Structure du texte :
Trois paragraphes = trois
étapes
1)
Lignes 19-27 : propos généraux : toute la population, toute la
société finit dans un bocal à poissons, n’est pas libre de ses choix, de ses
réflexions, est enfermé dans un modèle social qui s’impose à lui
2)
Lignes 28-34 : auto-portrait (sociologique) de Paloma et de sa
famille : une famille aisée, donc qui devrait permettre à chacun de
s’épanouir, de ne pas être enfermé dans le modèle social unique
3)
Lignes 35-46 : opposition au paragraphe précédent (« malgré
cela ») : explications sur le fait que Paloma ait conscience de cette
absence de liberté, de cet avenir qui lui est réservé : elle est plus
intelligente que la moyenne.
Construction de
l’extrait :
D’une
certaine manière, après des propos théoriques (partie 1), Paloma va démontrer
par l’exemple de sa famille que sa manière d’envisager la société française est
pertinente (parties 2 et 3). Le 3ème paragraphe est aussi une manière de
montrer qu’elle ne souhaite pas aller dans le sens qu’on lui impose, qu’elle
est à distance de ce modèle.
Analyse linéaire :
1) * Propos généraux, à
visée assez universelle : toute personne appartenant à la société
française, et particulièrement à la haute bourgeoisie, est vouée à être soumis
à une existence dénuée de sens :
-
Beaucoup de noms ou pronoms au pluriel, notamment pour désigner la
population : « les personnes » ;
« toutes » ; « les gens » ;
« enfants ».
-
Mais aussi des termes au singulier dont la signification est aussi universelle
(du moins ils renvoient à l’ensemble des membres de la classe bourgeoise à
laquelle appartient Paloma) : « la même voie » (noter l’adjectif
indéfini qui renforce l’unité) ; « une jeunesse » ;
« son intelligence » ; « le filon des études » ;
« une position d’élite » ; « toute une vie » (noter le
déterminant « toute » qui est très englobant) ; « une
existence » ; « un bocal » ; « la
vie » ; « l’enfance » ; « l’adulte » ;
« un traumatisme ».
-
Passés composés qui résument la vie de toutes les connaissances de la famille
de la narratrice : « ont suivi » ; « ont
débouché ». Mais surtout des verbes à l’infinitif, comme pour généraliser
plus, pour ne pas donner de marqueur temporel :
« essayer » ; « rentabiliser » ;
« presser » ; « s’assurer » ; « se
demander » ; « poursuivre » ;
« enseigner » ; « gagner » ;
« compter ».
-
Et bien sûr des présents de vérité générale ou d’habitude, selon les cas :
« fréquente » ; « croient » ;
« finissent » ; « est ».
-
Vision globale d’une vue humaine dans ce type de société : termes se
référant au temps qui passe, aux étapes d’une vie :
« jeunesse » ; « une vie » ;
« existence » ; « enfants » ;
« l’enfance » / « l’adulte ».
*
Des termes se référent aux relations sociales, et à une position individuelle
dans un groupe social, et non à des relations basées sur les sentiments
(l’amitié, l’amour familial, …) : « fréquente » ;
« position d’élite ».
Noter
que le lexique est parfois emprunté à des analyses économiques, ou de gestion,
pour montrer qu’ici l’humanisme est absent, que le monde du travail
(capitaliste?) s’est imposé : « rentabiliser » ;
« s’assurer » ; « filon » ; « gagner un
temps considérable » ; « s’épargnerait ».
*
Uniformité des parcours de différentes personnes auxquelles il est fait
référence ; ces personnes sont soumises à un parcours de vie, ne
maîtrisent pas leur existence, ne sont pas libres :
-
voir tout ce qui a été relevé plus haut pour universaliser le propos : si
tout le monde fait pareil, où est la liberté individuelle ? La société, le
groupe social, imposent une seule et « même voie » (noter que cette
expression apparaît au début du paragraphe, comme un résumé de tout ce qui va
être développé ensuite.
-
la structure de la première phrase, après les deux points, renforce l’idée
d’une voie unique : longue phrase, qui résume « toute une vie »,
celle de cette haute bourgeoisie ; accumulation de verbes à l’infinitif
qui complètent seulement deux noms, et qui soulignent ainsi que le parcours est
déjà tracé, comme si tout était connu à l’avance (« à essayer »,
« à presser », « à s’assurer », « à se demander ») ;
résumé en une seule phrase de toute une existence par les groupes nominaux
« jeunesse » et « toute une vie », ce qui montre qu’il n’y
en a aucune qui sort du lot, est originale ; mouvements inverses entre la
jeunesse et l’âge adulte, entre des verbes qui indiquent une volonté d’agir sur
son existence (« essayer », « rentabiliser »,
« presser », « s’assurer ») et des termes soulignant
l’inutilité de tous ces efforts (« se demander », « tels
espoirs » ≠ « existence aussi vaine »).
