Introduction :
Le Père Goriot met en scène le personnage éponyme à
la pension Vauquer. Il s’est enrichi et est parvenu à marier ses filles à des
représentants de la riche aristocratie parisienne. Mais les besoins matériels
de ses filles sont immenses et elles finiront par le ruiner. Dans la même
pension que le Père Goriot loge un jeune homme arrivé de province sans le sou,
et qui ambitionne de s’intégrer à ce même milieu de la haute aristocratie. Les
parcours des deux personnages se croisent et se répondent : Goriot connaît
la déchéance provisoire quand Rastignac reste ambitieux.
Plan
de l’extrait :
1ère
phrase introductrice : constat que Rastignac doit faire un choix de vie.
Vautrin va l’aider à faire ce choix.
Mais
il va progressivement fermer toutes les portes des possibilités qui s’offrent à
Rastignac pour ne plus en garder qu’une.
1)
Rappel des faits passés par Vautrin
a)
Décision de Rastignac de « parvenir »
b)
Emprunt d’argent aux sœurs de Rastignac. Mais solution à court terme car
l’argent va être vite dépensé
2)
Projection vers l’avenir de Rastignac
a)
Le travail. Mais cela ne rapporte pas d’argent ou si peu
b)
S’enrichir rapidement. Mais pas facile car beaucoup de jeunes gens le
souhaitent et peu de places. Deux possibilités :
-
Être génial
-
Être corrompu, solution mise en avant par Vautrin.
Axes
d’étude dans tout l’extrait :
-
Vautrin est un habile orateur, qui use de stratégies argumentatives de qualité
pour convaincre Rastignac, s’imposer à lui en créant une forme de connivence
entre eux deux. Le but de Vautrin est aussi de pousser Rastignac à agir dans la
société dans le sens qu’il souhaite. Il montre aussi
-
Vautrin donne une piètre image de la société de son temps, et offre une vision
violente (volontariste) de la réussite sociale. Vautrin propose une vision peu
morale des rapports entre individus dans la société. Vautrin montre une forme
d’obsession pour l’argent, signe de la réussite sociale.
Problématiques possibles :
* En quoi Vautrin cherche-t-il à imposer à Rastignac un mode de réussite social
violent ?
* Comment, par un discours aux stratégies argumentatives habiles, Vautrin
démontre-t-il à Rastignac qu’il n’y a qu’une solution pour réussir à
Paris ?
* Comment Vautrin assoit-il son autorité sur Rastignac en lui proposant un modèle
d’enrichissement basé sur la corruption ?
Étude
linéaire :
*
1ère phrase : lancement de son discours avec annonce partielle de
l’objectif de celui-ci (pousser Rastignac à prendre une décision) :
-
emploi d’un présentatif (« voilà »),
suivi d’un GN avec une métaphore« le carrefour de la vie ») : le carrefour est le
lieu où plusieurs routes s’offrent à soi, et il faut choisir ; chemin de
la vie.
-
emploi d’un verbe d’action en fin de phrase (« choisissez »), pour montrer que les
paroles qui vont suivre devront être suivies d’actes de la part de
Rastignac ; impératif = autorité de Vautrin sur Rastignac, que
l’apostrophe « jeune
homme » renforce (Vautrin se présente comme un homme plus âge, plus
mûr, plus expérimenté, qui peut le conseiller.
1)
Rappel des faits
passés par Vautrin (l. 1 à 8)
a)
Rappel de la
décision de Rastignac de « parvenir » (l. 1-5 « Vous avez déjà
choisi… qui me va ») :
*
Retour en arrière opéré par Vautrin, pour montrer que Rastignac a
déjà agi, fait des choix vers le destin que Vautrin va lui proposer, comme
si Vautrin ne faisait que suivre ce que Rastignac a déjà inauguré :
-
emploi du passé composé (« vous
avez choisi » ; « vous êtes allé » X2 ; « vous
avez flairé » X2 ; « vous êtes revenu » l. 1-4) =
retour en arrière.
