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L'écrivaine Andrée Chédid entourée des chanteurs Louis Chédid et Mathieu Chédid (respectivement fils et petit-fils)
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Photo : France 24
Structure du
texte :
1- v. 1-15 : Renaître par un arbre des forêts ou des
jardins
2- v. 16-34 : S’éteindre comme l’arbre des villes, mais
garder un principe de vitalité en soi
3- v. 35-38 : Conclusion : aller vers les arbres
est un moyen pour chacun de se trouver, car ils nous ressemblent
Mouvement général
du texte : confrontation de deux types d’arbres, d’abord dans la
nature, qui résiste, ensuite en ville, qui semble mourir, avant de montrer
combien l’arbre peut redonner de l’énergie à chaque être humain, dans une
fusion. Poème en forme de fable. L’arbre allégorie de la vie humaine.
Problématiques
possibles :
* En quoi ce poème se présente-t-il comme une forme de fable ?
* En quoi l’arbre est-il à l’image des êtres humains ?
* Comment le poème met-il en scène le rapprochement
progressif entre l’être humain et l’arbre ?
Analyse
linéaire :
NB. Outre les parties indiquées, le plus simple est de
procéder par strophes successives.
* Titre :
« destination » : indication spatiale ; but à atteindre,
que le poème peut permettre d’atteindre (pas seulement le contenu traité dans
le poème, mais la parole poétique elle-même ; comme un trajet dans le
poème lui-même, à l’instar de Dorion dans son recueil). L’« arbre »
est le sujet du poème, comme l’élément naturel dans lequel on invite le lecteur
à se plonger, à revenir. Un titre en forme de programme.
1- La renaissance par l’arbre
(v. 1-15) : L’arbre fait renaître -> fait accéder à la liberté / à la
révélation
Strophe 1 :
* Comment le mouvement à travers l’arbre devient-il
mouvement de renaissance et mouvement vers l’association entre humain et arbre ? :
- Verbes de mouvement « parcourir »
(mouvement assez large du point de vue spatial) ; « plonger ». Mouvement descendant
par le verbe « plonger », et par le complément circonstanciel de lieu
« au fond des
terres ».
- Mise en parallèle de deux lieux
différents, les « forêts »
(nature plus sauvage) et les « jardins »
(lieux domestiqués par l’homme) et les « terres », en fin de trois vers
successifs, et par le parallélisme de construction.
- La fin de la strophe donne le
sens de ces mouvements : une renaissance ;
donc passage par la mort et une nouvelle vie, comme tout végétal. Symbolique
aussi renforcée par le terme « argile »
qui fait penser aux mythes de création : dans la Bible, le Coran, chez les
Sumériens, chez les Egyptiens, les Grecs, Chinois, Hindous, Amérindiens…
- Mise en place de la fusion avec
l’arbre, puis redémarrage comme à zéro, comme un nouveau végétal. Verbes d’association entre être humain et arbre (« se lier » ;
« se mêler » :
forme de gradation).
* En quoi l’évocation de cet
arbre se fait-elle universelle ? :
- La majuscule à « Arbre »
signale l’universalité, comme dans une fable de La Fontaine. Il ne s’agit pas
d’un arbre en particulier, mais des arbres dans leur ensemble. Ceci est
confirmé par les pluriels des lieux cités (« forêts » et « jardins »).
- Les verbes à l’infinitif
suivent l’universalité et ajoutent un effet de règles données, comme dans une
recette de cuisine : infinitifs à valeur impérative ou descriptive.
Universalité par le fait que les verbes ne sont pas conjugués.
Strophe 2 :
* Comment l’association entre humain et l’arbre est-elle
mise en œuvre ?
- Mouvement
(suite) : suite des verbes de mouvement, avec occupation de l’espace « arbre » :
« gravir »,
« envahir »
= suite de l’association-fusion entre humain et végétal : outre
l’occupation spatiale qui montre une occupation et donc une association qui se
généralise, confirmée par les différentes parties de l’arbre, depuis les « racines »
jusqu’au « fût »
(= tronc) puis à la « charpente »
et aux « branchages »
(= ramure, branchages), termes tous mis en fins de vers, en parallèle, et par
le verbe final de la strophe « se
greffer » : association-fusion (cf. sens botanique d’une
greffe).
- Progressivité,
par les différentes parties de l’arbre, du bas vers le haut (inverse de la
strophe 1), en suivant l’architecture d’un arbre, et par les verbes pronominaux
(ou réfléchis ?) « s’affranchir »
et « se
greffer », et par l’adverbe « lentement » et la locution adverbiale « peu à peu »
placée en évidence en début de strophe, et seule sur son vers. Le lecteur
imagine ce déplacement, cette action de fusion humain-arbre, comme en train de se
réaliser.