-
l’image du poisson dans son bocal, mise en évidence par ce qui ressemble à un
haïku au début du chapitre, illustre l’absence de liberté de l’existence de
cette haute bourgeoisie, alors que celle-ci a les moyens financiers de cette
liberté, et est aux commandes du pays. Le « bocal » est répété deux
fois, en fin de phrases, afin de souligner qu’il s’agit de l’issue inéluctable
de cette catégorie sociale. Noter que la première occurrence du terme est
opposée dans la même phrase aux « étoiles », images du lointain, de
l’espace infini, alors que le bocal renvoie à un espace contraint où le poisson
tourne en rond ; les verbes qui précèdent ces deux noms s’opposent aussi
(« poursuivre » ≠ « finissent »). L’animalisation des
bourgeois, comparés à des poissons, est aussi une dévalorisation.
*
Usage par Paloma d’un langage explicatif et argumentatif : elle veut faire
comprendre comment fonctionne son milieu social, et démontrer que cette
situation est insupportable (elle annoncera plus loin qu’elle en a déduit que
la seule solution pour elle est de se suicider : elle prépare cette
annonce ici) :
-
universalisation des propos (voir plus haut).
-
propos très structurés : annonce de l’objectif du paragraphe, puis emploi
des deux points pour expliquer, justifier ; emploi de connecteurs logiques
(« et » X 2, « et puis », « s’ » = si,
« mais », « sans compter que »).
-
opposition de termes afin d’être plus percutante.
-
usage d’énumération afin aussi d’être plus percutante.
-
emploi de comparaisons/métaphores qui rendent plus concrets ses propos
théoriques (« presser comme un citron » ; « filon des
études » ; « poursuivre les étoiles » ; « comme
des poissons rouges dans un bocal » ; le « traumatisme » du
« bocal »).
-
Noter encore qu’elle démontre déjà qu’elle sait se mettre à distance de ce
qu’elle présente : verbe suggérant une mise en doute de l’opinion générale
(« croient »), soulignant sa réflexion personnelle (« je me
demande » : verbe à la 1ère personne du singulier + forme
pronominale), verbes au conditionnel montrant qu’elle propose une autre forme
d’éducation que celle communément admise (elle se projette, elle invente une
autre manière de procéder : « « serait »,
« ôterait », « ferait », « s’épargnerait »).
NB.
L’extrait est placé au début du roman. 2ème chapitre. Paloma ne s’est pas
encore nommée ni présentée. Le lecteur découvre ces propos sans savoir qui les
tient. Le lecteur sait qu’il s’agit des propos d’un narrateur impliqué dans sa
narration, qui émet des jugements de valeur (cf. dès le 1er
paragraphe de ce chapitre : modalisateurs + usage de la 1ère personne du singulier).
Suspense, mystère entourant ce nouveau narrateur, clairement différent de celui
de la concierge, déjà découvert précédemment.
2) * Opposition au paragraphe précédent, qui déroulait
des réflexions personnelles générales : découverte de la narratrice par le
lecteur, et de sa famille (le lien est toutefois opéré par le fait qu’au début
du paragraphe précédent figurait « ma famille ») :
- mise en avant en début de
paragraphe de la narratrice, qui se dévoile : répétition du pronom de la 1ère
personne du singulier « moi, j’ ».
- multiplication des indices
de la 1ère personne du singulier (notamment par des déterminants
possessifs).
- multiplication des termes
se rapportant aux liens familiaux entourant la narratrice :
« parents » ; « famille » ; « sœur » ;
« père » ; « mère ».
- informations diverses sur
elle (âge, niveau social, milieu familial)
- suite de la construction du
caractère du personnage, par ses jugements de valeur sur son milieu familial
* Insistance sur l’aisance
matérielle de la famille de la narratrice :
- Lieu d’habitation :
arrondissement aisé de la capitale, et lieu de pouvoir (présence des ministères
du Travail et de l’Éducation
nationale). Noter que ce lieu précède la première occurrence du mot
« riches » : pour un lecteur qui connaît la capitale, il a déjà
compris. De plus, cela souligne combien les lieux sont importants dans ce
roman, parce qu’ils sont significatifs du milieu social mis en scène.
