Axes
d’étude du texte
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Souhait de Montaigne de rendre compte de manière précise des us et
coutumes des Indiens : aspect ethnographique et ethnologique de
sa démarche
-
Volonté de mettre en scène les regards des peuples les uns sur les
autres (regards = observations + réflexions)
-
But de Montaigne : remettre en question les idées préconçues
sur les Européens / les Français, par la comparaison
-
Démarche intellectuelle de Montaigne marquée par la nuance, la
volonté d’apporter un regard juste sur les deux peuples comparés
(pas de mythe du bon sauvage opposé à une image très négative des
Européens)
Mouvement
du texte : vers un regard sur la barbarie des Européens
-
1er
paragraphe : narration et explications sur les coutumes des
Indiens à la guerre : image horrible de leurs pratiques
cannibales.
-
2ème
paragraphe : précision grâce à une comparaison avec les
Scythes sur la motivation du cannibalisme : la vengeance envers
des ennemis. Image horrible des pratiques des Portugais (Européens)
sur le sol américain, affichées comme pires que celles des Indiens.
-
3ème
paragraphe : Comparaison des horreurs des Indiens et des
Européens, afin de mettre en valeur ces dernières, de forcer les
lecteurs européens à prendre conscience de leur propre barbarie.
-
4ème
paragraphe : Conclusion de la réflexion, reprenant le propos du
3ème
paragraphe.
NB. Ce qui figure en caractères gras met en valeur l'aspect du texte étudié à tel ou tel moment de l'analyse linéaire.
Commentaire
linéaire
*
1er
paragraphe :
-
l. 1-2 :
-
Présentatif en début de paragraphe & usage du présent de
vérité générale (« c’est ») : texte à visées
informative et
explicative.
Mise en valeur de la réaction personnelle de Montaigne, la surprise
(adjectif « stupéfiante »). Effet d’attente par
l’emploi d’un nom de sens imprécis (« chose »).
-
Mise en scène des Indiens dans un contexte
guerrier
(« leurs combats » : pluriel = répétition de cette
situation). Proposition subordonnée relative précisant le sens du
nom « fermeté » (« qui ne finissent jamais…
sang »). Négation à valeur restrictive (« ne… que »,
renforcée par l’adverbe « jamais ») autour d’un
verbe au présent de vérité générale et au pluriel : aucune
exception, habitude des Indiens. Deux groupes nominaux qui horrifient
le lecteur, connotation de la violence : « meurtre »
& « effusion de sang ». Image très négative des
Indiens. Nouvelle proposition grammaticale, coordonnée (conjonction
de coordination « car », introduisant une cause) :
explication, précision de nouveau par rapport à ce qui précède.
Mise en valeur de « la déroute et l’effroi », en tête
de proposition grammaticale, repris ensuite par le pronom « ce »
ou « c’ » : image de nouveau assez effrayante des
Indiens qui se montrent donc impitoyables sur un champ de bataille.
Cependant, pour des soldats, ne pas s’enfuir, ne pas être lâches
(ce que peut connoter « déroute ») n’est-ce pas une
qualité ? Donc un jugement assez balancé de Montaigne sur les
Indiens, peut-être.
-
l. 2-3 : S
-
Suite du récit : après la bataille. Toujours une volonté de
présenter une vérité
ethnographique
(généralisation par le pronom indéfini « chacun » +
emploi du présent de vérité générale, ou d’habitude).
-
Image horrible
encore des
Indiens :
Montaigne semble même accentuer cette perception des Indiens par les
Européens, en évoquant le découpage d’un corps : l’auteur
cherche à susciter le dégoût du lecteur par des images précises
que ce dernier peut imaginer. La mise en parallèle, par la
juxtaposition des GN, de « trophée » et de « tête
de l’ennemi », montre qu’il s’agit d’un acte de guerre,
mais peut aussi effrayer le lecteur, un trophée étant plus souvent
un objet arraché à l’ennemi (une arme par exemple), pas une
partie de son corps (sauf pour une chasse d’un animal :
animalisation des victimes des Indiens, et donc manière de montrer
toute leur violence).
-
La conjonction de coordination « et » souligne que le
récit se poursuit : Montaigne
reconstitue ce
qui se déroule après une bataille chez ces peuples. Les verbes au
présent sont donc aussi des présents de narration. Le lecteur est
invité à vivre auprès des Indiens, à les imaginer, ce qui ne peut
que captiver son attention, mais aussi l’horrifier plus sûrement.