-
Les deux points (l. 1) annoncent une
explication sur le choix opéré par Rastignac.
-
répétition du verbe d’action« choisir » (« choisissez » ; « vous avez déjà
choisi ») : insistance, montrant que Rastignac a déjà avancé.
-
les verbes « aller »
et « flairer »
(l. 1-4) sont aussi des verbes d’action, et leur répétition montreencore le
volontarisme de Rastignac, que Vautrin tient à faire constater.
*
Vers où Rastignac a-t-il déjà avancé ? Vers l’argent, le luxe, que
Rastignac souhaite :
-
deux personnages sont cités (Mme
de Bauséant, Mmme de Restaud), qui représentent la noblesse aisée du
pays, donc la richesse. La désignation « la Parisienne » rappelle aussi le
luxe implicitementpuisque c’est à Paris que l’on trouve les plus grandes
fortunes du pays et que les mondanités de la noblesse sont les visibles,
développées (sorties, réceptions, …).
-
vocabulaire de Vautrin assez percutant, par son caractère un peu
familier : « flairé »
(l. 2 & 3). Rapport au sens de l’odorat, comparaison peut-être implicite à
un animal qui renifle et est attiré, instinctivement. Volonté de posséder, qui
renvoie au désir de Rastignac de s’enrichir, de vivre dans ce monde de la haute
aristocratie parisienne. Noter le nom « luxe » (l. 2) est placé en fin de
phrase, comme le but à atteindre par Rastignac, déjà mis ici en valeur.
-
la répétition, en italique, donc bien en évidence, du verbe « parvenir »
(l. 4), à la fin de cette première étape du retour en arrière, souligne la
décision prise par Rastignac : s’élever dans la société, s’insérer dans la
haute aristocratie du pays, donc s’extraire de son milieu modeste. Le mot a en
effet un sens d’élévation sociale. A noter aussi le radical de ce verbe,
« venir », verbe de mouvement, qui montre bien que Rastignac ne
souhaite pas rester dans sa condition actuelle. Le mot fait aussi écho aux
passages chez les deux aristocrates, exprimés par des verbes de mouvement
(« allé »).
*
Une prise de décision soudaine par Rastignac, repérée par Vautrin :
« parvenir » :
-
« ce jour-là » (l.
3) : insistance sur le fait que la première décision de Rastignac a été
soudaine, et qu’elle est bien la conséquence du passage chez les deux femmes,
rappelé dans la phrase précédente (cf. déterminant démonstratif « ce »).
-
verbe de mouvement inverse du verbe « aller » (« vous êtes
allé ») utilisé dans les phrases précédentes (« vous êtes revenu » l.
3-4) :cet écho souligne quel’idée de « parvenir » est la conséquence de ce
qui a précédé.
-
métaphore encore ici : « un
mot écrit sur votre front » (l. 4). Cela souligne que Rastignac est
décidé, que cela se voit sur son visage. Mais c’est également comme si c’était
définitif (les écrits restent, surtout s’ils sont bien visibles sur le visage).
-
citation (d’où les italiques) de ce « mot » par Vautrin : « Parvenir ! Parvenir
à tout prix » (l. 4) : il lit à livre ouvert dans Rastignac,
parle comme à sa place. Cela va justifier aussi le fait que, l’ayant bien
compris, il peut le conseiller au mieux sur la suite des choix à opérer pour
réussir dans ce monde luxueux.
-
« prix »
(l. 4) : rappel qu’il est question d’argent, mais aussi que si tous les
moyens sont permis, l’honnêteté ne sera pas respectée forcément (annonce de la
fin de notre extrait).
*
Vautrin, très volontariste aussi, crée ainsi une sorte de connivence avec
son interlocuteur (pour le convaincre plus facilement, l’amadouer) :
-
emploi du déterminant possessif « notre » + nom indiquant une parenté (« cousine »).
