jeudi 5 novembre 2020

Analyse linéaire (version 2) : extrait de "Histoire d'un voyage fait en la terre du brésil (Jean de Léry)

 


Cette deuxième version intègre un certain nombre d'aspects du texte dans les différentes analyses menées. Elle découpe aussi le texte en paragraphes ou en passages plus longs que dans la première version.

- 1er mouvement : lignes 1 à 16 : discussion entre les deux personnages sur les raisons des Européens de couper, exploiter, emporter autant de troncs de bois de Brésil : pratiques des Européens. Étonnement de l’Indien. Paroles longues de Jean de Léry.


- 2ème mouvement : lignes 17 à 32 : discussion entre les deux personnages au sujet de l’intérêt de s’enrichir. Paroles de plus en plus longues du vieillard. La parole est désormais à lui. Confrontation entre deux modes de vie, deux manières d’envisager l’enchaînement des générations.


- Lignes 33-34 : conclusion du passage. Récit de voyage authentique.


NB. Le texte est construit de manière à ce que l’argumentation du vieillard soir mise en valeur, et soit l’aboutissement des échanges dans le cadre du dialogue entre les deux interlocuteurs. Le dialogue est donc orienté vers la prise de parole plus longue du vieillard aux lignes 23-30.


Aspects majeurs du texte, qui seront mis en valeur lors de l’analyse linéaire :

- Jean de Léry propose une vision des Indiens qui sont les égaux des Français : pas de regard méprisant ou condescendant. Il insiste notamment sur les qualités de réflexion du vieillard, sur ses capacités à discourir.

- Jean de Léry fait adopter à ses lecteurs français et européens un regard éloigné, celui du vieillard. Il met ainsi en réflexion le modèle français du travail, de l’exploitation de la nature et de l’héritage.

- L’objectif du texte est de proposer une autre vision de l’enrichissement, de l’héritage à laisser aux générations futures, celle des Indiens.

- Le texte fonctionne par la confrontation entre deux personnes qui représentent deux cultures différentes, qui sont ainsi comparées.


Mouvement 1 :

* 1er paragraphe (l. 1 à 5) :

Structure du texte : dès le début de cet extrait : présentation du sujet de ce passage de l’œuvre de Jean de Léry :

- Phrase construite sur une longue proposition subordonnée circonstancielle de cause (« parce que… »), qui précède la proposition principale (« il y eut une fois… »). → Permet d’indiquer d’abord le regard étonné des Indiens + ce qui explique cet étonnement = le spectacle des Européens en train de prendre du bois de Brésil, et donc de donner le 1er sujet de discussion (l’exploitation de ce bois à grande échelle), avant de démarrer le compte-rendu, le récit de cette rencontre avec le vieillard et la discussion. Ce dialogue est ainsi la conséquence de l’observation par les Indiens des faits et gestes des Européens.

- « il y eut une fois » : emploi du passé simple, exprimant une action de 1er plan, temps du récit littéraire → Jean de Léry reconstitue les faits réels vécus (récit de voyage authentique), souci de nous emmener dans un récit, de nous laisser imaginer les personnages, la situation. L’emploi de la 1ère personne du singulier rappelle aussi ceci, et montre une implication personnelle de l’auteur dans son récit (il se met en scène, offre dans aussi sans doute son regard personnel sur les faits, personnages, paroles rapportées).

- « sur cela » : manière de confirmer au lecteur que l’exploitation déjà évoquée du bois va effectivement être le sujet de discussion entre les deux personnages.


Confrontation de peuples différents, et regard respectueux de Léry sur ce peuple :

- par les noms utilisés, assez proches dans la phrase : « Tupinambas » (cités avant les autres, manière de montrer qu’ils seront ici mis en valeur ?) et « Français ».

- « nos » : manière affectueuse de Léry de parler d’eux. Pas de regard méprisant de sa part.

- « leur Arabotan » : déterminant possessif = manière peut-être de signaler une forme d’accaparement indigne, mais surtout sans doute de signaler une essence végétale exotique pour les lecteurs européens, d’où l’emploi du mot indien pour désigner cette espèce. Volonté d’intéresser le lecteur européen, de l’intriguer + manière de reconstituer la culture/les lieux présentés (faire vrai).


