien la rencontre des cultures, des peuples, et la confrontation des
regards : « je », « vous autres Mairs ».
- Reprise du terme indien pour désigner les Français
(« Mairs ») : toujours cette volonté de faire vrai, de donner
une authenticité aux propos de l’Indien, qui sont ici traduits en français pour
que les lecteurs les comprennent. Volonté de donner une couleur locale à ses
propos.
- Interpellation directe des Français dans leur ensemble par
le vieillard : généralisation par le pluriel « Mairs » /
« Français ». Provocation dans l’interpellation par le nom
« fols », accentué par l’adjectif « grands » : les
lecteurs français ne peuvent que réagir. C’est une manière de montrer l’opposition
des points de vue, mais aussi de renverser le regard (les Européens
déconsidèrent souvent les Indiens). Cela incite aussi peut-être à lire la
suite, les deux points indiquant qu’il ne va pas s’arrêter à ce jugement de
valeur mais qu’il va s’expliquer.
Noter que la folie renvoie à l’absence de raison, alors que
les Européens de l’époque estimaient en avoir plus que les Indiens.
* Lignes 27-29 :
- 1ère question du vieillard = suite de
l’interpellation, qui s’adresse tout autant à Léry qu’à tous les Français,
comme nous l’avons vu ci-dessus.
- « car » : conjonction de coordination
exprimant la cause, qui suit ce que les deux points suggéraient : il va
s’expliquer sur sa qualification de « fols » des Français.
- Question en deux parties. La première insiste sur la
pénibilité, les efforts nécessaires aux Français pour exploiter le bois de
Brésil (l’adverbe « tant » renforce le verbe
« travailler », qui suggère souvent une pénibilité voire une
souffrance : à l’origine, en latin, le mot renvoie à un instrument de
torture ; le verbe « endurez », à la 2ème personne du
singulier, double, précise les souffrances des Français que le vieillard
observe, verbe qui est complété par un COD comportant un nom au pluriel qui
généralise les souffrances, « maux », lui-même de nouveau renforcé
par l’adverbe « tant » qui suggère une multiplicité de souffrances,
de douleurs. Le verbe « falloir » qui débute cette partie de phrase,
sous forme interrogative, que l’inversion sujet-verbe souligne (« vous
faut-il »), montre que cette obligation que les Français subissent n’en
est pas une, et, par la présence du pronom « vous », est une
obligation que les Français se donnent à eux-mêmes, qui ne leur est pas imposée
par une puissance supérieure.
La deuxième partie est une proposition circonstancielle de
but, qui explique selon lui la raison des souffrances que les Français
s’infligent (« pour amasser ») ; le GN « des
richesses » s’oppose ainsi aux « maux » de la première partie de
la phrase : il vise à montrer que toutes ses souffrances n’en valent pas
la peine puisqu’elles ne servent qu’à s’enrichir.
- Rappel de la distance géographique qui sépare les deux
peuples : récit de voyage, rencontre entre des cultures différentes :
« passer la mer » (verbe de mouvement) ; « arrivés par
deça » (verbe de mouvement + indication spatiale).
- Notons que la phrase est longue (ligne 25 à 29) :
qualités de rhétoriqueurs du vieillard. Capacité à s’exprimer = capacité à
développer une réflexion rationnelle, nuancée. Donc vision positive du
vieillard, comme un être sensé, qui peut nous en apprendre sur la vie.
- « à vos enfants ou à ceux qui survivent après
vous » : le vieillard a bien écouté et compris les propos de Léry
qu’il reprend (l. 23-24), preuve de son intelligence d’abord, et de sa volonté
de dialoguer, d’échanger ensuite (il est attentif à ce que Léry lui dit). Il a
transformé la 2ème partie de la phrase de Léry (« à ses frères,
sœurs et plus prochains parents » → « à
ceux qui survivent après vous ») : il oriente la conversation afin de
préparer sa réponse (les Indiens n’amassent pas de richesses pour les
générations qui suivent), preuve encore de sa capacité à raisonner mais aussi à
organiser son discours (il manie bien l’art de la parole).
* Lignes 29-30 :
- Phrase interrogative qui, encore une fois, remet en question les
coutumes européennes, montre qu’elles ne sont pas universelles, ne sont pas une
vérité communément admise (cf. relativisme sous-jacent au texte de Léry).
L’interro-négative est encore une fois utilisée par le vieillard, qui permet de
suggérer une réponse dans la question même (oui, la terre est suffisante pour
nourrir tout le monde au fil des générations).
- Vision d’une culture restée proche de la nature, en évoquant
« la terre » personnifiée qui nourrit les êtres humains. Elle est
sujet actif du verbe « nourrir » = c’est elle qui agit sur les êtres
humains. Le passé composé (« a nourris ») souligne que la terre a
effectivement permis à une génération de survivre, c’est une vérité admise, un
état de fait. Cela permet encore de souligner qu’il y a peu de risques qu’il
n’en soit pas de même pour les générations qui suivront.