-
connivence encore par le rappel du lien familial avec un résident de la pension
Vauquer où Vautrin et Rastignac résident : « la fille du père Goriot ».
-
noter la répétition dans toutes les phrases du texte du pronom personnel « vous » :
Vautrin semble être très préoccupé par le sort de Rastignac, il parle même à sa
place, il le comprend comme si c’était lui. Mais c’est aussi une forme
d’usurpation d’autorité : Rastignac doit suivre ce que Vautrin lui dit.
-
autre moyen de créer de la connivence : il approuve, félicite même (« bravo ! »
l. 5). Noter le point d’exclamation qui renforce les félicitations.
-
« qui me va »
(l. 5) = qui me convient = sentiment positif de Vautrin vis-à-vis de Rastignac
= connivence ainsi soulignée.
*
Vautrin impose déjà son autorité, sa parole argumentée :
-
il emploie la 1ère personne du singulier (deux mots dans une courte phrase, de
plus : « je »,
« me » l.
5), qui tranche avec la deuxième personne utilisée dans tout le reste du
texte : cela montre que Vautrin, s’il laisse croire qu’il met Rastignac en
avant, reste maître du jeu, de sa parole, de son argumentation. Marque aussi de
l’autorité qu’il détient sur le jeune homme.
-
Vautrin se cite lui-même (proposition incise « ai-je dit »), comme dans un dialogue à
la phrase citée en italique précédente, qui se présentait comme une citation de
Rastignac. Vautrin fait mine de dialoguer, d’échanger avec Rastignac mais il
impose en fait ses vues.
-
noter le langage encore un peu familier de Vautrin (« gaillard »), signe de son
appartenance à un milieu populaire, mais aussi manière d’affirmer encore plus
ses idées (la vulgarité donne une force, mais aussi révèle parfois une forme de
violence du personnage qui tient les propos).
b) Rappel du 1er moyen
employé par Rastignac pour « parvenir » : l’emprunt à ses
sœurs (l. 5-8 « Il vous a fallu… maraude ») :
*
Vautrin poursuit son retour en arrière (emploi du passé composé encore
ici : « a
fallu » l. 5 ; « avez saigné » l. 6 ; emploi du participe passé « arrachés » l.
7), avance dans le temps, après la décision de Rastignac de percer le monde de
l’aristocratie parisienne.
*
La question de l’argent revient de manière précise et pressante :
-
formule impersonnelle (« il
vous a fallu » l.5) pour montrer que la décision de Rastignac
impose le besoin d’argent, que Rastignac n’a pas d’autres solutions que de s’en
procurer. Le verbe « falloir » montre aussi cette obligation qui
s’impose à Rastignac, comme la succession du sujet « il » et du
pronom personnel complément « vous ».
-
l’apparition du mot « argent » (l.
5) renvoie aussi au but que Rastignac s’est assigné : parvenir signifie
acquérir un niveau de vie possible grâce à des moyens financiers conséquents.
-
rappel de la somme (« vos
quinze cents francs » l. 6-7) : écho au nom
« argent », sujet de ce texte : critique d’une société française
et/ou parisienne dédiée au fait d’amasser de l’argent.
-
autre référence à l’argent : « pièces de cent sous » (l. 7-8). Comparaison par le
biais du comparatif de supériorité « plus… que » (l. 7) entre des châtaignes, fruits de
l’hiver, qui ne valent pas grand-chose, et poussent facilement, sans soin, et
l’argent →mépris de Vautrin pour le territoire d’origine de Rastignac, qui est
ainsi considéré comme très pauvre, et donc inintéressant puisqu’on ne peut s’y
enrichir. C’est aussi une manière de mettre en valeur le milieu social auquel
Rastignac aspire, celui de la très grande richesse, et donc de montrer que
Rastignac ne peut songer retourner dans ce pays.