Expression du regard des Indiens : le lecteur est invité à se mettre à la place des Indiens :

- « fort ébahis » ; « voir » : expression des émotions (grand étonnement) et du regard des Indiens → Léry nous met à leur place, comme en point de vue interne.

- « des pays lointains » : point de vue des Indiens ici encore : éloignement relatif à l’endroit où on vit. L’Europe est éloignée du Brésil où ils vivent.

- « sont » : présent de narration, et de vérité générale (du moins est-ce encore vrai au moment où les premiers lecteurs de Léry lisent ses pages).

- « Que veut dire » : objet de l’interrogation = incompréhension des faits et gestes des Européens par le vieillard. Il a observé comme les autres l’exploitation du bois mais ne la comprend pas. Regard qui peut être jugé naïf, qui est en fait celui de l’étranger (par rapport aux Européens).

- « si loin » ; « votre pays » : inversion encore du regard (voir ligne 2).

- « quérir du bois » : reprise des mots de Léry en tant que narrateur = unité du texte

- « pour vous chauffer » : l’Indien donne un début d’explication : il a interprété l’exploitation du bois en ce sens (proposition infinitive exprimant le but).

- 2ème question, qui découle de la 1ère : suite du raisonnement du vieillard (chercher du bois si loin, dans des conditions difficiles = ne pas disposer de cette ressource chez soi ; mais cela lui semble peu probable). L’interro-négative suggère ainsi qu’il apporte d’emblée déjà une réponse à sa question (il donne son avis : il pense qu’il y a assez de bois en Europe pour que les Français ne viennent pas en chercher au Brésil). Elle souligne aussi son incompréhension : s’il y a du bois chez eux, pourquoi viennent-ils en chercher ici ?


Le texte est clairement destiné aux lecteurs français et européens de Léry :

- « c’est-à-dire » (l. 2) : souci de Jean de Léry de se faire comprendre par ses lecteurs, souci didactique.

- Suivant le nom « demande », début d’une question, rapportée au style direct → texte ainsi plus vivant, le lecteur imagine le vieillard, par ses paroles, qui d’ailleurs reprennent leurs mots pour désigner les Français et Portugais (« Mairs et Peros » : exotisme de ces mots pour les lecteurs français). Toujours aussi ce désir de faire vrai dans la reconstitution, d’y faire croire, de la laisser imaginer.

- « c’est-à-dire » (l. 4) : souci de Jean de Léry de se faire comprendre par ses lecteurs, souci didactique. Souligne aussi que les paroles du vieillard sont une mise en scène par l’auteur : le vieillard n’a certainement pas expliqué le sens de ces mots à Léry qui devait les maîtriser. Donc une reconstitution pour mettre les lecteurs à la place de Léry voire à la place des Indiens ; puis reconstitution pour préparer le message implicite de Léry (défense de la culture locale).

- « vous autres » : interpellation des Européens ; inversion du regard pour les lecteurs qui se font en plus appeler, nommer dans la langue des Indiens.

* 2ème paragraphe (l. 6 à 9) :

Mise en valeur par Jean de Léry du vieillard, de sa réflexion personnelle, de sa culture :

- Fin des paroles rapportées directement. Léry rapporte sa réponse au style indirect → ses paroles sont ainsi moins mises en évidence que celles du vieillard (qui étaient signalées par les deux points, les guillemets, l’expressivité orale avec la ponctuation du style direct comme le point d’interrogation). Pourquoi ? Parce que la réponse est évidente pour ses lecteurs, qu’ils la connaissent déjà ; parce que cela permet de montrer que ce que Léry peut apporter à son lecteur, c’est le raisonnement du vieillard, pas le sien propre. L’usage du participe passé (« ayant répondu ») renvoie dans le passé sa réponse, manière encore de mettre en évidence que ce qui importe, c’est la réaction du vieillard à l’explication de Léry.

- Respect du vieillard par Léry : réponse en deux temps (« oui…, mais non pas… »), affirmative puis négative, opposées par la conjonction de coordination « mais ».


Le dialogue n’est pas seulement explicatif, informatif mais très rapidement argumentatif :

- Léry accorde une part de vérité au raisonnement du vieillard avant de rectifier une autre partie de ce raisonnement (nous avons beaucoup d’arbres, mais pas de la même espèce). Rectification encore ensuite (nous ne brûlons pas le bois de Brésil récupéré chez les Indiens) : « pas comme il pensait » (négation mise avant le verbe exprimant le raisonnement du vieillard, comme la négation autour du verbe « brûler », qui renvoie à celui de « chauffer » employé par l’Indien ligne 5).