-
Encore une gradation dans l’horreur
puisque la tête est placée « à l’entrée [du] logis »,
comme un objet décoratif, et non comme un reste humain auquel on
doit le respect. Le terme de « logis » signale que les
Indiens vivent comme
les Européens,
manière de montrer sans doute qu’ils ne sont pas des sauvages,
proches des animaux, mais qu’ils construisent aussi des lieux pour
y habiter. Le choc entre ce terme qui renvoie à la banalité du
quotidien et l’acte de laisser une tête humaine à l’entrée
doit encore horrifier le lecteur.
-
l. 3-5 :
-
Début de phrase par un connecteur temporel : suite du récit,
de la reconstitution
des faits.
-
De nouveau, lexique lié à la guerre
(« prisonniers »). Image
positive des Indiens,
en opposition à ce qui a précédé (« bien », accentué
par l’adverbe temporel « longtemps » ; précision
par le groupe prépositionnel placé entre virgules « selon
toutes les commodités possibles », qui donne la manière de
« bien » traiter les prisonniers, et suggère un grand
respect de ceux-ci par le pluriel employé, l’adjectif indéfini
« toutes » et le nom à valeur méliorative
« commodités »). Montaigne ne souhaite donc pas ne
donner qu’une seule facette des Indiens, et est nuancé dans sa
présentation. Ceci
prépare aussi la comparaison finale :
les Indiens sont moins barbares que les Européens (il faut donc
glisser ça et là des aspects positifs à leur sujet).
-
Nouvel événement dans le récit, l’assemblée. De nouveau, image
banale des Indiens,
qui se réunissent, comme peuvent le faire tous les êtres humains,
comme les Européens le font : image d’égalité de tous les
humains proposée par Montaigne. Les Indiens sont des êtres
sociables (« ses connaissances »).
-
l. 5-7 :
-
Le point-virgule signale que cette partie de phrase s’enchaîne
avec la précédente : suite du récit. Contraste
avec ce qui a précédé : attacher un prisonnier n’est pas le
« bien » traiter. Deux personnes pour un prisonnier :
image du pouvoir qui est imposé à celui-ci, comme le terme
« maître » (l. 5).
-
Précision des explications
de Montaigne,
qui souhaite que son lecteur comprenne bien, et qu’il puisse se
faire une image de la situation (« une corde » ;
« l’un des bras » ; « éloigné de quelques
pas » ; « l’autre bras »). Les Indiens
savent réfléchir, ne sont pas idiots : « de peur d’en
être blessé ».
-
l. 7-9 :
-
Le point-virgule + conjonction de coordination « et »
(sens : addition, enchaînement temporel) = suite du récit.
Lien à ce qui précède par la reprise pronominale « eux ».
Précision encore : « en présence de toute l’assemblée ».
-
Acte de grande
violence
exprimé par le verbe « assomment », le nom « coups »
(au pluriel de plus) et par ce que suggère le complément du nom
« d’épée », l’arme employée (destination d’une
arme : blesser ou tuer). Noter toutefois que l’épée ne sert
pas à son usage habituel puisqu’il s’agit d’assommer et non
d’exécuter le prisonnier. Lien de la phrase suivante à ce qui
précède par le pronom « Cela » en tête de phrase.
Trois verbes d’actions dans la phrase : « rôtissent »,
« mangent », « envoient » = récit un peu
accéléré. Deux verbes liés à la cuisine et au repas, acte banal
d’un être humain, mais l’auteur horrifie son lecteur puisque les
pronoms « le » et « en » désignent un être
humain.
-
L’idée de communauté se poursuit : « en commun »,
« amis » : reflet d’une organisation
sociale identique à celle des Européens,
mais ici associée à un tabou largement répandu sur la planète, le
refus du cannibalisme, de la consommation de chair humaine.
-
Contraste entre des termes renvoyant à un acte banal de la vie
quotidienne, le besoin de se nourrir (« rôtissent »,
« mangent », « lopins »), et la réalité
décrite du découpage d’un corps humain en morceaux, et de sa
consommation : ceci renforce aux yeux du lecteur européen le
caractère
horrible de
cette pratique cannibale.