*
Vautrin continue à se montrer bon discoureur :
-
question rhétorique (« où
en prendre ? » l. 5) : cela rythme les propos de Vautrin,
relance l’intérêt du jeune homme, mais aussi de nous lecteurs. Par ailleurs
c’est comme une étape de la réflexion menée par Vautrin. Vautrin se met à la
place de Rastignac encore une fois, parlant à sa place, posant la question
qu’il a dû se poser.
-
suite du lexique familier de Vautrin (« filer » ; « maraude »
l. 8) = emploi d’une comparaison : Vautrin use d’un discours très
expressif, qui doit frapper l’esprit de Rastignac et des lecteurs du roman.
*
Autre stratégie argumentative : Vautrin souligne que Rastignac a fait
usage de violence vis-à-vis de sa famille :
-
le verbe « prendre »
(l. 5) laisse penser que ce n’est pas un emprunt, que l’argent a été comme
arraché. Cela renvoie en partie à l’expression « à tout prix » : Vautrin va
suggérer à Rastignac qu’il s’est déjà laissé aller à la malhonnêteté
(préparation de la fin de son raisonnement, qui sera d’autant plus facilement
acceptée que Rastignac est déjà sur cette pente, selon Vautrin).
-
le verbe « saigner »
(l. 6) fait référence au sang, au meurtre, à la mort. Il est normalement
utilisé pour des animaux : dévalorisation des sœurs. Notons le contraste
entre ce verbe violent, et le possessif familial « vos sœurs » (l. 6) : Le lecteur
ne peut qu’être choqué. Pour Vautrin, cela permet de remuer aussi Rastignac,
mais surtout de lui montrer qu’il s’est déjà montré malhonnête, et vis-à-vis de
membres de sa famille de plus.
-
phrase qui vise à minimiser l’acte précédent de Rastignac, par le présent de
vérité générale (« flouent »
l. 6), et les pluriels à valeur universelle (« tous les frères » ; « leurs sœurs »).
Le verbe « flouer » renvoie au vol, donc encore à un acte malhonnête.
-
le verbe « arrachés »
(l. 7) fait écho au verbe « saigner » par sa violence dans les
rapports humains qu’il suggère. L’argent suscite des convoitises qui créent des
violences y compris au sein des familles : autre critique par Balzac de la
société de son époque.
-
exclamation de Vautrin (« Dieu
sait comme ! » l. 7), qui s’étonne de la capacité de Rastignac
à rassembler une telle somme. Référence à Dieu, mais uniquement dans une forme
d’interjection, car ce que Rastignac a fait est bien peu moral :
ironique ?
-
violence encore rappelée par la référence aux soldats (« comme des soldats à la
maraude » l. 8) : par leur identité (leur fonction est de tuer, de
se battre) ; par leur action (à la maraude = en train de chercher à voler,
notamment des fruits et légumes dans les campagnes). Encore une référence à la
malhonnêteté : Vautrin tente d’installer cet état de fait comme quelque
chose d’habituel, pour préparer la suite de ses propos ; il montre aussi
ce qu’il est (un voleur, un bandit) ; l’argent est ainsi aux actes délictueux,
il va servir à s’insérer dans le milieu de l’aristocratie parisienne, d’une
manière pas forcément très réglementaire.
*Noter
que le verbe « vont »
(l. 8) est au présent et exprime un futur proche : le retour en arrière
est fini.
2) Projection vers l’avenir de
Rastignac :
*
Transition entre les deux étapes de son discours :
-
« Après »
(l. 8) : connecteur temporel, pour passer du passé (et présent) à
l’avenir que Vautrin va proposer à Rastignac, manière de montrer qu’il a
l’ascendant sur lui, qu’il est comme détenteur d’un savoir qu’il offre à
Rastignac. Verbe au futur de l’indicatif : « ferez ».