L’immeuble où se déroule le récit est celui d’une haute bourgeoisie aisée. Et l’on
sait aussi que ses habitants, à quelques exceptions près, sont soucieux de leur
image sociale, qui transparaît notamment par le lieu où ils résident (quartier,
logement).
- 4 occurrences très
rapprochées du nom et de l’adjectif « riche(s) », dont trois dans une
seule phrase : effet d’insistance. Le terme est imprécis, peu
scientifique, presque simpliste : but = frapper l’esprit du lecteur, et
insister sur l’aisance financière qui est celle de sa famille.
* Ton ironique et donc
polémique : mise à distance par la narratrice du milieu dans lequel elle
vit, des membres de sa famille (père et mère, successivement).
- moquerie envers son
père : emploi du terme « perchoir », terme technique qui renvoie
à la position de Président de l’Assemblée nationale, mais qui est aussi un
terme évoquant les oiseaux qui se perchent, qui se mettent en hauteur ; la
fonction est ici dévalorisée, puisque le mot « perchoir » est suivi
d’un COI indiquant ce que fera alors son père (« à vider la cave de l’hôtel
de Lassay » = boire du vin, ce qui diffère du rôle législatif qui devrait
être le sien), dans lequel s’opposent aussi la référence au nom de la résidence
officielle du Président de l’Assemblée nationale française et l’acte de boire
avec avidité les bouteilles de vin de ce lieu.
- moquerie plus appuyée
envers sa mère : négation entourant le verbe d’état « est » et
associé au nom « lumière », métaphore de l’intelligence, du
raisonnement (penser au mouvement des Lumières), et l’expression familière met
aussi à distance ce qu’est sa mère, qui a fait des études de lettres et peut
sans doute s’exprimer bien mieux ; opposition entre ce manque
d’intelligence et le terme « éduquée », qui renvoie aux codes de vie
de la bourgeoisie mais pas forcément à un savoir et à des compétences de haut
niveau ; opposition entre les deux phrases qui sont mises en parallèle par
le fait qu’elles débutent par le pronom « elle » + verbe au présent,
comme si la deuxième phrase était la conséquence de la précédente : ironie
puisque le doctorat de lettres sert simplement à écrire des
« invitations » « sans fautes » et à lancer des références
littéraires pour faire des remontrances à ses filles (NB. Guermantes :
référence à Proust ; Sanseverina : référence à La Chartreuse de Parme de Stendhal). « assommer » montre
un jugement de valeur négatif de la part de Paloma sur sa mère. L’emploi des
phrases de la mère citées au style direct entre parenthèses montre le ridicule
de ces références dans un cadre quotidien et banal, celui de l’éducation de ses
filles. Noter que la référence aux « invitations à dîner » montre que
l’une des occupations de la mère est d’entretenir le vernis social de la
famille qui se doit de recevoir fréquemment.
- ironie aussi sur la
richesse de sa famille : la répétition du mot « riche(s) » va
dans ce sens, car il n’ajoute pas d’information supplémentaire, est
redondant ; l’adverbe « virtuellement » introduit aussi une
ironie, une forme d’humour, pour indiquer que les deux filles seront héritières
plus tard de la richesse des parents.
* Emploi d’un langage qui
oscille entre niveaux de langue courant et familier (« eh bien »,
« n’est pas exactement une lumière », « nous
assommer ») : Paloma se définit ainsi. Son langage parfois moins
soigné montre son âge, le fait que son
journal intime ne se veut pas à tout prix littéraire, qu’elle n’emploie pas le
langage guindé de son groupe social (elle n’a pas une apparence sociale à
entretenir, comme ses parents), et donc qu’elle est libre par rapport à ce
groupe social, ce que le paragraphe précédent avait déjà souligné.
3) * Le 3ème paragraphe de l’extrait est
également lié au précédent par un connecteur logique, de nouveau d’opposition
(« malgré cela » ; « malgré toute cette chance et cette
richesse » : le pronom et les déterminants démonstratifs renvoient au
contenu du paragraphe précédent) : Paloma a très bien construit son
propos, et use des paragraphes pour souligner la progression de sa réflexion
personnelle. Cela démontre aussi l’intelligence qui est la sienne. Le lien est
aussi opéré dans la première phrase du paragraphe avec le premier paragraphe de
l’extrait : « la destination finale, c’est le bocal à
poissons ». Donc ce qu’elle va développer ici est la continuation de ce
qui précède. Elle va lier son cas personnel aux réflexions générales du premier
paragraphe.
Cette capacité à construire
sa réflexion personnelle développe les mêmes techniques que précédemment :
usage de connecteurs logiques ; relations logiques = causes/conséquences
& oppositions. On peut aussi ajouter l’emploi d’une question rhétorique,
d’une phrase exclamative, des deux points qui annoncent une explication, des
effets de reprise, de répétition.