*
Quel sens donner à cette association ?
- Idée de libération, par le mouvement ascendant (quitter le sol pour aller
vers l’aérien : symbolique), et par le verbe « s’affranchir ».
- Association
entre humain et végétal, ambiguïté par les noms « fût » et
« charpente », qui désignent aussi des constructions humaines
(« fût » = partie d’une colonne, ou récipient pour du vin par
exemple). Donc il ne s’agit pas tant d’un déplacement réel dans un arbre qu’un
processus mental à opérer pour se rapprocher du végétal, être plus en
adéquation avec lui.
- Les verbes à l’infinitif
invitent (notamment le lecteur), s’ils sont compris comme des ordres/conseils
(sens impératif, injonctif), à agir de la sorte, à s’inscrire dans ce
processus. On va dans le sens du terme « destination » du titre : un lieu à
atteindre, ou plutôt un but vers lequel tendre : se rapprocher du végétal,
en tant qu’être humain. Le poème mime, laisse imaginer le processus, ce qui
montre que le processus est aussi celui du poème qui se déroule, que la parole
met en scène.
Strophe 3 :
* En quoi le mouvement, le récit, le processus, se
poursuit-il ? :
- Début de strophe par un adverbe
temporel (« puis »),
mis encore plus en évidence par l’espace blanc après lui.
- Temps qui passe : « les soleils »
(pluriel pouvant évoquer les jours qui passent) ; « jour et nuit » : indices
temporels suggérant une succession temporelle continue, perpétuelle. Temps de
l’arbre, temps de l’être humain (temps basé sur la succession naturelle du
temps et non sur le décompte d’une horloge).
- Espace
plus large : après la montée vers le haut de l’arbre, on débouche sur « l’espace » :
confirmation de la libération, d’un espace plus large que celui qui a précédé. L’évocation
des « orages »
qui fait penser aux nuages et aux éclairs dans le ciel, comme celle des « soleils »,
hauts dans le ciel, le confirme.
* Comment l’association entre humain et végétal se
poursuit-elle ici ? :
- « embrasser » = proximité physique +
sentiment d’amitié ou d’amour. Même idée contenue dans le verbe
« déchiffrer », qui suppose un acte de lecture, de compréhension,
difficile, dont on ne possède pas le code, ou dont on ne maîtrise pas bien le
code. Association du verbe « déchiffrer »
à un terme relatif à la nature, « les soleils » ; mais le pluriel peut
étonner : nouvelle suggestion de la métaphore, de l’interprétation (cf.
ci-dessous).
- Avènement d’une forme de vérité : champ lexical de la lumière (« éclat »,
« soleils », « jour »), qui éclaire l’esprit (même
si cela reste difficile, comme le suggère le verbe
« déchiffrer ») : l’arrivée au sommet de l’arbre, ou au bout des
branches, permet de révéler une vérité jusque là inconnue. Donc on note que
cette vérité est liée au végétal : « de feuilles » complément du nom « éclat », le
verbe « déchiffrer »
lié à son COD « les
soleils ».
* Introduction de difficultés,
d’obstacles à affronter : verbes « résister » et « affronter » : force à
opposer à des adversaires, ici les « orages ». A prendre sur un plan symbolique,
métaphorique : les « orages »
de la vie. La vie de l’arbre est à l’image de celle des êtres humains.
2- À l’inverse, l’épuisement
avec un arbre des villes (v. 16-34)
L’arbre semble mourir en ville
-> mais on peut participer à sa souffrance et il garde en lui une force de
vie qui n’attend que de sortir, de surgir.
Strophes 4 et 5 :
* Comment ce 2ème
arbre est-il construit en parallèle antithétique au premier ? :
- Comparaison
des deux arbres, parallèle avec la 1ère évocation : « au cœur »
fait écho à « au
fond » ; reprise de « jardins » et « forêts », de nouveau placés l’un après
l’autre en fins de deux vers successifs. Le but est d’accentuer l’antithèse entre
la situation du premier arbre et de celui-ci : opposition entre « des terres »
(qui est ensuite gage de vie, de renaissance) et « métropole » + « asphalte » (milieux urbains +
plaque qui recouvre le sol, empêche de plonger dans le monde souterrain, d’accéder
à la « terre »
qui fait vivre les végétaux ; donc monde inerte, et créé par les hommes,
alors que dans le premier temps c’était la nature qui était mise en avant, qui
offrait son énergie).