-
phrase interrogative ligne 8, pour marquer l’étape de ce passage (rupture avec
les phrases déclaratives qui dominent dans le passage), et pour interpeller
Rastignac, le pousser à réfléchir : mais comme Vautrin va répondre, il va
orienter la réflexion du jeune homme dans le sens qu’il souhaite.
-
Emploi du verbe « faire » (l.
8) : le projet est toujours d’agir.
a) 1ère solution pour
« parvenir » et s’enrichir : le travail :
*
Vautrin évacue cette solution par divers arguments :
-
2ème question (« vous
travaillerez ? » l. 8-9) = une solution émise par Vautrin,
très courte, comme si elle était destinée d’emblée à être évacuée. La phrase
qui concerne le travail est courte (l. 9-10), ce qui montre encore que ce ne
peut être une solution à envisager par Rastignac : pas besoin d’argumenter
longtemps pour montrer que c’est une mauvaise solution.
-
La réponse donnée par Vautrin (il souligne qu’il y répond en reprenant un mot
de la même famille que le verbe « travailler » : « le travail »)
est sans appel : le verbe au présent de vérité générale (« donne » l. 9)
indique que c’est bien une vérité sociale : la seule récompense attendue
si on travaille est « un
appartement » (l. 10), ce qui semble maigre.
-
la modestie de la récompense du travail est encore soulignée par l’insertion du
complément circonstanciel de temps « dans les vieux jours » (l. 9-10), qui laisse
imaginer une vie de dur labeur, et qui contraste encore avec ce qui arrive
juste après, le COD « un appartement ».
-
le complément circonstanciel de lieu « chez maman Vauquer » (l. 10) est aussi important,
car la pension Vauquer abrite de très modestes, voire sordides logements (vieux,
sales). Le gain espéré par le travail n’est même pas un appartement
décent.
-
dernier coup de massue, en quelque sorte : « à des gars de la force de Poiret » (l
10) : seuls ceux qui ont la force de caractère de Poiret, un des
pensionnaires de la maison Vauquer, peuvent réussir à obtenir ce type de
logement. Sous-entendu : Rastignac ne peut espérer autant en travaillant.
Conclusion
de ces arguments : le travail n’est pas la bonne solution pour s’enrichir.
*Encore
une fois, Vautrin se montre habile dans son argumentation :
-
L’appartement chez « maman Vauquer » est un exemple, ce que la
référence au personnage de Poiret confirme. Par cette illustration concrète,
Vautrin veut se faire bien comprendre de Rastignac, et frapper son esprit, car
Poiret vit modestement (la pension Vauquer est modeste, immonde, décrépite).
-
Vautrin se montre aussi ironique et moqueur envers toute la médiocrité de
Poiret, et donc de l’avenir promis à ceux qui tentent de s’enrichir en
travaillant : travailler = faire des efforts, se fatiguer.
Donc
Vautrin fait comprendre que le travail n’est pas une option acceptable pour le
jeune homme, il élimine cette possibilité pour « parvenir ».
-
répétition du verbe « comprendre » (« comme vous le comprenez » l.
9) : Vautrin se met à la place de Rastignac par la comparaison, où
Rastignac est nommé (« vous »)
et sujet du verbe (« vous
comprenez ») ; et il donne une définition du
« travail ». Vautrin détient un savoir, qu’il donne à Rastignac. C’est
aussi une manière de s’imposer à Rastignac, de montrer une forme de supériorité
sur lui.
-
opposition entre le CC de temps « en ce moment » et le CC de temps « dans les vieux
jours » : Vautrin projette Rastignac dans un avenir lointain.
Tel un mage, il peut prédire l’avenir. Cette opposition souligne que Rastignac
se trompe, ce que l’affirmation de Vautrin confirme.
b) 2èmes solutions
pour « parvenir » et s’enrichir cette fois rapidement :
*
« Une rapide
fortune » (l. 10-11) est placé en tête de phrase, bien en évidence,
et contraste fortement avec la médiocrité dont il était question dans la phrase
précédente (lenteur de l’enrichissement, et modestie des résultats). Vautrin
fait miroiter un autre avenir à Rastignac.