* Un paragraphe centré sur
elle-même : emploi de la 1ère personne du singulier ;
références à sa situation personnelle (sa famille, le collège, son âge, son
intelligence supérieure, ses préoccupations).
Le lecteur peut se demander
si cette insistance sur son intelligence personnelle, et les oppositions
qu’elle souligne entre les autres et elle (enfants ou même adultes) ne relève
pas d’un caractère prétentieux, hautain.
* Le paragraphe souligne
l’intelligence et le savoir de Paloma :
- Champ lexical lié à ce
domaine : « je sais » X2 ; « très
intelligente » ; « exceptionnellement intelligente » (noter
l’hyperbole, renforcée par la répétition et la gradation) ; « une
enfant surdouée » ; « mes performances » ; « le
niveau d’une khâgneuse ».
- Comparaison avec les
enfants de son âge : « c’est un abysse » = hyperbole et
métaphore, qui illustre concrètement ce qui la sépare de ceux-ci ;
« imiter […] des bons élèves ordinaires » ; parallèle dans la
même phrase entre « les intelligences normales » et « le niveau
d’une khâgneuse » ; la dernière phrase de l’extrait est construite en
deux parties, qui s’opposent, par la négation (« je n’ai pas
besoin ») et l’affirmation ensuite (« je l’utilise à »),
montrant combien elle ne se comporte pas comme une élève ordinaire.
- Opposition entre l’opinion
commune et la vérité qu’elle connaît : « on pourrait penser »
(le conditionnel souligne que cette réflexion générale, de M. tout le monde, ce
que le pronom personnel indéfini exprime, est mise à distance par l’emploi du
mode conditionnel (la pensée de tout le monde n’est pas vraie) ;
l’exclamation négative vient rompre brutalement cette idée (« Hé bien pas
du tout ! »), et l’emploi du verbe « falloir » avec son
pronom impersonnel comme sujet impose ce qui est la seule vérité selon elle
(présent de vérité générale). Cette manière de poser des vérités renvoient
notamment à ce qu’elle développe dans le premier paragraphe de notre extrait.
- Elle souligne combien il
est difficile de masquer ce qu’elle est, très intelligente, ce qui renforce
encore l’idée qu’elle l’est : « je tente » (= pas forcément
gagnant) ; opposition entre l’effort pour avoir des résultats plus faibles
et le fait qu’elle est première de la classe, par le connecteur logique
« mais » ; « je suis toujours la première » (l’adverbe
souligne une continuité) ; opposition entre « c’est facile » et
l’exclamation qui renforce la négation « pas du tout ! » ;
« se donner du mal » (suppose une souffrance, un effort) ;
énumération des tâches à accomplir pour paraître ordinaire (« imiter le
style, les réponses, les manières de procéder, les préoccupations et les petites
fautes »).
* L’opposition entre
l’apparence et la réalité qui sont des thèmes majeurs du roman apparaît déjà
ici :
- Obligation pour Paloma de
jouer la comédie : cf. les verbes : « jouer les intelligences
normales » ; « imiter » ; cf. comparaison par le
comparatif de supériorité & le verbe pronominal « se faire plus bête
qu’on n’est ».
- Paloma est une
observatrice, donc attentive à ce que les autres laissent paraître :
« si on regarde » ; pour imiter, elle a analysé la forme des
propos des élèves ordinaires, et les sujets qu’ils abordent
(« style » ; « manières » ;
« fautes »).
- Elle ne veut pas être au
contraire remarquée, observée : « je n’ai pas trop envie qu’on me
remarque » (noter la négation + l’emploi du pronom personnel indéfini qui
englobe tous ceux qu’elle peut rencontrer).
Conclusion :
* Cet extrait est une manière
pour le lecteur de découvrir ce nouveau personnage, et d’être intrigué par
cette originalité qui est la sienne : cette intelligence supérieure, ce
recul vis-à-vis des réalités humaines alors qu’elle n’a que douze ans.
* Paloma offre aussi une
vision sur sa classe sociale, une opinion personnelle, qui est que la haute
bourgeoisie n’est pas aussi libre de ses actes et de ses pensées qu’il y
paraît. A la fois elle appartient à ce monde et elle le critique très sévèrement.
* L’originalité du personnage
permet à l’auteur de proposer un regard neuf sur cette classe sociale, de
susciter l’intérêt du lecteur, et de proposer un personnage apparemment éloigné
de celui de la concierge, déjà présentée, mais qui s’en rapproche par ce
caractère décalé, hors normes.
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