* Lignes 30-32 :
- « nous » (pronom personnel 1ère personne),
très répété, s’oppose aux pronoms « les » (l. 29, pronom 3ème
personne) ou « vous » (l. 26, 27, 28, pronom 2ème
personne), manière de rappeler le face à face permanent des deux cultures dans
le texte, non pour en mettre en place un affrontement, mais pour les comparer,
les regarder en miroir l’une de l’autre.
- Reprise de plusieurs termes appliqués d’abord aux Européens, et
ici aux Indiens, afin de montrer la comparaison, de souligner que tous les
êtres humains sont soumis aux mêmes règles de fonctionnement (« des
parents et des enfants », cf. mots des lignes 23-24 ; « après
notre mort », cf. l. 22 ; « la terre » + emploi du verbe
« nourrir », cf. l. 29). C’est aussi (voir plus loin ci-dessous) une
manière de contre-argumenter de manière subtile : il renverse les
arguments des Européens pour montrer que leur mode de vie est plus intelligent.
- « comme tu vois » : échange de regards dans le
texte. Cela montre aussi que Léry est un observateur, qu’il témoigne dans son
texte de ce qu’il a vu : principe de réalité de ce qu’il rapporte ici (le
dialogue, cette rencontre, sont réels, ont eu lieu ; témoignage direct).
Principe pour convaincre : faire en sorte que l’interlocuteur puisse de
lui-même vérifier la réalité de l’argumentation développée : le vieillard
est un fin rhétoriqueur.
Dialogue aussi entre les deux personnages qui ont du respect l’un
pour l’autre, sont à égalité (« tu » : proximité, interpellation
de l’autre).
- « nous aimons et chérissons » : deux verbes de
même sens, qui insistent sur l’amour familial, pour préparer ce qu’il va
annoncer dans la phrase suivante (il prévient une éventuelle réponse de Léry
qui pourrait lui rétorquer qu’ils sont égoïstes, ne s’aiment pas les uns les
autres). De plus, on voit encore que les Indiens sont comme les
Européens : l’amour filial existe chez eux aussi. Léry veut contrecarrer
l’idée que les Indiens sont des êtres à part, très différents des Européens. Il
insiste sur ce qui les rapproche les peuples.
- Opposition à ce qui précède mis en avant ligne 31, par le
point-virgule qui crée une pause dans la phrase, et par la conjonction de
coordination « mais ». Mise en avant de la proposition subordonnée
circonstancielle de cause (introduite par la conjonction « parce
que »), placée avant la proposition principale (« nous nous reposons
sur cela ») → montre encore une fois que le vieillard sait expliquer,
articuler des idées ; montre que les Indiens, s’ils refusent d’amasser des
richesses, ne sont pas non plus des oisifs insouciants (« nous nous
assurons » : verbe à la voix active, qui implique toute la communauté
des Indiens, exprimant une forme de certitude et de vérité, mais aussi d’effort
de leur part.
- Effort de respecter la terre pour qu’elle nourrisse aussi leurs
descendants. Donc manière de montrer qu’eux aussi pensent au futur (usage du
verbe au futur simple « les nourrira », avec mise en parallèle avec
« nous a nourris », donc parallèle entre ce dont peuvent profiter
ceux qui vivent = se nourrir grâce à la terre, et ce qui existera pour nourrir
les générations futures). Le vieillard sait contre-argumenter : au
raisonnement européen qui implique que s’enrichir vise à aider les générations
suivantes, le vieillard répond donc que respecter la nature (= retour au début
du texte : ne pas couper autant d’arbres) est le meilleur gage d’aide aux
générations qui suivent.
- « sans nous en soucier plus avant » : proposition
infinitive introduite par la préposition de sens négatif « sans »,
qui met en avant le fait que les Indiens ne veulent pas s’angoisser, être dans
des préoccupations continuelles.
* Lignes 33-34 :
- Conclusion de tout ce passage, sans commentaire
supplémentaire : « voilà », « le discours ».
- Volonté de Léry d’authentifier tout ce dialogue, de prouver
qu’il s’est vraiment produit : Léry veut contrebalancer certaines
opinions de son époque selon lesquelles
les Indiens seraient des animaux plus que des êtres humains (voir la
Controverse de Valladolid). Donc il faut que la parole du vieillard soit
réelle, et non versée dans une fiction qui la discréditerait aux yeux des
lecteurs français du XVIè siècle. D’où « au vrai » + « que j’ai
ouï » (témoignage direct) + « de la propre bouche ».
- Fin du texte sur la mise en valeur des qualités de discoureur du
vieillard (« discours » = parole longue et organisée, reflet d’une
pensée ; « bouche »).
- « pauvre sauvage américain » : rappel de la
différence géographique et culturelle par le nom et le 2ème adjectif
qualificatif. Pathétique par l’adjectif « pauvre » = volonté de faire
regarder les Indiens en prenant en compte leurs souffrances (et celles de leur
contrée) pendant la colonisation.
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