Vautrin
avance par étapes bien ordonnées : il va poser le
problème, puis proposer deux solutions (faire preuve de génie ou être
corrompu), pour finalement montrer qu’une seule (la corruption) d’entre elles
est efficace pour réussir. Cela démontre aussi la finesse de son argumentation
pour convaincre Rastignac.
*
Vautrin pose les données du problème
et insiste sur la difficulté pour Rastignac de « parvenir » :
-
termes mathématiques : « problème »,
« résoudre », « cinquante mille », « nombre »
(l. 11 & 12). Le projet de Rastignac est résumé comme un problème
mathématique, scientifique. Cela montre que c’est possible, mais aussi sans
doute que ce peut être difficile.
-
et effectivement, Rastignac se trouve mis à égalité avec un grand nombre de
jeunes (50 000) : « cinquante
mille jeunes » (l. 11) à
« votre
position » (l. 12) : opposition entre les deux termes,
égalité-comparaison de Rastignac à ces 50 000 jeunes gens = petitesse de
Rastignac, donc manque de chances d’y parvenir. Et Vautrin insiste dans la phrase
suivante en opposant encore le jeune Rastignac et le groupe immense des jeunes
qui souhaitent « parvenir » : « une unité » est opposée à « ce nombre-là »
(l. 12) (50 000 = nombre très élevé).
-
deux termes se renforcent l’un l’autre et évoquent la difficulté et la fatigue,
le travail en quelque sorte : « efforts » ; « acharnement » (l. 13).
*
Vautrin clôture ensuite son raisonnement,
le referme vers la solution unique pour « parvenir » :
-
le terme « chemin »
(l. 15) fait écho au carrefour du début de l’extrait : métaphore du chemin
de la vie. Et l’emploi du verbe « fait » (l. 15), avant « son chemin »,
montre bien que rien n’est acquis en soi, qu’il faut travailler pour se
construire un avenir confortable.
- Restent
deux solutions : opposition entre les deux compléments d’agent « génie »
et « corruption » (l. 15). Le génie suppose des talents
personnels qu’on met en valeur, quand la corruption suppose seulement la
capacité à tromper, à utiliser les autres à son profit. Le premier terme est
mélioratif, et le deuxième est péjoratif, supposant un jugement de valeur moral
dépréciatif.
- Vautrin écarte le génie comme une solution
efficace, viable : la dernière phrase (« l’honnêteté ne sert à rien » l. 17),
courte, apparaît comme une vérité définitive, à laquelle on ne peut s’opposer,
par le présent de vérité générale (« sert »), l’article défini placé devant
un trait de caractère (« l’honnêteté »),
le pronom indéfini « rien »,
comme une sorte d’hyperbole, sans exceptions possibles.
- il ne reste que la corruption, ce que
suggère l’avant-dernière phrase de l’extrait (« Il faut entrer… peste » l. 16-17). Le
choix de la peste est éloquent : maladie (donc très péjoratif), qui
détruit, tue, très contagieuse (donc le lexique militaire, qui suggère déjà la
mort, est renforcé ici). Violence de la méthode préconisée par Vautrin,
puisqu’il faut se montrer le plus fort, détruire autour de soi pour s’imposer.
Vautrin montre clairement qu’il a choisi une
forme d’immoralité pour réussir, et qu’il suggère à Rastignac de faire de même.
Vision sociale très négative : cela signifie que Balzac observe que la
société de son époque fonctionne ainsi. La violence du discours de Vautrin
dénonce quelque part cette manière de faire, de réussir, de s’en sortir.
-
on peut noter que la solution de la corruption, de la malhonnêteté, seule
possible selon Vautrin, est énoncée dès la ligne 13, ce qui élimine d’emblée
l’autre solution, qui ne sera énoncée qu’à la ligne 15 (« génie »),
pour être de nouveau écartée par le retour du lexique violent.