- Pas de renaissance dans le 2ème
cas, mais au contraire un rapprochement de la
mort : « un
tronc rêche », des « branches taries », des « feuilles longuement éteintes »,
seulement des synonymes de mort, d’affaiblissement de la vie. Énumération des
différentes parties de l’arbre soulignées par la reprise de « aux » sur
trois vers successifs, toutes parties de l’arbre abîmées, en souffrance. Echo
aux différentes parties de l’arbre évoquées dans la première partie (« le fût » v.
8, les « branchages »
v. 10, les « feuilles »
v. 11).
* En quoi cet arbre met-il en
avant l’absence de liberté et la solitude ? :
- S’opposent aussi les mouvements
descendant et surtout ascendant du 1er cas et « enclos » qui
évoque l’enfermement, loin de la liberté
suggérée dans la 1ère partie (et le complément circonstanciel avec
la préposition « dans »
semble encore plus l’enfermer).
- Et l’insistance sur le lien
entre humain et végétal, sur l’union, voire la fusion, tranche avec le
participe passé « éloigné »
(distance spatiale ≠ « se
lier ») et « orphelin
des forêts », qui marque une absence, une solitude (≠ « se mêler »),
l’absence de liens familiaux (la
renaissance dans le 1er cas pouvait faire penser à la filiation
familiale).
- « un arbre un seul » s’oppose avec force
(répétition de l’article indéfini « un », dans un même vers ≠
article « l’ »
v. 1 ; espace blanc qui isole cet arbre dans le vers ; ajout de « un seul » qui
montre qu’il n’est pas accompagné d’autres arbres, de congénères : ce
n’est pas une forêt, ce n’est pas une multitude d’êtres vivants, mais un
seul : pauvreté du vivant en ville) aux « forêts » plurielles (v. 3 & 21).
- Notons que dans le 1er
cas les verbes pronominaux à l’infinitif évoquaient des actions, prônaient une
activité, alors qu’ici il s’agit de constats, suggérant une passivité, le fait de subir.
* Une expérience du langage
poétique :
« Évoquer » :
rappel du langage, donc ici du poème en train de se dérouler (peut-être de
s’écrire). Rappel de ce que la poète est en train d’inventer. L’adverbe de
temps « ensuite »
montre que ce qui se joue dans ce poème n’est pas tant une expérience réelle
dans un arbre qu’une expérience d’écriture poétique.
Strophe 6 :
* Comment la proximité entre l’arbre et l’être humain
est-elle de nouveau évoquée ? :
- Retour de l’idée du lien à l’arbre : « s’unir » fait penser à « se lier » (v.
2), « se
greffer » (v. 10). Comme une compassion envers l’arbre des
villes ; l’humain comble la solitude végétale de cet arbre.
- Idée aussi de participer à sa souffrance : « cette soif »
reprend les qualificatifs de la strophe précédente (« taries », « éteintes »),
par les déterminants démonstratifs « cette »/« ces » ;
« cette
retraite » reprend l’isolement évoqué aux vers 18, 20, 21 ; « ces appels »
s’ajoute, laissant imaginer, dans cette personnification de l’arbre, un appel à
l’aide. Les trois termes en fins des ces vers 26, 27, 28 sont péjoratifs dans
la situation évoquée, rappelant la solitude, la sécheresse de cet arbre.
- Reprise des verbes à
l’infinitif pronominaux : « s’unir », et ensuite de verbes à l’infinitif, non
pronominaux (« rejoindre »,
« écouter »), verbes d’action. Il s’agit de la poète qui agit,
mais aussi d’une invitation au lecteur à
faire de même (cf. caractère impersonnel des verbes à l’infinitif).
Forme d’appel au lecteur à
prendre conscience de la souffrance des arbres des villes, et à avoir une forme
d’empathie envers leurs souffrances.
- Noter
que la reprise des mêmes termes permet à la fois d’opposer les deux arbres mais
de souligner aussi dans les deux cas la proximité qui est suggérée aux
lecteurs, en tant qu’êtres humains, avec l’arbre, quel qu’il soit. Dans le 1er
cas, la proximité redonne vie à l’être humain ; dans le 2è cas, c’est
peut-être plus l’humain qui vient en appui de l’arbre épuisé. Echange de
l’appui, de l’énergie : vie en symbiose.
« rejoindre »
est un verbe de mouvement évoquant la spatialité, qui fait écho aux verbes du
même type précédents : « parcourir »
(v. 1), « gravir »
(v. 8), « envahir »
(v. 9). Donc cela les rapproche : mêmes types de mouvements, vers l’arbre,
dans l’arbre.
