Situation :
Extrait d’un long poème intitulé « Melancholia ». Titre issu d’une œuvre (gravure) de Dürer datée de 1514 (voir ci-dessus).
Poème extrait du Livre III, dans la partie « Autrefois ». Titre du Livre III : « Les luttes et les rêves », ce qui renvoie aux luttes sociales et politiques d’Hugo, à ses rêves d’amélioration du sort du peuple français, de la nation française.
Poème écrit en juillet 1854, donc en exil, même s’il est
daté de juillet 1838.
Plan du poème :
1) Vers 1 à 11 : Évocation des conditions de
travail des enfants afin de révolter le lecteur
2) Vers 12 à 16 : Suite de l’évocation afin de dénoncer
les conséquences de ce travail sur les enfants
3) Vers 17 à 22 : Réflexion plus large, conséquence des
évocations concrètes qui ont précédé
Aspects majeurs du
poème :
- Volonté de susciter des images concrètes des enfants au
travail dans l’esprit des lecteurs, afin notamment de les apitoyer sur leur
sort.
- Dénonciation de l’horreur de la situation des enfants au
travail, par le recours aux sentiments des lecteurs (cf. remarque ci-dessus),
mais aussi par des arguments basés surtout sur les conséquences désastreuses du
travail sur les enfants (conséquences physiques, morales, sociales).
- Présence forte de la mort, issue fatale du travail imposé
aux enfants.
- Désir de dérouler une écriture versifiée fluide, où la
grammaire est peu torturée, où le langage est proche de celui de la prose, est
donc facilement compréhensible.
- Présence marquée du poète, de sa voix dans le poème. Et
dans le même temps, volonté de s’adresser directement au lecteur, de
l’interpeler.
- Style : recours à des images, des métaphores
frappantes (monstre, machines qui tuent) ; emploi de répétitions, de
symétries syntaxiques, d’oppositions, en se basant souvent sur la structure de
l’alexandrin (deux hémistiches de six syllabes).
Problématiques possibles :
- Comment Hugo dénonce-t-il l’horreur du travail des enfants ?
- En quoi la mise en scène du travail des enfants
permet-elle à l’auteur de transmettre au lecteur son indignation ?
- Comment Hugo use-t-il de la richesse de l’écriture poétique pour remettre en cause le travail des enfants ?
1ère
partie du poème : Évocation
des conditions de travail des enfants afin de révolter le lecteur :
* Vers 1 à 3 :
* interpellation forte du lecteur :
- succession de trois questions rhétoriques, qui se
renforcent donc l’une l’autre = interpellation forte du lecteur, appel à la
réflexion personnelle de celui-ci. Lien entre les trois questions par l’emploi
récurrent des déterminants démonstratifs (« ces ») + volonté de faire imaginer les
enfants dont il est question par le lecteur : force du
pathétique ainsi créé + rappel de la réalité de ce qui est évoqué (pour les
lecteurs de l’époque, le travail des enfants était d’actualité en France).
- « qu’on
voit » : le verbe insiste sur le fait qu’il s’agit bien de la
réalité présente pour les lecteurs d’Hugo, mais aussi qu’il souhaite que son
poème nous fasse imaginer concrètement ces enfants. Le vers 3 est ainsi plus
précis, puisqu’il n’évoque que les filles, et en situation (action de « cheminer »). Volonté
d’une évocation frappante
* dénonciation des conditions de vie des enfants :
- « tous
ces enfants » + « ces
doux êtres pensifs » + « ces filles de huit ans » : pluriels, afin de
mettre en avant le fait que l’auteur évoque l’ensemble des enfants
travailleurs, et aussi pour montrer que ce problème n’est pas anodin parce
qu’il concerne de nombreux enfants.