- Le mot « ains » (l. 7) introduit ce qui est après la parenthèse, ligne 9 : Léry dit à quoi sert ce bois chez eux (« les nôtres »).


Confrontation de peuples différents, mais aussi tous humains, donc ressemblants :

- Opposition toujours entre les regards, les appartenances géographiques : « les leurs ».

- Noter que les pratiques des Indiens et des Européens se rejoignent (ils font de la teinture avec ce bois) : usage de la conjonction de comparaison « comme » au début de la parenthèse + écho entre « rougir leurs cordons de coton, plumages et autres » et « faire de la teinture » où les mots renvoient à la couleur. Égalité des peuples suggérée ici, malgré la distance et la différence culturelle. Noter le parallélisme de construction des propositions infinitives de but qui débutent lignes 8 puis 9 par « pour », dans un cas pour les Indiens, dans l’autre pour les Européens.

La pratique des Indiens est mise d’abord (même si c’est entre parenthèses), avant celle des Européens : encore une manière de les mettre en valeur ?


* Lignes 10 à 15 (question + réponse) :

Structure du dialogue :

- Reprise du style direct, afin de mettre en avant une nouvelle interrogation du vieillard. Même structure que Léry : il accepte la réponse « voire ») puis oppose une contradiction (conjonction de coordination « mais ») aux réponses de Léry. Suite du raisonnement, par contradictions et demandes de précisions successives.

À noter que tout au long du dialogue, chacun reprend les propos de l’autre : cela permet de créer un fil conducteur pour le lecteur. Cela indique aussi que Léry et le vieillard se respectent l’un l’autre, s’écoutent, malgré leurs origines différentes, et bien qu’ils plaident chacun pour les mœurs de leur propre culture.

- « draps rouges » (l. 12) : lien à ce qui précède puisque le bois de Brésil permet de teindre. Mais ensuite Léry évoque d’autres objets, parfois sans doute peu connus des Indiens. Il s’écarte un peu du sujet initial.


Le vieillard interroge, cherche à savoir et comprendre (dialogue informatif et explicatif), mais il donne aussi son avis, comme Léry (dialogue argumentatif) :

- « faut » + « tant » (l. 10) : marques de jugements de valeur de la part du vieillard. Étonnement + idée que cette exploitation est excessive, par le lien entre la nécessité indiquée par le verbe « falloir », qui ici est remis en question par l’interrogative, et l’adverbe « tant » qui est également interrogé.

- « oui » (l. 11) : Opposition dans l’affirmation ferme, à l’implicite de la question du vieillard. Volonté de convaincre le vieillard affirmée grâce à l’emploi de la 1ère personne du singulier dans la proposition incise (« lui dis-je »), à la parenthèse qui suit qui souligne la nécessité de le persuader (le verbe « faire » semble indiquer le souhait d’agir sur le vieillard). La longueur de la réplique est aussi le reflet de cette volonté de reprendre le pouvoir par la parole.

- « car » (l. 11) : conjonction de coordination indiquant la cause. Explication de l’affirmation selon laquelle les besoins en bois de Brésil sont colossaux en Europe. Donc Léry discute d’égal à égal, d’homme raisonnable à homme rationnel.


Le dialogue avance et est orienté vers l’intervention finale du vieillard :

- L’argumentation de Léry est basée sur la richesse d’un marchand unique qui a les moyens d’acquérir tout le bois exporté du Brésil : argumentation économique (champ lexical : « marchand » ; « marchandises » = mots de la même famille ; « achètera » + énumération de tous les objets possédés/vendus par ce marchand = impression d’une profusion, d’une richesse énorme). Contraste entre les richesses plurielles énoncées et l’unicité du marchand qui les possède (énumération de richesses par des noms pluriels singulier « tel marchand » l. 11 & « un tel seul » l. 14 où « seul » accentue la richesse détenue par une personne unique, d’autant qu’elle contraste avec le COD à valeur totalisante du verbe « achètera » dont il est sujet : « tout le bois de Brésil »


Respect mutuel des deux interlocuteurs et souci de Léry de disqualifier le regard méprisant des Européens à l’égard des peuples nouvellement découverts (considérés comme arriérés) :