Strophe 7 (strophe
de transition) :
* Comment le rapprochement entre l’arbre et l’humain se
poursuit-il ? :
- Le rapprochement se fait plus
net ici encore avec cet arbre, par les sens :
verbe « sentir »
relatif au toucher, à la sensibilité + « sous l’écorce », complément
circonstanciel de lieu, qui suggère le toucher avec la surface de l’arbre,
comme sa peau.
- Ici encore idée d’aller au-delà
des apparences, d’aller au cœur :
préposition « sous »,
« sèves »
intérieures à l’arbre, comme les « bourgeons » non encore sortis, mais bien présents
potentiellement.
* En quoi cette proximité se
manifeste-t-elle aussi par le fait que la vie résiste malgré tout, chez l’arbre
comme chez l’être humain ? :
- « captives » rappelle l’arbre « enclos » (v. 19), son
emprisonnement. Mais sous son aspect « rêche », peu avenant, il y a la vie qui
résiste : force contenue (« invincibles »
qui rappelle la résistance du 1er arbre aux éléments hostiles :
l’arbre est synonyme de vie, de résilience ;
« montée »
= mouvement qui rappelle celui du gravissement du 1er arbre ; « pression » =
force, résistance). Pluriel des « sèves » et « bourgeons » = autres formes de vie, de
forces.
- Comparaison indiquée par le mot
de comparaison « semblables
à », qui conclut cette strophe, et prépare aussi la fin du poème.
L’évocation des arbres fait revenir aux êtres
humains : leurs « rêves »,
leurs « vies ».
Vies de l’arbre et vie des humains sont identiques, car tous deux attendent de
s’accomplir (les « rêves » sont intimes, intérieurs, et pourraient
devenir réalité), et leur force intérieure reste malgré les difficultés du
quotidien, les accidents de parcours : « tenaces » fait écho à un autre
adjectif, « invincibles », tous deux évoquant une forme de force, de
persévérance, et de continuité, même dans la faiblesse.
- Idée que le fait de garder
l’espoir, de continuer à rêver à l’avenir, est une manière de garder la
force : « fortifient »
au présent d’énonciation, et de vérité générale : avant-goût de la morale
finale de la poète.
- « nos » :
déterminant 1ère personne du pluriel, englobant l’humanité, poète et
lecteurs.
3- Conclusion : morale
finale : se rapprocher des arbres est un moyen pour chacun de vivre son
temps (v. 35-38)
* Vers quoi cheminer ?
- Verbe de mouvements, de déplacements : « cheminer », « explorant »,
« aller », tous placés en tête de vers : ils se font écho
les uns aux autres, se renforcent les uns les autres. « d’arbre en arbre » :
multiplicité : lien entre les deux arbres évoqués précédemment,
universalité, cheminement plus large, espace élargi.
- « dépistant » fait penser à « déchiffrer »
(v. 14). Noter aussi que le verbe est construit sur « piste », comme « cheminer »
est construit sur « chemin » : volonté de trouver une voie dans sa vie, de tracer un chemin de vie, de savoir
où l’on va. On retrouve l’idée du titre : aller vers l’arbre, c’est aller
vers soi, par cette proximité qui nous rassemble, végétaux et humains.
* Entre instant et universalité/intemporalité :
- Opposition entre les deux noms
relatifs à la perception du temps : « l’éphémère » ≠ « la durée ». L’arbre est à la fois
perception de l’instant et de ce qui perdure, reste.
- Mêmes verbes à l’infinitif : sortes de conseils
(forme injonctive) donnés aux lecteurs ; universalité par le choix de ce
mode verbal.
Conclusion de l’analyse
linéaire :
- Proximité entre les humains et
les arbres, par leur principe de vie, par les problèmes, les obstacles qui se
posent à leur épanouissement. Observer les arbres, c’est s’observer soi-même,
comme chez Hélène Dorion (cf. derniers vers du recueil).
- Volonté de la part d’Andrée
Chédid de rappeler et dénoncer les dommages causés aux arbres dans les milieux
urbains, dans ces milieux aseptisés, créés par l’homme. Ainsi, elle défend plus
les milieux naturels, jardins et forêts, qu’elle cite dans son poème. Mais elle
propose aussi aux êtres humains de revenir aux arbres, à la nature, dont ils se
sont coupés en vivant dans des milieux urbains, et qui les fait également
mourir (au moins symboliquement).
- L’écriture poétique est un
moyen d’emmener le lecteur dans cette proximité, qu’il peut imaginer. Les mots
sont déjà une première expérience de cette proximité entre humain et végétal
que le texte décrit, raconte, évoque. Le poème fait vivre ce que Chédid propose
aux lecteurs, ce retour à la nature : les mots font imaginer et ressentir
ce retour vers l’arbre.