- souhait de faire prendre en pitié les enfants par
les désignations et les expansions du nom employées qui opposent l’innocence
de l’enfant à leur sort inadmissible :
"
« enfants »
= image de l’innocence, qui s’oppose au verbe « rire », par la négation au sens
globalisateur « pas
un seul ne »
"
« doux »
et « pensifs »
souligne cette innocence, le fait qu’un enfant ne peut faire le mal, et pour le
deuxième adjectif peut-être leur souhait de s’extraire de cette situation
intolérable, ou alors le rappel que les enfants sont d’abord des rêveurs. Noter
l’opposition, encore une fois, avec le deuxième hémistiche du vers, avec le
verbe placé ici aussi en fin de vers, et qui évoque la maigreur physique, après
l’aspect plus moral (le rire absent)
"
« de huit ans »
souligne leur extrême jeunesse, ce qui est contradictoire avec le fait qu’elles
sont considérées comme des adultes : 2ème partie du vers (« qu’on voit cheminer
seules » = proposition subordonnée relative), où la solitude laisse
penser à une forme d’autonomie de ces « filles » (le nom renvoie à une forme
de jeunesse également).
* Vers 4 à 6 :
- reprise globalisante encore une fois par le pronom
« ils » (pluriel) : de nombreux enfants sont concernés.
* Hugo précise les conditions de travail des enfants,
leur vie :
- emploi du verbe « travailler » au vers 4, afin de clarifier le sujet
qui va être celui des vers à suivre, qui explique pourquoi les enfants évoqués
aux vers 1-3 sont dans cet état.
- le présent de l’indicatif du verbe « aller » montre encore qu’il
s’agit d’une situation contemporaine des lecteurs d’Hugo, mais aussi que ce
travail se répète chaque jour, ce que vient souligner aussi l’adverbe « éternellement »
placé en évidence en fin de vers, et qui, par ses cinq syllabes (sur les 12 de
l’alexandrin), illustre le temps passé au travail par ces enfants. La
répétition de l’adjectif « même »
dans le vers 6 insiste encore sur la monotonie de la vie de ces
enfants : non seulement le travail est rude et leur ruine l’existence mais
il se répète inlassablement, va occuper toutes leurs journées et années à
venir.
- parallélisme de construction des vers 4 et 5 : « Ils s’en vont »
/ « Ils
vont ». Reprise presque identique du verbe « aller », qui
semble ainsi poursuivre l’idée introduite par le verbe « cheminer » (v. 3). Effet :
insistance sur le fait que ces enfants sont en action, ne sont pas tranquilles,
ne font pas leur vie d’enfant.
- le verbe « aller » des vers 4 & 5 fait
ensuite écho au GN « le
même mouvement », qui souligne que les déplacements des enfants
sont en fait répétitifs, ne se renouvellent pas chaque jour, ce qui suggère une
monotonie.
- répétition aussi des indications temporelles (« quinze
heures » ; « de l’aube au soir ») et spatiales (« sous des
meules » ; « dans la même prison »), afin de
souligner combien le travail des enfants leur prend tout leur temps, et
les assujettit au lieu de travail, à l’usine (préparation de l’image des
enfants soumis à leurs machines).
* Les enfants sont soumis :
- « sous
des meules » : évocation d’une machine, ou d’une partie d’une
machine d’usine. L’emploi du nom « meule » évoque pour le lecteur une grande roue,
lourde, qui a pour fonction d’écraser, du blé par exemple. La préposition « sous » laisse
entendre que la meule écrase les enfants. Au sens figuré, cela renvoie au fait
que la machine détruit les enfants, leur ruine leur santé physique et morale,
voire les tue prématurément.
- « prison » :
l’incarcération est à prendre au sens figuré, mais montre qu’Hugo compare
l’usine à une cellule. Les enfants ne sont pas libres d’aller travailler, on
leur impose cette situation. La prison est aussi un lieu en général difficile,
peu confortable, encore plus au XIXè siècle.