*
2ème
paragraphe :
-
l. 10-11 :
-
Nouvelle étape de la présentation
par Montaigne,
signalée par ce changement de paragraphe, puis par la référence à
un peuple européen, et non plus aux Indiens, comme dans l’ensemble
du 1er
paragraphe. Lien au paragraphe précédent par le pronom « Ce »
placé au début de ce 2ème
paragraphe (ce = cette pratique des Indiens). Présent du verbe
« être » = vérité générale, pour imposer cette
opinion de Montaigne, ou pour montrer qu’il ne s’agit pas d’un
avis personnel mais d’une réalité non discutable.
-
Phrase construite sur une comparaison
(« ainsi que ») et une opposition soulignée par un
parallélisme de construction grammaticale (« Ce n’est pas
pour » / « c’est pour » : Scythes ≠
Indiens. Les deux peuples se rejoignent dans leur consommation de la
viande humaine. Montaigne n’explique pas la référence aux Scythes
car ses lecteurs, férus de culture antique, la connaissent. Intérêt
de la comparaison : rappel que le cannibalisme a aussi existé
en Europe, n’est donc pas l’apanage des seuls Indiens.
Relativisme
culturel de
Montaigne, ainsi. « comme on pense » : Montaigne
s’oppose aux idées reçues très communément admises (« on » :
pronom personnel indéfini à valeur universelle, que le présent
renforce).
-
La juxtaposition de la négation « ce n’est pas » et de
cette proposition grammaticale « comme on pense », placée
entre virgules, comme entre parenthèses avant que la phrase ne se
poursuive, montre bien que le but de Montaigne est d’emmener le
lecteur plus loin que sa réflexion habituelle, de creuser plus loin.
-
« représenter une extrême vengeance » : le nom est
associé au contexte de guerre dont il a été question dans le 1er
paragraphe. Le verbe montre une forme de ruse, d’intelligence,
de la part des Indiens,
et s’oppose donc ainsi au besoin primaire de « se nourrir » :
les Indiens savent que dans les conflits, le pouvoir s’impose par
l’image d’autorité que l’on peut offrir. Montaigne cherche ici
à prendre le contrepied de l’image des Indiens développée
précédemment : leur cannibalisme est réfléchi et ne répond
donc pas à un besoin primaire irrépressible.
-
l. 11-14 :
-
La phrase enchaîne la réflexion entamée, annoncée (début de
paragraphe) dans la phrase précédente : conjonction de
coordination « et » (connecteur logique ici) + « à
preuve » (terme renvoyant à la nécessité de justifier une
affirmation, de lui donner une réalité). Montaigne
n’est donc plus à ce moment dans un récit comme dans le 1er
paragraphe.
-
Mise en valeur, en début de phrase et avec ensuite des propositions
subordonnées qui complètent ce verbe, du regard
des Indiens sur les Portugais
(« s’étant aperçus » : observation + réflexion
personnelle) = inversion du regard, celui des Européens sur les
Indiens, comme dans le 1er
paragraphe.
-
« Portugais » : après s’être focalisé sur les
Indiens, Montaigne ramène le regard
de ses lecteurs vers
un peuple européen.
Rappel de la colonisation portugaise sur le continent américain.
Emploi de l’article défini « les » :
généralisation (= tous les Portugais qui ont participé à la
colonisation, voire tous les Portugais). Cadre des conflits encore (=
unité du texte entier) : « ralliés » +
« adversaires », « mort », « prenaient »,
« coups de flèches », « pendre ». Verbes à
l’imparfait : actions habituelles, afin de citer des actes
commis communément par les Portugais, donc retour dans une forme de
récit, qui fait le pendant à celui du 1er
paragraphe : le lecteur peut (est invité à) comparer
les actes de guerre des Indiens et des Portugais
(« autre sorte de mort » renvoie aussi à celle des
Indiens sur leurs prisonniers, comme le verbe « prenaient »
signifie aussi : faisaient prisonniers) = préparation de la
suite du texte. Phrase longue, qui enchaîne les actions des
Portugais, comme l’auteur l’a fait pour celles des Indiens :
écho complet, pour que le lecteur compare, et comprenne de suite une
vraie différence
= torture par les Portugais avant de faire mourir, alors que les
Indiens assomment ; donc barbarie moins grande, par le souhait
de ne pas faire endurer des souffrances aux prisonniers, de la part
de Indiens, quand la volonté de faire souffrir est évidente du côté
des Portugais. La barbarie change de camp, pour le lecteur. La
violence des Portugais est entre autres signalée par « force
coups de flèches » (pluriel + « force » = beaucoup
de).