- 2ème parenthèse dans cette réplique (l. 11-12) : Léry, comme pour la 1ère parenthèse, énonce sa réponse, mais commente aussi en tant que narrateur, au moment où il écrit pour ses lecteurs, son attitude argumentative face au vieillard. Volonté de s’adapter à l’interlocuteur, de prendre en compte sa différence de mode de vie, son absence de repères : le verbe « connaître » souligne le soin de Léry de se baser sur ce que le vieillard maîtrise. L’emploi du mot « toujours » est ambigu : ou Léry se vante, est un peu condescendant, ou il affiche une attitude intellectuelle qui a toujours été la sienne pendant son voyage, celle de s’adapter à son interlocuteur, à ses différences et donc à le respecter. Peut-être est-ce alors une invitation au lecteur à adopter une telle attitude devant toute personne différente de soi.


Confrontation des cultures :

- « notre pays » / « ton pays » : même GN, mais avec déterminants possessifs opposés (1ère et 2ème personnes) confrontation des cultures, rencontre de peuples différents ; volonté de dialoguer avec l’Autre.


* Ligne 16 : conclusion du 1er mouvement du texte et transition vers le 2ème mouvement du texte :

- « merveilles » : choses admirables mais surtout au départ étonnantes. Et au sens du Moyen-Âge, événements, situations irréalistes. Le verbe (« contes »), qui renvoie à des histoires inventées et fantaisistes où la magie par exemple peut intervenir, fait aussi écho à cette réaction du vieillard. Marque, donc, à la fois de l’étonnement du vieillard, et du fait qu’il ne croit pas Léry = trop de différences culturelles. Donc c’est une transition vers le fait que le vieillard s’oppose maintenant complètement à Léry et qu’il va défendre un autre point de vue que celui de léry, qui représente les Français.

- « mon sauvage » : le nom renvoie à l’image habituelle des Européens sur les nouveaux peuples découverts : proches de la nature, moins avancés techniquement bien souvent, ils paraissent plus proches de l’animalité que de l’humanité selon beaucoup d’Européens de l’époque. Le possessif est affectueux et tranche avec le nom. Léry montre ainsi l’amitié qui l’a uni à cet homme.

- L’interjection (« ah ah ») souligne le souhait de reconstituer une vraie conversation, de lui donner vie, d’intéresser le lecteur en le plongeant dans ce dialogue que Léry reconstitue pour lui.


Mouvement 2

* Lignes 17 à 24 (dialogue constitués d’échanges brefs entre les deux interlocuteurs avant l’intervention plus longue du vieillard :

Un dialogue structuré :

- « puis » (l. 17) : suite du récit, connecteur temporel. Mais aussi enchaînement des réactions, des réflexions de chacun.

- Début de l’intervention, encore sous forme interrogative, avec la conjonction de coordination « mais » (l. 18) qui marque l’opposition à ce qui vient d’être dit par Léry. Mise en avant de cette opposition en tête de phrase.

- « tant riche » (l. 18) : reprise de l’adverbe « tant » pour insister sur l’adjectif. Le vieillard rebondit exactement sur l’argument de Léry : la richesse, l’accumulation de biens. Il a donc effectivement bien compris et bien suivi les propos de Léry.

- Dialogue : interpellation de Léry par la 2ème personne du singulier + verbe de parole rappelant les propos de Léry (« tu me parles » l. 18). Noter la proximité des deux pronoms, 1ère et 2ème personnes du singulier (« tu me ») : proximité dans le dialogue entre les deux interlocuteurs. Le dialogue rapproche.

- La conjonction « et », renforcée par la conjonction « donc » (l. 22), indiquant une conséquence, marque encore une fois le fait que le dialogue est très construit, structuré. Le vieillard est intelligent et sait rebondir sur des propos, articuler ses propos. Image loin du « sauvage » : image d’un personnage qui raisonne fort bien.

- Structure du dialogue : reprise sur la mort (« mort », mot de la même famille que le verbe « mourir » l. 18).

- « le bien » : références aux richesses accumulées citées précédemment dans le texte.


L’intelligence, la qualité de s’exprimer du vieillard est mise en valeur par Jean de Léry :

- La proposition participiale, entre virgules (l. 17), permet de souligner l’intelligence du vieillard (le verbe « retenir » souligne à la fois sa mémoire et sa compréhension, malgré sa réaction de la ligne 16, qui faisait aussi montre d’humour de sa part), comme la 2ème proposition participiale qui montre qu’il reste curieux, cherche à comprendre (le verbe « interroger » l. 17 souligne cet aspect, comme « plus outre », dont les deux mots sont plus ou moins synonymes, qui montre qu’il ne s’en tient pas à la seule explication de Léry).