* Vers 7 à 10 :
* De nouveau, Hugo fait le lien entre les enfants et le
travail :
- structure de phrase qui laisse attendre la proposition
principale sur plusieurs vers (« ils travaillent ») : mise en évidence de la fin
de phrase aussi par le fait que le vers 10 ne respecte pas la césure à
l’hémistiche (fin de phrase après quatre syllabes).
- noter aussi que le poète répète le verbe « travailler »
déjà employé au vers 4, et de manière plus simple, sans le verbe « aller » :
c’est comme s’il racontait une journée de travail (trajet pour s’y rendre puis
journée de travail).
* Hugo oppose l’usine monstrueuse à la faiblesse
innocente des enfants :
- métaphore filée du monstre : la machine-outil
de l’usine avale les enfants. C’est la suite de la meule qui les écrase (la
préposition « sous »
est d’ailleurs répétée) : la mort guette les enfants qui travaillent.
Début de la métaphore avec « les
dents », nom ambivalent qui peut se rapporter aux dents crantées
d’une roue d’une machine, mais aussi aux dents d’un animal ; la
personnification devient plus évidente au vers 8 avec le GN « monstre hideux »,
renforcée par la proposition subordonnée relative « qui mâche… », le verbe mâcher se
rapportant forcément à l’action d’une bouche.
- l’image du monstre vise à effrayer les lecteurs, à
montrer que la machine-outil va broyer les enfants, les détruire. C’est donc
déjà une dénonciation d’un aspect du travail des enfants. La machine est aussi
liée à l’obscurité, la nuit étant souvent symbole du Mal, du démon : « sombre » rime
avec « l’ombre »,
et arrive en fin de vers suivant la suite logique : « l’enfer ». Le
poème verse presque dans le fantastique avec ces images sombres, de créature
irréelle, et avec l’incertitude « on ne sait quoi » : encore une manière
d’effrayer le lecteur sur le sort de ces enfants.
- À noter que la petitesse, la faiblesse des enfants
(« accroupis »
donne une image de soumission, de prostration), leur innocence (« innocents »),
contrastent avec l’image du monstre puissant et maléfique.
- autres oppositions au vers 9, qui doivent frapper encore
une fois le lecteur : « innocents »
≠
« bagne »
(lieu où sont envoyés les criminels) ; « anges » (envoyés de Dieu) ≠ « enfer » (lieu
où vit le diable). Cela renforce encore l’injustice du sort des enfants,
qui sont considérés comme des criminels, et des damnés, ce qu’ils ne sont pas
dans l’imaginaire collectif et en réalité.
Hugo joue ici des émotions du lecteur (il cherche autant à
persuader qu’à convaincre de l’horreur du travail imposé aux enfants). Noter
aussi que la gradation, du bagne à l’enfer, donne encore ici de la force à
l’évocation concrète de la situation des enfants.
- Vers 10 : La 2ème phrase évoque deux
métaux, qui sont les matériaux qui constituent les machines-outils. La rime
interne en [èr] renforce le lien entre ces deux métaux, comme le parallélisme
de construction des deux propositions grammaticales (« tout est… »). C’est ici une
autre image que le poète cherche à développer, l’opposition entre l’humanité
des enfants et les objets bruts, sans âme que sont les machines.
* Vers 11 : le
travail des enfants est continuel et les déshumanise :
- parallélisme de construction entre les deux hémistiches =
manière d’insister sur le travail continuel (on repense aux vers 5-6) et sur
l’absence de temps laissé aux occupations normales de l’enfance, le jeu (on
repense à l’absence des rires du vers 1).
- l’emploi du « on », pronom personnel indéfini, semble aussi fondre
dans une masse indistincte les enfants : ils sont comme déshumanisés,
parce que soumis à une machine qui décide pour eux.
2ème
partie du poème : suite des évocations concrètes afin de dénoncer les conséquences
de ce travail sur les enfants :
* Vers 12 : Hugo
évoque les symptômes physiques dus au travail :
- lien logique avec ce qui précède avec l’adverbe de
conséquence « aussi »
en tête de vers et de phrase. La pâleur des enfants est la conséquence de toute
leur situation, évoquée depuis le début de l’extrait du poème.