-
l. 14-18 :
-
Début de la 2ème
moitié de cette très longue phrase : proposition principale
(« ils pensèrent »). Le lecteur va donc lire la suite de
la phrase, en comprenant son enchaînement temporel (le verbe au
participe passé « s’étant aperçus » avait introduit
un retour en arrière, et ici l’auteur va enchaîner sur la
conséquence de cette observation par les Indiens des pratiques
portugaises).
-
Suite du regard
et de la réflexion vus côté Indiens :
« ils pensèrent ». Inversion du regard confirmée par
l’emploi d’une expression où le lecteur européen est amené à
se décentrer : « l’autre monde » →
autre monde pour les Indiens = l’Europe ; alors que les
Européens ont eu tendance à ne réfléchir que par rapport à leur
propre position géographique (on parlera de découverte de
l’Amérique, sans préciser que cette découverte est aussi celle
de l’Europe par les Indiens). L’adverbe « ici »
signale quand même au lecteur européen que l’on parle de son
propre continent.
-
Ironie de la suite : « en hommes qui avaient semé la
connaissance de beaucoup de vices dans leur voisinage » :
le verbe « semer » évoque une situation durable,
implantée ; semer des connaissances fait écho à la soif de
savoir qui s’empare notamment des humanistes au XVIè siècle, et
paraît plutôt positif ; mais il fait contraste avec le
complément du nom « de beaucoup de vices », le nom ayant
une connotation très négative, et impliquant un jugement moral ;
contraste aussi avec l’un des buts des colonisateurs portugais et
espagnols en Amérique qui était de diffuser la parole du Christ, de
convertir, donc de rendre meilleurs les populations rencontrées →
Montaigne semble suggérer que les Portugais ont plutôt perverti les
populations amérindiennes. La 2ème
proposition subordonnée relative (« et qui étaient beaucoup…
malice ») renforce la 1ère,
en répétant la même structure grammaticale, et en répétant
« beaucoup » : le terme de « malice »
est ici péjoratif car il renvoie à l’intelligence
des Portugais mise au service du mal,
de la torture, des techniques visant à tuer.
-
Les Indiens se
sont comparés aux Portugais,
comme toutes les cultures qui en rencontrent d’autres (comparatif
« plus grands maîtres qu’eux »). Suite de la réflexion
des Indiens :
Montaigne se met à leur place, nous met en point de vue interne :
« sans raison » ; « devait être »
(marques de jugement). Le terme de « vengeance » est
répété, faisant écho à celui de la ligne 11 (ce que confirme le
déterminant démonstratif « cette ») : Montaigne
souligne ainsi qu’il ne perd pas de vue son objectif argumentatif,
qui est de montrer que les Indiens sont cannibales pour des raisons
de lutte de pouvoir entre des ennemis. « plus aigre que la
leur » : suite de la comparaison (comparatif de
supériorité) entre techniques pour faire souffrir et mourir des
Indiens et des Portugais ; manière de souligner que les
pratiques des Portugais sont pires ; « aigre »
renvoie à la sensation de douleur des prisonniers.
-
Emploi du passé simple (« commencèrent »), dont la
valeur est celle d’une action de 1er
plan, nouvelle dans le récit : souligne la nouveauté des
coutumes indiennes, qui s’inspirent des Portugais :
renversement
encore ici des rôles,
car dès le début de la colonisation, les colons ont imposé des
modifications dans les modes de vie des populations amérindiennes.
Ici, les Indiens changent d’eux-mêmes, ce qui montre la
supériorité des Portugais, mais cette supériorité est seulement
celle de savoir mieux faire souffrir, ce qui n’est pas glorieux. La
conjonction « et » qui précède le verbe
« commencèrent » signale une conséquence de ce qui a
précédé : puisque les Portugais savent mieux se venger, donc
les Indiens ont adopté leurs manières de faire.
