mercredi 9 décembre 2020

Que retenir du groupement de textes complémentaires aux séquences 1 et 2 ?

 

Claude Levi-Strauss


Les textes du groupement : extraits de Tristes (Ovide) ; d'Histoire comique des États et Empires du soleil (Bergerac) ; de Micromégas (Voltaire) ; de Le Voyage en Orient (Nerval) ; de Race et Histoire (Levi-Strauss) ; de Nord perdu (Houston)

 

Le regard éloigné suppose la rencontre avec l’altérité, des êtres différents, une culture différente, des lieux différents. Le plus souvent, cela passe par des déplacements permettant au voyageur d'être confronté à l'altérité, à ce qui est différent de lui, peu importe l'objet de cette différence.

 

1) Les voyages sont différents selon les auteurs, si l'on se place dans une perspective européenne ou terrestre :

a) Voyages réels :

- Des Européens vers d'autres contrées terrestres : Ovide vers les confins de l’empire romain ; Nerval au Caire ; Levi-Strauss vers des contrées diverses (son travail d’ethnologue l’a mené entre autres au Brésil).

- Des représentants de populations extra-européennes vers l'Europe, la France en l’occurrence : Nancy Houston.

 

b) Voyages fictionnels :

- Un Européen vers une contrée extra-terrestre : le narrateur inventé par Bergerac se retrouve sur le soleil. La différence entre les personnages est représentée par la rencontre entre un être humain et des personnages animaux mais personnifiés.

- Un extra-terrestre vers notre planète : Micromégas vient de la planète Sirius et converse avec des humains. La différence entre les personnages vient de leur taille.  

 

2) Les textes permettent donc de rendre compte du vécu plus ou moins positif de celui/celle qui est confronté(e) à des contrées et des populations étrangères :

 

a) Les attitudes face à l’altérité peuvent varier selon les situations :

- Le voyageur peut être simplement surpris, étonné, par ce qu'il découvre. L'étonnement peut aussi marquer une absence de compréhension : le narrateur de Cyrano de Bergerac se trompe sur l’identité du roi, interprétant en se basant sur ce qu’il connaît, sa propre culture.

- Le voyageur reste lui-même, se coupe de l'environnement dans lequel il se déplace ou ne parvient pas à créer des relations avec les personnes qui l'environnent : Ovide se sent en « exil » (l. 2) dans un monde « sinistre » (l. 9) où le temps est autre que celui de Rome, comme s’il voulait insister sur le fait qu’il se trouve hors de son propre monde (l. 3-4) ; l'Anglais de Nerval garde ses gants, son bâton, afin de ne pas entrer en contact avec le climat, le sol et les habitants égyptiens.  

- Au contraire, l’ouverture d’esprit peut permettre des rencontres profitables : Micromégas sait remettre en question son opinion première en raisonnant. Il se rend compte « qu’il ne faut juger de rien sur sa grandeur apparente » (l. 1-2), dépasser les impressions premières laissées par un regard rapide et extérieur. Il dialogue avec les hommes, échange donc avec eux. Le personnage voyageur des États et Empires du soleil discute, pose des questions, s’intéresse au peuple rencontré, à ses mœurs.

 

b) Regards négatifs devant l’altérité :

- Le voyageur a l'impression d'être confronté à un mur, les différences créant un fossé entre lui et les personnes rencontrées : Houston (barrière de la langue : « la langue. Mur opaque. Êtres impénétrables » l. 11-12 ; « on est vite repéré » l. 15 ; « on n'est pas d'ici » l. 16 ; « les gens ricanent, vous regardent de travers » l. 19 ; ). Elle insiste sur le fait que la rencontre avec l'étranger est angoissante, crée de la détresse. Ovide découvre qu’au milieu d’étrangers, il est lui-même un barbare, qu’il ne peut communiquer que par signes avec ceux qui ne maîtrisent pas le latin.

 

- Plus encore, le voyageur peut craindre celui qui ne lui ressemble pas, vouloir le tenir loin de lui. Ovide se sent ainsi menacé par les populations non romaines, qu’ils voient comme des voleurs, des « ennemis » (l. 14) agressifs. Les murailles représentent comme cette frontière dont il souhaite qu’elle le protège de cette altérité menaçante (l. 12-13). Il ajoute que les « barbares » sont même au milieu d’eux : il ne peut regarder ces populations différentes de la culture de Rome qu’il connaît sans les voir comme effrayantes (l. 23).