*
Vautrin souligne donc que pour « parvenir », il s’agit de se
battre violemment :
-
Rastignac est comme à la ligne 8 assimilé à un combattant sur un champ de
bataille : champ lexical militaire (« position » ; « unité » ;
« combat » l. 12-13) ; même le nombre de jeunes gens
(50 000) fait penser à une armée.
-
cette image militaire, de combat, se poursuit avec la comparaison concrète et
donc très frappante de la phrase suivante des araignées dans un pot :
animalisation des jeunes gens, cannibalisation (« manger » l. 13). Le groupe nominal « bonnes places »
(l. 14) propose une vision de la société où il y a des endroits, des
milieux où l’on vit bien. Vautrin souligne que ceux qui y accèdent ne sont pas
les plus méritants d’une forme de justice sociale, ceux que l’on récompenserait
pour leurs mérites réels. Il s’agit plutôt de la loi de la jungle (d’où l’image
des araignées), de la loi du plus fort.
- plus loin, aux lignes 16-17, on retrouve un
lexique militaire & violent : « masse d’hommes » ; « boulet de
canon » (l. 16) à
comparaisons encore une fois : manière de Vautrin de s’exprimer très
concrète, visuelle, frappante. C’est aussi ainsi une manière de convaincre son
interlocuteur (voir ci-dessous).
*
Vautrin est un fin rhétoriqueur qui impose encore une fois sa manière de
voir la situation à Rastignac :
-
interpellation directe de Rastignac par un verbe à l’impératif placé en tête de
phrase : « jugez »
(l. 12). Vautrin s’impose à Rastignac, par l’usage de cet impératif et par ce
verbe qui se réfère à la réflexion personnelle : appel à la pensée
rationnelle de son interlocuteur.
-
Vautrin articule très bien son discours, est clairement dans un discours très
argumenté : connecteur logique de cause « attendu que » (l. 14).
-
Ligne 15 : encore une phrase interrogative (question rhétorique), pour
interpeller à la fois Rastignac et le lecteur du roman. Comme pour le verbe
« comprendre » plus haut, Vautrin met en valeur ses connaissances,
qu’il souligne ici par le verbe « savoir » (« savez-vous » l. 15). Le mot
interrogatif « comment »
montre aussi que Vautrin peut expliquer, a compris ce que d’autres n’ont pas
compris. Le fait qu’il réponde immédiatement, de manière assez courte,
incisive, sans reprendre grammaticalement les mots de la question, affiche encore
son savoir (« par… »
l. 15).
- « il faut » (l. 16) : usage du verbe
« falloir », formule impersonnelle, présent de vérité générale :
cela exprime la certitude de Vautrin, sûr de lui, de son savoir, le fait qu’il
conseille Rastignac.
Conclusion :
* Par le discours de Vautrin, Balzac offre un
portrait du Paris du XIXè siècle peu flatteur, où le luxe côtoie la misère, où
ceux qui sont très aisés sont corrompus, où ce n’est pas l’intelligence qui
permet d’accéder aux hautes sphères sociales, mais la violence. La fiction
permet, par ce personnage de bandit, de révéler la réalité sociale.
* Vautrin offre ici une vision cruelle,
personnelle (parcours associé : individu), de la réussite sociale, mais
qui en fait, suit les règles collectives du milieu qu’il évoque (parcours
associé : société). Et sa « morale », même si elle peut
apparaître immorale, est bien celle de la morale de l’époque, au sens des
règles admises collectivement comme régissant ce milieu social de
l’aristocratie parisienne, et donc de l’élite dirigeante de la France
monarchique post-napoléonienne.
* Rastignac finira, à la fin du roman, par
suivre les conseils de Vautrin, en lançant son fameux « A nous deux
maintenant ! » et en se rendant chez Mme de Nucingen, qui appartient
à la haute aristocratie parisienne.