*
3ème
paragraphe :
-
l. 19 :
-
Emploi de la 1ère
personne du singulier dès le début de ce paragraphe :
Montaigne
s’implique dans son texte,
vient donner son avis personnel. Progression ainsi de son texte vers
ce qu’il voulait mettre en valeur. « marri » :
marque de jugement personnelle également. « nous » :
les Européens, ses lecteurs (noter qu’il s’inclut dedans).
« remarquions » : le but de Montaigne est de
révéler, mettre en valeur ce qui ne l’est pas de la part de ses
lecteurs. Abandon, donc, du regard des Indiens développé au
paragraphe 2.
-
« l’horreur
barbare » :
GN au sens très fort, par l’emploi de deux termes qui soulignent
la violence, et se renforcent l’un l’autre. Noter l’emploi du
mot « barbare » qui rappelle son sens dans l’Antiquité
(tout ce qui était étranger au monde grec, puis à l’empire
romain : marque du rejet de la différence culturelle). « telle
action » : celle des Indiens, leur cannibalisme :
texte bien construit et qui, après avoir présenté des pratiques
indiennes puis portugaises, en tire des conséquences. Montaigne ne
nie pas les barbaries des Indiens, mais veut mettre en évidence
celles des Européens, que ceux-ci ne veulent pas voir.
-
l. 20 :
-
« mais » (conjonction de coordination, connecteur
logique) : encore une phrase construite sur une forme
d’opposition. « certes bien » : Montaigne appuie
la suite de son propos, lui donne ainsi une forme de vérité.
Comparaison entre
les coutumes des Indiens et celles des Européens :
« leurs fautes » / « aux nôtres » (deux
possessifs, 3ème
et 1ère
personnes), balancement grâce à la proposition participiale
(« jugeant bien… ») mise en regard de la proposition
principale (« nous soyons… »). Noter aussi que les
pratiques des Portugais sont incluses dans le « nous »,
ce qui prouve que Montaigne veut mettre face à face les populations
des deux continents, et que l’exemple des Portugais est généralisé
(Portugais = à l’image de tous les Européens). « aveugles » :
Montaigne poursuit la thématique du regard,
ici des Européens sur les Indiens, mais aussi,
ce que l’auteur suggère, des
Européens sur eux-mêmes.
Opposition entre « jugeant bien » et « aveugles » :
facilité à regarder et juger l’autre ≠
difficulté à prendre conscience de ses propres défauts.
-
l. 20-23 + l. 25-26 :
-
Nouvelle phrase débutant par la 1ère
personne du singulier : Montaigne poursuit sa réflexion
personnelle
(cf. verbe « pense »), continue à tirer des
enseignements des informations données dans les paragraphes
précédents.
-
Très longue phrase qui va encore une fois énumérer des horreurs,
les accumuler pour horrifier
le lecteur.
Comparatif (« il y a plus de barbarie à… que de le … »)
sur toute la phrase, jusqu’à la ligne 25 : comparaison des
barbaries présentées →
jugement de valeur personnel de Montaigne. Noter que le nom
« barbarie » (l. 21) reprend immédiatement l’adjectif
de la même famille (l. 19) : insistance de Montaigne.
-
Suite de comparaisons et donc d’oppositions (comme précédemment
dans le texte) : « à manger un homme vivant » /
« qu’à le manger mort » ; « à déchirer
par tourments et par tortures un corps encore plein de sentiment, le
faire rôtir par le menu… pourceaux » / « que de le
rôtir et manger après qu’il est trépassé » : par
reprises des mêmes termes, il accentue le regard
comparatif en miroir.
Il détaille bien plus les techniques des Portugais (les premières
citées) que celles des Indiens : mise en évidence des horreurs
pratiquées par ces Européens, et façon de minimiser celles des
Indiens.
-
Barbarie mise en
avant par de
nombreux termes violents : « manger un homme »,
« déchirer […] un corps », « le faire rôtir »
(noter l’écho avec le terme utilisé, pour les Indiens, ligne 8 :
tissage d’une seule et même réflexion), « mordre »,
« meurtrir ». Toutes ces actions sont effectuées sur des
corps humains, ce qui ne peut que toucher le lecteur, lui faire
repousser ces pratiques. « un corps encore plein de
sentiment » : mise en parallèle du corps, de la biologie,
et de ce qui fait l’humanité, le « sentiment », pour
horrifier encore, et montrer que les
Indiens sont bien des êtres humains
à part entière et non des semi-animaux comme certains le pensaient
à l’époque. Les compléments d’agents précisent et accentuent
l’horreur : « par tourments et par tortures »
(noter la redondance des deux noms, au pluriel), « par le
menu » (suggestion d’une application à provoquer la
douleur). Ce que l’on donne « aux chiens et aux pourceaux »,
ce sont les déchets, les restes de ce que les hommes mangent :
comment des êtres humains pourraient-ils être considérés ainsi ?
demande Montaigne. Noter que les Portugais sont ici assimilés à des
cannibales puisque la métaphore « manger » est appliquée
aux morts provoqués par eux, alors qu’ils ne dégustent pas les
corps des Indiens. Montaigne exagère et rapproche les deux peuples
pour en montrer non les différences, mais les ressemblances, et
souligner que la
barbarie est plus,
contrairement aux idées reçues des lecteurs européens, du
côté des Européens
que des peuples lointains aux habitudes de vie différentes.
-
l. 23-25 :
-
Ce qui figure entre parenthèses, entre le rappel des horreurs des
Portugais et celui des Indiens, vise à préciser et accentuer encore
le regard porté
vers les Européens.
Montaigne fait référence aux guerres
de religion.
« de fraîche mémoire » : les lecteurs de son
époque doivent se sentir directement concernés. « non
seulement lu, mais vu » : les preuves existent, tous les
lecteurs en ont été les témoins. Montaigne se base sur l’actualité
du XVIè siècle, sur le vécu de chaque lecteur européen pour mieux
l’interpeller. Répétition dans la structure de cette partie de
phrase, pour rejeter ce que les lecteurs auraient pu lui dire et
affirmer ce qu’il souhaite (« non… mais… »). Cela
rapproche aussi les termes qui se situent de part et d’autre des
oppositions : « ennemis anciens » (reprise du terme
utilisé pour les Indiens l. 3) / « voisins et concitoyens »
(les deux termes se complètent, mais surtout le 2ème
marque une proximité plus forte que le 1er,
par le préfixe même). Montaigne veut souligner toute l’absurdité
des guerres de religion :
si les Indiens se battent contre des ennemis, les Européens se
battent entre eux, entre semblables, ce qui n’a pas de sens.
Ensuite, pour renforcer encore son propos (ce que le superlatif « qui
pis est » annonce), il relie son propos à la religion,
sous-entendu chrétienne, qui doit promouvoir le message de paix et
d’amour du Christ : encore une contradiction soulignée par
Montaigne, ce que l’expression « sous prétexte » →
prétexte = fausse raison, défaut de raisonnement. Deux mots encore
qui se renforcent l’un l’autre (« piété » +
« religion »).
*
4ème
paragraphe :
-
l. 27-28 :
-
Conclusion de son
raisonnement,
qu’il a déjà énoncée au 3ème
paragraphe, mais en donnant plein de détails sur des pratiques des
uns et des autres. Ici, il généralise
(« barbares » au pluriel, « règles de la raison »
au pluriel et avec un terme se rapportant à la capacité de
réflexion de tout être humain, « toute sorte de barbarie »).
Encore une phrase construite sur un balancement qui permet de
comparer « nous » et « les », autour d’une
opposition marquée ici aussi par la conjonction de coordination
« mais ». « surpassons » : comparaison
qui met les Européens au-dessus des Indiens,
mais pas pour les raisons habituelles de l’époque (plus civilisés,
plus développés techniquement, …) : pour
la « barbarie »
(le terme clôt le raisonnement, ce qui montre que c’était bien le
but de Montaigne depuis le début).
-
« appeler » : il s’agit bien de réflexion,
de raisonnement,
de maniement du langage pour apprécier les choses et les hommes.
Montaigne use des mots et souhaite que ceux-ci soient bien utilisés.
Le mot « barbarie » ne saurait donc d’abord qualifier
les Indiens, mais surtout les Européens.
-
Le jeu de répétitions des pronoms « nous » et « les »
montre que le raisonnement de Montaigne est basé sur des
comparaisons, et que ces
comparaisons visent à mieux se connaître soi-même :
regarder les Indiens, c’est au final se regarder soi-même, pour
ses lecteurs européens. Il fonctionne par nuances, par concessions
(« nous pouvons… mais non pas… ») : c’est son
style de pensée.