- Léry commente toujours la manière dont le dialogue se déploie : « comme ils sont aussi grands discoureurs, et poursuivent fort bien un propos jusqu’au bout » (l. 20-21) : qualités rhétoriques soulignées par Léry (le terme de « discoureurs » les qualifient comme détenteurs de la compétence de la parole, et rappelle la rhétorique héritée de l’Antiquité grecque, qui suppose une organisation du discours et des techniques pour convaincre et persuader). L’adjectif « grands » est ici très mélioratif, renforcé par « fort bien » qui est associé à un autre mot qui renvoie à la parole, « un propos ». Sans doute une manière de Léry de contrer le regard méprisant des Européens du XVIè siècle en découvrant les peuples américains, qui les ravalaient parfois à l’animalité : le vieillard est doté de la parole, donc se distingue des animaux, mais en plus il sait, comme les lettrés européens, réfléchir et développer sa parole argumentée.


Le vieillard dirige désormais la réflexion, le dialogue :

- La question du vieillard est une interro-négative (l. 18) : elle suggère la réponse à apporter (= il meurt comme tout le monde). Le vieillard oriente l’argumentation. Il reprend le pouvoir sur cet échange argumentatif. Noter aussi que cela souligne l’égalité de tous les êtres humains sur la planète, d’où qu’ils viennent, devant la mort.

- Réponse de Léry (l. 19), qui va dans le sens que le vieillard indiquait. Les deux sont donc ici d’accord et non plus dans l’opposition, comme précédemment. Evolution de leur relation dialoguée. Répétition de l’affirmation par Léry (« si fait » X 2, l. 19) : réponse positive affirmée. Comparaison entre le commerçant européen et les autres hommes : ils sont tous mortels, rien ne les différencie de ce point de vue. Comparaison affirmée aussi par l’apport de l’adverbe « bien » qui renforce le mot qui assure la comparaison « aussi… que… ».

- Nouvelle demande, sans attendre, du vieillard : « derechef » (l. 21). Le dialogue se fait plus rapide par des répliques plus courtes que précédemment. Le vieillard mène désormais le dialogue, son timing. Léry en est réduit à devoir répondre.

- Nouvelle question du vieillard (l. 22), qui mène donc le dialogue, puisqu’il le relance sans cesse et contraint Léry à répondre.

- La réponse de Léry (l. 23-24) montre son rôle à ce moment du texte (comme au début) : informer le vieillard sur les mœurs de la France. Multiplication de termes familiaux, afin d’expliquer juridiquement comment l’héritage fonctionne en France : Léry complète, précise au fur et à mesure (proposition subordonnée de condition « s’il en a » + autre cas introduits par deux fois par la conjonction de coordination « et »). Phrase strictement informative à destination du vieillard. Léry dialogue vraiment, répond au vieillard, lui explique dans le détail (il envisage deux possibilités, de filiation directe, ou indirecte, le passage de l’un à l’autre étant souligné par « et à défaut d’iceux », où conjonction de coordination « et » = connecteur logique d’addition, et « iceux » = pronom de reprise de « enfants »).

- Réponse de Léry, plus courte que celles données précédemment : le vieillard a désormais plus la parole. Noter que la phrase est même incomplète puisqu’il n’y a pas de proposition principale (tout le bien qu’il laisse est…), ce qui raccourcit d’autant la phrase. Il est assez logique aussi que Léry ne s’attarde pas sur une information que ses lecteurs (donc européens) connaissent.


* Lignes 25-30 : longue intervention finale du vieillard = fin du dialogue : le vieillard développe son avis, sa manière de penser l’héritage et l’exploitation de la nature :

Il faut noter qu’il s’agit de la conclusion, de l’aboutissement de ce passage du récit de Léry. Tout le dialogue est orienté vers cette fin. Léry souhaitait donc mettre en valeur la manière des Indiens d’envisager cette question de l’accumulation des biens, de l’héritage et de l’exploitation de la nature par l’homme.