- 2ème symptôme de l’impact du travail sur le
corps des enfants, après la maigreur évoquée au vers 2 : « la pâleur »,
signe d’une faiblesse physique, d’une mauvaise santé.
- une nouvelle fois, Hugo veut que l’on s’imagine ces
enfants, donne des images concrètes, pour que nous soyons d’autant plus
touchés par son propos de dénonciation. Le fait d’évoquer une partie de leur corps
(« leur joue »)
les fait comme exister.
- la « cendre »
renvoie à la mort, à ce qui reste de ce qui a brûlé, été détruit. Il
s’agit ici de montrer que ces enfants portent leur propre mort sur leur visage,
de manière visible. Leur état physique suggère leur prochaine mort. La pâleur
est aussi celle des cadavres. L’image se précise donc en cours de vers.
- l’exclamative souligne que le poète s’investit
personnellement dans son texte, exprime ses émotions, qu’il veut nous faire
partager. Il s’étonne et s’émeut de ces enfants qu’il a sous les yeux.
* Vers 13 et
14 :
* Hugo poursuit sa mise en scène dénonciatrice du travail
des enfants :
- « las »
est renforcé par l’adverbe « bien »,
et renvoie encore une fois à l’état physique des enfants, ici à la fatigue que
le travail engendre. Le verbe « sont » établit un état, qui semble ainsi durable, ce
que le présent de l’indicatif indique également.
- La situation est pathétique : il leur reste encore
une journée de travail devant eux. Noter aussi l’assonance en [a] qui met en
relation les termes « déjà »
et « las »,
qui établit un lien entre l’état physique et le temps qui passe.
* Hugo donne un aspect tragique à la vie de ces enfants
soumis à un destin implacable :
- « à
peine jour » ; « déjà » : de nouveau, mise en
scène concrète des enfants au travail, pour que le lecteur les imagine, suite
de la mise en scène des premiers vers (le vers 3 laissait par exemple imaginer
des enfants en route pour l’usine, le matin). De plus, encore une référence au
temps qui passe (cf. vers 4, 5, 11), pour bien insister sur leur vie qui
s’écoule, qui leur échappe.
- « destin » :
suite des évocations temporelles. Ici, le terme renvoie au registre tragique.
Les enfants ne sont pas maîtres de leur vie, de leur avenir. Le terme renvoie
aussi au pouvoir de la machine sur eux quelques vers plus haut, autre puissance
supérieure qui s’impose à eux.
- La négation au sens définitif (« ne… rien ») encadre le verbe
« comprendre » : les enfants n’ont pas non plus conscience que
leur état ne changera pas : leur innocence ne leur permet pas de prendre
un recul critique vis-à-vis de la situation, comme des adultes le feraient. C’est
encore une manière de dénoncer cette situation de servitude.
* « hélas » est mis en valeur, par sa position en
fin de vers, de phrase, par l’exclamative, et par la virgule qui le
précède : le terme frappe donc le lecteur. De nouveau (cf. vers 12), le
poète donne son avis, exprime son émotion. Il se fait lyrique, pour
communiquer son désarroi devant le spectacle de ces enfants au travail et qui
souffrent. La rime avec « las » est aussi une manière de montrer que
son chagrin est lié à la vue de la fatigue des enfants.
* Vers 15 et
16 :
* Hugo trouve un autre moyen de faire imaginer ces
enfants par le lecteur :
- pour dénoncer encore mieux le travail des enfants, quel
meilleur moyen que de leur donner la parole ? C’est ce que le poète
imagine (il ne répète pas des phrases entendues, mais qu’il nous fait
entendre : « semblent
dire »). Le choix des paroles rapportées au style direct permet
encore d’imaginer ces enfants, de leur donner une réalité aux yeux du lecteur.
On croit les entendre parler.