  

- Le voyageur peut jeter un regard dédaigneux sur les populations rencontrées : l’Anglais de Nerval considère les Egyptiens comme inférieurs, qu’il faut tenir éloigné par un bâton, comme un animal ; Ovide est horrifié par l’apparence extérieure des « barbares » (vêtements de peau ; cheveux longs). Les serveurs parisiens cités par Houston se moquent du manque de maîtrise de la langue française de l’étrangère car pour eux il est normal de la parler correctement. Ils voient leur culture comme incontournable, comme une évidence puisqu’ils ont toujours baigné dans cet univers. C’est ce que Levi-Strauss souligne, montrant que qualifier l’autre de sauvage ou de barbare est le rejeter « hors de la culture, dans la nature ».

 

3) Les textes montrent donc le profit ou l’absence de profit pour les personnes concernées de la rencontre des cultures différentes :

a) Il peut vouloir perdre ses repères : Nerval évite d'être recommandé quand il arrive dans un pays pour ne pas être aidé dans sa découverte de cette nouvelle contrée. Même si Houston évoque l'angoisse que peut constituer le voyage, use parfois de termes moins péjoratifs : « déstabilisant » ; « déboussolant » (l. 5).

 

b) Le manque d’ouverture d’esprit ne permettra pas parfois aux personnes qui se rencontrent de tirer profit de cette confrontation : c’est le cas d’Ovide, imbu de son identité romaine, qui ne peut aller vers des populations qu’il considère comme inférieures ; l’Anglais du texte de Nerval est aussi dans la position du colonisateur qui l’empêche de regarder sans préjugés les populations locales ; même les serveurs parisiens semblent ne pas pouvoir se mettre à la place de Nancy Houston, comme si leur langue, leur ville s’imposaient. Quand on considère que sa propre culture s’impose parce qu’elle serait supérieure, le regard sur l’autre est biaisé : Levi-Strauss note que la différence peut être vite classée dans la qualification de « sauvage », donc de peu civilisé, de peu humain en quelque sorte.

 

c) D’autres en profitent pour s’instruire, découvrir d’autres mœurs, élargir leur compréhension du monde et des êtres humains : Le narrateur de Bergerac cherche à comprendre, et surtout laisse longuement la parole à la pie, montrant que sa parole a plus d’importance que celle de l’être humain. Par le contraste que Nerval offre entre sa manière de voyager et celle de l'Anglais caricaturé, il met en avant sa manière de penser la rencontre avec l'étranger, curieuse, ouverte, tournée vers l'autre, dans l'échange.

 

4) Il est à noter que Voltaire, Houston ou Levi-Strauss proposent des regards inversés pour les lecteurs européens : ils offrent aux Français un regard sur eux-mêmes par des étrangers :

- Voltaire propose un géant qui est humanisé, qui est un miroir des êtres humains. Mais il ravale aussi les hommes au stade d’« atomes intelligents », soulignant que notre puissance d’êtres humains n’est pas si grande que cela. Les philosophes qui répondent à Micromégas lui expliquent aussi que des guerres opposent les êtres humains pour des motifs futiles, surtout quand ils sont vus depuis l’œil du géant.

- Houston note combien les Parisiens sont peu courtois accueillants vis-à-vis des étrangers, de ceux qui ne manient pas bien leur langue. Elle souligne que ceux-ci considèrent que leur langue est comme naturelle, acquise, et qu'ils ne comprennent pas comment on peut parler une autre langue que la leur. Elle dénonce une forme de culture auto-centrée.

 

 

En conclusion...

 

* Les textes permettent de réfléchir à la fois sur l'attitude du voyageur, et sur l'accueil par les populations locales de celui-ci, entre ouverture des uns et des autres, et peur de la différence ou repli sur soi.

* Ils remettent en cause les opinions admises sur le voyage souvent envisagé comme extraordinaire, positif. Ils montrent que le voyage peut être aussi source d'angoisse, ou être motivé par des préoccupations qui ne concernent que le voyageur. Ce dernier peut aller au bout du monde mais ne pas entrer réellement en relation avec les populations rencontrées.

 

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