Mise en valeur du vieillard et de sa parole (de la qualité de sa parole) par Jean de Léry :

- Proposition incise + parenthèse(l. 23) : focalisation sur le locuteur, le vieillard, par le verbe de parole « dire » qui montre que Léry lui laisse la parole dans cette 2ème partie d’extrait ; par le GN « mon vieillard » où le déterminant possessif indique une forme d’amitié, de bienveillance de Léry à l’égard de cet Indien ; par l’indication ajoutée dans la parenthèse, qui est un commentaire du narrateur principal au milieu des paroles de l’Indien.

- Interpellation directe des lecteurs par l’emploi de la 2ème personne du pluriel dans la parenthèse (l. 23-24) → volonté d’impliquer le lecteur au moment où le vieillard commence à livrer sa manière d’envisager le mode de vie des Européens + manière de renverser le regard de l’époque sur les populations nouvellement rencontrées, qui étaient considérées comme inférieures aux Européens : « nullement lourdaud » (comprendre lourd d’esprit). L’adverbe « nullement » nie en bloc, nettement, cette idée d’un manque d’intelligence de l’Indien. Léry souhaite, avant même qu’on lise la suite, le raisonnement de l’Indien, influencer justement la lecture des explications de l’Indien, faire en sorte que le lecteur pense d’emblée que ce qu’il va lire est intelligent. C’est peut-être aussi une manière de contrer la réaction de certains lecteurs qui, en découvrant un regard décalé sur leurs propres mœurs, rejetterait d’emblée cette manière de voir.

Donc mise en valeur de l’Indien, et donc de ses congénères et de leur culture, de leur manière de voir le monde : on ne dit pas qu’il est différent des autres Indiens, si ce n’est que son grand âge invite à penser à une forme de sagesse.

- Notons que la phrase des lignes 25 à 29 est longue : qualités de rhétoriqueurs du vieillard. Capacité à s’exprimer = capacité à développer une réflexion rationnelle, nuancée. Donc vision positive du vieillard, comme un être sensé, qui peut nous en apprendre sur la vie.

- « comme tu vois » (l. 28) : échange de regards dans le texte. Cela montre aussi que Léry est un observateur, qu’il témoigne dans son texte de ce qu’il a vu : principe de réalité de ce qu’il rapporte ici (le dialogue, cette rencontre, sont réels, ont eu lieu ; témoignage direct). Principe pour convaincre : faire en sorte que l’interlocuteur puisse de lui-même vérifier la réalité de l’argumentation développée : le vieillard est un fin rhétoriqueur.

Dialogue aussi entre les deux personnages qui ont du respect l’un pour l’autre, sont à égalité (« tu » : proximité, interpellation de l’autre).


Rencontre de cultures différentes, mais aussi d’êtres humains égaux et en partie ressemblants :

- Jeu de pronoms personnels, proches l’un de l’autre, qui montre bien la rencontre des cultures, des peuples, et la confrontation des regards : « je », « vous autres Mairs » (l. 24).

- Reprise du terme indien pour désigner les Français (« Mairs » l. 24) : toujours cette volonté de faire vrai, de donner une authenticité aux propos de l’Indien, qui sont ici traduits en français pour que les lecteurs les comprennent. Volonté de donner une couleur locale à ses propos.

- Interpellation directe des Français dans leur ensemble par le vieillard : généralisation par le pluriel « Mairs » / « Français » (l. 24).

- Rappel de la distance géographique qui sépare les deux peuples : récit de voyage, rencontre entre des cultures différentes : « passer la mer » (l. 25) (verbe de mouvement) ; « arrivés par deça » (l. 26) (verbe de mouvement + indication spatiale).

- « nous » (l. 28, 29, 30) (pronom personnel 1ère personne), très répété, s’oppose aux pronoms « les » (l. 29, pronom 3ème personne) ou « vous » (l. 26, 27, 28, pronom 2ème personne), manière de rappeler le face à face permanent des deux cultures dans le texte, non pour en mettre en place un affrontement, mais pour les comparer, les regarder en miroir l’une de l’autre.

- Reprise de plusieurs termes appliqués d’abord aux Européens, et ici aux Indiens, afin de montrer la comparaison, de souligner que tous les êtres humains sont soumis aux mêmes règles de fonctionnement (« des parents et des enfants » l. 28, cf. mots des lignes 23-24 ; « après notre mort », cf. l. 22 ; « la terre » + emploi du verbe « nourrir », cf. l. 29). C’est aussi une manière de contre-argumenter de manière subtile : il renverse les arguments des Européens pour montrer que leur mode de vie indien est plus intelligent.