* Les enfants appellent à l’aide :
- leur interlocuteur est Dieu, qui peut normalement
intervenir, qui est un être de justice. Hugo est croyant : il ne dénonce
pas ici l’inaction supposée de la divinité. On peut plutôt penser que les
enfants n’ont plus que « Dieu »
comme interlocuteur car « les
hommes » ne s’occupent pas de leur sort, sont même ceux qui leur
ont réservé cette situation impossible à supporter. Ils demandent sa
protection, par l’emploi du GN « notre père », qui renvoie à l’autorité parentale sur
eux, à l’aide qu’ils sont en droit d’obtenir de lui. L’interpellation est vive
cependant, par l’apostrophe « notre
père » mais surtout par l’impératif « voyez ». C’est un appel aussi au lecteur
à voir, à se rendre du caractère intolérable de cette situation.
* Encore une fois la fragilité des enfants est mise en
avant :
- par l’adjectif « petits » mis en tête de leur intervention : le
verbe « être » (« nous
sommes ») souligne que c’est leur état durable, leur identité. « nous » (v.
16) est un pronom personnel complément, et le verbe « faire » souligne aussi qu’ils
sont les victimes des adultes.
* Volonté de faire réagir le lecteur :
- le choix du terme très général « les hommes »
montre que le travail des enfants est l’affaire de tous les adultes de la
société, qu’il n’y a pas seulement quelques coupables que l’on pourrait
désigner précisément.
- une nouvelle fois l’exclamation vise à transmettre au
lecteur des émotions, à le rendre sensible à ce que les enfants subissent.
3) 3ème
partie du poème : Réflexion de l’auteur à partir des évocations concrètes
qui ont précédé :
* Vers 17 à 22 :
* Imploration (« ô ») du poète, de manière
directe, qui souffre avec les enfants de ce qu’on leur impose.
* Hugo relance sa dénonciation forte du travail des enfants :
- dénonciation par le GN : « servitude » = esclavage, le
terme est très fort, et est relancé par le participe passé « imposée ». Il
fait penser à l’esclavage imposé aux Noirs en Amérique. Et l’adjectif « infâme »
montre le rejet par le poète de cette situation. Cette intervention fait écho
aux paroles des enfants au vers précédent, à cette autorité qui soumet les
enfants au travail dans les usines.
- « l’enfant » :
le singulier a valeur universalisante. Dénonciation du travail de tous les
enfants.
* Hugo reprend les conséquences du travail sur le corps
des enfants, pour les dénoncer encore :
- « rachitisme » :
puisque le mot est une phrase à lui tout seul, il est mis en valeur, renforcé
par sa forme exclamative. Choix d’un terme technique, médical, pour désigner
l’une des conséquences physiques sur les enfants du travail imposé, comme
d’autres mauvais traitements (manque de nourriture). Cela donne encore une
réalité à ce qui est dénoncé.
- mise en lien, comme des synonymes, de « rachitisme »
et de « travail »
car placés dans le même vers, côte à côte. Cela montre encore plus que le
travail est la cause du rachitisme des enfants.
- champ lexical de la mort : « étouffant » ;
« défait » ; « tue ». Du rachitisme, on passe à
la suite logique, la disparition des enfants sous le joug du travail. Suite des
images liées à la mort aux vers 8, 12. C’est encore une manière de dénoncer
fortement le travail des enfants, par les conséquences que celui-ci a sur eux.
Les hommes qui les font travailler apparaissent en quelque sorte comme des
assassins d’enfants, ce qui doit choquer.
- effet d’attente du lecteur par le rejet du COD du verbe « tue » au vers
20 « la beauté » :
l’opposition entre l’acte de faire mourir et l’objet tué est d’autant plus
accentué, d’autant plus surprenant. La beauté est une idée, abstraite, ce qui
doit surprendre car jusqu’à présent le poète a plutôt évoqué le physique des
enfants. Effet de gradation des crimes commis par les hommes qui mettent les
enfants au travail : l’enfant est l’image de la beauté, celle sans doute
de la création divine (cf. vers 19).
