jeudi 18 février 2021

Qu'est-ce que la poésie ? Tentatives de réponses...

 


Constat de départ :

Pendant longtemps, la question ne s’est pas posée avec la même acuité qu’aujourd’hui. En effet les règles d’écriture des textes que l’on classait et nommait poème n’appartenaient qu’à ce genre, et ce dès l’Antiquité, en grec ou en latin : présence de vers, attention portée au rythme créé notamment par le nombre de pieds ou de syllabes, attention portée aux sonorités (les poèmes étaient chantés à Athènes, accompagnés à la lyre, ce que le registre lyrique rappelle).

Pour les auteurs français, tout ce qui n’est pas poésie est donc prose, ce que le dialogue humoristique dans la leçon suivi par M. Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière souligne. 

Au XIXè siècle, pour ce qui concerne la poésie française, les Romantiques, Victor Hugo en tête, dénoncent la rigueur des règles d’écriture poétique qui régentent le genre, notamment depuis le XVIè siècle (et leurs auteurs Ronsard, Du Bellay, Labbé). D’autres, au cours du XIXè siècle, vont bousculer le genre, en variant la longueur des vers, en se permettant des vers impairs, en étant moins sourcilleux sur les coupes internes aux vers ou sur l’enchaînement des rimes, etc (parmi ces auteurs, citons Verlaine, Rimbaud, Baudelaire).

Mais la rupture la plus radicale peut bien être l’invention du poème en prose, notamment sous la plume d’Aloysius Bertrand (in Gaspard de la nuit, 1842). Baudelaire le suivra en publiant ses Petits poèmes en prose (1869). Dès lors, comment définir la poésie si celle-ci ressemble apparemment, par sa forme, à toute forme d’écriture littéraire, à la prose ?



La poésie ne s’est en fait pas noyée dans le reste de la littérature et un certain nombre de critères perdurent, issus pour certains de l’histoire lointaine du genre, nouveaux pour d’autres.

Ce qui suit n’est qu’un essai sans prétention de rassembler certains critères distinguant la poésie des autres genres littéraires.

 

Quelques éléments de définition :

1) Une attention particulière portée au travail sur la langue

La poésie invente un langage nouveau, ou réinvente sans cesse la langue dans laquelle elle est écrite, de différentes manières :

a) Par une attention particulière portée aux sonorités : Verlaine disait vouloir que la poésie soit de « la musique avant toute chose ». Ainsi, suivant la musicalité ancestrale du genre (pensons à la lyre antique, aux liens anciens entre poésie et chanson), les poètes jouent des puissances évocatrices du langage : assonances et allitérations, rimes finales des vers ou internes.

b) Par une attention particulière portée au rythme. Celui-ci est indissociable du jeu sur les sonorités, puisqu’il crée également une musicalité du texte.

Qu’est-ce qui permet de créer du rythme dans un poème ? La longueur des vers, régulière ou non ; la longueur des groupes grammaticaux, que la ponctuation vient mettre en évidence ; la longueur des strophes, ou des paragraphes, ou du poème dans son ensemble. Même dans un texte en prose, on peut créer des répétitions rythmiques.

c) Par un jeu renouvelé sur le sens des mots, sur leur assemblage : les figures de style, mais aussi les sonorités identiques, associent des mots et des expressions qui ne le sont pas habituellement ; le choc de certains mots, de certaines expressions suscite l’étonnement du lecteur voire son incompréhension, le poussant à la réflexion, à modifier son regard sur le langage et donc sur le monde ; les ambiguïtés sont habituelles dans la poésie, laissant le texte prendre des nuances de sens d’une grande richesse.



d) Par une attention portée par certains poètes à l’aspect visuel du texte : la page devient un espace sur lequel les mots deviennent images, où leur position fait sens. Exemples : les calligrammes ; l’analyse de Ponge sur la forme des lettres d’un mot. A noter qu’au XXè siècle particulièrement, la poésie se rapproche d’autres arts (peinture, photographie, cinéma, …), et qu’elle montre les liens qui existent entre cette écriture et ce que l’on qualifie (un peu rapidement sans doute) de « poétique » dans d’autres productions artistiques.



e) En conclusion : la poésie est une forme d’écriture qui use de tous les moyens offerts par une langue, et même se joue des règles de cette langue pour la détourner, l’approfondir, la renouveler, et offrir au lecteur un texte aux richesses de sens, d’émotions bien supérieures à ce que peut produire le langage de la vie quotidienne.

 

2) Des intentions spécifiques au genre poétique

On peut définir la poésie par l’écriture particulière qu’elle propose (voir ci-dessus), mais aussi par les intentions des poètes, par les fonctions, les objectifs, qu’ils assignent à leur art poétique, et qui distinguent clairement la poésie des autres genres littéraires.

a) Depuis ses origines antiques, la poésie est liée au divin : elle pouvait être la voix des dieux, inspirée par eux. Elle est donc porteuse d’une vérité particulière, auquel le commun des mortels n’aurait pas accès par ailleurs. Le poète offrirait donc à ses lecteurs, par un langage forcément particulier, une compréhension du monde, de l’être humain, grâce à la vérité que les dieux ont placée en lui (les poètes le pensent dans l’Antiquité), ou parce qu’il serait une sorte de mage éclairé, de prophète (vision de Victor Hugo). La poésie serait donc une manière pour l’homme de mieux évoluer dans son univers, et même de percevoir l’avenir possible d’une société.




b) Puisque le langage poétique use de toutes les possibilités de la langue pour se déployer, il revêt une force d’évocation très forte. Il peut donc permettre de transmettre des messages, d’instruire le lecteur, de changer sa manière de voir le monde, et donc de s’engager. La poésie a donc souvent permis de dénoncer, de critiquer, de faire bouger les individus et de participer aux changements sociaux.

c) Cette force d’évocation lie souvent la poésie aux émotions, aux sentiments humains, sur lesquels elle mettrait des mots, qu’elle permettrait, mieux que d’autres genres, d’évoquer, de retranscrire. C’est à un monde intérieur, intime, que la poésie donnerait accès. Elle permettrait à chacun de retrouver le reflet de ses tourments personnels, de ses élans.

d) De manière plus individuelle, la poésie cherche à emmener le lecteur dans un univers de mystères, d’ambiguïtés, où il doit être actif dans sa découverte du texte, comme devant un tableau abstrait. On peut apprécier un poème sans pour autant être capable d’expliquer ce goût, sans pouvoir interpréter de manière certaine le sens de ce texte. C’est ce qui fait toute la richesse d’un poème, qui joue des émotions grâce à sa manière particulière d’employer les mots, de les associer, de jouer sur le rythme et les sonorités.

e) Lié à ce qui précède, la poésie se propose de dépoussiérer le langage quotidien. Nous avons tendance à utiliser des expressions stéréotypées, à ne plus réfléchir à la puissance de sens de certains mots, à leur polysémie. La poésie fait redécouvrir la langue, crée des nouvelles expressions, bouscule le lecteur dans son confort linguistique. Elle peut aussi simplement s’amuser des mots, les employer simplement pour jouer, ou étonner, sans autre intention.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire