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Photo de Felix Mittermeier
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Introduction :
Le
poème est situé vers la fin de la 3ème section du recueil, intitulée
« L’onde du chaos », dont les premiers poèmes évoquent un
environnement saccagé par l’homme, des catastrophes, un être humain détaché de
la nature. Le poème qui précède immédiatement celui-ci, qui est placé en
regard, sur la page de gauche, débute par ces mots : « Il fait rage
virale / sur nos écrans / qui jamais ne dorment ». Mais ici, le contraste
est frappant, donnant l’impression d’une promenade sereine au pied d’un arbre.
Peut-être est-ce aussi un écho à la fin du poème précédent, qui s’achève sur
ces mots : « ce que l’on veut réparer ». Tout n’est peut-être
pas perdu, si nous savons revenir aux arbres, à la nature, si nous savons
prendre le temps de les observer, de les écouter.
Structure du poème :
Le
poème progresse d’une observation extérieure de l’arbre à une observation
intérieure, intime de celui-ci, qui répond aussi à l’écriture progressive du
poème.
On
peut considérer que le poème progresse en deux étapes à peu près équilibrées
(en nombre de vers) :
- Partie 1
(v. 1-14, 4 premières strophes) : L’arbre apparaît, est observé, est défini
et présenté comme lié au monde et à l’intime
- Partie 2 (v.
15-26, 4 dernières strophes) : Le dialogue entre l’arbre et la poète devient
fusionnel, signe d’une liaison profonde entre lui et la parole intime de la
poète
Problématiques envisageables :
* En quoi l’arbre est-il acteur du monde et de la
création poétique ?
* Comment la relation à l’arbre permet-elle un autre
rapport de l’être humain à la nature et au temps ?
Analyse linéaire :
Partie 1
(v. 1-14) : L’arbre apparaît, est observé, est défini, et présenté
comme lié au monde et à l’intime :
* L’expérience personnelle, comme d’un
observateur, est mise en avant, devant l’arbre :
-
La vue est mise en avant : « on dirait » (v. 1) : emploi du pronom personnel
en tête de poème, inclusif (synonyme de « nous ») de la poète et du
lecteur, invité à suivre la même expérience que la poète. Le verbe, au
conditionnel, exprime un sentiment personnel, une impression exprimée par
l’observateur de cet arbre.
- Autre
aspect personnel par l’emploi du déterminant possessif 2ème personne
du singulier : « tes
pas » (v. 6).
-
Notons une forme de progressivité au vers 1 par : le conditionnel de « dirait » + « silhouette »
(= vision globale, imprécise) + adjectif qualificatif épithète « mystérieuse »
(= manque d’informations, incapacité à interpréter). Donc le poème progresse
vers un regard qui se pose sur l’arbre, et va ensuite approfondir cette
observation au fil du texte.
La
progressivité est aussi chronologique, comme si le temps avançait au fur et à
mesure du déroulement du poème : emploi du connecteur temporel « puis »
(adverbe de temps, v. 4), dans une 2ème strophe, marquant ainsi
encore plus le franchissement d’une sorte d’étape supplémentaire ; emploi
de « jour »
(v. 4), référence au temps terrestre, marqué par la répétition du passage de la
nuit et du jour (Dorion y fait référence à plusieurs reprises dans son
recueil).
-
L’ouïe est aussi suggérée par la référence au « silence » (v. 9) -> Suite de
l’expérience personnelle, correspondant à la présence d’un observateur devant
cet arbre, dans la nature. Volonté de faire partager l’expérience au lecteur. Ce
sens est aussi mis à contribution par la métaphore de l’arbre musicien (voir
plus bas).
-
Un sentiment esthétique est aussi exprimé : il est question de « grâce », de « beauté » (v.
11). Il s’agit encore une fois d’un regard personnel, d’un jugement de valeur
ici, sur cet arbre, admiré par l’observateur.
-
le temps présent des verbes peut être un présent d’énonciation, celui de
l’observateur devant cet arbre : « glissent » (v. 2), « s’élancent »
(v. 3), « recommence »
(v. 4), « jette »
(v. 5), « tend »
(v. 7), « recueille »
(v. 13), « s’inclinent »
(v. 14).
* L’arbre est caractérisé, défini :
Ä L’arbre est
présenté comme puissant, acteur (à la différence de l’observateur humain) :
-
Verbes de mouvements dans les deux premières propositions subordonnées
relatives (vers 2 et 3) : « glissent » ; « s’élancent », ce 2ème
verbe étant synonyme d’un grand dynamisme, d’une vie interne de l’arbre.
-
Verbes à lier aussi aux verbes d’actions de l’arbre : « l’arbre jette » (v.
5) ; « il
tend » (v. 7), « il
recueille » (v. 13) : l’arbre agit.
- À noter que l’arbre agit sur un espace de plus en plus
vaste, comme l’indique les références spatiales, puisque l’on passe du « jardin » (v.
6) à « l’univers »
(v. 7), aux « confins »
(v. 9) : cela démontre une forme de puissance infinie.
Ä Il possède
son propre rythme de vie, sa propre temporalité :
Comme
l’arbre semble occuper de manière particulière l’espace (voir ci-dessus), il
occupe le temps également de manière particulière :
-
v. 4 : le verbe « recommence »
(construit sur la présence du préfixe de répétition « re- ») est lié
au nom à valeur temporelle « le
jour ». Le temps est celui de l’arbre qui apparaît dans la strophe
1 et est nommé au vers suivant (v. 5). Il s’agit d’un temps répétitif,
cyclique, qui est celui de la nature (le poème se clôt sur la référence aux
saisons v. 26). Ce temps se différencie de celui des humains qui est souvent
plutôt représenté comme un temps linéaire, qui progresse.
-
la proposition subordonnée relative du vers 8 (« où les âmes jamais ne fanent ») complète
l’action de l’arbre sur l’univers (v. 7), et revêt une forme d’éternité, comme
l’indique la négation « ne…
jamais ».
-
le présent des verbes est autant celui d’énonciation (temps de l’observateur
devant cet arbre) que celui de l’habitude, de la répétition : « glissent »
(v. 2), « s’élancent »
(v. 3), « recommence »
(v. 4), « jette »
(v. 5), « tend »
(v. 7), « recueille »
(v. 13).
* L’arbre est présenté par les liens qui
l’unissent :
Ä à
l’ensemble de la nature, comme partie d’un grand tout qu’il unifierait :
-
Il semble immense, contenir des éléments naturels autres que lui : « où glissent des
rivières » (v. 2) : proposition subordonnée relative indiquant
un lieu, au pluriel. On peut imaginer qu’il s’agit de la sève de l’arbre, mais
ici on a l’impression qu’il contient un écosystème entier !
-
l’arbre est relié au sol dans la strophe 2 : « l’ancre » (v. 5) est ce qui le retient
à ce qui est en-dessous de lui, comme pour un bateau où l’ancre descend
jusqu’au fond de l’eau, sur le sol sous-marin ; le complément
circonstanciel de lieu « dans
le jardin » (v. 6) rappelle aussi le sol, la terre. Cette métaphore
semble aussi lier le terrestre et le marin, l’ancre étant lié aux navires sur
mers.
-
mais il est aussi lié à l’aérien dans la strophe 3 (comme un parallélisme avec
la strophe 2) : il est question de l’espace infini de « l’univers »
(v. 7), et « le
ciel » du vers 10 le confirme, groupe nominal qui est lié immédiatement
dans les deux vers suivants à l’« arbre » (v. 11 & 12).
Ä à l’intime,
à l’être humain (que l’on suppose être l’observateur de celui-ci) :
-
un lien s’établit entre l’observateur et l’arbre : vers 6-7 : le
vers évoque « l’arbre » quand le vers 7 en
parallèle évoque celui/celle qui est à ses côtés, par le « jardin »,
lieu personnel, nature maîtrisé par l’être humain, le plus souvent à côté de
son habitation, et le possessif de « tes pas ». Le lien s’opère par l’espace : d’une
part « l’ancre »
de l’arbre se fixe « dans
le jardin » et d’autre part les pas de la personne considérée l’ont
menée aux côtés de l’arbre. Quand on se promène souvent dans la même forêt, ou
que l’on croise souvent le même arbre, une forme de proximité s’établit.
-
l’humain semble devenir en partie végétal : « les âmes jamais ne fanent » (v. 8) :
ce qui définit profondément un être humain est comparé par la métaphore
végétale contenue dans le verbe à une fleur ou une feuille.
-
à l’inverse, l’arbre est personnifié, ou semble agir vers les humains : il
est la source de « rêves »
(v. 3), capacité d’abord humaine : les vers 2 et 3 sont profondément liés
entre eux ; ils construits en parallèle (deux propositions subordonnées
relatives, introduites par le pronom relatif « où », chacune sur un vers), et se font
écho par leurs sonorités (allitérations en [s] et [l] entre les verbes « glissent » et
« s’élancent » ;
assonance en [è] et allitérations en [r] et [v] entre « rivières » et « rêves ».
Ainsi, l’on passe d’un élément naturel, concret, les « rivières », à
une notion plus humaine, abstraite, celle des « rêves ».
-
l’arbre est aussi celui qui ramène l’humain vers lui-même : « arbre de solitude et de
questions » (v. 12) : ici encore une égalité existe entre
l’arbre et l’observateur, qu’on suppose en train de se promener seul, et qui
observe seul cet arbre, dans le silence. L’arbre aussi peut être seul, pas
forcément au milieu d’une forêt. Il est d’ailleurs dans ce poème considéré de
manière individuelle, toujours désigné au singulier (« une silhouette » v. 1, « l’arbre » v.
5). Il est aussi porteur de questions : il questionne les humains, sur
lui, sur la nature, sur eux-mêmes, peut-on supposer.
* L’arbre est associé à un instrument de
musique, peut-être la lyre, et devient poète :
-
au vers 7, l’arbre « tend
les cordes », ce qui évoque bien entendu un instrument à cordes.
Dans la mythologie antique, Orphée est considéré comme le prince des poètes,
comme celui qui est à l’origine de cet art de la parole et de la musique. Dans
les représentations traditionnelles, il s’accompagne d’une lyre (et l’on pense
bien entendu à l’adjectif « lyrique », formés sur le même mot, qui
qualifie le plus souvent une forme de poésie) : musique et art de la
parole sont liés. Si Orphée pouvait charmer tous les éléments naturels, arbres
y compris, ici les rôles semblent inversés. Si l’observateur est la poète
Dorion, elle écoute l’arbre, sa musique.
- La
métaphore rebondit au vers 14, puisque les branches sont comparées (mot de
comparaison « comme »)
à des « archets »,
par leurs formes certainement, mais aussi par leur mouvement, puisqu’elles « s’inclinent »
(v. 14) (on pense aux archets des violons par exemple).
-
Quelle est cette musique de l’arbre ? Peut-être est-ce simplement le bruit
du vent dans ses feuilles et dans ses branches, le craquement du bois, les
oiseaux qui s’y posent (il sera question d’oiseau au vers 24). Dorion appelle
ainsi à écouter autant qu’observer : la découverte de l’arbre n’est
possible qu’avec de l’attention, qu’en prenant le temps, afin de le décrire,
comme dans ce poème qui qualifie l’arbre progressivement, depuis un regard très
vague au vers 1 (la « silhouette »).
Partie 2
(v. 15-26, 4 dernières strophes) : Le dialogue entre l’arbre et la poète
devient fusionnel, signe d’une liaison profonde entre lui et la parole intime
de la poète
* On note à la fois une forme de rupture
avec la 1ère partie du poème et une réelle continuité :
- rupture car le pronom de la 2ème
personne du singulier (« tu »)
apparaît au début de deux vers successifs en anaphore (vers 15 et 16), après un
changement de strophe, qui marque un changement. Cette 2ème personne
n’était apparue qu’indirectement par le déterminant « tes » au vers 6. Elle est ici
répétée 3 fois (vers 15, 16, 19). Après avoir évoqué l’arbre, le poème se
focalise un peu plus sur :
->
l’observateur = la poète) ? (désigné à la 2ème personne comme
dans le roman La Modification de
Michel Butor) ;
->
le lecteur ?
Sans
doute les deux à la fois : le but est de faire vivre au lecteur la même
expérience que celle vécue par la poète devant cet arbre, pas simplement de la
décrire ou narrer à distance.
- continuité car le processus de rapprochement
entre l’arbre et la poète se poursuit, et la thématique temporelle déjà évoquée
revient ici.
* L’expérience personnelle se
poursuit :
Ä L’observateur
est encore une fois mis en scène, et de manière plus visible par l’emploi répété
de la 2ème personne du singulier. L’ouïe est encore évoquée, par le
verbe « écoutes »
(v. 15), et le rappel de la musique par le nom « chant » (v. 15). Le regard est aussi
rappelé implicitement par les termes de « clarté » (v. 17), donc de lumière, et
de « fenêtre »
(v. 20) (même si celle-ci est « opaque »), qui permet d’observer à
travers des murs.
Ä Le regard a
progressé, puisque, de l’extérieur,
de l’espace infini, on en arrive ici à la « sève » (v.16), à l’intérieur, à ce qui coule au sein du « tronc » (v. 18), à un simple « filet » (v.
17), plus mince que les « rivières »
(v. 2) du début. Le regard « traverse »
(v. 18) le tronc, comme la sève le traverse. Il s’agit donc de poursuivre la
découverte, la connaissance intime de cet arbre. On va jusqu’aux « racines » (v.
15), synonyme des origines, de ce qui est invisible car souterrain, ce qui
n’était que suggéré par l’ancre de la 1ère partie. La « clarté » (v.
17) est celle de la connaissance plus profonde de cet arbre.
Ä Cette
progression va jusqu’à la fusion : la poète se confond avec l’arbre,
ce que souligne le verbe « devenir » : « tu deviens la sève » (v. 16),
équivalence entre le pronom « tu » et le COD « la sève »
dans le même vers. Les deux vers suivants (v. 17 & 18) complètent
grammaticalement (apposition contenant une proposition subordonnée relative)
mais aussi développent cette fusion entre humain et végétal.
* La parole poétique, suggérée dans la 1ère partie par la
référence implicite à Orphée, est ici plus clairement évoquée :
Ä Le lexique
l’indique tout d’abord : le terme de « poème » (v. 22) est introduit. Le
poème est en quelque sorte autotélique, il parle de lui-même. La progression
vers l’arbre se confond ainsi avec le déroulement de ce poème, avec la création
de ce texte poétique (par le biais de l’écriture pour Dorion, par celui de la
lecture pour nous). L’emploi du verbe de parole « dis-tu » (v. 19) renforce cette
référence au langage, comme l’emploi du verbe de parole « raconte » : le poète se
définit par sa capacité à dire, à exprimer le monde et les êtres humains par
les mots, les sons, la musique de la poésie. L’arbre devient poète : la
proposition incise « dis-tu »,
mise un peu à l’écart par l’espace blanc au milieu du vers 19, peut être
attribué à l’arbre, qui parlerait à la poète ; et puisque la « fenêtre opaque »
(v. 20) est le tronc, c’est bien l’arbre qui « raconte » (v. 21).
Ä L’arbre
musicien est donc équivalent ici à la poète, ils se ressemblent, ne forment en quelque sorte plus qu’un :
- Les
verbes de mouvement qui étaient employés pour l’arbre le sont désormais pour le
poème qui « avance »
(v. 22), « vole »
(v. 23).
- Le
poème semble surgir de l’arbre lui-même, comme le suggère son mouvement indiqué
par le verbe « avance »
(v. 22) et le complément circonstanciel de lieu « sur la tige » (v. 22) : la tige
est l’arbre (son tronc, ou ses branches), mimée en quelque sorte ici par le
vers qui s’avance vers la droite de la page. Le poème publié s’envole vers le
lecteur, prend son autonomie vers le destinataire. Le poème « vole » comme « l’oiseau »
(v. 24), devient une forme d’oiseau : la nature et la poésie se mêlent,
fusionnent ici encore.
- Aller
« sur les traces de
l’oiseau » (v. 24) (encore un complément circonstanciel de lieu,
comme pour raconter, imager la scène ainsi décrite, celle de la poète se
promenant en forêt et créant un poème), c’est lancer la poésie dans les pas de
la nature ; c’est comparer la poète à un naturaliste qui se met en quête
d’éléments naturels en observant les traces qu’ils laissent derrière eux, qui
savent lire les menus indices semés dans la nature et qui sont les signes de la
vie qui occupe ces lieux ; c’est permettre aux mots d’exprimer ce à quoi
ressemble la nature, la forêt, l’arbre, définir une relation entre les
hommes et l’arbre.
* Observer la nature, pour Dorion, c’est
souvent penser au rapport des êtres humains au temps, et le comparer au rapport
de la nature au temps.
Le
temps des arbres en particulier est le temps long, un temps qui s’étale sur des
dizaines voire des centaines d’années, le temps de pousser à son rythme. Le
temps humain est plus court, et celui de nos sociétés actuelles est rapide,
rythmé par des occupations et des mouvements incessants (« Il fait un
temps d’insectes affairés » p. 73 du recueil), alors que l’arbre est
immobile. Ce rapport au temps est évoqué de nouveau dans cette 2ème
partie.
Ä L’adverbe de temps « parfois » (v. 23) indique ici une
répétition : la poète n’évoque pas une scène en particulier, mais plutôt une règle plus universelle de l’écriture
poétique. Le présent de répétition indiqué par le verbe « recommence »
(v. 4) se retrouve ici. On oscille donc entre une scène particulière, une
promenade et un arrêt devant un arbre particulier, et une répétition de cette
scène qui aurait à nous apprendre un nouveau rapport à la nature, plus
fusionnel qu’il ne l’est dans nos sociétés actuelles, coupées de la nature. Mais
la poésie n’atteint son but d’être en phase avec la nature qu’elle évoque que
de temps à autre, « parfois » : le langage poétique tâtonne, tente
de rendre compte, sans toujours y parvenir.
Ä Si on lit les strophes des vers 15 à 21 comme un
ensemble cohérent, on peut comprendre que l’écoulement
de la sève est une manière d’accéder à la vie de l’arbre, à sa temporalité.
Mais il faut savoir observer car ceci est masqué par le tronc, qui forme une « fenêtre opaque »
(v. 20) : il s’agit presque ici d’un oxymore, puisqu’une fenêtre est
censée apporter une vue sur ce qui est derrière elle, apporter de la lumière
dans un lieu. L’observation de l’arbre n’est pas simplement une contemplation
d’un élément naturel, mais l’accès à une réalité cachée, la découverte du temps
de notre planète, que nous avons oublié. La poète se donne aussi pour rôle,
reprenant ainsi une image traditionnelle du poète, de nous dévoiler la réalité,
masquée aux yeux de la plupart des hommes. Le poète est un « voyant »
comme l’indiquait Arthur Rimbaud. Elle nous invite à épouser sa démarche, à la
vivre comme elle. L’observation de la sève de l’arbre, de son déplacement, nous
« raconte le
voyage » (v. 21), celui de la vie, celui de notre destinée sur
terre. Les mouvements de l’arbre indiqués en 1ère partie se
retrouvent dans le déplacement du « voyage » : l’arbre, c’est nous-mêmes.
Ä La conclusion
du poème (la dernière strophe, les deux derniers vers) indique l’importance
de cette thématique. On note deux termes inscrits dans le champ lexical du
temps, placés chacun en fin de vers, comme en écho l’un à l’autre : « âge » (v. 25) ;
« saisons »
(v. 26). La négation restrictive « ne… que… » (v. 25-26) rappelle ce qui définit le
passage du temps pour l’arbre : les changements de saisons. Il n’est pas
soumis à notre temps humain, plus segmenté. Cette manière de conclure ce poème
est peut-être une manière de montrer une voie possible aux lecteurs, une
invitation à ralentir, à prendre le temps d’observer la nature, à épouser
cette temporalité plus douce. Ce peut être aussi une manière de montrer que les
arbres sont à respecter parce qu’ils portent cette forme de sagesse de vie.
Conclusion :
*
Dans ce poème, Dorion invite les lecteurs à une expérience : d’un regard
approfondi sur un arbre, elle invite à prendre ce temps de l’observation de la
nature. Mais elle en fait aussi une expérience intime, où la nature, l’arbre
ici, a à nous apprendre sur nous-mêmes. Nous faisons partie de la nature ;
regarder et écouter l’arbre, c’est aussi revenir à nous-mêmes, à un temps plus
réfléchi, moins rapide.
*
La poésie semble naître de cette admiration de l’arbre. Il n’est pas simplement
source d’inspiration, il devient le poème qui se crée sous nos yeux.
L’expérience vécue ici est aussi celle du langage poétique, de l’écriture
poétique. Le poème montre sa propre création, sous nos yeux de lecteurs.
*
Dans la suite du recueil, la dernière section (« Le bruissement du temps »),
ce temps évoqué ici s’élargit à l’histoire de toute l’humanité, que Dorion
retrace, pour en faire surgir les horreurs, les erreurs, mais aussi une forme
de renaissance, d’espoir, qui est déjà visible dans ce poème.
*
Ce poème peut faire écho à celui de François Cheng, poète et académicien :
« L’arbre en nous a parlé » :
http://www.barapoemes.net/archives/2019/05/05/37310069.html