- juxtaposition de deux COD avec un CC de lieu dans chacun
des deux hémistiches du vers 20 : insistance sur la destruction opérée par
la mise au travail des enfants. Les « fronts » renvoient à la fois au visage et au siège
de l’intelligence, tandis que « les cœurs » sont le siège des émotions : tout
ce qui fait un être humain disparait chez un enfant. Avant de mourir
physiquement, il est déjà mort humainement. Les pluriels des noms du vers 20
généralisent, comme dans tout le poème, à tous ces enfants soumis au travail.
* Hugo dénonce aussi en reprenant l’affront fait à Dieu :
- autre manière de dénoncer, encore plus frappante :
les hommes s’opposent à l’œuvre de Dieu, ce qui doit choquer le lecteur dans
une société chrétienne "
mise en lien des deux verbes construits sur le même radical : « défait » /
« fait », ce qui est une manière de dénoncer car seul Dieu a
raison, et l’homme ne saurait s’opposer à Dieu, s’imposer à lui. Le travail
imposé aux enfants est donc contraire à ce que Dieu a voulu.
- le terme « insensée » le confirme : pas de signification,
alors que Dieu ne peut se tromper, agit avec raison.
* Hugo termine par des comparaisons frappantes pour le
lecteur, des conséquences désastreuses du travail sur les enfants :
- autre effet
d’attente (Hugo sait animer l’envie de son lecteur de poursuivre la lecture)
aux vers 21-22, puisque le verbe « ferait » ne trouvera ses compléments d’objet qu’au
vers 22, après une parenthèse (vers 21).
- le conditionnel montre qu’il s’agit de l’imaginaire du
poète, et effectivement les métamorphoses sont étonnantes (Apollon " un bossu ; Voltaire " un crétin), doivent
frapper fortement l’esprit du lecteur. Puisque le verbe a été placé au vers
précédent, les deux compléments se retrouvent juxtaposés (« D’Apollon un
bossu » ; « de Voltaire un crétin »), ce qui
amplifie le choc entre les deux GN, leur opposition.
- Apollon = image de la beauté physique ≠
un bossu, être déformé physiquement ; Voltaire = image de l’intelligence
supérieure et de la sagesse ≠ un crétin, sans intelligence.
- Que visent ces exemples ? Hugo veut frapper l’esprit
du lecteur et lui montrer que le travail abrutit, peu importe quel enfant le
subit. Il prive la nation d’êtres incroyables qui pourraient apporter à tous,
par exemple le fruit de leur intellect. Et si le conditionnel montre qu’il
s’agit ici d’une hypothèse, la parenthèse montre que le poète souhaite
souligner que ce qu’il imagine est la réalité (hyperbole grâce au superlatif « le plus »
suivi de l’adjectif « certain »).
Conclusion :
* Hugo use de l’alexandrin, forme canonique de la poésie
française, pour déployer une dénonciation virulente du travail des enfants. Il
organise son propos, en évoquant d’abord des images fortes d’enfants au
travail, des conséquences sur eux de ce travail.
Après notre extrait, Hugo va lancer un vibrant appel à
abolir ce travail. C’est un texte adressé au lecteur, et qui vise à l’émouvoir
mais surtout à le convaincre que la situation n’est pas acceptable, que le
travail des enfants doit disparaître au plus vite.
* Les « mémoires d’une âme » reflètent donc aussi
ce qui révolte Hugo. Il ne s’agit pas uniquement de questions intimes,
personnelles, par exemple liées à la disparition de sa fille.
* Hugo modifie la date de rédaction de son poème : 1838
précède ainsi une loi de 1841 qui va réglementer le travail des enfants en
France, mais simplement pour en réduire l’amplitude horaire, qui va rester
encore très importante. Ce n’est qu’en 1874 que le travail des enfants de moins
de 12 ans sera interdit en France.
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