- « nous aimons et chérissons » (l. 29) : deux verbes de même sens, qui insistent sur l’amour familial, pour préparer ce qu’il va annoncer dans la phrase suivante (il prévient une éventuelle réponse de Léry qui pourrait lui rétorquer qu’ils sont égoïstes, ne s’aiment pas les uns les autres). De plus, on voit encore que les Indiens sont comme les Européens : l’amour filial existe chez eux aussi. Léry veut contrecarrer l’idée que les Indiens sont des êtres à part, très différents des Européens. Il insiste sur ce qui les rapproche les peuples.

- Phrase lignes 28-30 en deux parties opposées : un constat dans un premier temps (« nous avons… chérissons ») puis une opposition ligne 29 à ce qui précède mis en avant, par le point-virgule qui crée une pause dans la phrase, et par la conjonction de coordination « mais ». Mise en valeur de la proposition subordonnée circonstancielle de cause (introduite par la conjonction « parce que »), placée avant la proposition principale (« nous nous reposons sur cela » l. 30) → montre encore une fois que le vieillard sait expliquer, articuler des idées ; montre que les Indiens, s’ils refusent d’amasser des richesses, ne sont pas non plus des oisifs insouciants (« nous nous assurons » l. 29 : verbe à la voix active, qui implique toute la communauté des Indiens, exprimant une forme de certitude et de vérité, mais aussi d’effort de leur part).

- Effort de respecter la terre pour qu’elle nourrisse aussi leurs descendants. Donc manière de montrer qu’eux aussi pensent au futur (usage du verbe au futur simple « les nourrira » l. 30, avec mise en parallèle avec « nous a nourris » l. 30, donc parallèle entre ce dont peuvent profiter ceux qui vivent = se nourrir grâce à la terre, et ce qui existera pour nourrir les générations futures). Le vieillard sait contre-argumenter : au raisonnement européen qui implique que s’enrichir vise à aider les générations suivantes, le vieillard répond donc que respecter la nature (= retour au début du texte : ne pas couper autant d’arbres) est le meilleur gage d’aide aux générations qui suivent.

- « sans nous en soucier plus avant » l. 30 : proposition infinitive introduite par la préposition de sens négatif « sans », qui met en avant le fait que les Indiens ne veulent pas s’angoisser, être dans des préoccupations continuelles, ce que confirme le verbe « se reposer » qui le suit (« nous nous reposons »), qui contraste avec le travail difficile et les soucis que les Européens s’imposent (l. 25 & 26).


Le vieillard montre son opposition aux mœurs françaises et développe son point de vue :

- Provocation dans l’interpellation par le nom « fols » (l. 25), accentué par l’adjectif « grands » (l. 24) : les lecteurs français ne peuvent que réagir. C’est une manière de montrer l’opposition des points de vue, mais aussi de renverser le regard (les Européens déconsidèrent souvent les Indiens). Cela incite aussi peut-être à lire la suite, les deux points indiquant qu’il ne va pas s’arrêter à ce jugement de valeur mais qu’il va s’expliquer.

Noter que la folie renvoie à l’absence de raison, alors que les Européens de l’époque estimaient en avoir plus que les Indiens.

- 1ère question du vieillard (l. 25-27) = suite de l’interpellation, qui s’adresse tout autant à Léry qu’à tous les Français, comme nous l’avons vu ci-dessus.

- « car » (l. 25) : conjonction de coordination exprimant la cause, qui suit ce que les deux points suggéraient : il va s’expliquer sur sa qualification de « fols » des Français.

- Question l. 25-27 en deux parties. La première insiste sur la pénibilité, les efforts nécessaires aux Français pour exploiter le bois de Brésil (l’adverbe « tant » l. 25 renforce le verbe « travailler » l. 25, qui suggère souvent une pénibilité voire une souffrance : à l’origine, en latin, le mot renvoie à un instrument de torture ; le verbe « endurez » l. 26, à la 2ème personne du singulier, double, précise les souffrances des Français que le vieillard observe, verbe qui est complété par un COD comportant un nom au pluriel qui généralise les souffrances, « maux » l. 26, lui-même de nouveau renforcé par l’adverbe « tant » qui suggère une multiplicité de souffrances, de douleurs. Le verbe « falloir » l. 25 qui débute cette partie de phrase, sous forme interrogative, que l’inversion sujet-verbe souligne (« vous faut-il » l. 25), montre que cette obligation que les Français subissent n’en est pas une, et, par la présence du pronom « vous », est une obligation que les Français se donnent à eux-mêmes, qui ne leur est pas imposée par une puissance supérieure.

La deuxième partie de la question est une proposition circonstancielle de but, qui explique selon lui la raison des souffrances que les Français s’infligent (« pour amasser » l. 26) ; le GN « des richesses » l. 26 s’oppose ainsi aux « maux » de la première partie de la phrase : il vise à montrer que toutes ses souffrances n’en valent pas la peine puisqu’elles ne servent qu’à s’enrichir. L’opposition est aussi sensible entre la pénibilité ressentie des tâches effectuées par les Français pour amasser des biens et le fait qu’ils ne vont pas en profiter eux-mêmes mais le léguer à leur descendance.

Il s’agit bien d’une question rhétorique, qui n’appelle pas de réponse de la part de Jean de Léry, qui vise à indiquer l’avis du vieillard sur les mœurs françaises, et qui va aussi permettre aux lecteurs du récit de Léry de réfléchir, de remettre en question ce qu’ils peuvent penser être la meilleure manière de vivre.

- 2ème phrase interrogative l. 27-28 : encore une fois, le vieillard remet en question les coutumes européennes, montre qu’elles ne sont pas universelles, ne sont pas une vérité communément admise (cf. relativisme sous-jacent au texte de Léry). L’interro-négative est encore une fois utilisée par le vieillard, qui permet de suggérer une réponse dans la question même (oui, la terre est suffisante pour nourrir tout le monde au fil des générations) : question orientée vers l’opinion du vieillard.

- Vision d’une culture restée proche de la nature, en évoquant « la terre » (l. 27) personnifiée qui nourrit les êtres humains. Elle est sujet actif du verbe « nourrir » (l.27) = c’est elle qui agit sur les êtres humains. Le passé composé (« a nourris ») souligne que la terre a effectivement permis à une génération de survivre, c’est une vérité admise, un état de fait. Cela permet encore de souligner qu’il y a peu de risques qu’il n’en soit pas de même pour les générations qui suivront.


Le vieillard répond à Léry, à ce qui a été dit précédemment (construction rigoureuse du dialogue, échange argumentatif réel entre deux interlocuteurs qui s’estiment) :

- « à vos enfants ou à ceux qui survivent après vous » (l. 26-27) : le vieillard a bien écouté et compris les propos de Léry qu’il reprend (l. 23-24), preuve de son intelligence d’abord, et de sa volonté de dialoguer, d’échanger ensuite (il est attentif à ce que Léry lui dit). Il a transformé la 2ème partie de la phrase de Léry (« à ses frères, sœurs et plus prochains parents » l. 23-24 → « à ceux qui survivent après vous » l. 27) : il oriente la conversation afin de préparer sa réponse (les Indiens n’amassent pas de richesses pour les générations qui suivent), preuve encore de sa capacité à raisonner mais aussi à organiser son discours (il manie bien l’art de la parole).


* Lignes 33-34 : conclusion de tout ce passage (sans commentaire supplémentaire) :

- « voilà », « le discours » soulignent cet aspect conclusif.

- Volonté de Léry d’authentifier tout ce dialogue, de prouver qu’il s’est vraiment produit : Léry veut contrebalancer certaines opinions de son époque selon lesquelles les Indiens seraient des animaux plus que des êtres humains (voir la Controverse de Valladolid). Donc il faut que la parole du vieillard soit réelle, et non versée dans une fiction qui la discréditerait aux yeux des lecteurs français du XVIè siècle. D’où « au vrai » + « que j’ai ouï » (témoignage direct) + « de la propre bouche ».

- Fin du texte sur la mise en valeur des qualités de discoureur du vieillard (« discours » = parole longue et organisée, reflet d’une pensée ; « bouche »).

- « pauvre sauvage américain » : rappel de la différence géographique et culturelle par le nom et le 2ème adjectif qualificatif. Pathétique par l’adjectif « pauvre » = volonté de faire regarder les Indiens en prenant en compte leurs souffrances (et celles de leur contrée) pendant la colonisation.



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